CD Zoroastre (direction William Christie)

L’oeuvreLe compositeur

ZOROASTRE

Zoroastre

COMPOSITEUR

Jean-Philippe RAMEAU

LIBRETTISTE

Louis de Cahusac

 

ORCHESTRE Les Arts Florissants
CHOEUR
DIRECTION William Christie

Zoroastre Mark Padmore haute-contre
Abramane Nathan Berg basse
Amélite Gaëlle Méchaly dessus (soprano)
Erénice Anna-Maria Panzarella dessus (soprano)
Zopire, la Vengeance Matthieu Lécroart basse
Narbanor François Bazola basse
Oromasès, Voix souterraine d’Ariman Eric Martin Bonnet basse
Céphie Stéphanie Révidat dessus (soprano)

DATE D’ENREGISTREMENT 28 août – 10 septembre 2001
LIEU D’ENREGISTREMENT Théâtre de Poissy
ENREGISTREMENT EN CONCERT non

EDITEUR Erato
COLLECTION
DATE DE PRODUCTION février 2003
NOMBRE DE DISQUES 3
CATEGORIE DDD

Version 1756

 Critique de cet enregistrement dans :

Opéra Mag – juillet/août 2003

« Vingt ans après l’imparfait (mais ô combien captivant !) Zoroastre de Sigiswald Kuijken avec La Petite Bande (DHM), William Christie et Les Arts Florissants explorent à leur tour l’une des plus belles tragédies lyriques de Rameau. Grande triomphatrice dans la version remaniée de 1756 (celle de 1749 fut mal accueillie), cette épopée orientaliste à l’intrigue manichéenne puise son inspiration non pas à la source « classique » de la mythologie, mais à celle du symbolisme maçonnique, qui n’est pas sans rappeler l’intrigue de La Flûte enchantée. Sur une opposition archaïque entre le bien et le mal, la vie et la mort, Rameau compose l’une de ses partitions les plus extraordinaires, mais aussi l’une des plus redoutables techniquement. En 1983, Kuijken offrait un Zoroastre vocalement moyen quoique très poétique, et d’une tenue orchestrale plus éloquente que celle des Arts Florissants. La célèbre formation, sous la battue « agitée » de William Christie, avale avec une indifférence assez démoralisante les moindres nuances dynamiques et inventions de l’ouvrage. Dès l’Ouverture, véritablement précipitée, l’instabilité rythmique déconcerte. Les cou-eurs sont pâles et ternes, parfois jusqu’à la transparence. Où sont donc passés les tons raffinés et les rythmes vifs d’autrefois ? Dans un tel contexte, on ne pouvait s’attendre à des incarnations vigoureuses. C’est un fait, les solistes choisis pour l’occasion ne livrent qu’une vision appliquée, pour ne pas dire maniérée, de cette tragédie qui exige puissance, subtilité et noblesse de ton. Grande déception pour un enregistrement très attendu. »

L’Avant-Scène Opéra – mai/juin 2003

« Depuis 1983, nous vivions heureux avec le premier enregistrement de Zoroastre par Sigiswald Kuijken dirigeant les musiciens de la Petite Bande. Cette intégrale n’est plus la seule désormais. William Christie vient de livrer la sienne. Comme Kuijken, il a choisi la version de 1756. Est-ce la même oeuvre que nous entendons ? Kuijken tirait vers l’épure une tragédie lyrique dont on répète à l’envi qu’elle préfigure, symboles maçonniques à l’appui, La Flûte enchantée de Mozart. La lenteur compassée des tempi, la retenue expressive du chant, l’allégement de l’effectif orchestral, donnaient à la musique de Rameau, ainsi dédramatisée, un supplément d’élévation spirituelle : l’archaïsme devenait moderne. Dans la version de 1756, la galanterie l’emporte presque sur le registre tragique où Rameau n’a pas d’égal. Résultat, le dénouement heureux de Zoroastre peut sembler insignifiant par rapport à la tension accumulée jusqu’à la fin d’un quatrième acte d’une violence dramatique stupéfiante. Kuijken avait gommé ce décalage. Christie, qui joue sur les contrastes, le souligne. Peut-être est-ce pour cela qu’il a choisi de retirer certaines danses de leur contexte pour les regrouper en annexe du troisième CD. Parti discutable mais justifié par la dynamique très dramatique de l’interprétation. On l’aura compris : ce qui fait la différence entre Kuijken et Christie, c’est le théâtre. Christie nous empoigne dès les premières notes de l’ouverture et ne nous lâche qu’une fois la dernière gavotte éteinte. Le premier peint, le second sculpte. Les quelques réserves qu’on avait pu faire naguère sur le « style Christie », à propos de Rameau, n’ont plus guère de prise ici. Le grand ordonnateur des fastes baroques, manifestement, se renouvelle, acquiert un nouveau souffle. Le geste a acquis de l’ampleur, plus de vigueur dans les attaques. L’orchestre, à la sonorité charnue ‘ verdeur des clarinettes, cors moelleux, percussions épicées ‘ est moins corseté. Les basses étoffées font résonner l’édifice harmonique posé sur le socle étincelant que lui donne Béatrice Martin au continuo entourée d’une viole, d’un violoncelle et d’une contrebasse. Tout cela contribue à libérer les voix. Les dix chanteurs réunis pour la circonstance montrent que « chanter baroque » ce n’est plus seulement dessiner des personnages du bout de la voix mais les incarner totalement. Côté hommes, six rôles de basse pour la seule hautecontre du rôle-titre ! La concurrence est rude pour Mark Padmore : le Zoroastre de John Elwes paraît insurpassable. Padmore l’égale souvent, avec une intelligence du chant, une ductilité du timbre qui séduisent dès l’ariette d’entrée « Aimable et digne objet de l’amour le plus tendre ». Les aigus sont d’une grâce indicible (« Mon âme vole dans les cieux »), les graves un peu moins aisés. Nathan Berg prête au méchant Abramane ‘ un des tout grands rôles de basse du répertoire d’opéra ‘ un timbre ferme, égal, ni trop sombre ni trop dur, et que ne gêne pas l’abaissement du La à 392 Hz, ce qui n’est pas le cas pour le Narbanor de François Bazola. Le rôle de Zopire semble écrit exprès pour Matthieu Lécroart qui se charge aussi de la Vengeance. La variété de couleurs de ces basses est fort appréciable dans la sonorité d’ensemble. Eric-Martin Bonnet possède un médium large et bien timbré, manié avec une belle franchise d’accent. Il fait d’Oromasès ce qu’il est réellement sur le plan dramatique : l’équivalent d’Abramane, mais au royaume de la Lumière. La distribution vocale de Zoroastre, irréprochable sur le plan de la prononciation et de l’accent, amoindrit, sans toutefois le faire disparaître tout à fait, ce qu’on a pu regretter parfois dans les précédentes distributions dirigées par Christie : la différence de format entre ce que sont les « grandes voix » et les « jolies voix ». Seule Anna Maria Panzarella ‘ la seule aussi qui, de toute la distribution, garde des tics maniéristes d’un type de chant « baroque » qui commence à dater ‘ fait sentir à plusieurs reprises les limites sa « jolie » voix dans Erinice. En revanche, la façon naturelle avec laquelle Gaëlle Méchaly intègre l’ornementation dans le phrasé contribue à créer une Amélite émouvante et noble dans son inquiétude amoureuse. Il faut ajouter que lui sont confiées quelques-unes des ariettes les plus admirables de la partition. Céphie ne lui cède en rien : Stéphanie Révidat fait face en parfaite musicienne aux exigences ornementales de son rôle. Dans Zoroastre, Rameau fait couler à plein bord l’or vocal du récitatif, et quel récitatif ! L’incontestable réussite de Christie, en dépit des quelques critiques mineures qu’on a faites, est de l’avoir compris en profondeur. On ne saurait oublier d’ajouter que le choeur et l’orchestre des Arts florissants mettent le comble à la splendeur sonore de cette interprétation « théâtrale » au meilleur sens du terme. Avec des interprétations comme celle-là, Rameau devient un compositeur actuel. Zoroastre serait-il sa plus belle tragédie lyrique ? La question est inutile puisqu’on se la pose aussi après avoir écouté chacune des quatre autres. À quand l’intégrale de la version primitive de 1749 désormais publiée dans l’édition monumentale des oeuvres de Rameau ? Rêvons toujours. »

Crescendo – avril-mai 2003 – appréciation 9 / 10

« L’interprétation que nous propose William Christie de cette oeuvre imposante est excellente à bien des égards. En effet, l’intensité de la narration dramatique ne fléchit jamais, et les personnages apparaissent consistants, vivants, présents, totalement investis dans une intrigue riche en rebondissements. La réalisation orchestrale est réellement admirable de précision, de lucidité et de souplesse, tandis que les interventions du choeur n’appellent que des commentaires flat-teurs. Non, vraiment, il ne manque à cet enregistrement qu’un soupçon de vibrante humanité (bien présente dans l’enregistrement de Sigiswald Kuijken) et un rien de présence vocale supplémentaire de la part d’un plateau qui brille davantage par son travail d’équipe que par ses individualités pour nous emmener définitivement vers les cimes du génie ramélien… »

Classica – mai 2003 – appréciation 4 / 5

« Hélas, l’effet général de l’entreprise de Christie est parfois décevant. Certes, les solistes sont judicieusement choisis. Gaëlle Méchaly s’y révèle investie, Anna-Maria Panzaella est fluide tandis que Mark Padmore soutient son rôle-titre avec foi. Les Arts Florissants réussissent sans peine de très beaux passages élégiaques, la fureur et l’épaisseur sonore manquant parfois aux mouvements alertes. D’une manière générale, on sent tout au long de l’écoute le soin apporté par Christie et sa grande humilité face à Rameau, qui empêchent l’emportement naturel et la liberté d’expression (récitatifs parfois trop métronomiques). Si elle n’est pas non plus aidée par un choeur à l’engagement hésitant et au rendu sonore chétif, l’entreprise de Christie reste cependant à saluer. »

Opéra International – avril 2003 – appréciation 5 / 5

« William Christie a choisi moins d’y servir la spiritualité et l’abstraction que d’y faire vivre les sentiments de chaque rôle, ainsi que la substance mélodique et timbrique (en cela, il se situe à l’opposé de l’optique que Sigiswald Kuijken avait adoptée dans son enregistrement paru il y a presque deux décennies). Christie sert moins le spectaculaire que le cheminement des affects et des structures d’écriture. Les moyens mis en oeuvre sont à la hauteur des options tempi assez allants, une certaine vocalité instrume ntale, des timbres séduisants et des danses plastiquement irréprochables. Le plateau vocal convainc presque totalement. Les titulaires des voix masculines graves appellent bien des éloges, tels François Bazola et Eric Martin-Bonnet dans des emplois secondaires, Matthieu Lécroart (efficace Zopire), mais surtout Nathan Berg dans le difficile rôle d’Abramane : une diction plus qu’acceptable, une voix longue et constante en densité quels que soient les registres, et un sens rhétorique et dramatique aigu. En Zoroastre, Mark Padmore intéresse toujours, touche presque aussi souvent, même si, par sa nature dramatique et par sa densité vocale, il n’équivaut pas totalement le titulaire idéal et maintenant traditionnel de ces rôles de haute-contre ramistes Paul Agnew.

Les voix de femmes nous laissent légèrement sur notre faim : Anna-Maria Panzarella – elle est tou-jours une musicienne fine et touchante – n’est pas en cause, mais le rôle d’Erinice méritait un timbre plus charnu et plus dramatique. Gaêlle Méchaly offre des maniérismes vocaux – chaque son, notamment dans l’aigu, est attaqué sans aucun vibrato, avant d’être affecté d’un vibratello contraint – qui empêchent sa nature, si spontanée, de s’exprimer pleinement. Peu de regrets au regard d’une importante contribution à la discographie ramiste. »

Répertoire – avril 2003 – 7 / 10

« L’enregistrement a été réalisé après une série de concerts où des coupures avaient été opérées. Ces danses sont ici restituées en fin du troisième CD, ainsi que la scène finale de la version de 1749. Il manque toutefois la Chaconne (Acte V, 7), présente chez Kuijken…Du point de vue de l’interprétation, si l’on admet les options vocales de William Christie, on ne trouvera rien à redire. Les chanteurs sont à l’aise dans un type d’émission, de diction et de vocalité que le chef ne cesse de développer depuis un quart de siècle. Mais tout de même (et une fois de plus !)… Faut-il distribuer Erinice et Amélite à des voix aussi légères que celles d’Anna Maria Panzarella et Gaëlle Méchaly? Faut-il nécessairement s’accommoder, dans Rameau surtout, de cette émission qui semble aussi peu naturelle que possible, maniérée, précieuse?..Mark Padmore, dans le rôle principal, est plus satisfaisant, encore que l’aspect héroïque du personnage lui échappe un peu…En revanche, la direction orchestrale et chorale de William Christie est, comme à l’accoutumée, théâtrale à souhait, colorée et traduit bien la dualité du drame. Et les nombreuses danses sont un modèle d’élégance et de souplesse. »

Le Monde de la Musique – avril 2003 – appréciation 4 / 5

« Christie connaît son Rameau, marque sans excès l’opposition entre démonisme et élégie, fait subtilement ressortir les détails instrumentaux (comme ces clarinettes, instruments  » maçonniques  » doublant les haut-bois) et mâche le travail à ses chanteurs. Mais le très musical Mark Padmore peine à soutenir la tessiture très aiguë de Zoroastre (le lumineux Eric Tappy, qui fut exemplaire dans le rôle à la salle Favart, n’a décidément pas été remplacé), et Gaëlle Méchaly manque de couleurs dans le rôle de la gentille mais héroïque Amélite. Nathan Berg, et surtout la bouillante Anna Maria Panzarella, excellente en Hermione persane, sont plus convaincants, entourés de seconds rôles correctement tenus. »

 Diapason – avril 2003 – appréciation 3 / 5 – technique 8 / 10

« William Christie choisit la même version de Zoroastre que Sigiswald Kuijken dans son effort pionnier de 1983, sans en combler les déficits – sinon sous la forme, utile pour le savant, de quelques appendices. Vingt ans plus tard, est-il encore besoin de marteler que le genre exige des interprètes de première grandeur, sachant sculpter la parole et la phrase musicale avec éloquence, souplesse, une constante variété de couleurs et d’accents ? Il semblerait qu’un tel rappel demeure indispensable, tant la distribution nouvelle creuse les failles d’antan. Amélite engloutit Gaëlle Méchaly, qu’une voix pure et agile, mais minuscule et monochrome, prédispose aux emplois de Cupidon ; cette substance lui interdit de colorer jusqu’aux voyelles qu’elle chante – ne parlons même pas de nuance ou d’émotion. Anna-Maria Panzarella, au timbre plus consistant, glisse à la surface du rôle auquel elle ne confère ni passion ni terreur. Le métal héroïque et la dimension spirituelle font défaut à l’excellent maïs par trop suave Mark Padmore, tandis que Nathan Berg, de sa voix ample mais tendineuse, à l’intonation floue, esquisse un méchant sans ambiguïté ni grandeur tragique. Si William Christie reste un maître du « gracieusement », ce qui nous vaut un délicieux divertissement de l’acte III, il n’ose s’aventurer sur les terres du pathos…l’orchestre, en petite forme, semble observer la pièce sans y prendre part, il dissimule à notre regard jusqu’aux plus savoureux détails instrumentaux censés porter l’action et faire vibrer les âmes. »

Ramifications – mars 2003

  « En 1756, Zoroastre s’affirma comme l’un des plus grands succès de Rameau : quel magnifique retournement de situation après le tiède accueil qui lui avait été réservé en 1749 à sa création ! Il lui fallut cependant un remaniement radical, intrigue et musique confondues, des actes 2, 3 et 4 pour que le public le comprenne et l’acclame enfin. La dualité fondamentale entre le Bien et le Mal qui sous-tend cette tragédie lyrique était peut-être trop schématique et brutale et ses acteurs, issus d’anciennes sources religieuses persanes, inaccessibles. Louis de Cahusac, le librettiste (et secrétaire du grand maître de la grande loge maçonnique de France), affina les personnages, s’intéressa davantage aux femmes amoureusement impliquées dans cette lutte manichéiste, humanisa ses guerriers de l’obscurité et de la lumière, défenseurs à peine masqués des idéaux maçonniques. Vertu, liberté, égalité contre ignorance, orgueil et ambition. Zoroastre face au noir sorcier Abramane et, à leurs côtés la pure Amélite et la sombre Erinice. Rameau précéda donc Mozart et sa Flûte enchantée dans l’écriture d’un opéra « franc-maçon ». Les contrastes musicaux sont superbes, entre explosion de lumière et profondeurs ténébreuses, dont l’acte IV, obscur et puissant, demeure un exemple de référence. Appuyons encore la force novatrice de cette oeuvre : pour la première fois, le prologue est abandonné au profit d’une ouverture intensément dramatique qui s’inspire de l’entièreté du sujet de la tragédie et s’avère bien davantage qu’une simple introduction décorative. L’expressivité des récitatifs de Rameau les rapproche fortement des airs, ce qui creuse encore la différence entre les manières française et italienne, la première refusant de rompre le fil de l’émotion musicale et, à l’inverse, le rythme du discours puisque les airs français en épousent étroitement le rythme. Ajoutons la force des interludes dramatiques, de la même veine que l’ouverture et la place prépondérante des morceaux chorégraphiques qui tiraient idéalement partie du goût prononcé de l’époque pour les machineries compliquées révélant monstres, châteaux, étranges apparitions de toutes sortes. Le plaisir des yeux, l’amour naïf et enfantin des effets spéciaux joints à la musique et à l’aventure des êtres d’exception qui évoluaient sur scène ne sont pas si risibles quand on les compare à ces attractions cinématographiques qui nous captivent aujourd’hui dans les salles obscures ! Toutes proportions gardées, dirons-nous, pour ménager les érudits épris de « grande musique » et les fondus de technologie moderne… L’imagination était à l’honneur, accompagnée d’orchestrations expressives, d’harmonies audacieuses et du génie de la danse. William Christie le saisit parfaitement, à la tête de ses musiciens des Arts Florissants, clairs, subtils, étincelants, d’une habileté intelligente et bien trempée. Les solistes s’en donnent à coeur joie : élégance raffinée de Mark Padmore-Zoroastre, fraîcheur argentée de Gaëlle Méchaly-Amélite, effrayante puissance de Nathan Berg-Abramane et grâce vénéneuse d’Anna Maria Panzzarella-Erinice… Un enchantement qui nous plonge dans l’époque fascinante du classicisme français à son apogée et nous dévoile une des indénombrables facettes du talent si diversifié de Jean-Philippe Rameau. »