Jean-Baptiste MOREAU
1656 (Angers) – 24 août 1733 (Paris)
pastorale en trois actes et un prologue, ornée de danses – représentée au château de Marly, devant le Roi, en septembre 1687 (ou 1688 ?) – livret de Banzi | |
musique des choeurs pour la tragédie de Duché | |
voir Esther | |
divertissement – livret de Lainez – les vers furent jugés licencieux, provoquant la disgrâce de Moreau |
« Natif d’Angers, Maître de Musique du Roi, Intendant de la Musique des États de Languedoc, mort à Paris le 24 Août 1733 dans la 78e année de son âge, inhumé en l’église de saint Josse sa Paroisse.
Il fut élevé Enfant de Choeur de la Cathédrale d’Angers : son génie fut si heureux pour la Musique, que cinq ou six ans après s’être appliqué à ce bel Art, il composa plusieurs morceaux de Musique qui lui donnèrent de la réputation. L’envie de voyager lui prit, et il alla à Langres, où son mérite ayant été connu, on lui offrit la place de Maître de Musique de la Cathédrale, qu’il ne remplit que peu de temps, s’étant marié. De Langres, il vint à Dijon où il séjourna environ un an ; mais la province commençant à l’ennuyer, il prit le parti de venir s’établir à Paris.
Moreau, qui n’étoit pas des mieux partagés des biens de la fortune, ne laissa pas d’être un peu embarrassé dans le commencement de son séjour à Paris. Il fut quelque temps après à Versailles où étoit la Cour : on ne sçait par quel hazard, étant assez mal vêtu, et ayant un air provincial, il put se glisser à la toilette de Madame la Dauphine, Victoire de Bavière ; mais y étant entré, il fit plus que de tenir bonne contenance ; car sçachant que cette Princesse aimoit la Musique, il eut la hardiesse de la tirer par la manche, et de lui proposer de chanter un air, ce qui fit rire cette Princesse qui lui permit de chanter : elle fut très satisfaite de sa chanson, d’autant plus qu’il lui dit en avoir fait la Musique. Le même jour Madame la Dauphine fit le récit de cette aventure au Roi, qui eut la curiosité de voir cet homme original. Il fùt deux jours après introduit dans l’Appartement de Madame de Maintenon où étoit le Roi, devant lequel il eut l’honneur de chanter quelques airs dont Sa Majesté fut fort contente ; Elle lui ordonna même, ayant appris de lui qu’il avoit composé quelques morceaux de Musique, de faire un Divertissement pour Marly, qui deux mois après fut exécuté avec l’applaudissement de toute la Cour. Banzi étoit l’auteur des Paroles de ce Divertissement intitulé, les Bergers de Marly. Le Roi prit du goût pour la Musique de Moreau, et comme dans ce temps-là Racine travailloit aux Tragédies d’Estber et d’Athalie, pour être représentées par les Demoiselles élevées à la Maison royale de S. Cyr près Versailles, Moreau fut choisi pour faire la Musique de ces belles Tragédies, et celle de quelques Cantiques : on peut juger de leur grande réussite par la manière dont Racine en parle dans la Préface de la Tragédie d’Esther, où il s’explique en ces termes : « Je ne puis me résoudre à finir cette Préface, sans rendre à celui qui a fait la Musique la justice qui lui est due, et sans confesser franchement, que ses Chants ont fait un des plus grands agréments de la Pièce. Tous les Connoisseurs demeurent d’accord que depuis longtemps on n’a point entendu d’airs plus touchants, ni plus convenables aux Paroles. » Moreau composa aussi la Musique des Choeurs de la Tragédie de Jonathas, par Duché, de même que quelques autres Musiques spirituelles pour la Maison de S. Cyr. Le roi qui assista à la représentation de toutes les Pièces dont on vient de parler, fut très satisfait de la Musique de Moreau ; il lui fit plusieurs gratifications, et lui accorda une pension de six cents livres dont il a joui jusqu’à sa mort.
Vers l’année 1694 Moreau obtint la charge d’Intendant de la Musique des Etats de Languedoc ; mais le goût qu’il avoit pris pour le séjour de Paris fit qu’il ne l’exerça que pendant une tenue des Etats, en ayant vendu la survivance cinq mille livres au sieur Mallet, qui depuis en a rempli les fonctions. Moreau auroit fait une plus grande fortune s’il avoit sçu profiter des bontés que le Roi avoit pour lui ; mais ayant fait connoissance avec le Poète Lainez, homme des plus aimables et des plus séduisants, il ne pouvoit plus le quitter, et employoit son art à mettre en Musique ses Poésies, dont la plupart sont des Chansons, et de petites Cantates. Il présenta un jour son Poète bien aimé au Roi, qui leur ordonna de composer un Divertissement pour l’Hermitage de Franchard dans la Forêt de Fontainebleau. Ce Morceau ne fut point chanté dans l’Hermitage, mais seulement dans l’Appartement de Madame de Maintenon.
Outre les Ouvrages marqués ci-dessus, ce Musicien a composé quelques Motets, entre autres le Pseaume In exitu Israël de Egypto, qui est d’une beauté singulière ; il a conservé dans ses Choeurs pour le fond de la Musique le Plein-Chant ordinaire de ce pseaume sur lequel il a composé les autres Parties. Il a fait aussi en Musique une Messe de Requiem, dont quelques Musiciens habiles et quelques Connoisseurs, qui se sont trouvés à la répétition qui en a été faite, lui ont donné de grandes louanges. Son principal talent étoit pour l’expression des Sujets et des Paroles qu’on lui donnoit, en quoi il excelloit. Il a laissé un manuscrit intitulé l’Art Mélodique, où il fait connoître qu’il sçavoit parfaitement la mélodie, qui consiste dans la beauté et les grâces du Chant, et dans la juste expression.
Moreau fut employé les dernières années de sa vie par M. Languet Curé de S. Sulpice, à montrer à chanter à quelques Filles de la Communauté de Jésus, établie par ce Pasteur, et à leur faire répéter les Choeurs de Musique des Tragédies Saintes de Racine, qu’elles représentoient. M. Languet lui donnoit pour ce petit travail quatre cents livres par an.
La vie de Moreau avoit été assez longue pour lui donner le temps de faire imprimer tous ses Ouvrages ; cependant il n’y a que les Choeurs et les Intermèdes de la Tragédie d’Esther qui soient imprimés chez Christophe Ballard, un vol. in 4° Paris 1689. Les Choeurs et les Intermèdes de la Tragédie d’Athalie, gravés par Baussan. Il a laissé un grand coffre et une cassette qui contiennent d’autres Musiques, seul bien dont sa veuve et sa fille héritent. Il est fort de leur intérêt d’en faire part au Public ; pour moi je souhaite qu’elles commencent à donner à l’impression les Chansons et les autres morceaux des Poésies de Lainez, qu’il a mis en Musique, ce qui composera un Recueil des plus curieux et des plus agréables.
Moreau a fait d’excellents Élèves dans son Art, ayant montré le Chant et la Composition à des Personnes qui se sont acquis une grande réputation. De ce nombre on mettra Monte-Clair, auteur de la Musique de l’Opéra des Fêtes de l’Eté, et de celui de Jephté; et de plusieurs Cantates et Symphonies ; Clérambault et Dandrieu, deux de nos plus fameux Organistes, connus par divers beaux Ouvrages donnés au Public ; la Demoiselle Dandrieu, soeur du précédent ; feue la Demoiselle Louise Couperin pensionnaire du Roi; et feue la Demoiselle Marie-Claude Moreau, fille de ce fameux Musicien, femme de feu Deniau maître de Viole ; celle-ci excelloit comme les deux autres dans l’Art de chanter et de toucher le Clavecin, et a été une des plus aimables personnes de nos jours. »
(Évrard Titon du Tillet – 1677 – 1762)