COMPOSITEUR | Georg Friedrich HAENDEL |
LIBRETTISTE | d’après Carlo Sigismondo Capece |
ORCHESTRE | B’Rock Orchestra |
CHOEUR | |
DIRECTION | René Jacobs |
Orlando | Bejun Mehta | |
Angelica | Sophie Karthäuser | |
Medoro | Kristina Hammaström | |
Dorinda | Sunahe Im | |
Zoroastro | Konstantin Wolff |
DATE D’ENREGISTREMENT | Été 2013 |
LIEU D’ENREGISTREMENT | Concertgebouw de Bruges |
ENREGISTREMENT EN CONCERT | non |
EDITEUR | Deutsche Gramophon / Archiv Produktion |
DISTRIBUTION | |
DATE DE PRODUCTION | 12 mai 2014 |
NOMBRE DE DISQUES | 2 |
CATEGORIE | DDD |
Critique de cet enregistrement dans :
Il tenero momento
« René Jacobs chez Deutsche Grammophon ? Rassurez-vous, le chef gantois n’a pas quitté Harmonia Mundi, et ce disque ne sort qu’à l’occasion de l’anniversaire du sous-label Archiv. Cet Orlando nous ayant particulièrement scotché il y a deux ans à la Monnaie de Bruxelles, il y a tout lieu de se réjouir de l’arrivée de cet enregistrement. Et ce d’autant plus que le disque fait plus que tenir ses promesses : il restitue à merveille des représentations bruxelloises où Jacobs, avec une équipe jeune et soudée, réinventait littéralement l’Orlando de Haendel, que ses interprètes sublimaient.
Sublime en effet, que cette distribution. Car enfin, qui osera aborder Orlando après Bejun Mehta, dont l’adéquation avec le rôle est stupéfiante, et dont lui- même déclare qu’il s’agit du rôle de sa vie ? Les couleurs, les variations de timbre sont inhabituelles pour un contre-ténor, la virtuosité et l’engagement sont tout simplement inédits. En Angelica, Sophie Karthäuser est tout aussi éblouissante. Toujours émouvante, jamais mièvre, elle est très engagée et livre une véritable leçon de chant, à l’image du da capo de l’air « Non potra », peut-être l’un des enregistrements d’un air de Haendel les plus renversants jamais effectués. En seconda donna, Sunhae Im étonne par le fruité de sa voix qui fait merveille dans les lamenti, sa personnalité ne faisant par ailleurs qu’une bouchée des vocalises de la jeune Dorinda. Kristina Hammarström – beaucoup trop rare sur nos scènes – est quant à elle bouleversante en Medoro et d’une perfection quasi instrumentale. Enfin, Konstantin Wolff, seule voix grave de ce quintette, est un Zoroastro à la fois agile et imposant.
Sous la baguette de René Jacobs, le chef d’œuvre haendélien se transforme en un véritable feu d’artifices. Les sonorités sont contrastées : variété du continuo (avec guitare, luth, harpe, clavecin, orgue), diversité des couleurs (bel emploi des flûtes à bec, ajout de percussions, d’un régal dans la scène de la folie). Vision arbitraire ou maniériste ? On en jugera par l’écoute : jamais l’oeuvre n’a autant passionné (ni bouleversé), et l’on se prend à redécouvrir des passages rendus inoffensifs (et inintéressants) par les lectures précédentes, comme l’introduction orchestrale du 2ème acte ou certains ariosos de Zoroastre. Le disque est l’occasion pour le jeune ensemble B’Rock d’enregistrer son premier CD. Il faut louer la performance : pour un premier essai, l’ensemble se hisse déjà au niveau des plus grands (Freiburger Barockorchester, Akademie für Alte Muzik). Quel engagement, quelle virtuosité, quelles sonorités ! Rien que pour la découverte de cet orchestre, il faut se jeter sur ce disque.
Disque inoubliable et, bien entendu, référence absolue pour l’Orlando de Haendel. »
Classiquenews. com
« La musique exprime le souffle des héros impuissants, la toute puissance de l’amour, sait pourtant s’alanguir en vagues et déferlantes pastorales (l’orchestre est somptueux en poésie et teintes du bocages), annonce comme Rameau quand il nous parle d’amour (Les Indes Galantes), cet essor futur du sentiment, nuançant en bien des points les figures un rien compassées et mécaniques du séria napolitains. Gorgé d’une saine vitalité, René Jacobs séduit immédiatement par sa frénésie dramatique qui sait caractériser les personnages et les situations. C’est nerveux parfois secs et tranchant mais toujours vif et exalté. Christie reste indépassable par le sentiment et l’alanguissement.
Car seule faiblesse de l’enregistrement le contre-ténor en couverture : Bejun Mehta a certes une projection fluide et claire mais le style aguicheur et fleuri à l’excès manque singulièrement de simplicité et de naturel. A force de vouloir en démontrer, le chanteur rate son incarnation et demeure rien que maniéré : un contresens qui lui est fatal. A contrario de sa contreperformance, les chanteuses sont… superlatives, en particulier, l’Angelica de Sophie Karthäuser (qui allie la grâce mozartienne à la précision de ses vocalises) et la soprano vedette de l’écurie Jacobs depuis des lustres, l’irradiante et diamantine Sunhae Im, d’une fraîcheur juvénile et tendre capable d’expressivité ardente et naturelle : un modèle d’élocation dramatique qui rééclaire le rôle de Dorinda, en fait bien cette sœur en douleur de l’impuissant Paladin devenu fou. L’orchestre fiévreux, bondissant redouble de nuances et dynamiques : voilà un chef qui comprend sans cependant en exprimer les teintes mordorées voire ténébristes (écouter ici Christie), le roman de l’Arioste entre l’illusion de l’amour, la sincérité du cœur, la folie de la jalousie : de fait, l’orlando de Haendel est contemporain du choc orchestré par Rameau son contemporain (Hippolyte et Aricie, 1733), et de 20 ans plus tardif que les sommets lyriques précédents signés Vivald à Venise… Aucun doute cet Orlando – réserve émise au chanteur dans le rôle-titre, est à classer parmi les meilleures réussites de la discographie déjà riche. Avec un chanteur plus simple en tête d’affiche, la lecture aurait décroché le « CLIC ». Avec le récent Belshazzar de William Christie (et ses chœurs des Arts Florissants rien moins qu’inouïs), Haendel déploie à nouveau ici sous la baguette acérée, vive du gantois Jacobs, son irrésistible invention lyrique. Coffret très très recommandable. »
ResMusica
« Tous ceux qui, à l’été 2013, ont été pris tout à la fois dans les rets du timbre de miel et des yeux égarés de Bejun Mehta à Beaune lors de la version de concert d’Orlando donnée par René Jacobs, vont légitimement avoir envie de se précipiter sur l’enregistrement réalisé dans la foulée et qui paraît chez Archiv Produktion.
Double événement que cet Orlando qui, en plus d’être la première collaboration de René Jacobs avec la célèbre étiquette jaune, fixe pour l’Histoire l’interprétation du haute-contre le plus magnétique d’aujourd’hui. Bejun Mehta a été un Orlando exceptionnel à Beaune mais aussi à la scène (Bruxelles 2012, dans la mise en scène de Pierre Audi). Est-il le Senesino d’aujourd’hui ?
Aucun de nos contemporains n’a entendu Francesco Bernardi (castrat adulé du public sous nom de Senesino) pour qui Haendel a écrit en 1733 ce rôle où il tenta de fondre le « marginal mythique » et « l’amoureux galant» de la légende, avatar des innombrables moutures inspiré du Roland de la célèbre Chanson (XIIème siècle) et qui, de l’Arioste (1715) à Stefani (1691) ont fait du héros un être déchiré entre aspirations glorieuses et amoureuses. « Aiguillonné par la gloire, tourmenté par l’amour, que vas-tu faire, pauvre cœur ? » Vivaldi avait écrit, en 1714, Orlando pour une basse, avant de le confier, en 1727, à l’alto féminin. Le « primo uomo » de Haendel est un contre-ténor.
Ecouter Bejun Mehta quand on a dans l’oreille l’interprétation irréprochable de Patricia Bardon chez un William Christie sans aspérités ou le merveilleux Christophe Dumaux avec Malgoire peut déstabiliser. Son Orlando est halluciné, qui n’a pas attendu sa grande scène du II pour être dévasté par la déflagration des passions. Si George Benjamin semble avoir écrit Written on skin pour lui, il n’en est pas de même pour Orlando où Bejun Mehta doit adapter sa troublante et insinueuse vocalité à une partition virtuose alternant l’élégie qui ne lui pose aucun problème (Gia l’ebro mio cilio est bouleversant de douceur), mais aussi la virtuosité des castrats (le tube Non fu già men forte alcide et Fammi combatterre surprennent à la première écoute.).
L’interprétation de Bejun Mehta, irrésistible à la scène, est plus déstabilisante au disque (il serait malhonnête de vouloir nier une ligne vocale fluctuante sur les changements de registres, de prudentes échappées vers les aigus comme sur la pointe des pieds) mais dieu, que l’on y gagne par ailleurs! Voici qu’Orlando, loin de la popularité des têtes de gondole haendéliennes que sont Alcina et Giulio Caesare, et qui peut souffrir plus que ceux-ci de l’immobilisme d’un certaine classe orchestrale (l’interprétation très grand siècle de William Christie) acquiert avec Bejun Mehta une urgence dramatique inespérée.
Bejun Mehta, qui a déjà fait ses preuves haendéliennes (qui n’ a pas vu le le sensationnel Messie mis en scène par Claus Guth n’a rien vu!) est bien entendu entraîné dans cette geste déraisonnée par un René Jacobs qui a toujours privilégié le théâtre sur la poussière de la partition. Jacobs est le démiurge d’un Orlando de chair et de sang, au moyen d’une constante invention qui tord le cou à la terrible dictature de la structure ABA, et qui enterre aussi définitivement le systématisme que peut représenter la démarche lyrique haendélienne : 3 heures d’horloge, pas de choeur, une enfilade d’airs pour quelques solistes chantant rarement ensemble, alternance bavarde des récitatifs, et pour couronner le tout happy ending obligé ! Un opéra de Haendel, pour qu’on y croie, ne peut d’ailleurs être envisagé que confié à un immense metteur en scène, un lecteur de livrets, comme ce fut le cas à Dijon naguère pour un Orlando d’anthologie disséqué par David McVicar ou jadis Robert Carsen à Aix.
A l’image du héros de Haendel, l’orchestre de Jacobs avance sans cesse, rugit, dévaste, en découd avec chaque note. On en vient à douter parfois qu’il puisse s’apaiser (voir le trio de l’Acte I déroulé à toute allure : 4mn au lieu de 7 chez Christie ! On déplore pour mieux ensuite se laisser convaincre et accéder à la dévastation sentimentale de Dorinda en comprenant qu’elle n’a de fait rien d’élégiaque.)
Au moyen d’un accompagnato terrifiant dont les effets vont jusqu’à rappeler l’hiver purcellien des 4 saisons vivaldiennes du Giardino Armonico, Jacobs est bien évidemment chez lui dans la scène de la folie, gérant en démiurge les brusques changements de tempi de Haendel dont Berlioz semble s’être souvenu pour l’ultime monologue éperdu de sa Didon .
Baptisé B’Rock Orchestra, et mis en avant, comme les chanteurs, par une spectaculaire prise de son, l’orchestre de Jacobs est un festival de couleurs où le continuo invente sans cesse (de lourds pizzicati s’immiscent çà et là dans des récitatifs qui n’impatientent jamais), où les flûtes colorent subtilement le flux de l’instrumentarium haendélien. Dans cette logique, alors qu’un simple récitatif comme le Dormo ancora de la fin du III sonne comme le début de l’Or du Rhin version Solti, on vient à douter de la nécessité des nombreux bruitages (tonnerre, oiseaux, ruissellements…) alla baroque surajoutés le long du chemin musical.
Chaque rôle d’Orlando doit être défendu par de grands chanteurs. Dans l’entourage du héros, la palme revient ici à la Dorinda de Sunhae Im qui met en relief comme jamais la pastourelle Dorinda, pour laquelle Haendel a composé d’irrésistibles parties. Naviguant entre l’état de grâce absolue des lignes de la Cavatine qui ouvre l’Acte II, et la jubilation de son Amore e qual vento, la soprano fait penser à une Zerbinette qui serait émouvante.
L’Angelica pleine de noblesse, à la voix riche et souple, avec des aigus très incarnés (Verdi pianti !) de Sophie Karthäuser enchante. Son Medoro est idéalement complété par le mezzo charnu de Kristina Hammarström. Seul le Zoroastre de Konstantin Wolff se situe en deçà, peinant quelque peu dans son vaillant engagement des vocalises du second tube de la partition Sorge infausta una procella, laborieux déroulé déjà repérable et même couronné par un aigu à la peine dans Tra caligini profonde. A lui néanmoins la morale de l’histoire : « En aimant la raison s’égare… »
Ces réserves ne peuvent entacher la passion hypnotique que l’on ressent à l’écoute et surtout à la réécoute de cet enregistrement torrentueux (2 CD au lieu des habituels 3, curieusement plagés de façon très incommode quant à l’accès aux airs) où René Jacobs vient d’apporter salutairement la vie qui manquait ailleurs à cet opéra. Parions que les auditeurs rétifs à ce type d’œuvre lyrique, dont la configuration un brin schématique que l’on a décrite peut légitimement rebuter, risquent de revoir leur jugement et, rien qu’à ce titre, cette parution salutaire arrive à point nommé dans la discographie quelque peu compassée d’Orlando. »