Il Falcone

IL FALCONE / CHI SOFFRE, SPERI / L’EGISTO

COMPOSITEUR Virgilio MAZZOCCHI / Marco MARAZZOLI
LIBRETTISTE Cardinal Giulio Rospigliosi

 

Écrit en collaboration entre Virgilio Mazzocchi et Marco Marazzoli, cette comédie en trois actes et un prologue fut représentée à Rome, au Palazzo Barberini alle Quattro Fontane, en février 1637 (notamment le 13), en l’honneur de Frédéric de Hesse, avec comme interprètes Angelo Ferrotti, Marco Marazzoli (?), Marc’Antonio Pasqualini, Loreto Vittori.

Selon certaines sources, l’oeuvre aurait été exécutée en 1637 sous le nom de Il Falcone, et reprise, modifiée, en 1639, sous le nom de Chi soffre, speri.

Selon d’autres, on attribue à Marazzoli l’intermède de l’acte II, La fiera di Farfa, qui, augmenté d’autres intermèdes, aurait été présenté le 3 février 1639 sous le nom de Il Falcone.

L’œuvre est également connue sous le titre de l’Egisto, et c’est sous ce nom qu’elle fut représentée à Paris, en petit comité, et sans effets de mise en scène, à l’initiative de Mazarin, dans la petite salle du Palais Cardinal, lors du mardi-gras de 1646, en présence des reines de France et d’Angleterre, du duc d’Orléans, du prince de Condé, du prince Thomas de Savoie et des cardinaux Antonio Barberini et Mazarin (*).

(*) Jusqu’à une date récente, on pensait qu’il s’agissait de L’Egisto de Francesco Cavalli. Il revient à la musicologue Barbara Nestola d’avoir établi, à partir de recherches à la BNF en 2008, qu’il s’agissait de Chi soffre, speri.

L’œuvre fut accueillie de façon mitigée, mais Anna Francesca Costa dite la Checca fut très applaudie.

Anna Francesca Costa (?) par Cesare Dandini

Madame Motteville, favorite d’Anne d’Autriche, n’en garda pas un bon souvenir, notant dans ses Mémoires : Le mardi-gras, la reine fit représenter une de ces comédies en musique dans la petite salle du Palais-Royal, où il n’y avait que le roi, la reine, le cardinal et le familier de la cour, parce que la grosse troupe des courtisans était chez Monsieur, qui donnait à souper au duc d’Enghien. Nous n’étions que vingt ou trente personnes dans ce lieu, et nous pensâmes mourir de froid et d’ennui.

En revanche, le résident de Toscane, Barducci, loua les acteurs qui avaient, par leur excellence et leur manière de réciter, surpassé l’opinion que se formaient les Français. Par dessus tout, la Checca Costa fut fêtée par Leurs Majestés et applaudie par tous les autres assistants.

Outre la Checca, figuraient dans la distribution trois castrats âgés de quatorze à seize ans : Giuseppe Bianchi, jeune homme de bonne prestance et qui possède une très belle voix, Marc’Antonio Sportonio dit il Bolognese (*), qui chante bien, est de bonne école, possède beaucoup de grâce et une voix puissante, et Domenico Dal Pane, dit Domenichino (**), qui chante bien et promet beaucoup.

(*) Marc’Antonio Sportonio, né vers 1631, mort après 1680. Il étudia au Collège germano-hongrois, à Rome, de 1644 à 1648, avec Carissimi, puis fut attaché au duc de Modène. Après avoir chanté dans l’Orfeo de Luigi Rossi, il se fixa à Palerme, où il donna la première représentation d’opéra, avec Il Giasone de Cavalli. Il composa plusieurs opéras, représentés à Naples.

(**) Domenico Dal Pane, né vers 1630, mort le 10 décembre 1694, fut, comme Marc’Antonio Sportonio, élève au College germano-hongrois de Rome, sous la direction de Carissimi, de décembre 1645 à novembre 1646. Il entra à la Chapelle Sixtine en 1654, et en devint maître de chapelle de 1669 à 1679. Il écrivit de la musique religieuse dans le style de Palestrina, et des madrigaux.

Jean-Baptiste Lulli, arrivé à Paris comme garçon de chambre de la duchesse de Montpensier, se serait lié d’amitié avec Sportonio et Domenichino, les deux putti (angelots) qui étaient sous la surveillance du compositeur Venanzio Leopardi.

 

Quoi qu’il en soit, Chi soffre, speri est considéré comme un des premiers opéras de caractère bouffe : il emploie des personnages de la commedia dell’arte et des figures de la vie italienne contemporaine.

 

 » Inspiré du Décaméron de Boccace, le livret de la main du cardinal Giulio Rospigliosi, futur pape Clément IX, relate les amours contrariés d’Egisto (un rôle de travesti), noble ruiné mais fier, et d’Alvida, riche veuve. Mêlant musique (souvent dans le registre du « parlar cantando », parler-chanter), danse et personnages de la commedia dell’arte, l’œuvre se compose d’une succession de scènes pastorales tour à tour tragiques, émouvantes ou burlesques (les personnages de Zanni et Coviello en particulier). L’opéra culmine avec l’intermède entre l’acte deux et trois, La Fiera di Farfa, scène de marché fort animée que nous avait révélé Vincent Dumestre (disque Alpha), soulignant les analogies manifestes avec le Combattimento de Monteverdi. L’ouvrage mêle populaire et savant, langue italienne et dialectes (napolitain, bergamasque), le livret contenant par ailleurs de nombreux sous-entendus, symboles religieux (le sacrifice du faucon’). » (ResMusica)
Personnages: Egisto, amant d’Alvida, soprano ; Silvano, son vieil ami, basse ; Coviello (ténor), Zanni (ténor), serviteurs d’Egisto ; Moschino, son page (soprano) ; Eurilla (soprano) ; Silvia (oprano) ; Colello, fils de Coviello (soprano) ; Fritellino, fils de Zanni (soprano) ; Lucinda, en habits d’Armindo, servante d’Alvida et amante d’Egisto, en réaliré sa soeur (soprano) ; Alvida, jeune veuve (soprano) ; Rosilda (soprano) ; Dorillo (soprano) Tirinto (soprano), Fileno (ténor), bergers ; Dafne (soprano) ; Lidia (soprano) ; Clori (soprano).

Premier intermède : Zanni, Coviello, un berger, une nymphe

Second intermède : une dame, Zanni, Fritellino, Coviello, Colillo

Troisième intermède : Eurilla, Lidia, Clori, Licori

 

Représentations :


Opéra de Massy (91) – 4 février 2012 – Théâtre d’Herblay (95) – 10 février 2012 – Théâtre de Poissy (78) – 16 février 2012 – Les Paladins – dir. Jérôme Corréas – mise en scène Jean-Denis Monory – chorégraphie Françoise Denieau – scénographie Adeline Caron – lumières Olivier Oudiou

 

Abbaye de Royaumont – 20 juillet 2011 – Pontoise – Théâtre des Louvrais – 29, 30 septembre 2011 – Paris – Théâtre de l’Athénée Louis Jouvet – 19 au 23 octobre 2011 – Opéra de Massy – 4 février 2012 – Théâtre de Poissy – 16 février 2012 – Herblay – Théâtre Roger Barat – février 2012 – Les Paladins – dir. Jérôme Corréas – mise en scène Jean-Denis Monory – chorégraphie Françoise Denieau – scénographie Adeline Caron – lumières Olivier Oudiou – avec Murieele Ferraro (Egisto), Jan Jeroen Bredewold (Silvano), Davide Witczak (Coviello), Matthieu Chapuis (Zananaiaa)aaa,a aDagmar Saskova (Moschino), Anouschka Lara (Eurilla), Blandine Folio Peres (Silvia, Rosilda), Christine Tocci (Lucinda), Charlotte Plasse (Alvida), Lucile Richardot (Dorillo)

La Croix – « L’Egisto » ou les noces du sérieux et du burlesque

« Son livret foisonnant, d’après le « Décaméron » de Boccace, est l’œuvre du futur pape Clément IX. On y trouve du sublime et du trivial, du comique et du sentimental, du tragique et de la farce. On y rencontre un noble ruiné et une veuve émouvante, des valets et des bergers. On y entend de l’italien mais aussi du napolitain ou du bergamasque. On y surprend de belles inflexions lyriques et des accents populaires, qui chantent et parlent à la fois.

L’Egisto , opéra composé à quatre mains par Marco Marazzoli et Virgilio Mazzochi en 1646, assume « ce bric et ce broc réjouissants, dans un esprit que ne renierait pas Shakespeare. Un parfait exemple de l’esthétique baroque si habile à unifier les contraires », affirme le chef d’orchestre Jérôme Correas qui en assure la recréation

Initiative et fruit d’une résidence à l’abbaye de Royaumont, le spectacle est coproduit avec le festival baroque de Pontoise et L’Apostrophe. Aux côtés de Jérôme Correas, Jean-Denis Monory assure la mise en scène tandis que Françoise Denieau règle la chorégraphie.

« L’intrigue est formidablement écrite, regorgeant de situations dramatiques riches, vivantes. À nous d’en restituer le naturel, la souplesse, en trouvant les gestes justes mais sans chercher à tout prix une authenticité rêvée », soutient le premier.

Quant à Françoise Denieau, elle se réjouit de diriger les pas de ces jeunes chanteurs, à l’unisson des indications du chef et du metteur en scène. « J’aime ainsi parfois ne pas prendre de décision mais me couler dans un cadre précis, auquel j’adhère bien sûr ! Pour cet Egisto, je me suis autant inspirée des gravures de Jacques Callot que des attitudes de la danse contemporaine. Je suis attentive à ce que l’énergie des corps soit toujours présente, toujours fluide. »

Mais que raconte donc cette œuvre en un prologue, trois actes et trois divertissements, créée devant les invités choisis d’un palais romain (au XVIIe siècle, l’opéra, à Rome, n’était pas représenté en public contrairement à ce qui se pratiquait à Venise) avant d’être « importée » en France par Mazarin désireux d’ imposer l’art italien ?

« Le livret fut écrit par Giulio Rospigliosi, cardinal et futur pape sous le nom de Clément IX, précise Jérôme Correas. Nous sommes en pleine Contre-Réforme et la religion n’hésite pas à emprunter le détour du divertissement pour faire passer son message. »

Sur scène, ni dieux, ni héros mythologiques mais des personnages simples (une vingtaine au total) qui souffrent et espèrent. Une histoire d’amour qui n’ose pas se dire et l’affirmation qu’une noble conduite permet de vaincre l’adversité.

Genre encore neuf en ce mitant du XVIIe siècle, l’opéra ne s’encombre ni de codes trop rigoureux ni d’interdits trop absolus. Il se grise des infinies possibilités du texte et de la musique, du geste et de la danse. « Toutes ces disciplines se croisent et s’entrecroisent dans un travail d’équipe vraiment stimulant pour les jeunes artistes », reprend Jean-Denis Monory qui a opté pour un décor léger de planches amovibles, manipulées par les acteurs-chanteurs et pouvant figurer tour à tour un pont, un mur ou une forêt

« Le principal défi lancé aux interprètes, poursuit Jérôme Correas réside dans la conquête de ce « parler-chanter » recelant d’innombrables nuances expressives peu familières aux artistes lyriques. Ils doivent abandonner certains réflexes, trouver un placement vocal spécifique, qui passe la rampe’ »

Diapason – novembre 2011

Faire revivre L’Egisto composé par Marrazoli et Mazzochi est une folle tentation … et un risque permanent pour le jeune plateau issu d’une résidence à la fondation Royaumont. Représenté en France en 1646, jamais redonné depuis, le premier opéra bouffe raconte comment un aristocrate désargenté sacrifie son faucon à sa belle. Un Prologue, trois actes et trois intermèdes confrontent personnages et masques, mélodrame et chant populaire, burlesque et chevaleresque. Offrir un tel terreau à de jeunes chanteurs-acteurs-danseurs est un questionnement infini pour ceux qui les forment : le chefJérôme Corréas poursuit son travail sur l’opéra italien naissant, le metteur en scène Jean- Denis Monory sa recherche sur le théâtre du XVIIe siècle.

On est subjugué par les options choisies pour rassembler ce puzzle : un récitatif totalement original qui fait naître et mourir le chant dans la parole naturelle, une fluidité constante entre jeu frontal, gestuelles baroques et Commedia dell’arte. Attitudes et costumes aux typologies claires, chorégraphie lisible, espace sobre défini par des colonnes mobiles : ce cadre net ordonne le foisonnement des travestissements, des langues, des désirs, des styles musicaux.

Le quatuor de Commedia dell’arte est époustouflant : Lucile Richardot (Dorillo), Matthieu Chapuis (Zanni), Marc Valéro (Narnese), David Witczak (Coviello). Muriel Ferraro (Egisto) en aristocrate désargenté et Blandine Folio Peres (Silvia/Rosilda) dominent le plateau. Mais les exigences théâtrales contraignent parfois le chant : la délirante Foire de Faria (seul épisode déjà enregistré, grâce au chef Vincent Dumestre) et sa caricature du Tancrède de Monteverdi encombrent le plateau mais ne trouvent pas de réelle verve musicale.

Raffiné et précis, l’ensemble Les Paladins soutient un continuo nourri qui devra gagner un peu de chair au fil des nombreuses reprises en Ile-de-France. Elles vous permetttront de découvrir un jalon essentiel de l’histoire de l’opéra, passionnément restitué à travers un mélange des genres diablement roboratif. »

Opéra Magazine – décembre 2011

« Des décennies durant, suivant la voie ouverte par l’un des pionniers de la musicologie française, Henry Prunières (1886-1942), on crut que le premier ouvrage lyrique italien représenté à la cour de France, en 1646, était L’Egisto de Francesco Cavalli, créé au Teatro San Cassiano de Venise, trois ans auparavant. Jusqu’à ce qu’une chercheuse du Centre de musique baroque de Versailles, Barbara Nestola, découvre un manuscrit, celui d’un Egisto sous-titré Chi soffre speri ; le livret est signé Giulio Rospigliosi, la musique Marco Marazzoli et Virgilio Mazzocchi. C’est lui, en fait, qui fut donné dans la capitale, par la volonté du cardinal Mazarin, mais sans les fastueux décors dus au Bernin en personne, qui avaient enchanté les spectateurs de la création à Rome, chez les puissants Barberini.

Son originalité ? Une intrigue qui fait s’affronter en un mélange de comique, de sentimental et de sérieux, des gens du commun, et non des dieux ou des héros antiques : un noble ruiné, une riche veuve, des paysans et serviteurs s’exprimant en dialecte. Le tout au service d’une morale contenue sans ambiguïté dans le titre (« Que celui qui souffre espère »), dont le message prend tout son sens en cette période de Contre-Réforme.

L’intrusion de la commedia dell’arte dans un genre lyrique à ses balbutiements intrigue. C’est aux personnages bouffes que s’intéresse surtout la mise en scène de Jean-Denis Monory, les autres ne recevant guère de relief particulier. Le spectacle a été travaillé dans le cadre de l’Unité scénique de la Fondation Royaumont. Une tâche menée avec sérieux, mais qui garde malgré tout quelque chose de scolaire, d’appliqué. La drôlerie reste en chemin, et ce n’est pas la chorégraphie sommaire, pour ne pas dire indigente, de Françoise Denieau, qui arrange les choses.

Minimaliste, le décor d’Adeline Caron est censé s’adapter à des lieux de dimensions diverses. L’intention est louable, mais voir ces planches verticales pendant plus de deux heures donne la furieuse envie d’en faire une flambée. Si les maquillages de Mathilde Benmoussa sont parfois ratés (la barbe d’Egisto !), les costumes de Chantal Rousseau sont assez réussis; quant aux masques imaginés par Julie Coffignières, ils sont superbes, et éloquents.

Chez les chanteurs, c’est la bonne volonté qui domine, et la santé vocale. Pour certains, le style ne vient pas naturellement ; on aimerait aussi davantage de volubilité, de souplesse dans ce discours qui joue avec les limites du parlé-chanté. Quant à l’élocution italienne, elle est, la plupart du temps, laborieuse. Dans le rôle éponyme, la soprano Muriel Ferraro montre quelque timidité. Tous font preuve de probité dans une entreprise difficile et risquée. On est une fois encore conquis, en revanche, par Jérôme Correas et ses Paladins. Sa poignée d’instrumentistes – une dizaine -, qu’il guide du clavecin, trouve les couleurs, la verve, l’entrain qui conviennent à cet «opéra-comique» avant la lettre.

Cet Egisto a tout d’un spectacle d’académie. Il se bonifiera certainement avec le temps. Prestement mené, l’intermède La fiera di Farfa (1639, musique de Marazzoli seul), meilleur moment de la soirée, montre ce qu’il pourrait être. »

 

Abbaye de Royaumont – 17 septembre 2010 – extraits – Les Paladins – dir. Jérôme Corréas – Virgile Ancely (basse), Barbara Kusa (soprano), Hervé Lamy (ténor), Jean-François Lombard (ténor), Monique Zanetti (soprano)

Vadstena – 1970 – dir. Arnold Östman – mise en scène Leif Söderström – Elisabeth Beijer