Tancrède

Edition C. Ballard

COMPOSITEUR André CAMPRA
LIBRETTISTE Antoine Danchet
ENREGISTREMENT ÉDITION DIRECTION ÉDITEUR NOMBRE LANGUE FICHE DÉTAILLÉE
1965 Clément Zaffini Archiv 1 français
1981 2004 Clément Zaffini Pierre Vérany 1 (extraits) français
1986 1990 Jean-Claude Malgoire Erato 2 français

 

Opéra en un prologue et 5 actes, sur un livret d’Antoine Danchet, homme de lettres prolifique, librettiste attitré de Campra (1671 – 1748), d’après La Jérusalem délivrée du Tasse (1575). Représenté à l’Académie royale de musique le 7 novembre 1702.
La distribution réunissait : Cochereau (Un Sage enchanteur), Mlle Clément L. (La Paix), Mlles Clément P. et Loignon (Suivantes de la Paix) dans le prologue, Thévenard, baryton (Tancrède), Mlle Maupin (Clorinde, amante de Tancrède), Mlle Desmatins (Herminie, fille du roi d’Antioche), Hardouin (Argant, roi de Circassie), Dun, basse (Isménor, Magicien), Mlles Dupeyré, Lallemand et Loignon (Guerrières), Cochereau (Un Guerrier), Boutelou (Un Silvain), Mlles Loignon et Bataille (Deux Dryades), Mlle Dupeyré (Nymphe), Desvoyes (La Vengeance), sous la direction de Marin Marais.
Le rôle de Clorinde fut écrit pour Julie (ou Emilie ?) Maupin (*), à la voix exceptionnellement basse, et ce fut la première fois qu’on entendit sur scène une contralto. Le rôle fut repris par des sopranos, Mlle Journet et Mlle Antier.
(*) Mlle Maupin (vers 1670 – 1707), fille de Gaston d’Aubigny, secrétaire du comte d’Armagnac, est un personnage romanesque au parfum de scandale. Elle participa régulièrement aux spectacles de l’Opéra entre 1698 et 1705.

Avant même la première représentation, les critiques ne manquaient pas :

Fuyez Danchet, fuyez Campra,
Ne donnez plus Tancrède !
ou :
On dit que Danchet et Campra,
Vont nous donner Tancrède.
Aréthuse il secondera,
Car la pièce est très froide.
On chante toujours sur ce ton :
La faridondaine, la faridondon,
Et tous les vers n’en sont pas jolis,
A la façon de Barbari mon ami.

Mais Tancrède connut un succès éclatant : On convient que la musique est plus forte que celle d’Hésione, quoique bien des personnes de goût préfèrent la dernière comme plus galante et même plus variée.
Selon les Annales dramatiques, le rôle de Clorinde fut composé pour Mlle Maupin : sa figure hardie, son air cavalier , et la beauté de sa voix, qui était un bas-dessus admirable, réunirent tous les suffrages.

Tancrède fit l’objet de nombreuses reprises jusqu’en 1764 (179) :

le 20 octobre 1707, avec Cochereau (Un Sage enchanteur), Mlle Aubert (La Paix), Mlle Boisé (Suivante de la Paix) dans le prologue, Thévenard (Tancrède), Mlles Armand ou Journet (Clorinde), Mlle Desmatins (Herminie), Hardouin (Argant), Dun (Isménor), Mlle Aubert (Guerrière), Cochereau (Un Guerrier), Boutelou (Un Silvain), Mlles Loignon et Bataille (Deux Dryades), Mlle Aubert (Nymphe), Mantienne (La Vengeance) ;
le 8 juin 1717, avec Cochereau (Enchanteur), Mlle Joubert (La Paix) dans le prologue, Thévenard (Tancrède), Mlle Antier (Clorinde) (*), Mlle Poussin (Herminie), Hardouin (Argant), Dun père (Isménor), Mlle Pasquier (Guerrière), Mlles Pasquier et Limbourg (Deux Guerrières), Buseau (Un Guerrier), Murayre (Un Silvain), Mantienne (La Vengeance) ;

(*) selon Nicolas Boinvin, Mlle Antier interpréta le rôle de Clorinde d’une façon à ne pas faire regretter Mlle Maupin

le 3 mars 1729, avec Tribou (Le Sage, Enchanteur), Mlle Eremans (La Paix) dans le prologue, Thévenard (Tancrède), Mlle Antier (Clorinde), Mlle Pélissier (Herminie), Chassé (Argant), Dun père (Isménor), Mlle Erémans (Guerrière), Mlle Minier (Guerrière), Dumast (Un Guerrier), Murayre (Un Silvain), Mlle Erémans (Une Nymphe), Cuvillier (La Vengeance).

Mlles Prévost, Sallé et Camargo participaient aux ballets.
Cette dernière reprise, commenta le Mercure de mars 1729, n’a pas démenti les précédentes, et comme les bons sujets n’ont pas été plus nombreux sur ce théâtre, et plus judicieusement employés, on n’a pas été surpris du succès d’un opéra si digne de réussir par son propre fonds.
Dès le 10 mars, une parodie en un acte, Pierrot-Tancrède, fut jouée à l’Opéra-Comique. Le 21 mars, paraissait une autre parodie, Arlequin-Tancrède, de Dominique et Romagnesi.
Les 26 et 27 mars, à la fin de la représentation, fut dansé un « pas de trois », sur une pièce de symphonie de Rebel le père, intitulée La Fantaisie. Les danseurs Blondy, Dumoulin et Mlle Camargo figuraient un Maître jaloux et deux écoliers, et leur exécution fut regardée par les connaisseurs du temps comme le triomphe de la danse.
Le 29 mars, Louis XV se décida à venir entendre Tancrède. Il alla dîner à la Muette, puis se rendit à l’Opéra, accompagné notamment du comte de Toulouse (né en 1678, dernier enfant de Louis XIV et de Madame de Montespan), du duc de Noailles (né en 1678, pair et maréchal de France) et du duc de Mortemart (né en 1681, général et pair de France), sans qu’on en sut rien à Versailles et à Paris. Trois cents soldats firent la haie jusqu’à l’Opéra où le Roi pénétrait pour la première fois. Il parut très satisfait de l’Opéra qui, selon le Mercure d’avril 1729, fut joué dans sa plus grande perfection.
Les représentations, interrompues le 31 mars, reprirent le 2 mai, toujours avec le Ballet à trois.
Tancrède fut exécuté aux Concerts de la Reine, le prologue et les deux premiers actes, le 13 juin, puis les autres actes quelques jours après, avec Mlles Antier et Lenner, et Chassé et d’Angerville, sous la direction de Campra. Ce concert fit beaucoup de plaisir à la Cour. L’exécution en fut parfaite, sous l’inspection de M. Destouches, et Campra reçut en cette occasion de nouveaux applaudissements.

les 6 et 9 août 1738, aux Concerts de la Reine, avec Mlles Huquenot et Rotisset dans les principaux rôles, qui furent vivement applaudies ;
le 23 octobre 1738, avec Bérard (Le Sage, Enchanteur), Mlle Fel (La Paix) dans le prologue, Chassé (Tancrède), Mlle Antier (Clorinde), Mlle Pélissier (Herminie), Le Page (Argant), Dun père (Isménor), Mlle Fel (Guerrière, une Nymphe), Bérard (Un Silvain), Cuvillier (La Vengeance) ;

Le succès fut à nouveau au rendez-vous, et le Mercure pouvait écrire : Les représentations qu’on donne aujourd’hui ne démentent pas les précédentes, et on n’est nullement surpris d’un opéra si digne de réussir.
Tancrède fut exécuté à Compiègne, en juillet 1739, pendant le séjour de la Cour, puis, à la demande de la Reine, fut concerté à Versailles, les 23, 25 janvier et 6 février 1740.

le 22 février 1750, avec La Tour (Le Sage, Enchanteur), Mlle Romainville (La Paix) dans le prologue, Chassé (Tancrède), Mlle Chevalier (Clorinde), Mlle Pélissier (Herminie), Le Page (Argant), Person (Isménor), Mlles Coupée et Jacquet (Deux Guerrières, deux Dryades), Poirier (Un Silvain), Selle (La Vengeance) ; Marie-Anne Pagès, dite la Deschamps, âgée de vingt ans, participa au ballet du Prologue, dans le rôle d’une Suivante de la Paix ;
en octobre 1764, sans succès. La fureur des pièces à ariettes et les couches de Mademoiselle Arnould, qui n’a pu jouer Herminie, en sont la cause, mais surtout le goût du public pour cette musique nouvelle, qui fait tomber notre opéra (Collé). Bachaumont ajoute de son côté qu’il a fallu refondre toute la musique : il en résulte nécessairement des disparates sensibles. Il n’y a pas d’apparence que ce spectacle prenne beaucoup dans le public. Il faut pourtant rendre à Mlle Chevalier la justice de dire qu’elle joue le rôle de Clorinde à prodige ; elle chante et ne crie point, suivant le reproche qu’on lui fait depuis longtemps. On a rajeuni tous les divertissements. On trouve cet opéra noir, triste et langoureux : il y dix monologues qui occupent un grand tiers du spectacle : en un mot, on est si blasé que les amusements les plus sublimes de nos pères sont devenus insipides à nos yeux et à nos oreilles.

Des exécutions eurent lieu à Bruxelles, au Théâtre de la Monnaie, en novembre 1708 et janvier 1709.
Tancrède fut jouée aussi sur le Théâtre des Petits-Appartements de Versailles, monté dans le Grand Escalier des Ambassadeurs, le 10 décembre 1748, avec une distribution réunissant : Mme de Pompadour (Herminie), la duchesse Louise-Françoise de Brancas (Clorinde), Mme de Marchais (une Guerrière, une Nymphe), le duc d’Ayen (Tancrède), le marquis de la Salle (Argan), le chevalier de Clermont (Isménor), le vicomte de Rohan (un Guerrier, un Sylvain, la Vengeance). Mme de Pompadour, vêtue d’un habit oriental, grande robe en doliment de satin cerise, corset pareil, le tout garni d’hermine découpée, appliquée en dessin de broderie, jupe de satin bleu peinte en broderie d’or avec paillettes et frisé d’or, bordée d’un milleray d’or, ladite jupe doublée de toile, chanta avec une perfection qui ne laissait rien à désirer, mais l’ouvrage fut reçu froidement. La reine remarqua qu’il renfermait huit monologues, et la représentation fut ternie quand on annonça au roi qu’on avait saisi et garrotté le prince Édouard, réfugié en France.
Une seconde représentation eut lieu le 17 décembre, en présence de la reine, du Dauphin et la Dauphine.

La partition fut reconstituée par Clément Zaffini, au milieu du XXe siècle, à partir de fragments manuscrits retrouvés dans les dépôts d’archives d’Aix-en-Provence et à la Bibliothèque Nationale de France.

Comme l’Armide de Lully, le sujet de Tancrède est tiré de la « Jérusalem délivrée » du Tasse. Danchet a enrichi le récit du Tasse pour en faire la matière d’une tragédie en musique. Tancrède, chevalier chrétien, a capturé Clorinde, princesse sarrasine. Argant, qui aime Clorincle, veut attaquer le camp des chrétiens. Herminie, qui aime Tancrède, est troublée par cette décision. C’est par l’intervention du magicien Isménor que la tragédie se noue. Il fait pénétrer Tancrède dans la forêt enchantée et le livre à Herminie. Celle-ci, mise en présence de Clorinde, lui arrache son secret amoureux. Toujours sous l’effet de l’enchantement, Tancrède, qui a revêtu l’armure d’Argant, tue Clorincle. Devenu fou, il est emmené par ses guerriers.
La tragédie a pour pivots essentiels les sentiments chevaleresques de Tancrède et la lutte de Clorinde qui ne veut pas avouer sa passion. Parallèlement à ce conflit sentimental et chevaleresque, se situe, à un autre niveau, la rage jalouse d’Argant et d’Herminie qui font intervenir un mage pour assurer leur vengeance. La tragédie oppose aussi deux mondes celui des chrétiens à l’idéal noble et élevé et celui des Sarrasins rusés et jaloux avec, pour conséquence, un massacre général : Argant et Clorincle meurent, Tancrède perd la raison et Herminie reste aveuglée par une passion qui a abouti à une catastrophe. (André Campra – Maurice Barthélémy – Actes Sud)

Synopsis détaillé

Prologue

La Paix descend avec sa suite, les Jeux, les Plaisirs et les Amours. Elle demande aux dieux de ne pas permettre que la discorde aille mettre fin au bonheur sur la terre. Divertissement des suivantes de la Paix. La Paix appelle la jeunesse à fuir la tristesse et céder à l’amour.
Acte I
Devant les tombeaux des rois sarrasins
Tancrède
(1) Argant clame son désir de vengeance. Il explique à Herminie que Tancrède a vaincu Clorinde, et qu’il veut aller la délivrer. Herminie ne peut cacher son trouble, et Argant comprend qu’elle est éprise de Tancrède. Herminie avoue qu’elle est tombée sous son charme durant son esclavage, et qu’elle ne peut réprimer son amour. (2) L’enchanteur Isménor propose à Argant d’utiliser ses pouvoirs, et confie être épris d’Herminie. Argant et Isménor clament leur désir de vengeance. (3) Argant harangue ses troupes et les engagent à vaincre Tancrède. (4) Isménor en appelle aux magiciens et invoque les manes des rois sarrasins. Le tonnerre éclate et brise les tombeaux. Les magiciens sortent épouvantés. Argant indique à Isménor qu’il se passera de son aide.
Acte II
Dans le camp de Tancrède
(1) Clorinde veut combattre l’amour qu’elle sent naître pour Tancrède. (2) Tancrède annonce à Clorinde qu’il a libéré les prisonniers sarrasins et qu’il lui offre la liberté. Tancrède laisse comprendre à Clorinde qu’il l’aime, puis lui raconte comment il est tombé amoureux d’elle. Clorinde lui répond qu’elle ne peut avoir pour lui que de la haine. (3) Tancrède libère les captifs qui dansent un ballet. Clorinde refuse la liberté que Tancrède lui offre et lui dit attendre d’être délivrée par Argant. (4) Tancrède est dévoré de jalousie et se promet de vaincre Argant. (5) Un guerrier annonce à Tancrède que ses soldats sont victimes d’un enchantement dans une forêt proche. Tancrède se prépare à aller à leur secours.
Acte III
Dans la forêt enchantée
(1) Herminie et Argant viennent d’apprendre que Tancrède aime Clorinde, et en éprouvent l’une jalousie, l’autre colère. Argant se méprend sur la raison qui a conduit Clorinde à refuser la liberté. Argant estime que l’enchantement de la forêt par Isménor est insuffisant, et décide d’aller attaquer Tancrède. (2) Herminie, restée seule, se lamente. (3) Tancrède veut entrer dans la forêt enchantée : il affronte des flammes, pendant que des démons volent dans l’air, puis entend des gémissements et des plaintes qui sortent des arbres. Des arbres l’empêchent d’avancer. (4) Puis des nymphes, des driades, des bergers et des faunes sortent de la forêt, pour chanter et danser. (5) Herminie rencontre Clorinde qui annonce avoir suivi Tancrède et réprouver l’usage des enchantements contre lui. Herminie annonce l’avoir vu mort et Clorinde ne peut dissimuler son amour. Herminie lui avoue avoir menti et laisse éclater sa jalousie. Elle prouve sa puissance à Clorinde par l’apparition de démons qui volent et brisent les arbres. (6) Restée seule, Clorinde se décide à secourir Tancrède, même s’il lui coûte de trahir les siens.
Acte IV
Un endroit affreux dans la forêt enchantée
(1) Tancrède est découragé. (2) Il rencontre Herminie qui lui annonce sa mort prochaine, et lui laisse entendre la raison de sa haine, que Tancrède ne comprend pas. Herminie confie Tancrède à Isménor. (3) Isménor touche de sa baguette magique Tancrède qui tombe sur un autel, au milieu d’une caverne. La suite de la Vengeance et de la Haine cherchent à tourmenter Tancrède. (4) Armé d’un poignard, Isménor s’apprête à le tuer, mais il est arrêté par Herminie qui clame son amour pour Tancrède. Isménor, furieux, s’apprête à nouveau à tuer Tancrède, mais s’arrête en voyant arriver Clorinde, et le lui confie. Isménor prend le poignard de la main de la Vengeance, et disparaît avec la Haine, la Vengeance et leur suite. (5) Clorinde rend ses armes à Tancrède, mais lui annonce qu’ils doivent se séparer. Elle lui avoue qu’elle est épris de lui, mais lui rappelle qu’ils doivent pas préférer l’amour à la gloire. (6) Restée seule, Clorinde se reproche sa faiblesse, et va rejoindre le camp d’Argant.
Acte V
Un camp, au fond, les remparts d’une ville
Tancred - acte V, scène 5
(1) A la fin de la nuit. Bruit de trompettes. Herminie s’effraie. Bruit triomphant de trompettes. (2) Herminie comprend que Tancrède est vainqueur. Tancrède raconte qu’il voulait mourir mais qu’il en a été empêché par le désir de combattre son rival et qu’il vient de tuer Argant. (3) La troupe des guerriers de Tancrède porte sur un pavois les armes d’Argant, et chante la victoire. (4) Alors que Tancrède se réjouit de sa victoire, Argant apparaît et lui annonce que c’est Clorinde qui avait revêtu son armure et que Tancrède vient de tuer. (5) Tancrède désespéré, veut se tuer, et on lui retire ses armes. Il choisit d’aller mourir de douleur.

Tancrède fut éditée par Christophe Ballard en 1702.

 

Livret disponible sur livretsbaroques.fr

 


Représentations :

Opéra d’Avignon – 11, 13 avril 2014 – Versailles – Opéra Royal – 6, 7 mai 2014 – Les Temps Présents – dir. Olivier Schneebeli – mise en scène Vincent Tavernier – décors Claire Niquet – costumes Eric Plaza-Cochet – lumières Carlos Perez – chorégraphie Françoise Denieau – avec Isabelle Druet (Clorinde), Chantal Santon (Herminie), Anne-Marie Beaudette (La Paix/Une Guerrière/Une Dryade), Marie Favier (Une Guerrière/Une Dryade), Benoît Arnould (Tancrède), Eric Martin-Bonnet (Isménor), Alain Buet (Argant), Erwin Aros (Un sage enchanteur/Un Sylvain/Un Guerrier) – nouvelle production


Opera Online

« C’est avec un éclatant succès que l’Opéra Grand Avignon – en co-production avec le Centre de Musique Baroque de Versailles – vient de ressusciter Tancrède, une tragédie lyrique du compositeur aixois André Campra, créée à l’Académie royale de Musique en 1702. Avec cet ouvrage, Campra vise bien plus haut qu’avec ses deux ouvrages précédents, L’Europe galante (1697) et Le Carnaval de Venise (1699), en cherchant à rivaliser avec les opéras de Lully. La déclamation s’y avère ainsi plus riche et plus variée, pour atteindre parfois à une plénitude grandiose. Le livret de Tancrède, inspiré de la Jérusalem délivrée du Tasse, propose un sujet émouvant : Tancrède, chevalier chrétien, aime Clorinde, princesse sarrazine et la tue en combat singulier sans le savoir, car elle a revêtu l’armure du Roi Argant. Il y a aussi un chassé croisé d’amours sans réponse : Herminie poursuit Tancrède qui regarde Clorinde ; Argant et l’enchanteur Isménor poursuivent l’un Clorinde, l’autre Herminie, sans obtenir d’elles autre chose que de la pitié. L’acte infernal presque obligatoire dans la tragédie des XVIIe et XVIIIe siècles est ici remplacé par la forêt enchanteresse, entièrement constituée ce soir de superbes toiles peintes empruntées à l’Opéra Royal de Versailles, qu’enrichit la mise en scène efficace de Vincent Tavernier, et que magnifient encore les éclairages subtilement tamisés de Carlos Perez.
La principale nouveauté de Campra réside dans l’équilibre des voix, presque toutes graves. Argant et Isménor sont des basses et leurs duos tranchent sur l’ordinaire. Ils sont interprétés par l’excellent Alain Buet et le talentueux Eric Martin-Bonnet. Tancrède, campé par le baryton Benoît Arnould, donne plus dans l’élégie que dans le tragique pur mais la voix est belle, l’articulation nette, et le phrasé délicat. La douce Herminie, rôle dévolu à Chantal Santon, est chantée avec grâce et retenue, notamment dans un bouleversant « Cessez, mes yeux, cessez de contraindre vos larmes ». Mais comme à la création, c’est le personnage de la guerrière farouche et amoureuse, Clorinde, qui attire le plus l’attention. La magnifique chanteuse française Isabelle Druet – qui nous avait déjà subjugué dans L’Egisto de cavalli à Luxembourg en décembre dernier – lui prête son beau mezzo riche et modulé, son allure décidée et sa puissance dramatique.
Ce plateau d’une rare homogénéité est enfin dirigé d’une main experte par un spécialiste de ce répertoire, Olivier Schneebeli. Sous sa baguette, l’ensemble Les Temps présents fait preuve de discipline, d’une maîtrise technique et, plus généralement, d’une rigueur absolument exemplaires. Quant à la prestation des Chantres du Centre de Musique Baroque de Versailles (dont il assure la direction), elle n’appelle également que des louanges. Olivier Schneebeli obtient un vrai triomphe personnel au moment des saluts, et il est bien légitime – ayant fait triompher la tragédie lyrique de Campra – qu’il garde pour lui-même quelquechose de cette réussite. »

Carnets sur sol
Forum Opéra

 » Dans la mise en scène soignée et vivante de Vincent Tavernier, une scénographie enchanteresse de Claire Niquet reconstitue des décors du Grand Siècle. Majestueuses colonnes en trompe-l’œil, splendides toiles peintes avec effets de perspective, costumes colorés dus à Erick Plaza-Cochet, armures scintillantes, jupettes et perruques, tout contribue à faire de ce spectacle un enchantement visuel plongeant le public dans les artifices qui font les charmes de la tragédie lyrique. Car Campra, qui a composé Tancrède deux ans après avoir démissionné de sa charge de maître de musique à Notre-Dame de Paris – charge qui lui interdisait de se consacrer à l’opéra – apparaît comme un chaînon entre Lully et Rameau. Pour L’Europe galante, opéra-ballet de 1697, l’anonymat était de rigueur. En 1702, ce n’est plus le cas pour Tancrède. Campra peut non seulement signer ouvertement de son nom, mais aussi innover, notamment en faisant de son héros non pas un haute-contre, mais un baryton-basse – changement de tessiture qui va de pair avec un réexamen du statut de la figure idéale, ou idéalisée. C’est Benoît Arnould qui incarne avec passion, qui habite véritablement ce rôle de héros puissant et naïf, audacieux et ingénu, victorieux et défait à la fois. La qualité de sa diction est admirable dans les nombreux récitatifs, tout autant que son art de la projection au service d’une voix profonde et émouvante.
Dans l’intrigue inspirée de la Jérusalem délivrée du Tasse, source de nombreux opéras, le pieux et preux Tancrède fait partie de l’armée de Godefroy mais tombe amoureux de la princesse sarrasine Clorinde, qui ne peut avouer son propre amour pour son ennemi, d’autant qu’elle est aimée du chef sarrasin, Argant. L’enchanteur Isménor, quant à lui, aime Herminie, la fille du roi d’Antioche, mais elle est amoureuse elle aussi de Tancrède. Aussi Isménor propose-t-il ses pouvoirs magiques à Argant pour vaincre Tancrède. Les cinq actes donnent lieu à de nombreux – et parfois fort longs – récitatifs, mais aussi à diverses scènes fantastiques et à de somptueux ballets, qui réjouissent l’œil grâce au travail du Ballet de l’Opéra Grand Avignon, dirigé par Éric Bélaud. À l’acte V, Clorinde revêt l’armure d’Argant pour périr sans être reconnue sous les coups de celui qu’elle aime et qui l’aime, avant de l’inciter, mourante, à lui survivre : « Vivez… c’est un effort que j’exige de vous ». Dans ce rôle qui mêle violence et douceur, révolte et abandon, Isabelle Druet compose avec talent le personnage complexe d’une Clorinde aux multiples facettes. On reste impressionné par ses colères, par la clarté de son élocution dans les vers classiques de Danchet, et surtout durablement ému par le lyrisme de ses dernières répliques. La mort de Clorinde est un moment de pure poésie, évoquant la mort de Didon dans l’opéra de Purcell.
Les rôles secondaires sont remarquablement servis – avec l’excellent Alain Buet en Argant, et l’efficace Éric Martin-Bonnet en Isménor, même si le texte, dans les récitatifs comme dans les airs, n’est pas toujours immédiatement compréhensible. La soprano Chantal Santon convainc et émeut en Herminie, dont elle creuse les côtés sombres autant que la dimension sensible. Mais pourquoi renoncer aux surtitres au prétexte que le livret est en français ? Même si la chute des alexandrins est somme toute assez prévisible, la langue est suffisamment désuète pour exiger de l’auditeur, lorsque l’articulation et la prononciation ne sont pas impeccables, des efforts d’interprétation qui s’exercent aux dépens de l’écoute musicale.
Il faut dire enfin le plus grand bien de l’Orchestre Les Temps Présents et des Chantres du Centre de Musique Baroque de Versailles qui, sous la direction élégante et raffinée d’Olivier Schneebeli, nous mènent insensiblement du divertissement de cour à la tragédie de l’amour et de la mort. La gloire, ici, est « inhumaine » et « cruelle », le héros, dans le locus horribilis formant le cœur de la forêt enchantée, se décrit lui-même comme un « Guerrier sans gloire, Amant sans espérance ».

Diapason

« Faute de moyens, les tentatives de reconstitution des fastes de l’opéra baroque ont souvent tendance à virer au kitsch. Pour Tancrède d’André Campra, Vincent Tavernier emprunte une voie oblique, gardant à distance un certain dogmatisme éclairé à la bougie, tout en s’appropriant les codes du théâtre du Grand Siècle et de celui des Lumières – créée en 1702, la tragédie en musique du compositeur aixois ne se situe-t-elle pas au crépuscule de l’un, et à l’aube de l’autre, à mi-chemin entre Lully et Rameau ?
Si les ballets réglés par Françoise Denieau peuvent passer pour une caution d’authenticité, la gestuelle des chanteurs privilégie la liberté de l’esquisse à l’artifice de poses figées. De même, les toiles peintes de Claire Niquet, à peine entrevues parfois, ne servent pas de prétexte à la multiplication illusoire des changements à vue, mais apparaissent plutôt comme des citations de décors. Quant aux costumes d’Erick Plaza-Cochet, ils évitent les bigarrures de mardi gras, sans pour autant renoncer aux étoffes chatoyantes et plumes écarlates.
Condensé de goût, de culture et de savoir-faire, cet artisanat au sens noble du terme n’a pas pour moindre mérite de renvoyer dos à dos les partisans des Anciens et des Modernes. D’autant qu’il trouve son prolongement naturel dans la fosse, où Olivier Schneebeli, pédagogue infatigable qui n’a que trop rarement l’occasion d’exercer ses talents de chef de théâtre, module avec ferveur les couleurs raffinées de l’ensemble Les Temps Présents, comme l’éclatante jeunesse de ses Chantres du Centre de musique baroque de Versailles.
Qualité première de la distribution, mais qui devrait aller de soi dans la tragédie lyrique, où la justesse de la déclamation prime sur la beauté du chant : un français limpide, qui n’a guère recours au subterfuge en vogue d’une quelconque prononciation restituée. Tout oppose pourtant Chantal Santon et Isabelle Druet. La première déploie en Herminie un soprano certes altier et charnu, mais au style anonyme et à l’intonation floue, tandis que la seconde, en dépit d’une émission rêche, prête à Clorinde des accents de musicienne inspirée et de tragédienne intense.
Mais Tancrède est d’abord un opéra de clefs de fa. Et il suffit à Eric-Martin Bonnet de paraître pour que son Isménor tout d’un bloc maléfique ne fasse qu’une bouchée de l’Argant d’Alain Buet, dont l’éloquence un rien systématique compense une fois encore les raideurs d’une voix engorgée. Le rôle-titre même, apanage de la haute-contre héroïque et tendre chez Lully comme chez Rameau, échoit à un baryton. Benoît Arnould y révèle enfin, outre le timbre onctueux de l’« amant sans espérance », la fermeté nouvelle, et déchirée, du « guerrier sans gloire ». »

La Lettre du musicien

Bien que Tancrède s’inscrive dans la droite lignée des tragédies lyriques de Lully, l’ouvrage de Campra inaugure cependant une nouvelle ère. Une ère où l’antihéros, dépouillé de sa stricte fonction sociale, éclate dans toute son individualité d’homme blessé, aux prises avec le désespoir absolu. Ce que Vincent Tavernier a sans doute cherché à souligner dans une mise en scène ambivalente où se confrontait le monde ancien – costumes d’époque détaillés, gestuelle baroque, décors en trompe-l’œil, chorégraphie d’époque – et le monde psychologique et émotionnel, intemporel, délimité par d’incessants jeux de rideaux noirs venant, à chaque moment de dévoilement intérieur, extraire les personnages du temps historique. Une conception intelligente qui n’aura toutefois pas fait oublier l’occupation assez statique de la scène ni la direction d’acteur souffrant par moments de trous d’airs accentués par l’inertie originaire de l’œuvre.
Même ambivalence dans l’orchestre : si Les Temps Présents ont su exalter le lyrisme des grandes déplorations aussi bien que le déchainement dramatique des scènes d’orages ou de grande magie, le chef Olivier Schneebeli a aussi, par moments, la fâcheuse tendance à s’installer dans des tempos immuables où l’on voudrait bien sentir la musique s’animer davantage sous la surface.
On saluera une distribution plutôt bonne et très équilibrée, dont on distinguera la superbe Clorinde d’Isabelle Druet : intense, émouvante, ne craignant pas de frôler furtivement le parlando quand l’excès dramatique le réclame. Benoît Arnould incarnait un Tancrède non moins touchant mais de moindre envergure. En revanche, Chantal Santon a trouvé en Herminie un rôle dans lequel on la sentait parfaitement à l’aise pour l’orner avec beaucoup de finesse, tandis qu’Alain Buet et Eric-Martin Bonnet comblaient leurs personnages belliqueux de toute l’impétuosité requise. Sans oublier l’excellent travail des Chantres du Centre de musique baroque de Versailles et les danses réglées avec beaucoup d’élégance par Françoise Denieau pour le Ballet de l’Opéra d’Avignon. »
Athènes – Mégaron – 27, 28 avril 2010 – Centre de Musique Baroque d’Athènes – dir. et dramaturgie Iakovos Pappas – mise en scène et décors Vassilis Anastassiou – avec Paul-Alexandre Dubois (Tancrède), Isabelle Cals (Clorinde), Caroline Chassany (Herminie), Aurelien Pernay ((Argant), Mourad Amirkhanian (Ismenor), Sébastian Monti (L’Enchanteur)

 

Atelier lyrique de Tourcoing – 26 novembre 2000 – Choeur de l’Opéra de Chambre de Varsovie, Ensemble Ardente Sole, Ensemble Musicae Antiquae Collegium Varsoviense – dir. Jean-Claude Malgoire – chorégraphie Romana Angel – scénographie et lumières Jacky Lautem – costumes Françoise Tournafond – avec Olga Pasichnyk (Herminie), Slawomir Jurczak (Tancrède), Dorota Lachowicz (Clorinde), Zbigniew Debko (Argant), Grzegorz Zychowicz (Ismenor), Dorota Calek (Bergère/Dryade), Agnieszka Lipska (Bergère/Dryade), Zdislaw Kordyjalik (La Vengeance/Le Guerrier), Marta Boberska (La Paix)

Tancrède à l'Atelier lyrique

Opéra International

« Pour l’orchestre le pari a été gagné »… »la prestation du choeur n’appelle également que des louanges »… »Dorota Lachowicz est une mezzo douée d’un joli timbre et d’une imposante puissance vocale, mais son vibrato généreux »… »Slawomir Jurczak était inintelligible, et sa voix, assez lourde et empâtée, inadéquate… »

Concerto.net – 25 novembre 2000

« Que dire de ce Tancrède de Campra bien décevant ? Plutôt que de reprendre la magnifique production de Jean-Claude Penchenat de 1987 (crée auparavant au Festival d’Aix-en-Provence 1986), l’Atelier Lyrique de Tourcoing nous propose une « nouvelle » production ne gardant de la précédente que les costumes (splendides) de Françoise Tournafond. Mais quelle indigence sur le plan scénique du fait de l’absence d’un vrai metteur en scène! Le seul intérêt visuel réside dans la chorégraphie de Romana Angel précédemment invitée pour la trilogie Monteverdi.
Sur le plan musical heureusement, les choses s’améliorent, même si l’idée d’inviter des musiciens polonais à interpréter une musique nécessitant un important travail sur le style était risquée. En ce qui concerne l’orchestre, la mission que s’est confié Jean-Claude Malgoire est accomplie : l’Ensemble Musicae Antiquae Collegium Varsoviense impressionne par la précision avec laquelle il répond à son chef et par l’adéquation stylistique avec la musique de Campra. Le Chœur de l’Opéra de Chambre de Varsovie s’en tire avec les honneurs également, même si la diction laisse à désirer ; mais la fougue et l’énergie qu’ils déploient finissent par nous convaincre. Plus problématiques sont les solistes car, malgré l’énorme travail effectué, l’accent reste très prononcé et le style s’en ressent. Par ailleurs, les qualités purement vocales des chanteurs laissent à désirer en particulier en ce qui concerne l’interprète du rôle titre. Deux artistes cependant sont à remarquer : la mezzo-soprano Dorota Lachowicz au beau timbre sombre rachetant une vocalisation un peu lourde et surtout Olga Pasichnyk, lauréate du dernier Concours Reine Elisabeth de Bruxelles à juste titre, belle voix frémissante et sensible. »

 

Châtenay-Malabry – Théâtre du Campagnol – mars 1987 – reprise de la production d’Aix en Provence – dir. Giardelli – avec Esso, Bona, Nirouet, Frachey

 

Aix en Provence – Théâtre de l’Archevêché – 15, 17, 25, 29 juillet, 1er août 1986 – La Grande Ecurie et La Chambre du Roy – The Sixteen (dir. Harry Christophers) – dir. Jean-Claude Malgoire – mise en scène Jean-Claude Penchenat – décors Guy-Claude François – costumes Françoise Tournafond – avec François Le Roux (Tancrède), Daphné Evangelatos (Clorinde), Catherine Dubosc (Hermine), Pierre-Yves Le Maigat (Argant), Gregory Reinhart (Ismenor), Colette Alliot-Lugaz (La Paix, Une Guerrière, Une Dryade), Dominique Visse (Un Sylvain)

 

Opéra royal de Copenhague – 31 octobre 1975 – dir. Jean-Claude Malgoire – avec Ed. Guillaume, Cold, Haugland, Klint

 

Saint-Maximin – 1970 – dir. Clément Zaffini – avec Cattin, Audiffret, Balian – version de concert