Orfeo de Luigi ROSSI

Décor de Torelli pour l'Orfeo de Rossi

COMPOSITEUR Luigi ROSSI
LIBRETTISTE Francesco Buti
DATE DIRECTION ÉDITEUR NOMBRE LANGUE FICHE DÉTAILLÉE
1990 William Christie Harmonia Mundi 3 italien

 

Le Mariage d’Orphée et Euridice, tragi-comédie en musique et vers italiens, avec changement de théâtre et autres inventions jusqu’alors inconnus en France, fut représentée dans le théâtre construit par Richelieu au Palais Cardinal devenu Palais Royal, le 2 mars 1647, avec les machineries de Giacomo Torelli et la chorégraphie de Giovanni Battista Baldi.
Giacomo Torelli da Fano

Selon Castil-Blaze (L’Opéra de 1548 à 1856), L’Orfeo fut préféré à une fête à cheval en forme de carrousel et de ballet, dont le sujet était un défi d’Apollon et de Mars, divertissement proposé par Marguerite Costa, cantatrice et poète, qui avait été déjà exécuté le 19 octobre 1582, après cinq mois de répétitions et de dressage des chevaux.

 
L’œuvre fut reprise le 3 et le 5 mars, puis du 25 avril au 8 mai. Mazarin avait demandé au marquis Bentivoglio, à Florence, et à Elpidio Benedetti, à Rome, de lui envoyer des musiciens pour la représentation. Au nombre de vingt, dont huit castrats, les chanteurs comptaient notamment parmi eux le castrat alto Atto Melani, âgé de vingt-et-un ans (Orfeo, la Vittoria), Anna Francesca Costa, dite la Checca, soprano (Euridice), Marc Antonio Pasqualini (*), castrat soprano (Aristeo), Jacopo Melani (Giove), Margherita Costa (Giunone), Alessandro Cecconi (Pluto), Rosina Martini (Venere), Domenico Dal Pane, castrat soprano (Proserpina), Marc’Antonio Sportonio (Himeneo, Sospetto), Venanzio Leopardi (Caronte). Atto Melani précise que le rôle de la Vecchia était chanté par le castrat des Bentivoglio, famille princière de Bologne.
Carlo dell’Arpa, frère de Luigi Rossi, jouait de la harpe double, et Charles d’Assoucy du théorbe.
(*) Marc’Antonio Pasqualini, né à Rome en 1614, mort en 1691. Il commence sa carrière à neuf ans dans le choeur de garçons de Saint-Louis des Français, puis entre au service du cardinal Antonio Barberini. Il fut ensuite sopraniste à la chapelle pontificale jusqu’à sa retraite à l’âge de quarante-cinq ans.

Pasqualini couronné par Apollon - Andrea Sacchi
L’auteur du livret, Francesco Buti, occupait les fonctions de secrétaire du cardinal Barberini et de protonotaire apostolique. A l’origine, il s’était vu commander un ballet par le duc d’Enghien, et il fut pas étranger à la transformation du ballet en opéra ni au choix de Luigi Rossi.
La composition commença au milieu de l’année de 1646 qui vit, en décembre, la disparition de Costanza de Ponte, épouse de Luigi Rossi. Celui-ci resta à Paris jusqu’en 1649 : il rejoignit le cardinal Antonio Barberini à Aix-en-Provence et repartit avec lui à Rome.
L’opéra devait être prêt pour le carnaval, mais la répétition générale n’eut lieu que le 2 février, suivie d’une seconde le 5 février. La première fut fixée au 2 mars 1647, samedi veille du dimanche gras. Le spectacle dura plus de six heures, et le succès immense, grâce en partie au inventions du « Grand Sorcier » Torelli. On trouva toutefois les récitatifs longs et ennuyeux, et Scarron se moqua, s’adressant à Mazarin :

« Outre cette vertu de coq,
On te tient inventeur du troc
….
Et de plus, de ce cher ballet,
Ce beau mais malheureux Orphée,
Ou pour mieux parler ce Morphée,
Puisque tant de monde y dormit ;
Ma foy, ce beau chef d’oeuvre mit
En grand crédit, ton Eminence,
Ou plutôt ton Impertinence,
Tes courtisanes, tes châtrés
Y furent des mieux chapitrés. »

La Gazette du 8 mars 1647 consacra douze pages à la relation de la représentation, sous le titre : La représentation naguère faite devant Leurs Majestés dans le Palais-Royal, de la Tragicomédie d’Orphée en musique et vers italiens, avec les merveilleux changements de Théâtre, les machines et autres inventions jusques à présent inconnues en France… C’étaient les aventures d’Orphée, enrichies d’entrées magnifiques et d’une continuelle musique d’instruments et de voix; où tous les personnages chantaient avec un perpétuel ravissement des auditeurs, ne sachant lequel admirer le plus, ou la beauté des inventions ou la grâce et la voix harmonieuse de ceux qui les récitaient… Lui [Orphée] fit enfin, pour passer sa fantaisie, chanter un air sur les peines que lui donnait le bonheur d’une amante qu’on lui préférait : à quoi ce satyre répondit par une autre chanson sur le même sujet… Ces airs étaient si mélodieusement chantés.., la musique en était si fort diversifiée et ravissait tellement les oreilles que sa variété donnait autant de divers transports aux esprits… De sorte que ce n’a pas été la moindre merveille de cette action que tout y étant récité en chantant, qui est le signe de l’allégresse, la musique y était si bien appropriée aux choses qu’elle n’exprimait pas moins que les vers toutes les affections de ceux qui les récitaient.
Madame de Motteville, dans ses Mémoires, raconte qu’on avait disposé, au bout d’enhaut, un Trone élevé de quatre ou cinq degrez fournis de carreaux, de chaises à bras, & d’un dais au dessus de toile d’or, avec de la crépine digne d’un tel Ameublement.
Il y eut huit représentations tout au long de l’année 1647, et le roi assista à trois d’entre elles. L’opposition à Mazarin fit blâmer les dépenses occasionnées, qui sont aujourd’hui évaluées à 300 000 écus, et que les adversaires de Mazarin portèrent à cinq cent mille écus.
Venanzio Leopardi, chargé de prendre soin des « angelots » (putti), les jeunes castrats Marc’Antonio Sportonio et Domenico Dal Pane, rapporte au duc de Modène : On a joué l’Orfeo et cela s’est si bien passé qu’il a remporté des applaudissements universels. La Reine, le Roi et le petit Monsieur, avec toute la cour, sont venus les trois soirs qu’on l’a joué, bien que cela durât six heures. Vous apprendrez par d’autres que les putti se sont bien comportés et nous avons tous été en voix par la grâce de Dieu.
Leopardi précise qu’on apprécia notamment la danse des bucentaures, hiboux, tortues, escargots et autres animaux étranges, tous émus par les plaintes d’Orphée, et que l’apparition du char du Soleil suscita de doux murmures d’acclamations de Leurs Majestés, des princes, princesses et de tout le théâtre : Nul ne pouvait assez admirer à son gré la belle disposition de tant d’or, d’escarboucles et brillants dont ce char lumineux était éclairé.
La partition a longtemps passé pour perdue. Elle fut découverte par Romain Rolland à la bibliothèque Chigi de Rime, sans qu’il puisse l’attribuer à Luigi Rossi. Ainsi en 1881, lorsqu’Arthur Pougin fit paraître Les vrais créateurs de l’opéra, le compositeur de l’Orfeo n’était pas connu. Certains pensaient qu’il s’agissait de l’Orfeo de Monteverdi, voire de la pièce éponyme de Gioseffo Zarlino (*) (1517 – 1540). D’autres supposaient que l’auteur des paroles était l’abbé Perrin.
(*)Touchard-Lafosse, dans ses « Chroniques secrètes et galantes de l’Opéra », croit que l’Orfeo fut représenté pour le mariage de Louis XIV…

On lit ainsi dans Le Théâtre d’autrefois et d’aujourd’hui de É. M. de Lyden (1882) : De qui est décidément Orfeo ed Euridice ? Faut-il mettre cette partition dans le bagage de F(rancesco) Rossi, comme le prétend Castil-Blaze, ou dans celui de Zarlino ? Est-elle l’oeuvre de Monteverde, représentée à Mantoue en 1608, comme le dit M. Félix Clément ? N’est-elle d’aucun de ces compositeurs, comme le croit M. G. Chouquet ?
Le manuscrit fut utilisé pour la première reprise en juin 1982, à la Scala de Milan.

Personnages : Orfeo (castrat alto), Euridice (soprano), Aristeo (castrat soprano), Giove (ténor), Giunone (soprano), Pluto (basse), Proserpina (castrat soprano), Himeneo (castrat soprano), Caronte (ténor), Amore (soprano), Venere (soprano), Endimione (ténor), Momo (ténor), Bacco (soprano), Satiro (basse), Nutrice (contralto), Gelosia (contralto), Mercurio (castrat alto), Apollo (castrat alto), una Vecchia (ténor), le Grazie (sopranos), le Parche (deux sopranos, une contralto), Vittoria (castrat alto), Augure (basse), Sospetto (castrat soprano).

Synopsis détaillé

Prologue
Bataille. Les armées françaises sont victorieuses. La Victoire chante leur gloire, et la toute-puissance du royaume de France, régi par les divines mains d’Anne d’Autriche. La France est prédestinée à permettre le triomphe ultime sur le mal : qu’elle assiste aujourd’hui, en guise d’heureux présage, à la victoire d’Orphée sur les Enfers, qui est aussi celle de l’Amour et de la Foi.
Acte I
Scène I – Endymion, père d’Eurydice, espère que les augures seront favorables. Eurydice se dit heureuse de ses prochaines noces avec Orphée. L’Augure annonce de sinistres présages. Eurydice ne veut pas qu’ils assombrisssent son bonheur. pour les noces d’Orphée et Eurydice. Ils sont mauvais. On chante la complainte du divorce éternel entre l’amour et le bonheur.
Scène II – Survient Orphée, qui célèbre avec Eurydice leur parfaite entente. On chante la vertu d’espérance et, en dépit de toute adversité, la victoire ultime de l’amour.
Scène III – Aristée, amoureux d’Eurydice constamment rebuté, déplore son destin lamentable en présence de son burlesque confident le Satyre. On invoque l’aide de Vénus.
Scène IV – Vénus apparaît, accompagnée d’Amour et des Grâces. Amour plaide non coupable : les coeurs volent d’eux-mêmes vers la flamme qui les brûle. Vénus, dont on chante la toute-puissance, promet son aide. Aristée demande à Vénus d’empêcher le mariage d’Eurydice et d’Orphée. Vénus promet que les Grâces vont augmenter ses charmes, et qu’elle-même, déguisée en Vieille ira influencer Eurydice en sa faveur, pendant qu’Amour ira inspirer à Orphée une nouvelle passion. Le satyre fait l’éloge des maquillages et autres artifices de la séduction.
Scène V – Les Noces. Le gros Momus, dieu de la Médisance, ironise gentiment. Hyménée, Apollon et Endymion font des voeux pour les mariés. Horreur, les torches s’éteignent d’elles-mêmes en plein milieu de la cérémonie, funeste présage. Eurydice réconforte Orphée, puis, sûrs de leur amour, ils chantent qu’ils ont déjà tout, et qu’ils ne craignent rien. Le chœur implore la miséricorde du Ciel.
Acte II
Scène I – Vénus, transformée en Vieille, sous le nom d’Alcippe, et Aristée attendent Eurydice, qui arrive avec sa nourrice, en faisant mine de pousser la chansonnette.
Scène II – La Vieille recommande à Eurydice, pour écarter les mauvais présages, de changer d’époux, et lui propose Aristée. Eurydice refuse. Sur l’insistance de sa Nourrice, elle consent à écouter Aristée, mais proclame sa fidélité. Eurydice et sa Nourrice continuent leur chemin vers le temple.
Scène III – Aristée se lamente. Le Satyre propose d’enlever Eurydice au cours du bal.
Scène IV – Momus, Junon et Apollon reprochent à Amour de provoquer trahisons et infidélités. Amour promet de trahir Vénus et jure par le Styx qu’il aidera de tout son pouvoir Eurydice et Orphée. Junon et Apollon font l’éloge de sa nouvelle vertu, en dépit du scepticisme de Momus.
Scène V – Amour, en présence des Grâces scandalisées, révèle tout à Orphée l’inimitié de Vénus, ses projets de double inconstance, son déguisement en Vieille. Orphée court prévenir Eurydice.
Scène VI – Les Grâces révèlent à Vénus toujours déguisée en Vieille la trahison d’Amour. La Vieille est furieuse contre son fils, qui clame sa révolte et échappe en voletant partout. Pour se calmer, la Vieille chante l’éloge de l’inconstance. Puis décide de reprendre sa forme divine, et de se venger.
Scène VII – Endymion et l’Augure adressent une prière à Vénus.
Scène VIII – Junon vient le leur reprocher. C’est à elle qu’il faut sacrifier. Elle promet sa toute-puissante protection contre Vénus.
Scène IX – Arrivée en avance au Temple, Eurydice chante sa confiance dans l’Amour et s’endort, bercée par les Grâces. Les Dryades surviennent et la danse commence, où l’on fait l’éloge de la toute-puissance de l’Amour. Soudain, Eurydice est mordue par un affreux serpent ; elle refuse l’aide d’Aristée, qui se désole. Eurydice meurt, sans pouvoir se défaire de l’intarissable importun, et sans avoir revu Orphée. Chœur funèbre.
Acte III
Scène I – Plainte d’Orphée. Supplication aux trois Parques, qui acceptent de le guider aux Enfers pour tenter de reprendre Eurydice, en usant du charme de son chant.
Scène II – Endymion et la Nourrice se lamentent, et l’Augure ne peut les réconforter.
Scène III – Nouvelles lamentations d’Aristée, soudain attaqué par l’Ombre d’Eurydice, en Furie déchaînée, qui décide de le rendre fou.
Scène IV – Le Satyre et Momus se moquent d’Aristée devenu fou, qui se prend successivement pour Deucalion (l’homme primordial d’après le Déluge) et pour le serpent Python, puis fait chanter Momus et le Satyre. Il court finalement au suicide.
Scène V – Junon convoque la Jalousie et le Soupçon et les envoie à Proserpine.
Scène VI – Vénus exulte de la mort d’Eurydice. Junon lui fait des reproches. Les deux déesses se disputent.
Scène VII – La Jalousie et le Soupçon rencontrent Proserpine, et insinuent que Pluton pourrait lui être infidèle en faveur d’Eurydice, et qu’il vaut mieux la laisser sortir des Enfers.
Scène VIII – Pluton reproche à Charon d’avoir laissé entrer Orphée. Charon insiste pour que Pluton écoute Orphée. Proserpine, poussée par la Jalousie et le Soupçon, l’appuie. Pluton cède.
Scène IX – Orphée demande à Pluton de lui rendre Eurydice. Pluton est touché, de même que Proserpine. Pluton accepte de laisser sortirt Eurydice à condition qu’orphée ne se retourne pas pour la voir. Orphée et Eurydice discutent tout en avançant. En leur honneur, Pluton ordonne des danses. Charon annonce qu’Orphée n’a pas especté la règle, et qu’Eurydice lui a été reprise pour toujours. Vénus pousse Bacchus à la vengeance pour la mort d’Aristée, son fils, et de ce qu’elle croit être le succès d’Orphée. Bacchus intime aux Nymphes l’ordre de tuer Orphée et Eurydice.
Scène X – Orphée se lamente, et cherche la mort. Jupiter décrète que la Lyre, ainsi que les deux amants, seront changés en constellation et glorifiés. Mercure explique que la Lyre d’Orphée est le Lys royal de la France invaincue.

(d’après le livret Harmonia Mundi)


« Ce spectacle plut extrêmement, non seulement par sa nouveauté, mais encore par la beauté de ses vers, la variété des concerts, le changement des décorations, le jeu suprenant des machines et la magnificence des habits. » (Nicolas Boindin – Lettres historiques – 1719)

Castil-Blaze, dans son « Opéra italien de 1548 à 1856 » relate : « En 1647, une deuxième troupe italienne, appelée par Mazarin, et beaucoup mieux composée, débute le 23 février, représente un opéra dont le titre n’a pas été conservé par les historiens, et lui fait succéder Orfeo e Euridice, musique de L. Rossi. Succès d’enthousiasme, de fanatisme, qu’un témoin oculaire vous décrira. Cette fois l’opéra s’établit au Palais-Royal, dans la salle batie par le cardinal de Richelieu. Les frais de mise en scène s’élevèrent à 550,000 livres. Les décorations furent peintes, les machines construites et mises en jeu par GiacomoTorrelli.
… cet ancien livret, qui commence aux premières amours d’Orphée et d’Eurydice et finit après la mort du chantre de la Thrace et son apothéose. Ces amours, protégées par Junon et contrariées par Vénus ; la rivalité d’Aristée, la fuite d’Eurydice, qu’un satyre veut eulever ; la morsure du serpent ; Vénus déguisée en vieille pour jouer auprès d’Eurydice le rôle d’une matrone ; les noces d’Orphée et d’Eurydice ; Momus qui préside au repas et tient des propos médisants, fort lestes sur le mariage des laides, qui donne peu de contentement, et le mariage des belles qui présente beaucoup de dangers ; la danse des amours et des hyménées, des nymphes et des satyres, des bergers et des bergères ; Apollon descendant sur son char qui parcourt les douze signes du zodiaque ; Endymion arrivant à pied au festin : tout cela se trouve dans le premier acte. Les deux derniers ne sont pas moins remplis. Douze décorations, combinées avec artifice, frappèrent d’admiration les spectateurs assez heureux pour être admis aux représentations d’Orfeo. Les changements se faisaient à vue, et le machiniste produisit sur le théâtre : Une ville forte assiégée et défendue, Un temple entouré d’arbres, La salle du festin donné pour les noces d’Orphée, Un intérieur de palais, Le temple de Vénus, Une forêt, Le palais du Soleil, Un désert affreux, Les Enfers, Les Champs-Élysées, Un bocage sur le bord de la mer, Enfin l’Olympe et le firmament.
Castil Blaze rapporte également le jugement de Renaudot, paru dans la Gazette de France du 8 mai 1647 : « Ces airs étaient si mélodieusement chantés, qu’encore que les beaux vers italiens, desquels toute la pièce était composée, fussent continuellement chantés, la musique en était si fort diversifiée, et ravissait tellement les oreilles, que sa variété donnait autant de divers transports aux esprits qu’il se trouvait de matières différentes. Tant s’en faut que cette conformité de chants, qui lasse les esprits, se rencontrât en aucun des chefs-d’œuvre de cet excellent art de musique. Aussi l’artifice en était si admirable et si peu imitable par aucun autre que celui qui en est l’auteur, que le son se trouvait toujours accordant avec son sujet, soit qu’il fût plaintif ou joyeux, ou qu’il exprimât quelque autre passion, de sorte que ce n’a pas été la moindre merveille de cette action, que tout y étant récité en chantant, qui est le signe ordinaire de l’allégresse, la musique y était si bien appropriée aux choses, qu’elle n’exprimait pas moins que les vers toutes les affections de ceux qui les récitaient, témoin la tristesse, les regrets, le désespoir d’Aristée…
Dans la douzième scène du troisième acte, Orphée s’entretint de plusieurs airs lugubres sur sa lyre, qu’il toucha si mélodieusement, qu’à son harmonie, jointe à la douceur de sa voix, il fait mouvoir les rochers, danser les arbres et les animaux les plus farouches ; de sorte que l’on vit des lions, des panthères, d’autres bêtes furieuses venir sauter sur le théâtre à l’entour de lui… »
Voilà le fidèle rapport de ce qui s’est passé en cette action ; mais le principal y manque, qui est de voir ce sujet animé par l’organe de ses acteurs, et par leurs gestes qui l’exprimaient si parfaitement,qu’ils se pouvaient faire entendre de ceux qui n’avaient aucune connaissance de leur langue. Le roi y apporta aussi tant d’attention, qu’encore que Sa Majesté l’eût déjà vue deux fois, elle y voulut encore assister cette troisième, n’ayant donné aucun témoignage de s’y ennuyer… »
Mais ce qui rend cette pièce encore plus considérable et l’a fait approuver par les plus rudes censeurs de la comédie, c’est que la vertu l’emporte toujours au-dessus du vice, nonobstant les traverses qui s’y opposent ; Orphée et Eurydice, n’ayant pas seulement été constants en leurs chastes amours, malgré les efforts de Vénus et de Bacchus, les deux plus puissants auteurs de débauches ; mais l’Amour même ayant résisté à sa mère pour ne vouloir pas induire Eurydice à fausser la fidélité conjugale. Aussi ne fallait-il pas attendre autre chose que des moralités honnêtes et instructives au bien, d’une action honorée de la présence d’une si sage et si pieuse reine qu’est la nôtre. »
Castsil-Blaze poursuit : La reine régente ne put entendre que la moitié A’Orfeo, lors de la première exhibition de cet opéra. Sa majesté quitta le spectacle pour aller dans son oratoire, se préparer à la communion qu’elle devait recevoir le lendemain. Mazarin témoigna hautement le déplaisir qu’une telle ardeur religieuse lui faisait éprouver. Ce prince de l’Église pensait que l’on avait toujours assez de temps pour se livrer à des exercices de dévotion. »
Madame de Motteville raconte dans ses Mémoires : « Le maréchal de Gramont, éloquent, spirituel, gascon et hardi à trop louer, mettait cette comédie au-dessus des merveilles du monde : le duc de Mortemart, grand amateur de la musique et grand courtisan, paraissait enchanté au seul nom du moindre des acteurs, et tous ensemble, afin de plaire au ministre, faisaient de si fortes exagérations quand ils en parlaient, qu’elle devint enfin ennuyeuse aux personnes modérées dans les paroles. Leur sentiment et les grandes louanges qu’ils lui donnèrent firent qu’elle en parut moins belle ; et le bruit qu’ils en firent en la justifiant, la bonté de la symphonie, ne purent pas empêcher de demeurer d’accord que l’adulation ne doit point être blamée à la cour en des sujets de cette nature. »

 

Partition : Paul O’Dette, Stephen Stubbs et Clifford Bartlett – Huntingdon – Cambridgeshire – King’s Music – 1997


Représentations :

Martina Franca, Teatro Verdi – 30 juillet 2012 – « L’Orfeo, immagini di una lontananza » di Luigi Rossi e Daniela Terranova, réduction dramaturgico-musical pour ensemble moderne – Solisti dell’Accademia del Belcanto Rodolfo Celletti – adaptation du livret par Fabio Ceresa – dir. Carlo Goldstein – mise en scène Fabio Ceresa – décors Benito Leonori – costumes Massimo Carlotto – avec Ilham Nazarov (Orfeo), Kristel Pärtna (Euridice), Candida Guida (Aristeo), Giampiero Cicino (Venere), Carmela Pia Raffaele, Graziana Palazzo, Michela Antenucci (Grâces, Nymphes, Parques), Laura Maddaluno (Ninfa, Proserpina), Valeri Turmanov (Satiro, Plutone)

 

Utrecht – Muziekcentrum Vredenburg – avril 2005 (six représentations, dont le 25) – Cappella Figuralis (ensemble de solistes de la Netherlands Bach Society) – avec Annemarieke Evers (Venere), Sara Jäggi (Giunone, Grazia II, Parca II), Anabela Marcos (Grazia I, Himeneo, Parca I, Sospetto, Vittoria), Keren Motseri (Euridice), Klaartje van Veldhoven (Amore, Bacco, Proserpina), Nicola Wemyss (Orfeo), soprano; Xenia Meijer (Grazia III, Nutrice), Barbara Kozelj (Aristeo), Daniel Lager (Apollo, Gelosia, Mercurio, Parca III), Nicolas Boulanger (Caronte), Bernard Loonen (Giove, Vecchia), Immo Schröder (Momo), Wiard Witholt (Endimione), Matthew Baker (Satiro), Michiel Meijer (Plutone), Bas Ramselaar (Augure)

 

Opéra de Lyon – 20, 22, 26 janvier 2005 – Solistes et Maîtrise d’enfants de l’Opéra de Lyon – Le Concert de l’Hostel-Dieu – dir. Franck-Emmanuel E. Comte – Adaptation de J. Lacornerie et F.E. Comte – Texte parlé en français – scénographie Robin Chemin – mise en scène Jean Lacornerie

 

Wupperthal – 4 octobre 2003 – Das Neue Orchester Statisterie der Wuppertaler Bühnen – dir. Christoph Spering – mise en scène Michael Simon – video Christian Ziegler – costumes Sabine Blickenstorfer – lumières Karl Ulrich Maria Feja – dramaturgie Christian Baier – avec Tina Hörhold (Orfeo), Sungmi Kim (Euridice), Stefanie Schaefer (Aristeo), Marina Ramin (Venere), Raphael Pauß (Endimione), Raimund Fischer (Augure), Cornel Frey (Caronte), Andreas Heichlinger (Plutone), Edgardo Zayas (Vecchia), Ute Temizel (Nutrice), Cornel Frey (Momo)


Drottingholm Court Theatre – 2, 5, 7, 9, 12, 14, 16, 24 août 1997 – Festival de Drottningholm – Drottningholms Slotttheateres Chor and Orchester – dir. Stephen Stubbs et Paul O’Dette – mise en scène Jack Edwards – lumières Marianne Thallaug – costumes Lena Dahstrom and Elisabeth Hamfelt – avec Paula Hoffman (Orfeo), Elisabeth Berg (Euridice), Ann Hallenberg (Aristeo), Fredrik Zetterström (Satiro), Jan Opalach (Pluto, Augure), Britt Marie Aruhn (Venere), Michael Bellini (Apollo, Gelosia), Stina Tornberg (Giunone), Viveca Axell-Heden (Proseepina), Lisa Gustafsson (Amore), Göran Eliasson (Caronte), Clara Bystrand (Himeneo), Anita Soldh (Bacco, Nutrice), Klas Hedlund (Momo), Mathias Zachariessen (Vecchia, Giove), Lars-Erik Jonsson (Endimione)


Boston – Emerson Majestic Theatre – 10, 11, 13, 14, 15 juin 1997 – Tanglewood Music Centre – 19 au 21 juin 1997 – Boston Early Music Festival – dir. Peter Holman – direction artistique Paul O’Dette et Stephen Stubbs – mise en scène Jack Edwards – décors et costumes Robin Linklater – chorégraphie Lucy Graham – lumières L. Stacy Eddy – avec Jan Opalach (Augure), James Taylor (Endimione), Cyndia Sieden (Euridice), Laura Pudwell (Nutrice & Bacco), Ellen Hargis (Orfeo), Jennifer Lane (Aristeo), Curtis Streetman (Satiro), Suzie LeBlanc, Wanda Procyshyn & Nancy Mayer (Le Tre Grazie & Le Tre Parche), Christine Brandes (Amore), Susanne Peck (Benere), William Hite (Momo & Caronte), Alan Bennett (Apollo & Giove), Wanda Procyshyn (Imeneo), Meredith Hall (Giunone), Olof Lilja (Vecchia, La Gelosia & Plutone), Nancy Mayer (Il Sospetto), Susie LeBlanc (Proserpina), Eleonora Fuser (Serva di Euridice & Diavolo), Steve Player (Musicista al Matrimonio) – coproduction avec Festival de Drottningholm

décor de l'acte Idécor acte II
décor acte III


Lille – 14 novembre 1990 – Montpellier – 16 novembre 1990 – Vienne – Wiener Konzerthaus – 25 novembre 1990 – Théâtre du Châtelet – 26 novembre 1990 – Londres – Queen Elizabeth Hall – 27 novembre 1990 – Les Arts Florissants – dir. William Christie – avec Agnès Mellon, Donatienne Michel-Dansac, Sandrine Piau, Noémi Rime, Monique Zanetti, Jérôme Corréas, Jean-Paul Fouchécourt, Nicholas Isherwood, Jean-Marc Salzmann.

Opéra International – novembre 1990 – Un autre Orfeo

 

Milan – Teatro alla Scala – 11, 13, 15, 17, 19, 21 et 22 juin 1985 – dir. Bruno Rigacci – mise en scène Luca Ronconi – décors Giorgio Cristini – costumes Carlo Diappi – avec Mariana Nicolesco (Euridice), Elena Zilio (Eristeo), Philip Langridge/Matteuzzi (Endimione), Martha Senn (Orfeo)

Orfeo à Milan
Mariana Nicolesco en Euridice
« De cet Orfeo, Luca Ronconi a d’emblée capté l’esthétique. Dans la loge centrale de la Scala, Louis XIV assiste à un spectacle qui respecte à la fois le côté pastoral du mythe, la vision d’une Renaissance tardive, et les influences picturales d’une Italie à la recherche d’une nouvelle identité et d’une France regardant son voisin avec admiration…Il aurait fallu qu’au génie créteur de Ronconi, à la magnificence des costumes et à la splendeur des décors puisse répondre une partition aux couleurs plus chatoyantes, plus vives. Le chant se référait trop au XIXe siècle pour être vraiment concluant. Elena Zilio est irésistible de vérité en Eristeo, Philip Langridge est autoritaire en Endimione, Mariana Nicolesco donne à Euridice des accents suaves et dououreux…Martha Senn, dans le rôle d’Orfeo, s’empêtre dans sa diction, et manque de l’aura nécessaire. » (Opéra International – septembre 1985)

Milan – Teatro alla Scala – 1982 – première recréation – dir. Bruno Rigacci