COMPOSITEUR | Antonio VIVALDI |
LIBRETTISTE | Grazio Braccioli |
ORCHESTRE | Academia Montis Regalis |
CHOEUR | Coro del Teatro Regio di Torino |
DIRECTION | Alessandro de Marchi |
Orlando | Antonio Abete | basse |
Ersilla | Gemma Bertagnolli | soprano |
Tigrinda | Marina Comparato | soprano |
Origille | Sonia Prina | contralto |
Grifone | Martin Oro | contre-ténor |
Brandimarte | Marina Pizzolato | mezzo-soprano |
Argillano | Manuela Custer | mezzo-soprano |
DATE D’ENREGISTREMENT | Décembre 2003 |
LIEU D’ENREGISTREMENT | Mondovi – Istituto di Musica Antica Academia Montis Regalis |
ENREGISTREMENT EN CONCERT | non |
EDITEUR | Opus 111 |
DISTRIBUTION | Naïve |
DATE DE PRODUCTION | 4 mai 2004 |
NOMBRE DE DISQUES | 3 |
CATEGORIE | DDD |
Édition Vivaldi – Opere teatrali – volume 3 Critique de cet enregistrement dans :
- ResMusica – Antonio piu furioso !!
« Nous sommes ici à l’écoute d’un travail sensationnel qui marie l’Histoire, l’amour de la musique et un professionnalisme sans équivalent. Que se soit du côté de l’orchestre comme des voix, c’est un véritable régal qui force le respect. Alessandro de Marchi dirige l’Academia Montis Regalis depuis 1999 avec un réel sens artistique baroque. Le choix d’Antonio Abete pour l’interprétation d’Orlando n’est évidemment pas un hasard, c’est un des chanteurs les plus prisés du moment dans le répertoire de l’incontournable XVIIe siècle. Pour cette création, avoir pu réunir aussi Gemma Bertagnolli et Marina Comparato (elle connaît déjà le feeling du Maître de cérémonie avec sa prestation dans la précédente mise en musique comme Juditha) sont comme pour Vivaldi, des morceaux de Roi. N’ayant — heureusement — plus de castrat à notre époque c’est le haute-contre Martin Oro qui tient le rôle de Grifone. Le choix de jouer sur des instruments d’époque peut susciter la polémique mais dans ce modèle de production c’est un choix qui nous engage, au moins déjà, dans une réflexion de perfectionnisme visant un idéal exquis. L’écriture permet aux instrumentistes et aux chanteurs de posséder un panel d’improvisations de vocalises et d’expressions musicales qui changent radicalement notre idée de l’opéra baroque de la mode vénitienne en cette période historique. La notice qui accompagne cet enregistrement est riche en révélations musicales. Elle fait une mise à jour sur les préjugés et tous les écrits sur Vivaldi. Le label « Opus 111 » a entrepris un travail phénoménal en prêtant un crédit à toutes les re-créations proposées. Dans le troisième Cd, quelques délicieuses surprises nous attendent car elles nous offrent des alternatives aux différentes versions des airs de la plume du grand Maître de Venise. Le libretto est une intrigue où l’amour, le rire, et l’univers extravagant donne à cet opéra une plus grande dimension que le premier Orlando ; Ersilla magicienne d’un monde féerique, amoureuse de Brandimarte, mentor d’Orlando, sera abusée par le jeu de fou qu’Orlando utilise pour arriver à ses fins, renverser la puissance d’Ersilla. Dans un décor luxuriant de beauté on rêve aisément à un metteur en scène de la trempe d’un Peter Brook pour en réaliser un spectacle mémorable. »
- Diapason – novembre 2004
« De Marchi s’appuie sur un continuo luxuriant. Remarquables Comparato et Prina, mais caractères décalés pour les rôles-titres, Abete et Bertagnolli (là où l’on attendait Regazzo et Cangemi). »
- Goldberg – octobre 2004 – appréciation 5 / 5
« Après la classicisante Olimpiade et l’exotique Verità in cimenta, voici, dans la même « Vivaldi édition », le baroquissime « Roland feignant la folie », premier ouvrage monté par Vivaldi àVenise (1714). Afin d’en assurer le succès, le Prête roux s’entoura d’une brillante distribution et commanda à Braccioli, auteur d’un livret tiré de l’Orlando furioso de l’Arioste (que Vivaldi reprendra en 1727), un texte, hélas fort embrouillé, inspiré, cette fois, de l’Orlando innamorato de Boiardo. L’action, qui se tient dans le royaume de la magicienne Ersilla, est riche en invocations et confie un vrai rôle au choeur. Son caractère baroque se voit accentué par la volontaire disparité stylistique des airs, qui vont du morceau avec basse continue aux pyrotechnies « pré-napolitaines », en passant par de merveilleuses arias ironiques, aux harmonies instables. Décevante dans L’Olimpiade, Bertagnolli, qui a gagné en densité vocale, campe une sorcière haute en couleurs, et Manuela Custer fait de même dans le rôle fort exigeant de son soupirant, Argillano. Roland n’a qu’un air à chanter, et réclame un tempérament plutôt qu’une voix : en dépit de son timbre plébéien, Abete en tire le meilleur parti. Prina est une noble Origille, Comparato une Tigrinda un rien hystérique, Oro et Pizzolato des Grifone et Brandimarte plus effacés que le reste d’une distribution exemplaire. L’Academia Montis Regalis brille surtout dans les moments « chambristes » (le continuo est des plus luxueux, les cadences très fleuries) et la direction de de Marchi n’est pas dépourvue de maniérismes, mais ces particularités conviennent à un opéra regardant encore vers le XVIIe siècle. Une passionnante redécouverte, qui ne lésine pas sur la complétude. »
- Anaclase.com
« Orlando finto pazzo, le premier opéra vénitien de Vivaldi, fut créé au Teatro Sant’ Angelo à la fin de l’année 1714. Il est donc contemporain du premier oratorio du prêtre roux, Moyses Deus Pharaonis, et de la publication à Amsterdam de la Stravaganza, magnifique recueil de concerti. Dans le livret de l’enregistrement que lui consacre aujourd’hui le label Opus 111 dans le cadre de sa tant passionnante qu’excellente Edition Vivaldi, Frédéric Delaméa replace avec clarté l’ouvrage dans le contexte de sa création, introduisant brillamment une écoute profitable. On y lira également avec intérêt les avis et interrogations du chef Alessandro De Marchi qui hésita avant de se lancer dans l’aventure de la direction de cette œuvre. Puis on goûtera les aléas des amours croisées d’une intrigue complexe où la ruse et le travestissement sont au rendez-vous. En guise de Sinfonia d’ouverture, De Marchi et son Academia Montis Regalis ont choisi de donner le Concerto pour clavecin et cordes en Ut Majeur RV 112, dont la grande vivacité convient particulièrement bien au climat d’urgence et d’angoisse des divers stratagèmes qui pimentent l’argument. L’Andante central laisse la place à une respiration plus raffinée, délicatement introduite par le théorbe, installant un suspens surprenant, puis le Presto déchaîne une énergie délirante, dans un contraste terrible. Nous voici plongés dans cet Orlando à la fois rebondissant de mensonges et langoureux de soupirs amoureux. Tout au long de l’opéra, on appréciera l’intelligence dramatique et la cohérence musicale avec lesquelles De Marchi conduit cet enregistrement, proposant des couleurs savamment choisies dans une dynamique parfaite. Sa lecture pleine de tension sait roucouler lorsqu’il le faut, narguer si besoin est, s’attendrir et charmer. Pour les voix, on demeure surpris quant à certains choix de distribution. En effet, le texte dit bien que le héros Orlando fait parler de lui depuis longtemps, que sa réputation a grandit au fur et à mesure qu’il a pris de l’âge, etc. ; de fait, cette partie est écrite pour une basse. Cependant, Antonio Abete ne paraît pas le chanteur idéal pour incarner le rôle-titre. Sa prestation, qu’il colore exagérément d’un caractère convenant mieux à un barbon de farce qu’à un grand guerrier aux tempes blanchies, n’est pas toujours juste, change de place pour une émission inégale, confondant souvent détimbrer et nuancer, pour un chant en général autant instable que maniéré. Les choses commencent à aller mieux vers la fin, comme dans l’air « Non paventa giammai le cadute », par exemple, sans que ce soit pleinement satisfaisant. En revanche, Brandimarte est Marianna Pizzolato, donnant des récitatifs d’une précision absolue dans une belle égalité de timbre ; Gemma Bertagnolli est une Ersilla très sonore offrant un chant tout à fait excitant d’une riche expressivité, mordant dans les récitatifs, brillant pour les airs, avec des da capo magnifiquement ornés ; on citera avantageusement « La speranza verdeggiando », en fin de 1er acte, délirante jubilation tant orné que le texte en devient une suite d’onomatopée dans une réalisation exceptionnelle qui rend le personnage littéralement hystérique, comme il se doit. La chanteuse sait tout autant persifler quand la scène le demande, comme dans « Non ti lagnar di me » au second acte, affirmant des vocalises d’une souplesse exquise, que nous émouvoir dans « Tutta duol, tutta orror », pour finir, ce que j’appellerai l’air de la ruine, s’achevant dans un cri extrêmement comique. Indéniablement, c’est le contralto Sonia Prina dans le rôle d’Origille qui retiendra l’attention. Avec un timbre attachant et présent dès les premiers mots, une expressivité inventive, une vraie présence, cette artiste s’impose avec superbe, comme dans l’air (sans da capo) « Sentire che nel sen » de l’Acte I qu’elle interprète avec fluidité, sans excès, dans un climat tendu et une couleur chaleureuse dont le mariage crée un équilibre splendide. Elle s’avère si géniale dans « Anderò, volerò, griderò » qu’on l’on se prend d’envie de l’applaudir ! On appréciera également les beaux phrasés de Marina Comparato en Tigrinda, dotés d’une ornementation agile qui ose prendre de vrais risques. L’Argillano de Manuela Custer est moins convainquant ; si le grave est plutôt intéressant, l’art de l’ornement indéniable, les changements de place selon la hauteur nuisent à l’égalité du timbre, à tel point qu’on parvient mal à en saisir la réelle personnalité. Enfin, si Martin Oro possède une voix puissante pour un contre-ténor, les aigus sont poussés et donc systématiquement faux, et l’on souffre de l’instabilité évidente de ses trilles. Quoi qu’il en soit, cette Première est une bénédiction, et l’on n’en attend qu’avec plus d’excitation la suite de la publication intégrale au disque des opéras de Vivaldi. »
- Classica/Répertoire – juillet/août 2004 – appréciation Recommandé
« La pages 55 du livret est d’une utilité incommensurable : à l’aide de flèches et de coeurs, on y démêle les relations complexes entre les protagonistes ! Rien de trop pour ce long livret d’Orbando finto pazzo — Orlando se faisant passer pour fou pour mieux vaincre la sorcière Ersilla —, premier opéra vénitien de Vivaldi, créé au Teatro San Angelo en 1714, un an après Ottone in Villa à Vicence. Un théâtre opportunément tombé sous sa direction un an auparavant, et une création pour laquelle le compositeur aura mis tous les atouts relationnels et financiers de son côté, comme le raconte Frédéric Delaméa dans la notice. Vivaldi fait de sa création un va-tout, un pari audacieux : il s’agit de séduire un public vénitien exigeant, et de ne pas rater sa propre entrée en scène dans le sérail lyrique de la Sérénissime. Toute la structure dramatique et musicale de l’ouvrage vise à ce but unique : convaincre que la maitrise acquise dans le domaine instrumental ne demande qu’à s’appliquer à la voix. L’architecture des trois actes, pour un quasi-coup d’essai, est un coup de maître : le premier démontre d’abord la volonté d’innovation, une vitrine de l’audace qui éveille l’attention des plus blasés, puis devient plus conventionnelle, non par crainte d’effaroucher, mais pour montrer la maîtrise sereine du langage acquis. Le deuxième acte projette une lumière sur l’art du récitatif, notamment dans la longue scène 10. Le troisième, complètement « pazzo », se transforme en une pyrotechnie époustouflante, avec alternance récitatifs-arias de plus en plus resserrée, mouvance harmonique extrême, et arias elles-mêmes de plus en plus périlleuses et truffées de trouvailles imprévues. L’accompagnement orchestral participe aussi de cette invention permanente, commentant souvent avec esprit les errements des personnages, et De Marchi, avec sa direction très dynamique et précise, ne résiste pas au plaisir de rajouter quelques virtuosités vivaldiennes supplémentaires au violon.Le rôle-titre, Orlando, est par une provocante audace pratiquement privé d’arias, sauf au troisième acte, mais reçoit un récitatif d’une liberté et d’une efficacité dramatique exceptionnelles : le passage du troisième acte dans lequel Orlando mêle à son récit ironique de faux fou des bribes d’une « chanson du lion » sont d’une audace d’écriture visionnaire, comme la scène 10 du deuxième acte déjà mentionnée, la mobilité harmonique et dynamique du discours décalquant l’étrangeté d’une situation ahurissante où chacun, jusqu’à Orlando lui-même, travestit à la fois sa personnalité et ses sentiments. Bien que généralement absent du florilège d’arias, Orlando, seule tessiture basse du plateau, devient par la force de cette narration épique un personnage dramatique d’envergure que campe ici admirablement Antonio Abete. Le rôle de la sorcière Ersilla convient particulièrement bien au tempérament extraverti et pétulant de Gemma Bertagnoli, dotée d’une diversité d’arias d’une exigence éprouvante, mais aussi d’une possibilité d’incarnation dramatique aux facettes multiples. Pour elle comme pour tout le plateau féminin, les extrêmes de tessitures sont constamment sollicités pour des pyrotechnies vocales qui sont autant de preuves des exigences du compositeur face aux gloires du théâtre vénitien. La diversité de climats et de couleurs de toutes ces arias habilement sollicitée par la trame épique, offre à Vivaldi toute la palette des affects et images nécessaires àla séduction du public vénitien : Ersilla dispose, on l’a dit, des mets de choix, de la douce hirondelle à la bourrasque infernale, mais aussi Tigrinda, par exemple dans l’air «Mia caro, Traditor» de l’Acte II, ou Origille dans l’air «Andero, volera, gridero» de l’Acte III. Mais on ne peut citer tous les exemples de cette invenzione virevoltante et inspirée, servie par des interprètes en forme olympique (on pardonne quelques relâchements), qui atteint des sommets dans le troisième acte aux couleurs parfois sépulcrales. On ne sait pas si le public de la Sérénissime fut convaincu, mais on peut le supposer pour ce qu’on sait de la suite de la carrière théâtrale de Vivaldi… Quant à Alessandro de Marchi, il confirme avec ce nouveau volume sa conception à la fois solide et e sereine du langage vivaldien : le son de l’orchestre est puissant, sa masse ciselée dans le moindre détail, sans âpreté, ni raideur, ni relâchement de la tension dynamique. Une découverte prioritaire à faire, pour laquelle on rêve d’une scénographie… »
- Opéra International – juin 2004 – appréciation 3 / 5
« Point de départ de la carrière lyrique vénitienne de Vivaldi, Orlando finto pazzo connut une vie étonnamment courte. Franc succès ou échec cuisant ? La question reste posée et le mystère entier ! Créé au début de l’automne 1214 sur les planches du Teatro San Angelo, l’ouvrage fut très vite remanié pour être finalement remplacé à la hâte par un grand succès de la saison précédente, l’Orlando furioso de Ristori. Drôle de destinée, donc, pour cet opéra monté à grands frais sur un livret de Grazio Braccioli [inspiré de l’Orlanda innomorato de Boiardo) dont, semble-t-il, ni la mise en scène spectaculaire, ni les somptueux décors conçus par Bernardo Canal (père de Canaletto), ni le prestigieux plateau vocal (dominé par la soprano Margherita Gualandi dans le rôle de la magicienne Ersilla et le castrat Andrea Pacini dans celui d’Argillano), n’ont suffi à étourdir l’insatiable public de la Sérénissime.Reflet (anticipé et en studio) du concert parisien quelque peu chancelant donné par Alessandro De Marchi et ses troupes en décembre dernier, l’enregistrement de cet Orlando offre ce dont le concert manquait cruellement : un peu de folie. L’orchestre, tout d’abord, apparaît bien plus en forme : virtuose et élancé, il se jette cette fois, cordes et âmes, sur les cimes d’une partition souvent plus exigeante que valorisante. Les motifs pyrotechniques de nombreux passages révèlent des pupitres parfaitement alertes, aux attaques à la fois précises et félines. Les solistes, en revanche, ne se montrent guère plus convaincants, si ce n’est l’Ersilla de Gemma Bertagnolli, la Tigrinda de Marina Comparato et l’Origille de Sonia Prina, toutes trois beaucoup plus à leur affaire et en voix. Le timbre grinçant d’Antonio Abete donne malheureusement à Orlando un visage patibulaire et Manuela Custer, malgré tous ses efforts, ne vient pas à bout de son terrible Argillano (le «Se in ogni guardo » de l’acte I est passé à la moulinette). Quant à Martin Oro (Grifone) et Marianna Pizzolato (Brandimarte), leurs voix passe-partout ne donnent qu’un aperçu bien gentillet des possibilités expressives qu’offrent leurs rôles. »
- Le Monde de la Musique – juillet/août 2004 – appréciation 3 / 5
« Après ses débuts lyriques à Vicence (Ottone in villa, 1713), Vivaldi offre à l’automne 1714 son premier opéra à Venise, cet Orlandofinto pazzo (« Roland feignant la folie »), « l’opéra le plus brillant jamais représenté sur la scène du S. Angelo, avec un livret nouvellement écrit pour la circonstance, un choeur spécialement recruté, des décors nouveaux (…) et une distribution prestigieuse », explique Frédéric Delaméa dans son texte d’introduction. Grazio Braccioli, auteur du livret, s’inspire de l’Orlando innamorato de Boiardo et signera l’année suivante celui de l’Orlandofurioso d’après l’Arioste. Comme on peut le prévoir, le texte se plaît à disperser les sentiments et à multiplier les travestissements. L’éditeur a eu l’heureuse initiative de faire précéder le livret par un tableau fléché présentant le rôle et l’orientation amoureuse des sept personnages.La partition pose plusieurs problèmes, à commencer par l’établissement d’une édition et la distribution des rôles (l’autographe s’accompagne de nombreuses variantes). Aussi les interprètes offrent-ils généreusement, en appendice du troisième disque, neuf airs alternatifs. Par ailleurs six des sept personnages exigent des voix hautes (à l’origine castrats, sopranos et altos), Orlando endossant la seule partie de basse. L’auditeur doit alors pouvoir distinguer l’identité de chaque intervenant : Alessandro de Marchi a négligé cet obstacle et oblige une consultation régulière du livret pour savoir qui chante quoi.Malgré l’enthousiasme des textes de présentation, cet opéra ne convainc qu’à moitié. Le récitatif fonctionne en conduite automatique et les airs se construisent sur des schémas primaires et des tempos unanimement enlevés, sans grand souci du texte. Il faut attendre le troisième et dernier acte (la scène de magie, très réussie il est vrai) pour que l’action prenne son envol. Antonio Abete en Orlando sait feindre la folie et la balourdise. Gemma Bertagnoli prête sa voix ductile à une Ersilla tiraillée entre son amour pour Brandimarte et sa haine d’Orlando. Marina Comparato laisse bien percevoir les hésitations de Tigrinda et Sonia Prina fait d’Origille une figure importante. Alessandro de Marchi guide son équipe avec sûreté àdéfaut de vraie passion. Une prise de son aux échos de ferblanterie laisse deviner l’acoustique de l’Istituto di Musica Antica Academia Montis Regalis, peu encline à mettre les voix et l’orchestre en valeur. »
- Diapason – juin 2004 – appréciation 5 / 5 – technique 8 / 10
« Imbroglios, travestissements, patchwork de climats, de sentiments en perpétuelle mouvance pour son premier opéra sur une scène vénitienne, le jeune Vivaldi à l’ironie subtile, héritier de la tradition dans laquelle il a grandi, joue avec les affetti d’une magicienne amoureuse et d’un paladin mimant la folie. Il faut accrocher le fil de ce conte déraisonnable et ne plus le perdre, en espérant de la part des interprètes une solide connaissance des us dramatiques du Seicento. Restitution exhaustive et pertinente de la partition (d’après les trois versions successives), airs alternatifs au complet, écriture savoureuse des da capo, liaison des scènes par une basse continue luxuriante (dont le Sant’Angelo n’eut pas la chance de disposer !), mais étrangère parfois à la caresse du verbe, dans des récits pourtant vivants, grâce à l’intelligence des chanteurs. Et dès l’Ouverture, De Marchi subjugue par sa science des couleurs se fondant, sans forcer l’effet, dans la dramaturgie.Maldonne pour les rôles clés. Antonio Abete n’a pas compris qu’un fou n’exprime pas forcément la même chose qu’un bouffon ou un traître – emploi auquel le prédispose une émission coincée, souvent irritante. Son récit de la folie feinte (II.10) est avalé sans exprimer grand-chose, malgré une solide technique. Plus midinette hystérique que sorcière, Gemma Bertagnolli n’a pas vraiment la consistance du rôle d’Ersilla, ni une palette de couleurs suffisante – et dire que Cangemi était pressentie… De beaux moments pourtant, comme son entrée, enfin habitée, dans le temple d’Hécate (III.6).Remarquable Marina Comparato en Tigrinda, grande prêtresse des contrastes, oscillant entre souffrance et colère (II.9). De l’allure, de l’autorité. Origille intelligente de Sonia Prina, émission un peu appuyée, mais ornementation divine. Un cran au-dessous, le timbre chaleureux Brandimarte de Mariana Pizzolato et l’élégant Grifone de Martin Oro, à la ligne parfois imprécise. Reste l’Argillano de Manuela Custer, instable, décolorée, redoutable dans les cadences. Passons ; les beautés de l’oeuvre étincellent malgré les égratignures. »
- Forum Opéra
« Abondance de biens nuirait-elle ? Il y a une décennie encore, la parution d’un tel enregistrement, dans líoubli total où était plongé l’oeuvre opératique du Prete rosso, aurait fait date. Même si elle apparaît d’ores et déjà comme une clé de voûte, cette réalisation n’en reste pas moins une pierre du monumental édifice que Naïve Opus 111 est en train d’ériger. Clé de voûte essentiellement grâce au remarquable travail d’Alessandro De Marchi qui a tenté de retrouver, pour cet Orlando qui marquait les débuts de Vivaldi sur la scène vénitienne, le ton et l’esprit des opéras qui étaient représentés dans les années 1710 sur les différents théâtres de la Sérénissime. Brillance et virtuosité ne font pas oublier la beauté des combinaisons instrumentales opérés par Vivaldi, qui révèle au fil des airs et récitatifs une rare maîtrise des sonorités de chaque pupitre. Sublimes Amor sprezzato et Se garisce la rondinella, terrifiant Lo strido qui multiplie dissonances et grincements. La direction est toujours díune grande justesse : le chef sait diversifier les atmosphères et parvient même à associer un univers sonore spécifique à certains lieux ou à certains personnages. Il faut néanmoins attendre la fin de l’exposition pour que les récitatifs prennent vie. En outre, non content d’établir une version archi-complète, il nous propose, comme pour sa précédente Juditha, pas moins de neuf airs en appendice… Hélas, si une telle attention avait été également portée à la distribution, nous tiendrions là une réalisation majeure. N’était-il pas possible de trouver d’abord une basse un peu plus attentive aux mots que le marmoréen Antonio Abete ? Dans le rôle atypique d’Orlando, essentiellement constitué de récitatifs et d’accompagnati, le chanteur ne sait ni varier le ton, ni les couleurs : la déclamation est monotone, accentuant systématiquement l’avant-dernière syllabe. Moins inquiétante que buffa, sa scène de folie feinte passe totalement inaperçue. Cette voix épaisse et sans noblesse est tout à fait hors de propos et reste étrangère à la grandeur mythique du Paladin. Que De Marchi ait voulu souligner l’aspect accessoire d’un personnage qui ne fait que donner son nom à l’oeuvre, il n’aurait pu mieux choisir. De même, on se demande pourquoi le chef s’obstine à vouloir fermer les portes des studios à Sara Mingardo qui a assuré, comme pour Juditha, certaines représentations. Au personnage d’Origille, Sonia Prina apporte, certes, un panache et une technique infaillible, mais elle ne peut lui donner l’émotion et la féminité dont déborde la contralto vénitienne : son Vedi ingrato échoue à traduire la souffrance de l’amante délaissée. Gemma Bertagnolli est assurément plus à l’aise dans la galanterie et la pétulance de l’amoureuse que dans le mystère incantatoire de la magicienne. Musicienne accomplie (que l’on écoute l’ébouriffant La speranza verdeggiando pour s’en convaincre), elle sait, lorsqu’elle s’en donne la peine, ciseler comme personne un récitatif, donner leur poids exact aux mots (fabuleuse scène 11 au premier acte). Mais la voix, trop légère, et le souci de faire du beau son l’empêchent de dresser un portrait réellement convaincant díErsilla. Ecrit pour le futur créateur des Tolomeo et Tamerlano händéliens, le rôle d’Argillano met Manuela Custer à rude épreuve, sa ferveur et sa sensibilité ne parvenant pas toujours à faire oublier un chant parfois laborieux. Voix riche et charnue, Marianna Pizzolato confère au rôle épisodique de Brandimarte quelque chose de pathétique alors que Marina Comparato se débat (vaillamment, il faut le reconnaître) avec la tessiture trop grave de Tigrinda. Cet Orlando prend donc des airs de rendez-vous manqué – d’autant plus incompréhensible que les interprètes ne manquent pas pour servir comme il se doit une musique qui demande une technique infaillible et un sens aigu du théâtre. »