COMPOSITEUR | Antonio VIVALDI |
LIBRETTISTE | Agostino Piovene |
ENREGISTREMENT | ÉDITION | DIRECTION | ÉDITEUR | NOMBRE | LANGUE | FICHE DETAILLÉE |
2003 | 2005 | Fabio Biondi | Virgin Classics | 2 | italien | |
2003 | 2005 | Fabio Biondi | EMI | 2 | italien |
Pasticcio (RV 703), sur un livret intitulé Tamerlano, d’Agostino Piovene, patricien vénitien, déjà mis en musique par Francesco Gasparini en 1711 pour le teatro San Cassiano.
Il fut représenté au Teatro Filarmonico de Vérone durant le carnaval de 1735, avec Anna Giro dans le rôle d’Asteria, la contralto Maria-Maddalena Pieri dans celui de Tamerlano, la soprano vénitienne Margherita Giacomazzi dans le rôle d’Irene, la baryton Marc’Antonio Mareschi celui de Bajazet, et le castrat florentin Giovanni Manzoli dans celui d’Idaspe.
Vivaldi utilisa des airs d’autres compositeurs, notamment Hasse (deux airs de Siroe), Geminiano Giacomelli (deux airs, dont Sposa, son disprezzata), Riccardo Broschi (un air d’Idaspe), et puisa dans ses propres oeuvres. On a noté que les airs empruntés aux compositeurs « napolitains » étaient confiés à Tamerlano, Andronico et Irene, alors que le vénitien Vivaldi avait composé les airs pour Bajazet, Asteria et Idaspe.
Le détail des airs « empruntés » est le suivant (version Fabio Biondi) :
Acte I
Bajazet : Del destin non dee lagnarsi (Vivaldi – L’Olimpiade)
Idaspe : Nasce rosa lusinghiera (Vivaldi – Farnace)
Tamerlano : In se torbida procella (Giacomelli – Alessandro Severo)
Andronico : Quel ciglio vezzosetto (Vivaldi : L’Atenaide, emprunt par Biondi)
Tamerlano : Vedeste mai sul prato (Hasse – Siroe)
Asteria : Amare un’alma ingrata (Vivaldi – Semiramide)
Irene : Qual guerriero in campo armato (R. Broschi – Idaspe)
Andronico : Non ho nel sen costanza (Giacomelli)
Acte II
Idaspe : Anche il mar par che sommerga (Vivaldi – Semiramide)
Andronico : La sorte mia spietata (Hasse – Siroe « La sorte mia tiranna »)
Tamerlano : Cruda sorte, avverso fato (Vivaldi – Semiramide, emprunt par Biondi)
Asteria : La cervetta timidetta (Vivaldi –Giustino / Semiramide)
Irene : Sposa, son disprezzata (Giacomelli – Merope)
Bajazet : Dov’e la figlia? (Vivaldi – Motezuma)
Quartetto: « Si crudel » (Vivaldi – Farnace finale IIIe acte)
Acte III
Bajazet : Veder parmi, or che nel fondo (Vivaldi – Farnace)
Andronico : Spesso tra vaghe rose (Hasse – Siroe)
Irene : Son tortorella (Vivaldi – Rosmira fedele, emprunt par Biondi)
Tutti : Coronata … (Vivaldi – Farnace, finale acte III)
Le livret s’inspire de la tragédie Tamerlan ou la mort de Bajazet, de Nicolas Pradon, représentée en 1676 à l’Hôtel de Bourgogne, quatre ans après celle de Racine. Une histoire de Tamerlan avait été écrite par l’ambassadeur castillan Ruiz Gonzalez de Clavijo (mort en 1412).
Personnages : Tamerlano, empereur des Tartares ; Bajazet, empereur des Turcs, prisonnier de Tamerlano ; Asteria, fille de Bajazet, éprise d’Andronico ; Andronico, prince grec, allié de Tamerlano ; Irene, princesse de Trébizonde, épouse promise à Tamerlano ; Idaspe, confident d’Andronico.
Argument :
Tamerlan passe pour être le nouveau Gengis Khan. Le personnage du grand conquérant turc est entouré de légendes : on raconte par exemple qu’il possédait un anneau qui changeait de couleur quand quelqu’un disait un mensonge. Tamerlan, qui n’est au début que le chef d’une bande de pillards, réussit, après une série de victoires dévastatrices, à faire prisonnier l’empereur Bajazet. Le prisonnier et sa femme sont longuement soumis à la torture, au point que Bajazet préfère se tuer en se fracassant la tête contre les barreaux de sa prison.
Synopsis
Jardin des délices dans le Palais Royal de Bursa, capitale de la Bithynie, où le sultan Ottoman Bajazet, vaincu par l’Empereur des Tartares Tamerlano, est retenu prisonnier.
Acte I
(1) Bajazet, résolu à mourir, demande à Andronico, Prince grec allié de Tamerlano mais qu’un amour réciproque unit à Asteria, de veiller sur celle-ci après sa mort (air de Bajazet : Del destin non dee lagnarsi). (2) Andronico recommande à son confident Idaspe de surveiller Bajazet (air d’Idaspe : Nasce rosa lusinghiera). (3) Tamerlano, ignorant les sentiments d’Andronico pour Asteria, lui confie la passion qu’il éprouve également pour elle et sa décision de l’épouser, renonçant ainsi à son union avec Irene, Princesse de Trebizonde. Demandant à Andronico d’être son ambassadeur auprès de Bajazet et de sa fille, il lui offre en échange le trône de Grèce et la main d’Irène.(air de tamerlano : In si torbida procella). (4) Cette annonce plonge Andronico dans un profond désespoir (air d’Andronico : Quel ciglio vezzosetto).
Les appartements royaux destinés à Asteria et Bajazet, surveillés par des gardes.
(5) Asteria est désespérée de l’ingratitude d’Andronico en qui elle mettait ses espoirs. (6) Persuadé de la réussite de son ambassade, Tamerlano se dévoile auprès d’Asteria. Il lui apprend qu’il veut l’épouser et qu’Irene épousera Andronico (air de Tamerlano : Vedeste mai sul praato). (7) Asteria, convaincue de la trahison de son amant, révèle les proiets du vainqueur à son père, en présence d’Andronico. Bajazet offre aussitôt sa tête en échange de la liberté de sa fille. (8) Andronico subit la colère d’Asteria (air d’Asteria : Amare un’alma ingrata). (9) Irene, arrivé au palais, s’étonne de ne pas être accueillie par Tamerlano. Elle laisse éclater sa fureur en apprenant l’affront qui lui est fait. Mais Andronico l’apaise aussitôt en l’assurant de son soutien, et lui suggère de ne pas révéler son identité afin de pouvoir influer sur le cours des évènements (air d’Irene : Qual guerriero in campo armato). (10) Resté seul, Andronico est torturé par son amour par Asteria (air d’Andronico : Non ho nel sen costanza).
Acte II
Campagne avec le pavillon de Tamerlano qui s’ouvre soudainement : on voit Tamerlano et Andronico assis sur deux coussins.
(1) Andronico apprend de Tamerlano qu’Asteria a accepté son offre. Tamerlano décide d’organiser ses propres noces et celles d’Andronico le même jour. (2) Andronico confie à Idaspe qu’il est toujours amoureux d’Asteria, et prêt à tout pour elle (air d’Idaspe : Anche il mar par che sommerga). (3) Abattu, Andronico tente de se justifier auprès de sa promise qui le rejette en le raillant (air d’Asteria : Stringi le mie catene). (4) Andronico, seul, est désespéré (air d’Andronico : La sorte mia spietata).
Le pavillon s’ouvre et l’on voit Tamerlano et Asteria assis sur des coussins.
(5) Irene est reçue par Tamerlano comme son envoyée. Tamerlano fait confirmer par Asteria son désir de l’épouser, ce qui provoque les reproches d’Irene (air de Tamerlano : Cruda sorte, avverso fato !). (6) Asteria révèle la vérité à Irene et lui conseille d’attendre son heure (air d’Asteria : La cerbetta timidetta). (7) Réconfortée par Asteria, Irene ne s’en sent pas moins outragée et s’en ouvre à Idaspe (air d’Irene : Sposa, son disprezza). (8) Bajazet apprend par Andronico qu’Asteria s’apprête à monter sur le trône, et laisse libre cours à sa fureur (air de Bajazet : Dov’e la figlia).
Champ de bataille avec le trône sur lequel siègent Tamerlano et Asteria devant l’armée entière.
(9) Asteria, feint de se soumettre. Arrive Bajazet qui accable sa fille de son mépris dans une harangue pathétique. Bouleversée, Asteria sort alors le poignard qu’elle tenait caché sous sa robe et avec lequel elle s’apprêtait à assassiner le tyran, au soir de ses noces. Le père et la fille sont aussitôt arrêtés sur ordre de Tamerlano, et jetés en prison.
Acte III
Jardin sur les rives de l’Euphrate
(1) Bajazet et Asteria projettent de se suicider au moyen du poison conservé par le sultan. (air de Bajazet : Veder parmi, or che nel fondo). (2) Andronico de son côté, dans un élan de courage, défie son maître en lui révélant son amour pour la fille de Bajazet. Tamerlano, humilié, décide de mettre à mort Bajazet et de réduire Asteria en esclavage, ordonnant à celle-ci de le servir à sa table. (3) Bajazet est ulcéré de voir sa fille rabaissée (air de Tamerlano : Barbaro traditor). (4) Andronico se lamente d’avoir tout perdu, le trône et son amour (air d’Andronico : Spesso tra vaghe rose).
Salle apprêtée pour le banquet de Tamerlano. Toute l’armée est présente autour.
(5) Tamerlano a fait venir Bajazet et Asteria. (6) Lorsque celle-ci arrive, Tamerlano lui ordonne de lui servir une coupe. Asteria profite de l’occasion pour y verser le poison que lui a donné son père. (7) Elle est dénoncée par Irène, qui révèle aussitôt sa véritable identité. Tamerlano demande qu’Asteria ou Andronico boive à la coupe. Au moment où Asteria va boire, Andronico lui ôte la coupe. Asteria est furieuse et sort. Tamerlano donne ordre de la livrer au aux esclaves du sérail, sous les yeux de son père. Bajazet tonne et menace en vain (air de Bajazet : Verro crudel, spietato). (8) Tamerlano décide d’épouser Irene qui laisse éclater sa joie. (air d’Irene : Son tortorella). (9) Idaspe vient rapporter que Bajazet vient de se donner la mort. (10) Asteria, éplorée, vient supplier Tamerlano de la tuer à son tour (air d’Asteria : Svena, uccidi, abbatti, atterra). (11) Le tyran, bouleversé par cette succession d’événements tragiques, s’avoue vaincu et accorde son pardon à Asteria et Andronico
« L’ouvrage se présente comme un pastiche conçu sur les modèles de l’époque texte déjà utilisé à plusieurs reprises, airs empruntés à d’autres opéras, à l’exception de quelques pages nouvelles. Tamerlan, le Mongol, après avoir vaincu le Turc Bajazet, veut épouser sa fille en abandonnant sa fiancée. Malgré les intrigues de Bajazet, qui finit par se suicider, les couples se trouveront enfin. Les arie s’enchaînent les unes aux autres, de Vivaldi mais également de Hasse, Giacomelli et Brioschi. A l’époque, le jeu consistait à les identifier ; de nos jours, cette succession de morceaux d’une inspiration inégale, qui finissent par se ressembler tous, peut lasser, surtout quand le théâtre ne dispose pas des moyens d’engager un plateau à la hauteur des exigences virtuoses de la partition et de recréer les fastueuses machineries baroques. » (Opéra International – juin 1994)
« Quand, en 1735, le Teatro Filarmonico de Vérone accueille Bajazet (et Adelaide) de Vivaldi, Venise succombe depuis une quinzaine d’années aux charmes de l’opéra napolitain. Les Leo, Vinci et autres Hasse composent sur les textes de Métastase des airs propres à faire triompher les castrats Farinelli, Caffarelli et Carestini. Boudé par sa ville natale, installé à Vérone, Vivaldi a sans doute confondu son sort avec celui de Bajazet, fier Ottoman prisonnier de l’empereur des Tartares Tamerlano. Les conflits répétés entre la Sérénissime et les Turcs trouvent par ailleurs une singulière résonance dans le livret d’Agostino Piovene maintes fois mis en musique par Gasparini (1711), Porpora (1730), Jommelli (1754) mais aussi Haendel à Londres (1724).
Bien qu’il introduise quelques airs à la mode (Hasse, Giacomelli, Broschi) dans cet opéra pasticcio, Vivaldi en compose l’intégralité des récitatifs et l’essentiel des airs, quitte à puiser dans sa propre musique (Giustinio, Farnace, Semiramide, Montezuma). Son formidable métier permet de rendre les coutures invisibles et de conserver à l’ensemble la fluidité d’une oeuvre originale. Avec la même habileté, Fabio Biondi et Frédéric Delaméa ont remplacé trois airs, absents de la partition conservée à la Bibliothèque de Turin mais imprimés sur le livret, par des emprunts à L’Atenaide, Semiramide et Rosmira fedele.
Dans Bajazet, les recherches chromatiques et les originalités instrumentales des premiers opéras vénitiens sont remplacés par une intensité dramatique, une caractérisation des personnages et une conduite narrative supérieures. Vivaldi rompt même la régulière alternance récitatifs-airs par d’abrupts récitatifs accompagnés. Pour cette sanglante histoire où les menaces de décollation répondent aux tentatives d’empoisonnement, Vivaldi n’a pas hésité à bousculer sa musique. Les tempos vifs font régner la terreur et la virtuosité accélère les rouages du drame plus qu’elle ne sert à la promotion des chanteurs (à l’inverse des airs de bravoure pour castrats de l’opera seria) ». (Le Monde de la Musique – avril 2005)
Représentations :
Cracovie – 23 mars 2008 – Salle Pleyel – 25 mars 2008 – Théâtre de Caen – 26 mars 2008 – Madrid – Teatro Real – 27 mars 2008 – Metz – Arsenal – 29 mars 2008 – version de concert – Europa Galante – dir. Fabio Biondi – avec Romina Basso (Tamerlano), Lucia Cirillo (Andronico), Vivica Genaux (Irene), Marina de Liso (Asteria), Christian Senn (Bajazet), Maria Grazia Schiavo (Idaspe)
Forum Opéra – 25 mars 2008 – Viva Vivica !
On a beaucoup écrit, ici et ailleurs, sur l’interprétation du Bajazet de Vivaldi par Fabio Biondi. Interprétation et exhumation car il s’agit bien d’une résurrection qu’accomplit le violoniste quand il enregistre en 2005 cette tragedia per musica créée au Teatro dell’Academia de Vérone durant le carnaval de l’hiver 1735 et jamais représentée – ou presque – depuis.
On a beaucoup expliqué les particularités de la partition, ses origines d’abord – le Tamerlan de Jacques Pradon qui, aménagé par Nicola Fransco Haym, avait donné naissance onze ans auparavant au Tamerlano de Haendel – puis sa nature de pasticcio. L’œuvre emprunte en effet l’essentiel de sa substance aux opéras précédents du compositeur et à ceux de ses confrères napolitains : Hasse, Giacomelli, Broschi. Le procédé, courant au XVIIIe siècle, n’a rien de choquant. On l’a d’autant mieux accepté que le collage réalisé par Vivaldi s’apparente à un manifeste. Aux oppresseurs (Tamerlano, Andronico et Irene) la musique napolitaine, aux résistants (Bajazet, Asteria et le fidèle Idaspe) les airs qu’il a lui-même composés, le tout afin de protester contre le déclin du dramma per musica vénitien dont il se voulait le digne représentant. Et on a d’autant mieux apprécié la recette que Vivaldi a su lier la sauce en ajoutant une pincée de récitatifs accompagnés et d’ariosi du meilleur effet dramatique.
On a beaucoup vanté la direction de Fabio Biondi, son équilibre, sa dynamique. On a aimé qu’elle soit débarrassée des soubresauts qui trop souvent agitent cette musique et la façon gourmande dont le violon dialogue avec Asteria dans l’aria « La cervetta ». On a loué la beauté sonore de l’Europa Galante – comment faire autrement – et l’on s’est extasié sur le plateau d’étoiles réunies pour l’enregistrement (ldebrando D’Arcangelo, David Daniels, Marijana Mijanovic Elina Garanca, Vivica Genaux Patrizia Ciofi), même si l’on a remarqué, de ci de là, que Daniels était mal distribué – manque d’expressivité et défaut de mordant, le prix à payer pour un tel moelleux – et, va savoir pourquoi, que Ciofi, Garanca et Mijanovic n’étaient pas vraiment au niveau de leur réputation. Un diapason d’or s’est chargé de mettre tout le monde d’accord.
On a beaucoup commenté aussi les concerts qui ont suivi l’enregistrement, concerts qui ont vu l’ouvrage mis en scène à Venise et en espace à Montpellier avec une distribution moins prestigieuse, quasi identique à celle réunie ce soir salle Pleyel. On a relevé évidemment que l’affiche était moins éblouissante mais on a souligné l’homogénéité de l’ensemble et les qualités de chacun : le phrasé de Christian Senn, la virtuosité de Vivica Genaux, les couleurs de Romina Basso, la vivacité de Maria Grazia Schiavo, la noblesse de Marina de Liso, l’engagement de Lucia Cirillo…
Après tout cela, que dire de plus si ce n’est, à l’issue de cette soirée parisienne, que l’acoustique de Pleyel n’est pas de celles qui rendent le mieux justice à la musique baroque. Le son, opaque comme si une feuille de papier calque avait été glissée entre la scène et le public, ne sert pas le jeu de l’Europe Galante dont les raffinements passent à la trappe – jusqu’à un certain point, le défaut de justesse des cors n’est pas à mettre, lui, sur le compte de l’acoustique. De même, les chanteurs semblent à court de projection, avec des graves assourdis et, par contraste, des aigus étonnamment libérés.
Avoir – trop – le disque dans l’oreille n’arrange pas les choses. Quelle que soit les qualités de Christian Senn, son interprétation de Bajazet ne peut se confronter à la fière arrogance d’Ildebrando d’Arcangelo. Les voix féminines palissent aussi de la comparaison mais elles ont le mérite d’être suffisamment distinctes et d’offrir une juste caractérisation des personnages, Romina Basso en tête. Ses raucités et son timbre sombre rendent effectivement mieux justice à la personnalité de Tamerlano que l’interprétation séraphique de David Daniels. Le tempérament dramatique de Marina de Liso attend son dernier air, « « svena, uccidi, abbatti, atterra », et surtout le récitatif qui le précède, « é morto, si tiranno », pour s’épanouir enfin. Maria Grazia Schiavo, après un « nasce rosa lusinghiera » gracieux qui n’a rien à envier à celui de Patrizia Ciofi, se tord littéralement pour venir à bout, bon an mal an, du périlleux « anche il mar par che sommerga », d’autant plus impossible à interpréter que La Bartoli est déjà passée par là (l’air figure dans le « Vivaldi album »). Lucia Cirillo semble desservie plus que les autres par l’acoustique de la salle avec comme indiqué plus haut un phénomène d’amoindrissement de la voix dans le grave et le bas médium qui altère le portrait délicat du prince Andronico.
Reste Vivica Genaux, seule rescapée de l’enregistrement, dont la silhouette souveraine, merveilleusement suggérée par une robe longue de crêpe turquoise, est déjà une révélation (coutumière des rôles travestis, on a plus souvent l’occasion de la voir en pantalon). Au delà de l’impact physique, la présence vocale s’avère supérieure à celle de ses partenaires. L’incroyable vélocité, la longueur de souffle, l’exubérance des ornements, les sauts d’octave de « Qual guerriero in campo armato » achèvent de mettre le public à ses pieds. L’air suivant « Sposa son disprezzata », en présentant un visage d’Irène moins spectaculaire mais plus sensible et tout autant accompli, finit de consacrer la chanteuse princesse de Trébizonde et reine de la soirée. »
Res Musica – 29 mars 2008
« La distribution réunie dans la salle de l’Arsenal ne peut certes pas rivaliser complètement avec la brochette de stars réunie pour le CD, et c’est en vain qu’on cherchera les timbres soyeux de Patrizia Ciofi, David Daniels, Elena Garanca, etc. Le niveau atteint n’en est pas moins d’une exceptionnelle qualité artistique, et autant Lucia Cirillo que Maria Grazia Schiavo, par exemple, s’acquittent sans problème des difficultés techniques de leurs rôles respectifs. Marina de Liso, dotée d’un timbre assez pauvre en couleurs, finit par remporter l’adhésion grâce à sa musicalité et au souffle dramatique qu’elle parvient à faire passer dans sa superbe scène du troisième acte. Dans le rôle de Tamerlano, Romina Basso fait merveille par sa technique sans faille et par la qualité de son somptueux timbre de contralto. Impression tout aussi positive du côté du baryton Christian Senn, même si le rôle de Bajazet est curieusement moins développé musicalement que celui des autres personnages du drame. Seule rescapée de la distribution du CD, Vivica Genaux assume sans difficulté son rôle de star, et régale le public de sa virtuosité époustouflante, de sa belle musicalité et de ses magnifiques graves cuivrés ; si on a pu dire parfois que les incarnations live de la diva alaskienne n’étaient pas toujours du niveau de ses enregistrements, tel n’était certainement pas le cas de la soirée offerte samedi soir au public de l’Arsenal.
La prestation d’Europa Galante, enfin, est un pur enchantement, et on ne saurait se lasser de cette sonorité juteuse, épanouie et sensuelle, qui semble allier l’art de chanter et de faire chanter à une dimension théâtrale hors du commun. Dirigeant le violon à la main, Fabio Biondi parvient justement à marier cette rondeur sonore tellement caractéristique de la musique du Prete rosso à des trésors de théâtralité qu’on ne demande qu’à découvrir ou redécouvrir. Vivement de nouvelles révélations vivaldiennes… »
Venise – Teatro Malibran – 5, 7, 12, 14 octobre 2007 – Facoltà di Design e Arti IUAV di Venezia – Europa Galante – dir. Fabio Biondi – mise en espace Anja Rudak – décors Lucia Ceccoli – costumes Caterina Lucchiari – avec Daniela Barcellona (Tamerlano), Christian Senn (Bajazet), Marina De Liso (Asteria), Lucia Cirillo (Andronico), Vivica Genaux (Irene), Maria Grazia Schiavo (Idaspe)
Diapason – décembre 2007
« Le souvenir du disque hante le Bajazet. Les aficionados venus ovationner Vivica Genaux dans son «Quel guerriero» ne furent pas déçus : une divinité en robe du soir. Un cran au-dessous mais assez homogène, dont émerge l’Idaspe agile de Maria Grazia Schiavo, le reste du plateau porte une tenue de soirée digne des Damnés de Visconti, pour affronter une mise en espace calquée sur Cris et chuchotements. Un canapé rouge sang, autour duquel chacun gravite ou s’assoie tour à tour. Des regards, des poses, un climat intimiste signifiant et réussi, proche de l’hypnose. Daniela Barcellona, sorte de castrat en smoking, campe un Tamerlano au mezzo viril, bien éloigné du soyeux David Daniels. Biondi, de l’archet, tient ses troupes impeccablement jusqu’au lieto fine triomphal. »
Opéra Magazine – décembre 2007
« Entre Bajazet et Fabio Biondi, l’histoire d’amour a commencé au Festival d’Istanbul, avant de se poursuivre à Lisbonne, à Parme, à Montpellier, au Japon et au disque (Virgin Classics), en attendant Madrid en mars prochain. L’étape vénitienne est importante puisque c’est dans cette région que l’ouvrage fût représenté pour la première fois, au Teatro Filarmonico de Vérone, en 1735. Cette partition où Vivaldi mêle des extraits de ses propres opéras à des fragments empruntés à Hasse, Giacomelli ou Broschi, n’a plus de secrets pour l’ensemble Europa Galante. Fabio Biondi, quant à lui, nous offle quelques moments inoubliables la scène 6 de l’acte II, dans laquelle il dialogue au violon avec Asteria, ou encore l’aria d’Andronico « Quai cigiio vezzosetto ». On peut regretter un excès de complaisance sonore, une morbidezza atténuant un peu trop la vigueur rythmique de l’ensemble, mais on ne saurait nier la sensation d’équilibre qui prévaut ici.
Comme à Montpellier, Vivica Genaux, accueillie par des ovations après son air pyrotechnique « Qual guerriero in campo armato » et sa bouleversante plainte « Sposa son disprezzata », domine les débats. Authentique bête de scène, elle crée un théâtre à elle seule d’un geste ou d’un regard. Daniela Barcellona paraît davantage en retrait, avec un grave sourd, Maria Grazia Schiavo livrant un élégant et virtuose « Anche il mar par che sommerga », malgré un timbre un peu geignard. Marina De Liso est une Asteria raffinée, Lucia Cirillo campant un Andronico de belle allure. Christian Senn, enfin, impose un phrasé noble et une réelle épaisseur tragique en Bajazet.
Que dire du spectacle, différent de celui proposé à Montpellier ? Fruit d’une collaboration entre le Teatro La Fenice et la Facoltà di Design e Arti de Venise, il se déroule à l’intérieur de parois grises percées de cinq ouvertures. Au centre, un divan rouge, digne d’un talk-show télévisé, sur lequel les protagonistes viennent s’asseoir à tour de rôle (pauvre Asteria, transformée en Madame Flora du Médium, immobile et le regard perdu dans le vide !). Une rose, un calice et un châle complètent le décor. Costumes noirs et contemporains, gestuelle réduite, éclairages fixes ou presque… si c’est ainsi que les étudiants de la Facoltà conçoivent la mise en scène d’un opéra baroque, il faut espérer que leurs études n’approchent pas de leur terme ! »
Montpellier – Opéra Berlioz – 24, 25 juillet 2006 – dir. Fabio Biondi – mise en scène Davide Livermore – avec Romina Basso (et l’acteur Sax Nicosia) (Tamerlano), Christian Senn (Bajazet), Marina De Liso (Asteria), Lucia Cirillo (Andronico), Vivica Genaux (Irene), Maria Grazia Schiavo (Idaspe)
Opéra Magazine – septembre 2006 – 25 juillet 2006
« Paru en 2005 sous étiquette Virgin Classics, ce Bajazet dirigé par Fabio Biondi avait été un peu surestimé, peut-être en raison de son plateau de stars. Patrizia Ciofi, Elina Garanca et Marijana Mijanovic n’étaient pourtant pas vraiment au niveau de leur réputation, aux côtés d’un David Daniels certes excellent mais mal distribué. L’ouvrage lui- même, indéniablement spectaculaire sur le plan vocal, ne nous avait pas semblé particulièrement passionnant ni efficace d’un point de vue dramaturgique. Sa représentation à Montpellier, avec costumes et mise en espace, a confirmé notre impression première ce pasticcio n’est sans doute pas à ranger parmi les partitions les plus achevées du compositeur vénitien.
L’unique décor est constitué d’un plateau incliné, grand rectangle entouré de grilles servant de praticables. Au-dessus, en miroir un faux plafond à lamelles comportant quelques néons et un trou béant laissant apparaître un ciel rougeoyant et menaçant. Les changements d’ambiance sont efficacement assurés par les lumières d’Alberto Giolitti. Les costumes évoquent un XVIIIe siècle tantôt orientalisé (Irene), tantôt passé au prisme des mangas (Tamerlano, certaines perruques). Dès l’ouverture, les personnages adoptent une gestuelle chorégraphiée que l’on retrouvera tout au long de la soirée. Si ces mouvements illustrent leurs rapports et leurs luttes avec pertinence, le procédé ne s’en avère pas moins redondant et parfois un peu trop au premier degré.
De la distribution du disque, on retrouve Vivica Genaux, toujours ébouriffante de virtuosité, l’une des étoiles de la soirée. Remplaçant au pied levé le contre-ténor Carlos Mena, Romina Basso a chanté depuis le côté de la fosse, alors que le comédien Sax Nicosia — très belle prestance — personnifiait Tamerlano sur scène. La prestation de cette jeune mezzo — qualité de la voix, du chant, de l’interprétation — n’appelle que des éloges. Très bonne soirée aussi pour Lucia Cirillo. Christian Senn dessine un Bajazet convaincant, mais Marina de Liso et, surtout, Maria Grazia Schiavo déçoivent. Fabio Biondi dirige du violon avec énergie et sens des contrastes, mais son ensemble Europa Galante se montre un peu plus approximatif qu’en studio. Au bilan, peu d’émotion, mais une vocalité spectaculaire et des interprètes qui assurent l’intérêt de la soirée. »
ResMusica
« Seul opéra baroque mis en scène, Bajazet était attendu avec impatience, précédé qu’il était de l’aura dont bénéficie l’ensemble Europa Galante et son chef Fabio Biondi grâce à leur enregistrement très remarqué de cette œuvre. L’équipe n’est plus tout à fait la même, mais encore une fois le maestro sait s’entourer d’excellents chanteurs baroques. Une distribution nouvelle, donc, à l’exception de la diva Vivica Genaux dans le rôle d’Irene… à quelle chanteuse en effet le confier dès lors que cette dernière fait référence dans les pyrotechnies de la princesse de Trébizonde ?
L’Orient ne cesse de fasciner Venise, terre qu’elle voudrait dompter pour y installer ses comptoirs, mais qui lui inflige aussi de cinglantes défaites. Vite mythifiés, les personnages de Bajazet, le magnifique sultan Ottoman, et de son ennemi Tamerlan, le cruel empereur des Tartares, inspirent dès le début du XVIIIe siècle à Gasparini, Haendel, Leo et à de nombreux autres compositeurs une cinquantaine d’œuvres lyriques, tour à tour intitulées Bajazet ou Tamerlan. Vivaldi s’essaye à son tour à l’exercice et utilise alors l’un des meilleurs livrets écrits sur ce sujet, le Tamerlano du comte vénitien Agostino Piovene, pour donner en 1735 à Vérone son Bajazet, tragedia per musica. Des intrigues retorses et compliquées dont le baroque a le secret, retenons « simplement » qu’Irène aime Tamerlan qui aime Asteria, fille de Bajazet, qui aime Andronico et en est aimée. Scènes de colère, de passion et de jalousie sont l’occasion pour Vivaldi de composer des airs virtuoses ou même d’en réutiliser – de sa main ou encore d’autres compositeurs, le fait est alors fréquent et accepté par les mœurs – pour les intégrer de façon plus virtuose encore à une intrigue d’une grande efficacité pour l’une de ses compositions lyriques les plus construites. Si le choix de programmer un opéra de Vivaldi débouche sur une production de Bajazet, on peut en chercher la raison dans l’extrême aboutissement de cette œuvre. Jusque dans les petits rôles, la partition est de bout en bout passionnante.
Le premier mérite de Fabio Biondi est de réunir autour de lui une distribution très homogène. Vivica Genaux remporte un franc succès avec chacun de ses trois airs et en particulier le désormais célèbre « Qual guerriero », très applaudi. Plus que Bajazet ou Tamerlan, le jeune prince Andronico hérite d’une partition très importante. Il est idéalement interprété par la mezzo Lucia Cirillo. En voix dès la première scène, elle tient admirablement sur la durée, fait preuve d’une grande longueur de souffle et sait varier, moduler ses effets et donner vie et consistance à son personnage d’amant éploré. Son confident, Idaspe, est titulaire d’un rôle plus modeste mais virtuose, bien servi par un soprano lumineux en la personne de Maria Grazia Schiavo. Son chant est un modèle de compréhension de l’esthétique baroque dans ses vocalises charmantes lors de ses petits airs. Les rôles des princes ennemis sont tenus par Christian Senn, Bajazet remarquable pour la précision de sa diction, et le comédien Sax Nicosia doublé par la voix de Romina Basso pour incarner Tamerlan. La mezzo, parfois directement dirigée par Biondi fournit l’une des meilleures prestations de la soirée. Sa belle émission, ses couleurs cuivrées somptueuses, sa grande expressivité font regretter qu’elle ne soit pas elle-même sur scène pour défendre les couleurs du personnage. Marina de Liso livre quant à elle un chant bien différent de celui que l’on pourrait attendre. Loin de l’ingénuité de la jeune première, elle donne à Asteria la noblesse que le personnage requiert, une voix assez sombre et beaucoup de maturité, vocale et scénique.
Le travail de Livermore surprend un temps, à mi-chemin entre mise en espace et mise en scène. Sa vision est très chorégraphiée, tout en oscillant entre épure et pantomime parfois redondante pour l’acteur qui incarne scéniquement Tamerlan par exemple. Il s’attelle à la tâche difficile de mettre en scène un opéra baroque où il faut « meubler » les airs da capo, souvent longs avec un personnage seul en scène. Le pari est réussi avec bien souvent les autres personnages qui chantent en play-back ou partagent les gestes de celui d’entre eux qui est en train d’exécuter son air. Une façon de montrer que tous sont finalement dans la même situation, pris au piège de leurs intrigues amoureuses et que les vainqueurs ne sont pas plus heureux que les prisonniers ? Le parti pris est intelligent et cohérent. Plus facilement analysables sont les apparitions silencieuses d’Asteria lorsque son amant Andronico l’évoque ou celles de Tamerlan qui passe sur scène par deux fois lorsque Irène déplore qu’il la rejette, lancinante présence sur scène et dans l’esprit d’Irene. Livermore orchestre encore avec finesse un jeu de séduction entre Asteria et Irene lorsque les deux femmes concluent un marché. Et ce moment de lyrisme de Biondi est l’un des plus beaux moments du spectacle. »
Vienne – Konzerthaus – 21 janvier 2006 – Europa Galante – dir. Fabio Biondi – avec Wilke te Brummelstroete (Tamerlano), Christian Senn (Bajazet), Vivica Genaux (Irene), Elisabetta Scano (Idaspe), Marina de Liso (Asteria), Manuela Custer (Andronico)
Las Palmas de Gran Canaria – Auditorium Alfredo Kraus – 20 avril 2004 – Valencia – Palau de la Música – 21 avril 2004 – version de concert – Europa Galante – dir. Fabio Biondi – avec Jordi Doménech, contre-ténor (Tamerlano), Elisabetta Scano, soprano (Idaspe), Manuela Custer, soprano (Irene), Philippe Jaroussky, contre-ténor (Andronico), Sonia Prina, alto (Asteria), Christian Senn, baryton (Bajazet)
Istamboul – Hagia Eirene Museum – 27th International Istanbul Music Festival – 2000 – Europa Galante – dir. Fabio Biondi – mise en scène Pier Luigi Pizzi – avec Annmaria dell’Oste (Idaspe), Manuela Custer (Irene) – pour la célébration du 700e anniversaire de la création de l’Empire Ottoman
Vérone – Teatro Filarmonico – 8, 16 et 24 avril 1994 – dir. René Clemencic – mise en scène Elisabetta Courir – décors Emanuele Luzzati, Luca Antonucci – costumes Santuzza Cabi – avec Caterina Calvi, Armando Ariostini, Thomas Mark Fablon, Chu Tai Li, Kim Sung Eun
« Elisabetta Courir fait de son mieux sur le plan visuel, dans les décors élégants et pleins d’imagination d’Emanuele Luzzati et Luca Antonucci (rideau, miroirs, navire…), sans oublier les costumes évocateurs de Santuzza Cali. Musicalement, le résultat s’avère plus contestable, avec des voix nullement rompues au bel canto du XVIIIe siècle, de surcroît incapables de prononcer correctement les récitatifs. Sous la direction aride et mécanique de René Clemencic, se détache le seul contre-ténor Thomas Mark Fallon. » (Opéra International – juin 1994)