L’Empio Punito (L’impie puni)

COMPOSITEUR Alessandro MELANI
LIBRETTISTE Giovanni Filippo Apolloni et Filippo Acciaiuoli

 

Création le 17 février 1669 dans les salles du Palais du Seigneur Connétable Colonna à Borgo.

La représentation réunit « les meilleurs chanteurs, avec un somptueux appareil, de très riches habits, de charmants et très beaux changements de décors et perspectives, des symphonies et des ballets superbes, en présence de SM la Reine de Suède, de quasiment tous les Seigneurs Cardinaux, des Ambassadeurs, des Princes et de la Noblesse, à la pleine satisfaction de toute la Cour. »

Une nouvelle représentation eut lieu le 19 février, devant un public non moins choisi que la première, puisque l’ambassadeur d’Espagne, les cardinaux Chigi et Rospigliosi et pratiquement tous les membres de la famille Rospigliosi y assistèrent.

La distribution réunissait notamment le soprano Giuseppe Fede (1640-1700), qui faisait partie des chanteurs de la Chapelle Sixtine et avait également participé à la création de Dal male il bene (1654) pour les Barberini, et à la Comica del Cielo (1668) pour les Rospigliosi, ainsi que la basse Francesco Verdoni (1645-1694).

Le livret serait le résultat d’une collaboration entre Filippo Acciaiuoli (1637-1700), machiniste et librettiste, proche des Colonna et de Christine de Suède, et Giovanni Filippo Apolloni (v. 1635-1688), librettiste, auteur de L’Argia et de la Dori pour Cesti. Il est inspiré du Convitato di piedra (le Convive de pierre) de Giacinto Andrea Cicognini, popularisé en Italie par la commedia dell’arte.

L’Empio punito est la première adaptation musicale du mythe de Don Juan.

  

Argument

Don Juan, ici prénommé Acrimante, délaisse son épouse Atamira pour la jeune Ipomene, fille du roi de Macédoine Atrace. Bibi, son serviteur, comme Leporello, est complice de ses entreprises auprès d’Ipomene. Condamné à mort par le roi Atrace, Acrimante est sauvé par son épouse qui remplace le poison par un somnifère. Acrimante surpris par Tidemo, précepteur d’Ipomene, tue ce dernier qui telle la statue du commandeur réapparaît pour entraîner Acrimante dans les flammes de l’enfer.

 

D’abord célèbre pour ses oratorios et sa musique liturgique, Alessandro Melani compose sur commande pour Maria Mancini Colonna, nièce de Mazarin et maîtresse de Louis XIV, le premier opéra ayant pour sujet Don Juan. Son imprésario et librettiste, auteur dramatique, inventeur de machines rocambolesques et de petits théâtres de marionnettes extravagants, Filippo Acciaiuoli donne à l’intrigue de Tirso de Molina une dimension caustique et burlesque, tout en le situant dans un univers princier. Cet opéra jette un pont entre le lyrique, le style comique toscan et la renaissance de l’opéra romain. Le 17 février 1669, Don Juan chante pour la première fois dans les somptueux salons du Palazzo Colonna à Rome. Le jeune Alessandro Melani, appelé dans la ville sainte par son compatriote le pape Clément X, grand amateur d’opéra au point d’écrire lui-même des libretti, lui prête son écriture dense, souvent contapuntique : il évite le récitatif trop statique, préfére juxtaposer airs, duos et ensembles reliés par des ariosos, crée un tissu musical flexible et dynamique pour un livret dû à la meilleure plume dramatique de Rome, celle de Filippo Acciaiuolo. Esprit caustique et  » baroque « , homme de théâtre accompli, celui-ci transpose l’intrigue de Tirso de Molina dans une cour princière antique sans rien lui faire perdre de la portée mythique, ni de la saveur burlesque qu’on retrouvera un siècle plus tard dans le dramma giocoso de Mozart et da Ponte. (Opéra de Montpellier – présentation)

 

Alessandro Melani fut maître de Chapelle de la cathédrale de Ferrare et de Sainte Marie Majeure à Rome. Important précurseur d’Alessandro Scarlatti, il établit un pont entre l’opera seria de style toscan et l’opera seria de style romain. L’Empio punito (L’Impie puni), composé en 1669 pour le palazzo Colonna de Rome sur un livret de Filippo Acciaiuoli, est le premier opéra de l’histoire de la musique qui a pour sujet Don Juan…La musique de Melani, héritière de la dernière façon de Cavalli, emploie une rythmique extrêmement variée qui permet de caractériser et différencier les personnages bouffes comme Bibi et Delfa, des personnages dramatiques comme Atamira à qui elle réserve des lamentos sublimes, comme dans le fameux air « Piangete, occhi, piangete » (Pleurez, mes yeux,pleurez). (Festival International d’Opéra Baroque 2004)


Représentations

  Montpellier – Festival de Radio France et Montpellier – 23 juillet 2004 – Beaune – Festival International de Musique baroque – 24 juillet 2004 – recréation en coproduction Opéra de Leipzig – version de concert – Les Talens Lyriques – clavecin, orgue positif et dir. Christophe Rousset – avec Gaële Le Roi (Acrimante), Anne-Lise Sollied, soprano (Atamira), Kristina Hansson, soprano (Cloridoro), Salomé Haller, soprano (Ipomene), Evguenyi Alexiev, basse (Bibi), Emiliano Gonzales Toro, ténor (Delfa), João Fernandez, basse (Atrace), Robert Getchell, ténor (Telefo, Statua di Tedemo)

 

Opéra International – septembre 2004 – 24 juillet 2004

  « A Beaune, ville dédiée à Bacchus, l’opéra, sans mises en scène, n’est jamais dans la salle et aucun snob n’y cuve son rosé sous les étoiles. Au contraire, ce sont ferveur et générosité qui président aux week-ends du plus ancien festival de musique baroque de France. L’Empio punito d’Alessandro Meiani fut joué devant Christine de Suède, à Rome en 1669. Exhumé par Christophe Rousset et ses Talens Lyriques en formation minimale (deux violons, deux flûtes, violoncelle, contrebasse, harpe, clavecin et orgue), ce premier Don Giovanni s’inscrit dans la lignée des opéras de Rossi et de Cesti : usage intense du recitar cantando, des lamenti, ariosi, canzonette et ballets, malheureusement coupés par Rousset qui prétexta la longueur (quatre heures) de l’oeuvre intégrale. Le livret, remarquable, est de Filippo Acciaiuolli, imprésario florentin et concepteur de machines théâtrales et de marionnettes, qui transfère la trame de Tirso de Molina dans une cour antique. Don Juan se nomme Acrimante et son valet, Bibi. Comme Leporello, il se plaint de manger peu et rêve d’autant de conquêtes que son maître, une figure bien XVIIe siècle du libertin défiant Dieu mais en proie aux doutes et aux remords. Acrimante bravera un convive de pierre et disparaîtra aux Enfers. Alessandro Melani, fils d’un sonneur de cloches de Pistoia et sixième frère du fameux castrat et espion Atto Melani, mélange le noble, le sublime, le burlesque et le grossier, atouts d’un opéra baroque non encore stérilisé par Métastase. Les couleurs sont souvent celles de Charpentier, dont les jeunes oreilles ont entendu de telles oeuvres à Rame. Rousset réunit une distribution brillante où se distinguèrent, par leur engagement, le soprano fulminant de Gaële Le Roi (Acrimante) et les timbres élégiaques d’Anne-Lise Sollied (Atamira) et de Salomé Haller (Ipomene). Les personnages comiques étaient le sémillant ténor bouffe Emiliano Gonzales Toro (Delfa) et la jeune basse Evgueniy Alexiev. »

 Anaclase.com – 23 juillet 2004

« Mieux vaut tard que jamais » On s’en souvient, l’Opéra National de Montpellier annonçait, il y a deux ans, une production de « L’Empio punito », opéra de Alessandro Melani écrit en 1669 pour honorer une commande des princes Colonna. Initialement prévue pour juillet 2003, on était surpris, à la lecture de la brochure de programmation du Festival de l’an dernier – qui d’ailleurs ne devait pas avoir lieu, finalement – de constater un pur et simple passage à la trappe demeuré inexpliqué. La réalisation s’était cependant bel et bien faite, à l’Opéra de Leipzig, début juin 2003, dans une mise en scène de Eric Vigner. Edition 2004 du Festival de Radio France et de Montpellier : L’Empio punito est bien là » mais en version de concert !

C’est mieux que rien, certes, mais c’est tout de même frustrant, d’autant que l’ouvrage – sans doute le premier à représenter, sous des traits largement reconnaissables bien que les noms des personnages soient complète-ment indépendants du mythe, l’histoire du séducteur, jouisseur et impie Don Juan, délicieux abuseur de Séville précipité aux Enfers par la statue d’un quidam qu’il avait lui-même occis – s’avère diablement théâtral.

Christophe Rousset et ses Talens yriques – qu’on ne remerciera jamais assez pour leur travail de redécouverte permanent – nous donnaient une lecture pleine de relief et de surprise de ce plaisant opéra, scrupuleuse-ment expressive tout en ayant soin du moindre détail de style. La distribu-tion vocale était plutôt inégale, et l’on ne comprit pas pourquoi le rôle de l’abuseur initialement écrit pour un castrat élevé, était confié ce soir à une soprano plutôt qu’à un sopraniste. Gaëlle Le Roi interprétait donc un Acrimante peu convaincant, tout en démonstration, minaudant sans cesse, d’un chant maniéré plutôt que nuancé dans lequel on eut bien des difficul-tés à reconnaître les qualités et le talent affirmés par cette artiste à ses débuts. En août dernier, à Drottningholm, elle nous avait déjà déçus dans le rôle d’Oberto de l’Alcina de Haendel, paraissant alors vouloir adopter les pires tics et trucs de madame Von Otter ; aujourd’hui, la tendance s’est malheureusement radicalisée. C’est dommage : la voix est riche, avec des aigus pleins et remarquables, mais le medium menace d’une vertigineuse béance qui bientôt pourrait nuire à l’arrivée des notes extrêmes. A l’heure actuelle, elles sortent sans soucis, mais demain ?…

En revanche, on a retrouvé pour ce concert quelques voix toujours fiables, comme celle de Salomé Haller servant magnifiquement le personnage d’Ipomene, qui formait un duo des plus équilibrés avec le Cloridoro superbement coloré et projeté de Kristina Hansson. Atamira était l’excellente Anne-Lise Sollied, un peu gênée ce soir par des aigus qui collent (sans doute un contrecoup de la chaleur et des ambiances climatisées qu’elle exige), ce qui ne l’empêcha pas d’offrir un éventail de nuances fort appréciable. Le ténor d’origine chilienne Emiliano Gonzalez-Toro est de plus en plus présent sur la scène baroque ; il campait ici Delfa, l’amoureuse du valet Bibi, selon une tradition buffa peut-être héritée de Naples. Tout en se montrant volontiers drôle et inventif, il sut ménager quelques moments de musique d’une douceur exceptionnelle, rendant le personnage attachant au-delà d’une simple incarnation comique. Enfin, le roi Atrace était avantageusement tenu par la jeune basse portugaise João Fernandez dont on n’a pu qu’admirer la parfaite égalité sur toute l’étendue de la tessiture, offrant des graves évidents et sonores, un passage dans le médium d’une rare souplesse, et un aigu facile, ne changeant rien à la couleur générale, et sans jamais forcer. Lorsqu’en plus, la diction est exemplaire tant dans les airs que dans les récitatifs, et que la nuance s’avère naturelle, on touche à l’idéal. »

 

Leipzig – Opéra – 30 mai, 1er, 3 et 4 juin 2003 – Montpellier – Opéra Comédie – 16 et 17 juillet 2003 (annulé) – Les Talens Lyriques – dir. Christophe Rousset – mis en scène Eric Vigner – costumes Paul Quenson – avec Marguerite Krull (Acrimante), Kristina Hansson (Cloridoro), Kathring Göring (Ipomene), Tomas Pursio (Bibi), Martin Petzold (Delfa), Paul Kong (Atrace), Marika Schönberg (Atamira) – Nouvelle coproduction avec le Bachfest Leipzig 2003, l’Opéra National de Montpellier, le Festival de Radio-France et de Montpellier

Opéra International – juillet/août 2003« Christophe Rousset nous apprend dans le programme que les frères Jacopo et Alessandro Melani, nés a Pistoia, vinrent se fixer à Rome lorsque Giulio Rospigliosi, également originaire du grand-duché de Toscane, fut élu pape sous le nom de Clément IX, en 1667. Chacun d’eux se vit bientôt confier la composition d’un opéra, « Il Girello » à Jacopo et ‘L’Empio punito’ à Alessandro.

L’auteur du livret revenant à ce dernier était le Florentin Filippo Acciaiuoli, qui passe pour être le premier à avoir porté sur la scène lyrique le personnage de Don Juan, bien qu’il n’y figure pas sous ce nom, mais qu’il soit aisé à reconnaître dans le séducteur Acrimante. Les péripéties extrêmement nombreuses de l’action, qui, sans coupures, durerait quatre heures, restent difficiles à suivre dans la production dramaturgiquement peu différenciée d’Eric Vigié, signataire de la mise en scène et des décors, qui offre une noble esthétique dans le style orientaliste qui exerça une véritable fascination en Europe. Les costumes dus à Paul Quenson contribuent à densifier l’atmosphère lisse et un rien mystérieuse.

Le plaisir d’une découverte musicale de haut rang fut sans nuage, Chris-tophe Rousset ayant modelé, aves ses « Talens Lyriques », une lecture extrêmement sensible et délicate d’une partition qui, tout en se situant dans le sillage de Francesco Cavalli, Luigi Rossi et Antonio Cesti, n’a rien d’épigonal. Aucune nuance n’échappe à Rousset dans ses fonctions de chef d’orchestre, de participant au continuo ou d’accompagnateur au clavecin. Bien dans la tradition de l’époque, le personnage de Bibi, serviteur d’Acrimante, et celui de Delfa, nourrice d’Ipomene, chanté par un ténor, pourvoient à la vis comica. Le premier est défendu avec verve par Tuomas Punsio, le second par Martirn Petzold. La distribution ne trahissait pas de faiblesse, mais parfois seulement par une similitude de timbres dans les voix féminines. Les plus marquantes, sans pour cela manquer de rendre justice à Kristina Hansson pour sosn portrait convaincant de Cloridoro, étaient celles de Kathrin Göring, délicieuse Ipomene, et avant tout de Marguerire Krull, remarquable d’intensité dans le rôle d’Acrimante. »

L’expression humaine transcendée dans les formes d’art les plus raffinées. (Présentation de Christophe Rousset)  

« Alors que Giulio Rospigliosi est récemment élu pape sous le nom de Clément IX, les frères Jacopo et Alessandro Melani quittent Pistoia pour Rome où il se font introduire auprès des princes Colonna, grâce aux recommandations de leur frère Atto (castrat de renommée internationale et également espion à la solde de Mazarin). On leur confiera aussitôt la composition d’un opéra chacun : Il girello (1668) à Jacopo et L’empio punito (1669) à Alessandro.

Le librettiste de « L’empio punito » reste masqué dans le livret imprimé que nous avons consulté à la bibliothèque de Bologne. Il est en revanche attribué à Filippo Acciaiuoli sur la partition manuscrite conservée à la bibliothèque vaticane à Rome. Ce florentin était imprésario, compositeur et concepteur de machines de théâtre. Il semble être le premier à avoir mis le personnage de Don Juan sur une scène d’opéra. Rien cependant dans les noms des personnages ne nous l’indique. On ne met pas longtemps à reconnaître le séducteur Acrimante (confié à la voix de soprano d’un castrat) qui délaisse sa femme Atamira, errante à sa recherche, qui veut séduire la fille du roi la jeune Ippomene, promise à son meilleur ami Cloridoro. On reconnaît sans peine le valet d’Acrimante sous les traits de Bibi, à la fois las des frasques et des intrigues de son maître mais proprement fasciné et stimulé dans les actes les plus audacieux. Condamné à mort par le roi Atrace, Acrimante est sauvé par sa femme Atamira qui substitue un somnifère au poison. Reconnu par Tidemo, Acrimante le tue. Ce mort dérangé dans son sommeil réapparaîtra sous forme de statue et entraînera Acrimante dans les feux de l’Enfer.

La musique d’Alessandro Melani est parfaitement conforme au style de l’opéra italien de la seconde moitié du XVIIème siècle italien. Elle est héritière du dernier Cavalli, de Rossi et de Cesti (florentin). Musique d’alternance entre des ritournelles à deux dessus instrumentaux et basse continue, des récitatifs en « recitar cantando » aux coloris tout florentins, des ariosos, des airs de type « canzonetta », d’airs de vastes proportions accompagnés par les instruments aux formes les plus variées, souvent strophiques. La musique au contraire de Cesti par exemple, utilise une rythmique extrêmement variée qui caractérise de façon irrésistible les personnages populaires de Bibi et de Delfa, qui donne lieu à de sublimes lamenti pour les personnages tragiques. Le rôle d’Acrimante est, on s’en doute, particulièrement riche et les instruments renforcent de façon remarquable le sens des mots chantés par Acrimante et la tension dramatique à laquelle il trouve confronté. Après la mort d’Acrimante, Atamira acceptera la main du roi Atrace qui la courtisait, Cloridoro et Ippomene retrouveront confiance l’un en l’autre, et Delfa et Bibi s’uniront, tels des personnages tirés d’un conte de Boccace.

« Lieto fine » donc pour ce premier Don Giovanni où comme toujours tout le monde reste un peu troublé de la diabolique insolence du personnage central, à la fois expression fascinante de totale liberté, d’immoralité et de bestialité la plus crue. L’œuvre, aux beautés innombrables, a dû cependant être coupée pour atteindre des proportions possibles pour une réalisation moderne. Le peintre Salvator Rosa qui avait assisté à l’une des représentations romaines chez les princes Colonna avait déploré les proportions gigantesques de l’œuvre : on atteindrait facilement les quatre heures de spectacle sans coupures ! C’est probablement dans l’opéra italien du XVIIème siècle que le terme de « baroque » s’applique et se vérifie le plus. »