COMPOSITEUR | Antonio VIVALDI |
LIBRETTISTE | Giovanni Palazzi |
ENREGISTREMENT | ÉDITION | DIRECTION | ÉDITEUR | NOMBRE | LANGUE | FICHE DETAILLÉE |
2010 | Rinaldo Alessandrini | Naive | 2 | italien |
Drama per musica (RV 699), sur un livret en trois actes du librettiste vénitien Giovanni Palazzi, représenté au Teatro San Moise, le 15 février 1718.
La distribution réunissait : Antonia Margherita Merighi (Armida), Annibale Imperatori (Califfo), Francesco Braganti, castrat contralto, (Tisaferno), Costanza Maccari (Adrasto), Francesco Natali (Emireno), Chiara Orlandi (Erminia), Rosa Venturini (Osmira)
Le livret, publié à Venise par Marino Rossetti, était dédié au baron Friedrich Wilhelm Von Witzendorff (supposé de Hanovre ou de Munster). Une copie est conservée à la Bibliothèque universitaire de Bologne.
L’oeuvre fut reprise à Mantoue fin avril 1718 (RV 699b), et se poursuivit en mai, sur un livret dédicacé à P. Ramponi, puis au Teatro San Moise, le 15 février 1719, avec Anna Giro dans le rôle-titre.
D’autres reprises eurent lieu à Vicence, sous le titre Gli inganni per vendetta en 1720 (RV 720/699c), à Ravenne (1726).
L’ouvrage fut repris sous la forme d’un pasticcio, durant le carnaval 1731, au teatro San Margherita de Venise, avec des airs de plusieurs compositeurs, notamment Leonardo Leo. Le livret fut publié à Venise par Carlo Buonarrigo. Une copie est détenue à la Biblioteca della Casa di Goldoni.
Une nouvelle reprise eut lieu au teatro San Angelo en 1738, avec une distribution réunissant : Pasquale Negri (Adrasto), Giacomo Zaghini, Virtuoso di S.A.R. la Margravia di Parait [Barait] Brandemburg Nata Real di Prussia (Tisaferno), Dorotea Lolli (Erminia), Caterina Bassi Negri (Osmira), Margherita Giacomazzi (Emireno), Anna Giro (Armida), Giuseppe Rossi ( Califfo). Le livret fut publié à Venise par Rossetti Marino, avec une dédicace à Augusto Brandofer. Une copie est détenue à la Biblioteca della Casa di Goldoni.
L’acte II est perdu.
L’Ouverture fut réutilisée par Vivaldi pour Ercole sul Termodonte à Rome en 1723.
Représentations :
Salle Pleyel – 10 octobre 2009 – Vienne – Theater an der Wien – 22 octobre 2009 – version de concert – Concerto Italiano – dir. Rinaldo Alessandrini – avec Sara Mingardo (Armida), Furio Zanasi (Califfo), Monica Bacelli (Osmira), Raffaella Milanesi (Erminia), Marina Comparato (Emireno), Romina Basso (Adrasto), Martin Oro (Tisaferno)
Présentation Salle Pleyel
« L’intrigue se déroule à Gaza – mais là s’arrête sa ressemblance avec notre brûlante actualité. Elle s’inspire de La Jérusalem délivrée (1580) du Tasse – mais, bien qu’elle mette en scène la douce Herminie et la magicienne Armide, qui fascina tant d’auteurs lyriques, elle ne s’intéresse ni à Tancrède, ni à Renaud, célèbres amants de ces dames… Cet opéra de Vivaldi, créé à Venise en 1718 (donc plus proche de la théâtralité d’Orlando furioso que de l’exubérance vocale de Griselda) nous est parvenu incomplet, privé de son second acte, qui a dû être reconstitué (par Rinaldo Alessandrini et Frédéric Delamea) pour cette production, et qu’il s’agit de l’une des partitions du Prêtre roux où s’affiche le plus clairement sa prédilection pour la voix de contralto, à qui sont réservés cinq rôles sur sept ! Parmi lesquels celui de la fameuse sorcière, écrit pour l’impressionnante Antonia Merighi, abonnée aux rôles de manipulatrices (elle sera l’horrible Damira de La Verità in cimento et Rosmira dans la Partenope de Haendel), un rôle que le sombre velours de Sara Mingardo ne pourra que racheter. »
Muse baroque – Vivaldi au ralenti
« Armide… ce nom nous rappelle la tragédie éponyme de Jean-Baptiste Lully donnée l’an passé au Théâtre des Champs-Elysées ; ressurgissent alors les nuisettes rouge vif et la mise en scène – plus ou moins décriée – de Robert Carsen. Mais Rinaldo Alessandrini aura pris soin de nous préserver de toute surprise en choisissant de ne produire qu’une version de concert. Revenons un instant sur le personnage principal : nombreux sont les compositeurs qui créèrent des opéras autour de la magicienne, fascinante par son emprise séductrice sur tous les hommes, excepté celui qu’elle aime. Mais contrairement à Gluck, Haydn ou Rossini – qui prirent comme élément moteur les amours d’Armide et du chevalier chrétien Renaud -, le Prêtre roux a choisi de centrer son ouvrage sur la vengeance de celle-ci et sa volonté de conquérir un nouveau cœur. Se dessine en toile de fond le thème du poème épique La Jérusalement délivrée (écrit en 1581 par Il Tasso) qui servit de point de départ à l’intrigue avec l’enjeu de libérer la ville sainte.
Les musiciens entrent sur scène et s’accordent rapidement, suivis quelques instants plus tard par les chanteurs tout de noir vêtus, hormis Marina Comparato qui pour son rôle de Général a revêtu une veste rouge écarlate. Alessandrini fait également son entrée, salue et ouvre aussitôt l’opéra avec vigueur ; ses gestes quelque peu emphatiques sont incisifs, le chef manie son orchestre avec une grande rigueur et le fait réagir à la moindre inflexion. Il Concerto Italiano nous offre dans l’Ouverture d’apprécier à la fois sa précision d’attaque, sa grande homogénéité et le moelleux de ses cordes qui, dans la seconde partie, déploient avec limpidité la phrase mélodique, semblable à une mer d’huile.
Se succèdent ensuite récitatifs et airs auxquels se mêlent quelques chœurs et ce, durant près de trois heures et demies. Les récitatifs justement occupent une place prépondérante afin de faire avant un récit très riche mais c’est parfois au détriment de l’intérêt musical que devrait susciter l’œuvre. Une de ses singularités réside dans la distribution qui confie cinq des sept rôles à des voix d’alto (féminines et masculines) ; cette particularité donne à l’opéra une couleur suave et un peu orientale.
C’est probablement la voix de Romina Basso qui illustre le mieux cet aspect : charnue et puissante, ténébreuse dans les graves et rayonnante dans les aigus, avec un registre très égal. L’italienne campe un Adrasto sensible et passionné mais non dépourvu de faiblesses quant à ses sentiments. Elle témoigne d’une remarquable aisance dans les vocalises et d’une grande inventivité dans l’ornementation.
L’Armide de Sara Mingardo charme par la clarté de sa prononciation et sa souplesse vocale ; dans les vocalises, chaque note trouve sa place au sein d’une ligne mélodique solide et bien menée. Elle semble pourtant ne pas incarner son personnage avec autant d’application (et d’implication) que le fit Stéphanie d’Oustrac, attachant une certaine légèreté à tous les événements, qu’il s’agisse du moment où elle accuse faussement Esmireno d’avoir voulu abuser de sa vertu ou du dénouement au cours duquel elle confesse ses méfaits avec une grand facilité. C’est là un reproche que l’on peut adresser à presque tous les chanteurs de ce soir : tous se tiennent bien droit devant leur pupitre et ne quittent la partition des yeux qu’à de bien rares moments, excluant l’auditeur du drame qui se joue. D’où une certaine lassitude, malgré la beauté des voix.
Marina Comparato et Raffaella Milanesi dérogent parfois à cette règle ; la première n’est pas sans défauts vocaux mais elle a le mérite d’intégrer musiciens et spectateurs à l’action, par des regards, des expressions. Malheureusement, elle n’a pas toujours su choisir judicieusement ses ornements et les réalise avec une voix instable, craquant aux attaques ; son chant est parsemé de notes qui ressortent en pointillé dans les vocalises, comme si la chanteuse craignait de leur donner toute leur ampleur. Par ailleurs, sa voix puissante domine dans les chœurs qui deviennent alors très hétérogènes, compte tenu de la minorité masculine qui peine à faire ressortir les voix graves.
Aux antipodes de cet Emireno exalté, Milanesi est toute de grâce et de délicatesse. Erminia fut la captive et amante de Tancrède dont elle attend fidèlement et nostalgiquement le retour (mais en vain). Son timbre clair et léger correspond parfaitement à la candeur de la jeune fille qu’elle incarne. Ravissante par sa simplicité et sa sensibilité, elle n’en serait que plus touchante en approfondissant les affects suggérés.
Pour ce qui est de la transmission d’affects, très peu y sont parvenus tant le pupitre semblait être une barrière infranchissable. Aussi Martín Oro fut-il ovationné suite à son air dans la scène 9 à l’Acte II. Et pour cause : pour la première fois depuis le début de l’opéra, le public se tenait en haleine à l’écoute d’un chanteur, suspend sa respiration. Le contre ténor était parvenu à le tirer de sa léthargie et le gratifia d’un chant extrêmement fluide et délicat, maintenant la tension des phrases au sein même des vocalises et ce, avec un grand naturel. L’émotion était bien là.
Seconde soprano de l’opéra, Monica Bacelli apporta surprise et désappointement : surprise par ses mimiques presque théâtrales (mais adressées à son pupitre) qui ponctuaient le récit de comique, désappointement par l’aigreur de ses aigus et le flou de ses vocalises. Quelques inégalités rythmiques contraignaient l’orchestre à l’attendre, suspendu à ses mots (Acte II, scène 10).
Seul personnage ne se mêlant pas à l’intrigue amoureuse, le Calife de Furio Zanasi se laisse porter avec bonhommie au sein des péripéties. Dans les deux premiers actes, il ne donne pas à sa voix toute la mesure attendue. Le timbre est chaud et agréable mais c’est celui d’un roi d’Egypte trop bienveillant alors qu’on le voudrait autoritaire et imposant.
Pour cet unique concert, Rinaldo Alessandrini s’était lancé un défi risqué. Le second acte de l’Armida a en effet été perdu ce qui obligea le chef à se livrer à un important travail de reconstitution. Saluons donc sa maitrise du langage vivaldien qu’il a su imiter à travers des éléments caractéristiques (marches harmoniques, orchestre à l’unisson…). Il aurait cependant été préférable qu’il recourt à une mise en espace (voire mise en scène) pour mettre en valeur sa création et donner à l’opéra de Vivaldi toute l’ampleur qui lui est due. »
Bon beh déception… à tout ceux qui attendent le disque avec impatience, je conseille le calme car c’est loin d’être le plus bel opéra de Vivaldi. Certes à part l’acte II qui est reconstitué (mais bien: les airs sont construits à partir de diverses sources et non parachutés tels quels), presque toute la musique est totalement inédite (exception faite de l’ouverture et de l’air final du II présents dans le récital Regazzo/Alessandrini, et trois airs par-ci par-là, mais qui ne sont pas des tubes non plus, si bien que j’étais certains de les avoir déjà entendu sans pouvoir les identifier; sauf le dernier air d’Armida, avec cors, qui a été repris par Biondi pour sa mouture d’Ercole). Mais bon, je ne sais pas si c’est le manque de contrastes de la partition (presque que des airs de demi-caractère), l’inadéquation de la salle à ce répertoire (Pleyel noit le son des petites formations baroques) ou la ouate du son du Concerto italiano, le fait est que sur les 3 heures de musique, je me suis bien ennuyé la pluspart du temps. Concernant l’oeuvre: les récitatifs sont très longs et pas très originaux, les airs pas très saillants (à l’exception d’un duo initial entre Adrasto et Tisiferno, puis de tous les airs de ce dernier), le livret (de Giovanni Palazzi) bavard même si pas trop mal construit et avec une touche d’humour. L’histoire est celle d’Armide II Le Retour, qui tente de lever une armée en Egypte pour aller enfin régler son compte à Renaud; pour ce faire elle use de ses charmes, mais pas magiques cette fois-çi, juste ceux de ses yeux, mais Emireno ne cède pas, donc elle jure sa perte, mais finalement elle va encore se planter, le complot est découvert, elle reconnait sa faute, on peut aller faire la guerre « abattre et égorger! » Tout le monde il est content. Fin.
Mais il serait malhonnête d’accuser la seule oeuvre de la tièdeur de cette soirée (enfin de mon coté du moins, le public semble avoir beaucoup aimé): le Concerto italiano dirigé par Rinaldo Alessandrini, jouit d’un velouté des cordes absolument remarquable qui fait que l’on oublie parfaitement qu’il n’y a qu’un seul vent (un basson) là où l’orchestre de Fabio Biondi dans le même repertoire irritait d’un son filandreux. Le sens du rythme du chef n’est plus à démontrer mais l’on sent que l’orchestre se cherche encore, cela manque de netteté, d’audace, le tout baigne encore dans la prudence (ou peut-être est-ce du à la salle encore une fois, difficile de juger).
Les chanteurs eux furent plus convaincus mais pas non plus assez percutants: commençons par Furio Zanasi qui n’a rien à faire ici, quand on essaye pas de nous le vendre en ténor, il joue les basses, sans aucun grave évidemment, sans même se donner la peine de camper un personnage, sa retenue passera pour la sereine autorité du roi, très court tout de même et parfaitement ennuyeux.
Monica Bacelli m’a étonné ce soir: je ne la savais pas si bonne technicienne, liquidité des vocalises et précision des trilles remarquables, mais l’émission reste toujours très engorgée, empesant la diction au passage et la tessiture est très réduite, sortie du medium, les graves sont crasseux et les aigus hullulés; je loue cependant l’implication de l’actrice, parfois un peu trop comique malgrè elle, faisant passer Osmira pour une gourde, mais enfin ça fait plaisir à voir.
Marina Comparato était bien plus en forme que pour la Juditha parisienne de la saison passée, malheureusement son rôle est sans doute le moins bien doté et n’était son instinct dramatique dans les récitatifs et l’instabilité relative de sa voix qui en fait tout le charme, on oublierait vite son personnage.
Même remarque pour Raffaella Milanesi qui joue les amantes négligées sur du Vivaldi au kilomêtre, quand on connait l’engagement de la dame dans d’autres rôles (malgrè ses limites vocales), on est déçu.
Et puis pareil pour Romina Basso, enfermée dans une tessiture de contralto qui l’empêche de briller dans l’aigu: la technicienne est toujours aussi bluffante, mais c’est comme demander à un acrobate de jouer les contorsionnistes.
Reste alors Martin Oro dont tous les airs sont splendides, particulièrement celui de l’acte II, andante plaintif avec des vocalises languissantes qu’il assume à la perfection; cette voix de contre-ténor impressionne par sa clareté et l’absence apparente de contrainte (sauf dans les passages vers les limites de la tessiture où cela tangue pas mal), comme presque tous ses confrères les graves sont épisodiques (mais il y en a!), et pourtant l’aisance de l’émission rappelle Jaroussky et la consistance du timbre Cencic, ce qui n’est pas peu dire.
Enfin la grande Sara Mingardo m’a laissé sur ma faim, il faut bien le dire: ce rôle écrit pour la Merighi devrait lui convenir à merveille, mais on la sent encore retenue, elle vocalise en sourdine et il lui manque le mordant qui faisait le succès de Nathalie Stutzman dans un autre rôle que Vivaldi écrivit pour cette chanteuse (Damira dans La Verita in cimento), bref le potentiel est là mais soit le rôle a été insuffisamment préparé, soit la chanteuse était en méforme et protegeait sa voix, deux hypothèses que le disque évitera.
Une déception donc par rapport à l’attente que suscitait en moi la recréation de cette oeuvre, mais j’ai bon espoir que le disque corrige bien des facteurs qui ont fait de cette soirée un semi-echec, et m’incite peut-être à plus de clémence sur l’oeuvre. Après tout, c’est avec cette Armida que Vivaldi s’est introduit à la cour de Mantoue pour laquelle l’année suivante il composait son sublime Tito Manlio.
L’Éducation musicale – Une rareté ressuscitée : Armida de Vivaldi à Pleyel
« L’histoire de la magicienne Armida qui doit son origine au poème épique La Jérusalem délivrée du Tasse, a inspiré nombre de compositeurs. Dont Haendel, Haydn et Gluck. Ceux-ci se sont essentiellement intéressés à la partie du récit relatant les amours tumultueuses d’Armida et du chevalier Renaud. Antonio Vivaldi et son librettiste Giovanni Palazzi ont choisi de traiter d’autres péripéties. Armida al campo d’Egitto narre l’épisode de la quête de soutien de la vengeresse/héroïne auprès du roi d’Égypte, dont les troupes sont cantonnées à Gaza en vue d’une prise à revers des chrétiens assiégeant Jérusalem.
On y voit les manigances de celle-ci auprès de ses fort nombreux adorateurs, séduits par ses charmes pervers. La partition est parvenue incomplète puisque manque intégralement le deuxième acte. Reconstruite par les spécialistes que sont Rinaldo Alessandrini et Frédéric Delaméa, elle vient d’être exhumée avec panache. Un seul exemple : l’aria de ténor qui conclut cet acte médian, sur un accompagnement de basson concertant, est d’une étonnante inventivité. La partition renferme bien des originalités, dont des airs en répons et de petits chœurs – en particulier au début du IIe acte. Les prouesses vocales y abondent, telle une magistrale aria du contre-ténor, assortie de moult vocalises sur accompagnement de violon et de clavecin, ou ceux, fort divers dans leur facture, dévolus à la belle Armida. Vraies ou feintes, les relations amoureuses qui unissent la plupart des personnages sont prétexte à un constant déploiement de faste vocal qui traduit tout autant le souci, chez Vivaldi, de peindre la vitalité de leurs sentiments. On ne pouvait rêver meilleure interprétation que celle offerte par le Concerto Italiano et son chef Rinaldo Alessandrini [notre photo]. Dirigeant du clavecin et tout en souplesse, celui-ci s’attache à exprimer le cantabile expressif dont ce dramma per musica est largement empreint, tant à l’orchestre que dans les parties chantées. Aucune concession à la brillance ou à quelque rythmique véhémente, mais une constante recherche de pureté de la ligne musicale. D’éminents représentants actuels du chant baroque composent un vrai festival de chant orné. On citera, en particulier, Sara Mingardo qui prête à Armida de vrais accents tragiques, Romina Basso, une voix grave d’une rare richesse, et le contre-ténor Martin Oro, qui déchaînent justement l’enthousiasme d’une salle conquise. Un enregistrement est prévu chez Naïve, dans le cadre de l’Édition Vivaldi. »
Italians do it better
« Dans la seconde édition entièrement revue et augmentée de sa Biographie universelle des musiciens, le célèbre musicographe François-Joseph Fétis n’a besoin que d’une phrase pour caractériser la contribution de Vivaldi à l’opéra : « Vivaldi, dit-il, fut aussi un laborieux compositeur de musique dramatique. » Reconnaissons que Fétis ne recense que 28 opéras sur les 48 que nos connaissances actuelles ont permis d’identifier (et sur les 94 que Vivaldi lui-même prétendait avoir composés). Mais une chose est certaine, Fétis aurait été encore plus sévère à l’encontre du Prêtre roux s’il avait eu entre les mains les partitions d’Armida, le neuvième opéra de Vivaldi, créé le 18 février 1718 pour le Teatro San Moisè de Venise (voir dessin plus haut). On ne peut pas imaginer en effet musique plus pauvre. Ce sont, au total, 3h35 d’ennui pour, à tout casser, cinq minutes de plaisir. J’en veux pour preuve l’accueil réservé du public : le concert commençant à 20h00, ce n’est seulement qu’à 22h10, au cours du deuxième acte, que le premier air a été applaudi. Bravo à Martin Oro qui nous aura tirés de l’engourdissement vers lequel on s’acheminait tout à fait.
Pourtant, ce ne sont pas les interprètes qui posaient problème car ils étaient, dans l’ensemble, remarquables : Sara Mingardo, ma contralto préférée, qui était ce soir à moins d’un mètre de moi, avait le rôle-titre, Romina Basso, époustouflante vivaldienne dans Ercole sul termodonte, avait le rôle d’Adrasto, et Furio Zanasi, que j’ai pu trouver plus inspiré dans Monteverdi que dans Vivaldi, interprétait celui du Calife.
Mais force est de constater que le talent des interprètes, aussi brillants fussent-ils, ne peut pas s’exprimer sur une musique aussi plate. Pourtant, on le sait, Vivaldi concevait ses opéras avant tout comme une démonstration du beau chant et les airs qu’il composait visaient prioritairement à mettre en valeur la voix des chanteurs, pas du tout à ménager le sens de l’action qui était, en effet, le cadet des soucis de Vivaldi, comme l’avait très bien compris Fétis. Pas étonnant non plus que René Jacobs, qui prend plaisir à se définir comme un « librettologue » (voyez le livre que lui consacre Nicolas Blanmont, Prima la musica, Prime le parole, paru cette année chez Versant sud) se détourne de cette musique.
Si Rinaldo Alessandrini s’y intéresse, c’est – selon l’hypothèse la plus probable – parce que les éditions Naïve ont, depuis quelques années maintenant, l’objectif de publier l’intégrale des opéras de Vivaldi. C’est ainsi qu’elles missionnent, à tour de rôle, des chefs comme Jean-Christophe Spinosi, Alessandro di Marchi, Federico Maria Sardelli, etc., pour s’acquitter de cette tâche herculéenne. On peut regretter ce choix, alors que personne ne s’avise de publier l’intégrale des opéras d’Alessandro Scarlatti dont la musique est, à mon sens, infiniment plus belle, plus riche et plus inventive que celle de Vivaldi.
Une chose est sûre, je n’achèterai pas Armida quand le disque sortira, malgré la présence de la grande Sara Mingardo, à qui j’ai pu dire tout le bien que je pensais : Elle a toujours le timbre aussi exquis, c’est une grande musicienne, mais, par rapport à l’Armida de Händel que les Parisiens ont pu voir la semaine précédente, celle de Vivaldi n’avait aucun air de caractère, sauf peut-être le dernier air avec les cors. Cela s’explique en partie par le livret : Giovanni Palazzi ne s’est pas intéressé à l’épisode le plus saillant de la Jérusalem délivrée, celui où la magicienne enlève Renaud dans son palais, ni à celui où ses deux chevaliers viennent le délivrer, mais à un épisode plus obscur où, abandonnée par Renaud, elle médite sa vengeance et se rend à Gaza pour enrôler les troupes du roi d’Égypte qui y stationnent.
La direction de Rinaldo Alessandrini, qui nous avait séduit dans Händel, nous aura cette fois assez grandement déçu. Ça manquait d’énergie, de contrastes, de relief et, d’un mot qui les résume peut-être tous à la fois, de vision. Pas étonnant non plus, si le choix de l’œuvre a été imposé au chef italien. »
Forum Opéra – Un Vivaldi attiédi
« La redécouverte des opéras de Vivaldi, entreprise dans le cadre du projet d’enregistrement des manuscrits de la Bibliothèque de Turin, nous vaut cette saison l’exhumation d’Armida al campo d’Egitto, un dramma per musica en trois actes, dont le deuxième, disparu, vient d’être reconstitué par Rinaldo Alessandrini et Frédéric Delamea. Travail musicologique de fourmi sur lequel on aimerait avoir plus de précisions. Ce deuxième acte a-t-il été recomposé en empruntant à des ouvrages de la même époque ? Ou les chercheurs ont-ils travaillé à partir de l’arrangement qui fut présenté à Venise, en 1738, lors de la dernière reprise de l’œuvre, avant qu’elle ne sombrât dans l’oubli ? Le programme de la soirée, succinct, n’en dit rien et on le regrette d’autant plus que cette deuxième partie contient précisément les plus beaux airs de la partition. Tout juste nous explique-t-on qu’Armida fut crée en 1718 par un Vivaldi à l’aube de sa carrière lyrique, bien qu’il eût déjà atteint l’âge de quarante ans, juste avant son entrée au service du Prince Phillip de Hesse-Darmstadt, gouverneur de Mantoue.
En fait, le programme consacre l’essentiel de ses pages à débroussailler un livret des plus ineptes, inspiré par un obscur épisode de La Jérusalem délivrée. Armida chez Vivaldi se retrouve à Gaza aux prises avec les Egyptiens où, durant trois actes se répète inlassablement la même situation. Osmira, la nièce du Calife est repoussée par Adrasto qui aime Armida qui tente de séduire, en vain, le général Emireno, Erminia et Tisaferno jouant les chiens dans ce mauvais jeu de quilles (la première, amoureuse de Tancrède, est courtisée par Emireno tandis que le second se pose en rival d’Adrasto). La partition tente de venir au secours de l’intrigue sans toujours y parvenir. Pas de grande scène dramatique à l’exemple de la folie d’Orlando (furioso), ni de feux d’artifices vocaux comme ceux prodigués par Atenaide ou Griselda mais des arie da capo pour l’essentiel et de longs récitatifs secs qui, compte tenu des enjeux de la pièce, paraissent interminables.
Pour le reste le génie mélodique de Vivaldi et sa science de l’orchestration font heureusement merveille, avec notamment un air virtuose sur fond de cors interprété par Armida, dans la veine du « Dopo un’orrida procella » de Griselda, et un très bel andante pour Tisaferno, que magnifie un Martin Oro au meilleur de sa forme. Timbre de soie, légèrement grenu, vocalises habitées et chant affranchi, le contre-ténor, familier de ce répertoire (Grifone dans l’enregistrement d’Orlando finto pazzo ou Aristea dans L’Olimpiade à Paris en 2005), s’affirme comme le triomphateur de la soirée. Bien que peu mise en valeur par le rôle d’Adrasto, l’étoffe vocale de Romina Basso est toujours remarquable, avec un large éventail de couleurs, des graves sonores et un sens théâtral déjà admiré en début d’année au Théâtre des Champs-Elysées (Ercole sul Termodonte) et encore plus la saison précédente (Juditha Triumphans). Dans un rôle écrit pour Antonia Merighi, célèbre cantatrice qui eut ensuite son heure de gloire à Londres dans des opéras de Haendel (Lotario, Partenope, Poro), Sara Mingardo montre une volonté expressive qu’on ne lui a pas toujours connue. La technique demeure imparable même si son contralto sonne sourd, comme en retrait (au contraire du disque qui en souligne l’incroyable velours). Les talents de comédienne de Monica Baccelli, très engagée en Osmira, viennent au secours d’une personnalité vocale moins prégnante. Beaucoup d’intention et même de fluidité dans la composition mais une voix courte, légèrement instable dans l’aigu. Ni Marina Comparato, ni Rafaella Milanesi, l’une et l’autre sur la réserve, ne parviennent à insuffler d’existence à leur personnage (bien insipide, au demeurant). Relégué au second plan, Furio Zanasi, dont les accents n’ont rien perdu de leur mordant, est désormais inaudible à partir du bas médium. Le baryton retrouve un peu de projection le temps d’un « chi alla colpa fà tragitto » efficace (l’air avec son accompagnement goguenard de basson a été gravé par Lorenzo Regazzo).
Si l’on a pu reprocher à certains de fouetter un peu trop leur Vivaldi, Rinaldo Alessandrini pêche par l’excès inverse. De la rigueur, de l’élan, des sonorités moelleuses (et des cors qui pour une fois ne dérapent pas) mais peu de fièvre. Espérons que l’enregistrement d’Armida, vraisemblablement prévu par Naïve, fera monter la température d’une œuvre sinon tiède. »