Pirame et Thisbé

Pirame et Thisbé ou Pyrame et Thisbé

 

 

COMPOSITEUR François FRANCOEUR et François REBEL
LIBRETTISTE Jean-Louis-Ignace de la Serre
ENREGISTREMENT ÉDITION DIRECTION ÉDITEUR NOMBRE LANGUE FICHE DÉTAILLÉE
2007 2008 Daniel Cuiller Mirare 2 français

Tragédie lyrique en cinq actes et un prologue, sur un livret de Jean-Louis-Ignace de la Serre, Sieur de l’Anglade (1662 – 1756), représenté à l’Académie royale de musique, le 17 octobre 1726.
Musique de François Francoeur et François Rebel, alors âgés respectivement de vingt-cinq et vingt-huit ans.
La distribution réunissait : Mlle Lambert (La Gloire), Mlle Érémans (Vénus), Mlle L. Souris (une Grâce) dans le prologue, Murayre (Ninus), Mlle Antier (Zoraïde, fille de Zoroastre), Gabriel Thévenard (*) (Pirame), Mlle Pélissier (**) (Thisbé), Chassé (Zoroastre), Mlle Erémans (une Assyrienne), Dun et Cuvillier (Deux Africains), Mlle Minier (une Moissonneuse).
(*) Ce fut une des dernières créations de rôle pour Gabriel-Vincent Thévenard, né le 10 août 1669, qui devait prendre sa retraite en 1730. Les Annales dramatiques disent de lui : Acteur de l’Opéra, y remplit les premiers rôles, avec Mlle Lerochois , pendant environ dix ans. Il possédait une très-belle basse- taille, et chantait d’une manière aisée, noble et naturelle. Il grasseyait un peu ; mais ce défaut devint en lui une sorte d’agrément. Personne , jusqu’alors , n’avait mieux entendu la déclamation ; il chantait comme un excellent acteur parle, et aussi bien en société qu’au théâtre. Les plus grands seigneurs se faisaient un plaisir d’avoir Thévenard à leur table, parce qu’il réunissait au talent de chanteur, celui de bon buveur. Après avoir joué pendant quarante ans et plus, il demanda sa retraite en 1730 ; il l’obtint avec la pension, et mourut en 1741, à l âge de soixante-douze ans.

(**) Mlle Pélissier (1707 – 1747), âgée de dix-neuf ans, faisait alors ses débuts. Fille naturelle de Mlle de Meneton et de Marion de Druix, elle avait épousé un de ses camarades, Pélissier, dont elle avait eu un fils, et qu’elle avait suivi à Rouen où il s’était ruiné. Elle conquit le public dès le premier soir autant par la beauté de sa voix et l’expression de son jeu que par l’élégance de sa personne et la distinction de ses traits. On ne lui reconnaissait en revanche ni beauté ni esprit. Elle était « la première pour le jeu du théâtre, mais aussi pour la coquetterie ». Elle arrêta sa carrière en octobre 1741.

Mlle Pélissier
Selon le Mercure, la tragédie fut fort applaudie par la nombreuse assemblée qui s’y trouva. S. A. R. Madame la duchesse d’Orléans (*), et les deux princesses ses filles, l’honorèrent de leur présence.
(*) Françoise Marie de Bourbon (1677 – 1749), fille de Louis XIV et de Madame de Montespan, épouse du Régent, duchesse d’Orléans en 1701

Les représentations se poursuivirent en novembre 1726, avec grand succès. Selon le Mercure : C’est un spectacle magnifique. le public goûte de plus en plus la musique des sieurs Rebel et Francoeur.
On apprécia beaucoup les danses, composées par Pécour de la manière du monde la plus variée, la plus noble et la plus propre à chaque caractère, et les danseurs Moulin, Blondy, ainsi que Mlle Prévôt (ou Prévost).
Mademoiselle Prévost en Bacchante - Jean Raoux
À la fin du premier acte, se trouvait un duo sur la reprise duquel Mlle Camargo (*) faisait dansait un pas fort applaudi. Le thème en fut repris dans une contredanse appelée la Camargo.
(*) alors âgée de seize ans, Mlle Camargo avait fait ses débuts au mois de mai précédent dans les Caractères de la Danse, et avait fait sensation par sa facilité à faire cabrioles et entrechats.

Les décors avaient été confiés à Jean-Nicolas Servandoni qui venait de succéder à Berain fils comme décorateur à l’opéra. Servandoni se chargea lui-même de la peinture des décors, à l’exception des figures, confiées à Du Mont. Le Palais de Ninus, au premier acte, ainsi que la chute du Nil avec des cascades mises en mouvement par un ingénieux mécanisme firent l’admiration générale.
Jean-Nicolas Servandoni
Le 16 décembre 1726, Mlle Le Maure, à la demande de La Serre, fit sa rentrée dans le rôle de Thisbé, et fut très applaudie. Quant à Mlle Petitpas (*), elle fit ses débuts dans ce même rôle les 22, 24, 26 janvier 1727. Âgée de vingt-et-un ans, on la trouva fort bien faite, avec des talents pour le théâtre et une fort belle voix.
(*) Mlle Petitpas (1706 – 1739) , fille d’un serrurier parisien, elle joua quatre ans sur les théâtres de la Foire avant d’entrer à l’Opéra. Le 26 novembre 1732, elle partit « furtivement » à Londres, et rentra à Paris l’année suivante, où elle mourut à trente-trois ans, chez son protecteur Bonnier de la Mosson, trésorier général des États du Languedoc.

 

Reprises :

le 26 janvier 1740, dans une version révisée, avec Mlle Julie (La Gloire) et Mlle Erémans (Vénus) dans le prologue, Jélyotte (Ninus), Mlle Antier (Zoraïde), Albert (Pirame), Mlle Pélissier (Thisbé), Le Page (Zoroastre), Mlle Fel (Une Assyrienne, une Bergère, une Africaine), Dun (Un Africain). Marie Sallé, qui avait signifié son départ en retraite par huissier le 17 décembre précédent, avec un préavis de six mois, dansa au second acte avec David Dumoulin.
le 23 janvier 1759, avec Poirier (Ninus), Mlle Chevalier (Zoraïde), Larrivée (Pirame), Mlle Arnould, alors âgée de dix-neuf ans (Thisbé), Gélin (Zoroastre), Mlle L. Dubois (une Assyrienne), Muguet et Desentis (Africains) ;

Sophie Arnould en Thisbé

le 5 février 1771, dans une version révisée, éditée en 1779, avec Le Gros (Ninus), Mlle du Plant (Zoraïde), Larrivée (Pyrame), Sophie Arnould (Thisbé), Gélin (Zoroastre), Mlle de Chateauneuf (une Bergère), Durand (un Africain), Mlle Rosalie (l’Amour).


Ballets – Acte I : Guerriers (avec Simonin), Assiriennes (avec Mlles Heinel, du Perei) ; Acte II : Maures (avec Gardel), Africains, Asiatiques (avec Mlle Allard) ; Acte III : Bergers et Bergères (avec Mlle Asselin, M. des Préaux, Mlle Dervieux), Pâtres galants (avec Mlles Allard, Peslin) ; Acte IV : Esprits terrestres (avec Gardel), Esprits aériens (avec Mlle Guimard) ; Acte V : L’Hymen (Mlle Lafond), Jeux et Plaisirs (avec Vestris, Mlle Asselin, M. Simonin et Mlle du Perei, M. Trancart et Mlle Dervieux).
Sophie Arnould en Thisbé
Dans cette dernière version, la fin tragique est remplacée une fin heureuse, grâce à l’intervention de l’Amour qui fait revivre les amants, donnant lieu à une fête générale.
Des représentations eurent lieu également : à Lyon, en 1729, dans la salle du Jeu de Paume de la Raquette Royale ; à Bordeaux en 1729 ; à Lyon, le 15 décembre 1745, dans la salle du Jeu de Paume de la Raquette Royale, pour l’inauguration de la nouvelle direction par Jean Monnet. Ce dernier avait racheté le privilège d’opéra, de comédie et d’opéra-comique à Mailfer pour 25 000 livres ; à Montpellier en 1755.
Le livret fut imprimé en 1726 par Veuve Pierre Ribou, par Jean-Baptiste-Christophe Ballard en 1740, par Veuve Pierre Delormel, en 1759, puis par Lormel en 1771.
L’opéra inspira quatre parodies :

Pyrame et Thisbé, jouée le 9 novembre 1726 à la Comédie Italienne, attribuée à Riccoboni (*) et Romagnesi (*), qui eut beaucoup de succès et fut éditée en 1726, en 1738 et en 1759 ; distribution : Pierre Paghetti (Ninus), Thomaso Antonio Vicentini, dit Thomassin (Pyrame), Thérèse Lalande (Zoraïde), François Riccoboni (Zoroastre) ; Gianetta-Rosa Benozzi, dite Silvia (Thisbé), Pierre-Théveneau (Thisbé chantante)
Pyrame et Thisbé, d’un auteur anonyme, écrite en 1726, soit non représentée, soit représentée au théâtre de marionnettes ;
Pyrame et Thisbé, de Charles-Simon Favart, représentée le 3 mars 1740 à la Foire Saint-Germain ;
Le Quiproquo ou Polichinelle Pyrame, pièce en vaudevilles pour marionnettes, attribuée à Adrien-Joseph de Valois d’Orville, jouée à la Foire Saint-Germain en mars/avril 1740

(*) François Riccoboni, né en Italie en 1707. Il vint en France en 1716, à la suite de son père Luigi Riccoboni, fut reçu dans la troupe des Italiens en 1726. Acteur complet, il prit se retraite définitive en 1759, et mourut en 1772

(*) Jean-Antoine Romagnesi, né à Namur en 1690. Petit-fils du comédien Antonio Romagnesi dit Cinthio, il débuta à la Comédie Française en 1718, mais n’y fut pas reçu, puis entra au Théâtre Italien en 1725 où il joua jusqu’à sa mort en 1742, à Fontainebleau
La légende de Pyrame et Thisbé est racontée par Ovide dans ses Métamorphoses, au début du Quatrième Livre.
Pyrame et Thisbé - Claude Gautherot
« 106me des Opé. Le Poëme, composé par de La Serre, fut mis en musiq. par Rebel fils & Francoeur le cadet : la premiere représentation s’en donna le 17 Octob. 1726, & il est gravé in-4°. Venus & la Gloire, réunis pour rendre les mortels heureux, font le sujet du Prol. La musi. de cet Opé. fut trouvée si excellente, qu’on étoit tenté de douter que les deux jeunes Musiciens l’eussent composée sans l’aide & le secours de grands Maîtres. La décoration superbe du Palais de Ninus fit l’admiration de tout Paris : elle étoit du sieur Servandoni, Italien, arrivé alors en France depuis peu. Il a paru trois Paro. de cet Opé. sous le même titre; la premiere, au Thé. Ital. par Dominique, Lelio fils & Romagnesi (…): la seconde, à l’Op. Comi. par M. Favart (…) & la troisieme, encore au Thé. Ital. le 5 Mars 1759. (…) On a remis cet Opéra au mois de Janvier 1759 (…) * Quelques personnes prétendent encore qu’il n’y a que les symphonies qui soient de leur façon, & que tous les chœurs & les grands morceaux sont de feu La Lande, qui étoit oncle de M. Rebel. » (de Léris – 1763)
Pyrame et Thisbé - Sébastien Leclerc dit l'Aîné
« De l’antique légende de deux adolescents qui s’aimaient depuis l’enfance et mouraient à cause d’une horrible méprise, Jean-Louis Ignace de la Serre fit un livret de jalousie, de pouvoir et de vengeance qui permettait aux jeunes Rebel et Francœur de composer une œuvre tragique qui rompait avec la tradition des opéras classiques du XVIIe et XVIIIe siècles.
Créé avec succès en 1726, cet opéra accompagna François Francœur toute sa vie. Après de multiples retouches et reprises en 1729, 1755, 1759, il en signa une version définitive en 1771. Éditée en 1779, tombée dans l’oubli, retrouvée récemment, cette ultime version connaît aujourd’hui une nouvelle vie. Une nouvelle création.
La touchante légende de Pirame et Thisbé, que l’on retrouve sous la plume d’Ovide dans ses Métamorphoses, ou dans les vers des Filles de Minée du livre XII des fables de Jean de la Fontaine, s’intéressait à l’amour pur et malheureux d’un bel adolescent et d’une ravissante jeune fille de Babylone dont la passion se heurtait à l’hostilité de leurs parents. Il reste peu de ce Roméo et Juliette antique dans le livret que Jean-Louis Ignace de la Serre écrivit pour Rebel et Francœur, sans doute parce que pour séduire le Prince de Conti auquel l’œuvre fut dédiée, l’auteur s’intéressa aux intrigues de cœur et de cour mieux connues de leur public. L’histoire devint celle de Zoraïde, fille du roi Zoroastre, promise au jeune roi Ninus qui convoite Thisbé qui, elle-même, n’a d’yeux que pour Pirame qu’elle aime en secret. Et aux dieux attristés qui rougirent les baies du mûrier en souvenir de jeunes amants sacrifiés, le librettiste préféra la colère d’une Zoraïde déclenchant contre Ninus la fureur des éléments.
Si la tragédie lyrique de François Rebel et François Francœur, ces deux jeunes compositeurs appartenant à d’illustres familles de violonistes et déjà directeurs de l’Opéra, se voulait respectueuse des anciens, elle n’en rompait pas moins avec l’usage des fins heureuses chères à l’époque. Sans cesse remanié par Francœur tout au long de sa vie, Pirame et Thisbé a traversé les querelles des anciens et des modernes, est porté par les courants qui ont marqué le XVIIIe siècle, rend hommage appuyé à Lulli et recèle la moderne influence de Rameau. Ainsi l’ultime version de 1771, transcrite par Daniel Cuiller, n’est pas qu’une simple curiosité pour spécialistes, elle est un formidable témoignage de l’évolution musicale au siècle des Lumières. » (Présentation Angers-Nantes-Opéra)

Personnages : Ninus, roi d’Assyrie ; Zoraïde, fille de Zoroastre, destinée à Ninus ; Pirame (ou Pyrame), prince du sang, général des armées de Ninus ; Thisbé, princesse assyrienne ; Zoroastre, magicien, père de Zoraïde ; une Assyrienne ; Premier et second Africains ; une Moissonneuse ; Choeurs d’Assyriens, d’esclaves servant l’intérieur du palais de Ninus, de Bergers et Moissonneurs, d’Esprits aériens et terrestres.

Synopsis

Prologue
Le Temple de la Gloire, avec cette divinité assise sur un trône
Après s’être opposées, la Gloire et Vénus décident de s’unir pour rendre heureux les mortels.

Acte I
La façade du superbe palais de Ninus
(1) Zoraïde se rend compte que Ninus ne l’aime plus. Thisbé tente de la rassurer. Mais Zoraïde lui révèle que c’est elle que Ninus a choisie pour la remplacer. Thisbé se récrie, avouant son amour pour Pirame. (2) Ninus revient de sa victoire contre les Mèdes. Il confie à Pirame qu’il aime Thisbé. Pirame tente de le dissuader : il doit craindre la colère de Zoroastre, père de Zoraïde. (3) Zoraïde félicite Ninus. (4) Ninus fait acclamer Pirame par le peuple comme un héros.

Acte II
Les jardins de Ninus
(1) Thisbé est heureuse du retour de Pirame. (2) Celui-ci la rejoint. Mais il est porteur d’une mauvaise nouvelle : Ninus aime Thisbé et veut l’épouser. Pirame veut s’effacer et lui demande de l’oublier. Thisbé s’en offusque. (3) Ninus survient et déclare sa flamme à Thisbé. Thisbé le repousse, lui rappelant son engagement vis à vis de Zoraïde. Ninus ordonne alors à Pirame de le remplacer. (4) Le choeur acclame Thisbé comme sa souveraine. (5) Zoraïde demande des explications. Ninus lui avoue son amour pour Thisbé. Zoraïde le menace de la colère de son père, et lui révèle que Pirame est son rival. (6) Ninus ne ressent plus pour son ami que désir de vengeance.

Acte III
Une belle campagne, avec dans le fond le Temple de Cérès
(1) Zoraïde et Thisbé arrivent chacune d’un côté. Zoraïde se justifie : elle espère que Ninus lui revienne et est décidée à tout pour cela. (2) Thisbé craint que Pirame l’abandonne par ambition. (3) Pirame vient faire ses adieux à Thisbé, avant de subir la colère de Ninus. Ce qui confirme les soupçons de Thisbé. Pirame se récrie. Tous deux s’accusent de la situation et se lamentent. On entend une symphonie champêtre. Les habitants viennent offrir à Cérès des jeux que Thisbé doit présider. (4) Zoraïde n’est pas parvenue à voir Ninus. Pirame décide d’aller implorer la clémence du roi. (5) Les habitants de la campagne, bergers, moissonneurs, chargés des prémices de la terre, viennent faire leur offrande à Cérès, sous la direction de Thisbé. A la fin, ils entrent dans le temple, Zoraïde reste la dernière. (6) Zoroastre apparaît dans les airs, puis descend de son char devant Zoraïde. Il lui fait part de sa colère contre Ninus. Comme Zoraïde l’aime, il consent à limiter sa vengeance à faire agir un monstre pour faire peur à Ninus. Zoraïde tente de le dissuader, mais Zoroastre repousse ses plaintes.

Acte IV
Une Cour d’une architecture grossière avec dans le fond, un espèce de fort composé de grosses tours
(1) Zoraïde reproche à Ninus d’avoir enfermé Pirame, et lui demande de lui revenir. Ninus refuse. Zoraïde laisse éclater sa colère et fait valoir que seul Pirame est capable de combattre le monstre qui ravage le pays. Ninus comprend sa douleur mais ne peut la soulager. (2) Zoraïde se lamente de n’avoir rien obtenu. (3) Thisbé l’interroge, et recherche le moyen de libérer Pirame. Elle se livre au désespoir. (4) Zoroastre apparaît et réconforte Thisbé. Il invoque les Esprits des Airs et les convie à détruire le fort et libérer Pirame. Les Esprits aériens traversent plusieurs fois le théâtre par des vols différents, tandis que les Esprits de la terre en sortent et se mettent à la disposition de Zoroastre. La prison de Pirame tombe, Pirame apparaît, ses chaînes brisées. (5) Pirame retrouve Thisbé et manifeste sa reconnaissance à Zoroastre. (6) Zoroastre se félicite d’avoir libéré Pirame. Zoraïde lui demande de la venger à son tour de Ninus.

Acte V
Un bois épais, avec, à travers les arbres les tombeaux des rois assyriens. Avant l’aurore.
(1) Thisbé implore Amour de protéger Pirame qu’elle attend. On entend sans le voir le choeur se lamenter des ravages causés par un Monstre furieux. (2) Pirame voit le Monstre arriver sur lui, le combat et le tue. Il s’inquiète de ne pas voir Thisbé, puis aperçoit son voile taché de sang. Désespéré, il se frappe et tombe sur le gazon. (3) Thisbé aperçoit Pirame mourant. Pirame se lamente et meurt. Thisbé décide de le venger. (4) Ninus survient et reproche à Thisbé de le fuir. Thisbé lui montre le corps de Pirame, et lui fait de violents reproches avant de se frapper de son poignard. (5) Zoroastre apparaît dans les airs, et laisse Ninus à ses remords.

Pour en savoir plus :

Livret disponible sur livretsbaroques.fr
Livret de la version 1771

 

Pyrame et Thisbé – Un opéra au miroir de ses parodies 1726-1779 – Françoise Rubellin – Editions Espaces 34



Représentations

Sablé – Centre culturel – Festival de Sablé – 22 août 2008 – en version de concert – Ensemble Stradivaria – Choeur de l’Académie baroque – dir. Daniel Cuiller – avec Thomas Dolié (Pirame), Judith Van Wanroij (Thisbé)

 

Nantes – Théâtre Graslin – 25, 27, 29, 31 mai, 1er juin 2007 – Angers – Grand Théâtre – 8, 10, 12 juin 2007 – Ensemble Stradivaria – dir. Daniel Cuiller – mise en scène Mariame Clément – décors et costumes Julia Hansen – lumières Hervé Audibert – avec Thomas Dolié (Pirame), Judith Van Wanroij (Thisbé), Jeffrey Thompson (Ninus), Katia Velletaz (Zoraïde), Jean Teitgen (Zoroastre), Leonor Leprêtre (la Gloire), Adèle Carlier (Vénus), Fabrice Maurin et Jean-Sébastien Nicolas (deux Africains).

Muse baroque – 29 mai 2007

http://www.musebaroque.fr/Essais/pyrame.htm

Altamusica Miniature tragique – 25 mai 2007

« Pour sa recréation par Stradivaria, Pirame et Thisbé de François Rebel et François Francœur ne pouvait bénéficier d’un plus bel écrin que le Théâtre Graslin de Nantes, où la mise en scène de Mariame Clément et une distribution vocale d’une idéale jeunesse épousent avec raffinement les contours sensibles de ce miroir des goûts des Lumières.
Les destinées musicales de François Rebel et François Francœur, fils de musiciens illustres, furent intimement liées jusqu’à ce que la Querelle des Bouffons mettent fin à leur direction bicéphale de l’Opéra, dix ans après qu’ils en eurent obtenu la licence pour trente ans. Première tragédie lyrique commune, Pirame et Thisbé, créé le 15 octobre 1726 et plusieurs fois remanié jusqu’à la version de 1771, éditée en 1779, et considérée comme définitive par Francœur, reflète la transformation des goûts du siècle des Lumières, dès lors que la sensibilité rousseauiste s’immisce dans les passions lullystes.
Pour se plier aux lois du genre – avec prologue, divertissements, et monstres obligés –, le librettiste Jean-Louis Ignace de la Serre a dû enrober quatre actes durant une fable qui, chez Ovide, tient en une centaine de vers, en ajoutant trois personnages qui tissent la toile de la jalousie et de la vengeance fatale aux jeunes amants : Ninus, roi de Babylone, épris de Thisbé au grand dam de la princesse Zoraïde, qui attirera sur son fiancé inconstant les foudres de son père, le magicien Zoroastre. Par une belle simplicité que la réforme de Gluck érigera en principe, le cinquième acte rompt totalement avec la convention, et s’achève sur un récitatif sec, imposant une émotion nue.
La mise en scène de Mariame Clément épouse cette épure progressive avec invention et raffinement, mais évite l’écueil de la reconstitution en désamorçant l’esthétisme du décor de Julia Hansen, qui intègre jusqu’aux éléments ornementaux de la miniature persane pour circonscrire l’action des quatre premiers actes à l’espace de la page, grâce à une appropriation ironique des codes du théâtre baroque, du prologue, où Vénus et la Gloire s’invectivent depuis leurs loges, telles deux abonnées d’un certain âge réfractaires à la tragédie lyrique, à l’apparition d’un monstre de carton échappé du théâtre d’ombre balinais.
Dépouillé de ces déguisements chatoyants, le cinquième acte renoue avec les gestes de jeunes gens d’aujourd’hui, de par cette familière distance déjà mise en œuvre par la metteuse en scène dans sa Belle Hélène à l’Opéra du Rhin. Le langage de la tragédie lyrique avait-il jamais paru aussi naturel, aussi simple, aussi proche que durant l’attente de Thisbé au pied d’un arbre mort, reflet du mûrier de la légende originelle ?
Judith Van Wanroij y déploie son timbre pulpeux et chaud avec une souplesse, un galbe à l’opposé de la rigidité par laquelle certains figent les récitatifs, qu’elle sert avec une diction finement ouvragée, magnifiée par un art subtil de la double consonne.
Un Pirame qui coule de source – Chez le Pirame de Thomas Dolié, au baryton à peine sorti de l’adolescence, les mots et la voix coulent de source, comme si la déclamation lui était quotidienne, formant un contraste idéal avec le Ninus de Jeffrey Thompson, que ses facilités conduisent parfois à déborder le cadre stylistique, mais dont la ligne tour à tour hystérique et rêveuse révèle les ambiguïtés d’un caractère qui doit davantage à l’effemminato de l’opéra vénitien qu’à l’héroïsme tendre de la haute-contre à la française.
Du personnage peu gratifiant de la princesse Zoraïde, Katia Velletaz sait tirer parti grâce à sa clarté d’élocution, et si l’autorité vient parfois à lui manquer, faute de grave, sa robe éventail y supplée dans l’invocation à Zoroastre, auquel Jean Teitgen prête sa vigoureuse basse de velours.
Recruté pour l’occasion, le chœur de l’Académie baroque est d’une belle verdeur, mais le geste souvent instable de Daniel Cuiller, aussi artiste soit-il dans le soin qu’il apporte à la variété de la phrase, n’évite pas les décalages, d’autant que pour son baptême de la fosse, l’ensemble Stradivaria apparaît en ordre dispersé durant la première partie, accumulant les incertitudes, avant de se rassembler au troisième acte pour dévoiler ses arêtes les plus vives dans cet écrin acoustique idéal qu’est le Théâtre Graslin. »

Isola disabitataAttention, chef-d’œuvre – 12 juin 2007

« … il convient de saluer l’option de la production nantaise : prologue intact, divertissements abrégés (d’où des déséquilibres dans la temporalité du spectacle) mais interpolation de danses supprimées en guise d’interlude entre les actes. Certes, on perd parfois une des caractéristiques les plus séduisantes de la tragédie en musique, à savoir ses fins d’acte tranchantes, mais on moins on regagne les danses perdues. Dans ce Pyrame & Thisbé, la magnifique chaconne (qui fait tant penser à celles de Rameau) est ainsi donnée entre les actes III et IV, lequel se clôt par une danse de furie apparemment empruntée au divertissement précédent, celui où les esprits des airs détruisent la prison de Pyrame. Précisément, il s’agit là, comme dans les futures Boréades, d’un divertissement organiquement lié à l’action dont il modifie le cours, si bien qu’on peut regretter que l’absence de danseurs n’ait pas permis d’intégrer cette page tumultueuse, splendide, à la séquence spectaculaire à l’intérieur même de l’acte.
La forte séduction de la soirée vient d’abord de la qualité extraordinaire de la musique, étonnamment proche de celle de Rameau, dès l’ouverture qui, avec ses notes frénétiquement répétées, rappelle celles de Castor ou mieux de Platée. Il faudrait savoir précisément ce qui, dans la musique jouée à Angers, était déjà présent dans la version de 1726 : j’imagine que la partition d’origine n’aura pas été remaniée de fond en comble en 1771, mais je me trompe peut-être. Car 1726, c’est 7 ans avant Hippolyte, le premier opéra composé par Rameau. Les couleurs (des bassons par exemple), les raffinements de l’harmonie, la science des danses et des séquences chorales, la poésie suggestive des monologues, un certain climat sourdement mélancolique enfin, tout cela captive en permanence. Et on atteint au dernier acte à une concentration musicale et émotionnelle qui marque la mémoire. J’avoue que par goût je suis beaucoup plus touché par cette esthétique que par celle de Lully et de ses continuateurs immédiats.
La partition utilisée est celle de l’ultime état de l’opéra, dont la longévité même est étonnante. À une époque où les créations l’emportaient sur le peu d’ouvrages inscrits durablement au répertoire, trouver un opéra de 1726 qui résiste encore aux aléas du goût dans les années 1770, voilà qui est remarquable et qui atteste sans aucun doute la force de la musique. Même si le génie absolu de Rameau est incomparable, ce Pyrame & Thisbé soutient dignement la comparaison, et on se dit qu’il se trouve peut-être d’autres opéras du XVIIIe siècle ainsi ensevelis qui nous étonneraient, et nous feraient mieux comprendre que Rameau n’est pas sorti tout armé de sa tour.
Il me semble également clair que le succès durable de cet opéra repose sur le livret, admirablement composé. Après le bricolage malencontreux de l’Ulysse de 1703, voilà une vraie construction dramatique graduée, des personnages consistants, vraiment intéressants, conçus et développés avec finesse. Le difficulté n’était pas moindre : comment remplir 5 actes de tragédie avec un sujet si réduit ?
Car que narrent les Métamorphoses d’Ovide (l. IV) ? Que Pyrame et Thisbé, jeunes Babyloniens unis non seulement par les liens du voisinage mais par ceux de l’amour, furent empêchés par leurs parents de se voir : ils s’aimaient cependant même séparés par un mur qu’ils couvraient de baisers et au travers du quel ils se parlaient. Une nuit pourtant, n’y tenant plus, ils décident de se retrouver hors de la ville, près du tombeau du roi Ninus (l’époux de Sémiramis). La suite est connue, et Shakespeare ne l’oubliera pas : Thisbé arrivée la première est mise en fuite par une lionne à la gueule ensanglantée (elle avait dévorée une proie), laquelle se jette sur le voile que la jeune fille a perdu dans sa fuite ; Pyrame survient alors, ne trouve de Thisbé que ce vêtement souillé, en déduit le pire, se tue de désespoir ; et quand Thisbé le retrouve mourant, elle se tue à son tour avec la même épée.
Autrement dit, la légende fournissait un sujet de tableau pathétique, ou encore un dénouement, et de fait ce sera le dernier acte de l’opéra. Mais comment nourrir les précédents ? Astucieusement, le librettiste La Serre a réaménagé les rares éléments de la légende en s’inspirant librement, semble-t-il, d’un livret antérieur, celui de Roy pour la Sémiramis de Destouches (créée sous la Régence en 1718). Dans le livret de Roy, l’amour de la reine pour le général vainqueur Arsame se heurte à celui qui le lie à la jeune Amestris, tandis que le magicien Zoroastre nourrit une passion jalouse et sans espoir pour Sémiramis.
Ce qui donne dans le livret de La Serre l’action théâtrale suivante. Le prince Pyrame, général des armées et vainqueur des Mèdes, revient à Babylone, où il espère épouser la princesse Thisbé, promise à lui naguère par Sémiramis ; or le roi Ninus, lui-même engagé auprès de Zoraïde, fille de Zoroastre, est tombé violemment amoureux de Thisbé et cherche conquérir sa main. Confident du roi, Pyrame n’ose pas lui avouer la passion réciproque qui le lie à Thisbé, et c’est Zoraïde, exaspérée par les atermoiements du roi, et instruite par Thisbé, qui lui révèle le secret. Ninus est furieux, et il emprisonne Pyrame (voilà la version new look du mur qui sépare les amants). Cependant Zoroastre est décidé de lever l’injure faite à sa fille : il commence par envoyer un monstre ravager les campagnes, puis conjure les esprits de l’air et de la terre pour détruire la prison de Pyrame. Favoriser l’union des deux amants est pour lui le moyen de se venger de Ninus. Mais Pyrame et Thisbé doivent se soustraire à la colère du roi et fuir. Rendez-vous est pris la nuit même auprès du tombeau des rois d’Assyrie, et en route pour le dénouement, à ceci près que le suicide de Thisbé a lieu devant Ninus accouru sur les lieux : « J’abhorre, Roi cruel, ta flamme criminelle / Celle de mon amant était pure & fidèle, / Il meurt pour moi, je meurs pour lui. FIN* »
C’est donc un exemple caractéristique de composition d’un livret par amplification de la source à rebours, à partir d’un point de départ (Ovide) qui fixe le point d’arrivée de la tragédie. La succession des actes déploie ainsi un crescendo dans le jeu des passions, en particulier par une sorte de variation sur le modèle de l’Atys de Quinault : Atys-Sangaride-Célénus et Pyrame-Thisbé-Ninus illustrent une même situation dramatique (le roi découvre avec colère que son confident chéri et la femme qu’il convoite s’aiment déjà en secret). L’introduction de Zoroastre à l’acte III permettait en outre d’amener des scènes magiques spectaculaires qui renouvellent l’intérêt du spectacle en même temps que l’animosité du magicien contre le roi cristallise différemment le conflit des passions, enrichi par les rapports contradictoires qui lient Zoraïde à son père : elle implore son secours, mais répugne à causer le malheur de Ninus qu’elle aime. Les scènes du père et de la fille sont particulièrement belles.
Ce caractère de Zoraïde est très réussi d’ailleurs : amoureuse déçue mais généreuse, elle ne nourrit aucune haine pour Thisbé, de même que le personnage répugne au stéréotype de la furie vindicative auquel son père veut la conformer à l’égard de Ninus. On remarque d’ailleurs dans le livret de La Serre des fragments sentencieux sur ce que doit être le roi idéal : docile aux dieux plutôt qu’à ses désirs qu’il se doit de régler. Car l’infidélité de Ninus n’est pas seulement d’ordre sentimental, elle constitue une faute éthique et politique. C’est pourquoi Zoraïde et Zoroastre concluent l’acte IV par le duo suivant : Dieux tous puissants, les Rois sont votre image. Ils doivent aux Mortels l’exemple des vertus. Un Roi parjure vous outrage, Trop fier de son pouvoir il ne se connaît plus ; Tournez, Dieux immortels, lancez sur lui la foudre Et réduisez son Trône en poudre.
La scénographie surmonte de façon remarquable les contraintes matérielles de la production. L’espace scénique réduit à un carré fermé d’une bordure et fermé en fond de scène par une grand panneau rectangulaire vertical suggérant l’univers des miniatures persanes ; il fournit l’ancrage commun au prologue et aux actes successifs, jusqu’au dernier où le dispositif est modifié ou plutôt radicalement simplifié, avec un plateau quasiment nu. Les costumes procèdent d’un orientalisme stylisé, élégant quoique composite : Pyrame est persan, Thisbé fait plus penser à une princesse indienne, la Gloire paraît sortir d’une scène de nô, les chœurs sont plus sinophiles. Les jeux chromatiques sont très harmonieux.
Mais surtout cette scénographie sert de cadre à une mise en scène remarquable : on assiste à une vraie direction d’acteurs, exploitant intelligemment l’inscription mobile des corps dans cet espace réduit : la dramaturgie est ainsi à la fois très concentrée et toujours évolutive, en accord intime avec celle du livret. L’ensemble est d’une économie mais aussi d’une variété et d’une justesse qui forcent l’admiration. Et cela vaut non seulement pour les acteurs de la tragédie, mais aussi pour la régie des chœurs dans les divertissements.
Le prologue où l’accorte Vénus et la Gloire sévère se disputent le cœur des sujets, donné intégralement, est d’emblée exemplaire du souci de Mariame Clément de donner consistance et vie théâtrale à des scènes fortement conventionnelles : elle y parvient remarquablement, avec juste ce qu’il faut de second degré dans le maniement des allégories. Certes, les très jeunes artistes du chœur sont parfois un peu verts scéniquement, un peu scolaires dans leur geste, mais l’intelligence de la conception d’ensemble, son mélange d’unité et de mobilité l’emportent. Zoroastre est également traité avec un peu d’ironie, comme le démiurge fier de ses pouvoirs : pour le spectacle comme pour l’esprit, on songe tellement à ce que Laurent Pelly faisait du Jupiter de Platée qu’on soupçonne qu’il a inspiré ce Zoroastre poétiquement faraud.
Le dernier acte laisse un peu sceptique cependant. Dès la fin de l’acte IV, Pyrame sort de sa prison en jeans et t-shirt, et tout l’acte V sera joué en costumes « week-end relax ». Cet abandon des ornements orientalisants veut-il signifier qu’on entre alors dans la tragédie où s’approfondit la souffrance intemporelle ? Ce n’est guère convaincant, et c’est plutôt téléphoné.Le fait est que le dépouillement soudain du plateau (en fait de tombeau des rois, on a une sorte d’arbre mort estropié assez moche) ne produit pas forcément d’effet heureux. Pourquoi d’ailleurs, alors que tout cet acte est censé se passer la nuit (c’est souligné dans les vers des personnages), maintenir un éclairage sans ombres ni mystère ?
Le plus troublant est que le monstre qui surgit et met Thisbé en fuite devient ici un double de Ninus, et que tout l’épisode apparaît comme une sorte de stratagème dont le chœur est l’agent, qui leurre à la fois Thisbé et Pyrame pour les conduire à la mort. Je veux bien qu’on ait voulu ne pas mettre un monstre d’opéra sur scène à ce moment-là, comme si le spectaculaire gênait forcément le pathétique (c’est un a priori ordinaire mais assez discutable, je trouve : pourquoi associer systématiquement la profondeur de l’émotion au dépouillement ?). Mais d’une part, tuer le monstre après avoir gagné la guerre contre l’ennemi asseoit définitivement Pyrame dans une posture héroïque, et non pas seulement élégiaque ; et d’autre part le voir tuer Ninus comme le monstre à abattre, alors que Ninus reparaît en scène face à Thisbé à la fin rend la lisibilité de l’acte hasardeuse. C’est entendu : pour ce dénouement connu de tous, Mariame Clément a voulu faire autre chose — mais quoi exactement ? Cette bifurcation inopinée dans l’esthétique du spectacle m’a parue plus bancale que suggestive.
Musicalement, c’est un régal. Il est temps de se ressouvenir de Stradivaria ! J’avoue franchement que je ne m’attendais pas à une telle qualité orchestrale : le soutien, le sens du théâtre, la conduite des danses et des ensembles, tout cela est remarquable, et Daniel Cuiller manifeste une intelligence de la tension que Christophe Rousset pourrait lui envier. L’arc dramatique de l’œuvre est constamment soutenu, et peu importe certains détails instrumentaux qui manquent parfois de « fini ». L’orchestre (28 musiciens) sonne d’ailleurs remarquablement dans ce théâtre aux proportions idéales et à l’acoustique jouissive.
Les chœurs (occasionnels) soutiennent leur partie avec un engagement et un zèle constant. Sorties de leurs rangs, la Gloire et Vénus sont excellentes, avec autant d’aisance que d’esprit.
Jean Teitgen (découvert en Draco du Cadmus & Hermione que Rousset avait dirigé dans le cadre de l’Académie d’Ambronay) est parfaitement en place pour Zoroastre : timbre noir et saillant mais chant élégant, du relief et du style, jeu très juste. En Ninus (partie notablement aiguë), Jeffrey Thompson est le seul à laisser sceptique : la voix est sonore, l’engagement notable dans le jeu comme dans le chant, mais on a l’impression d’entendre Platée au lieu du roi d’Assyrie. Le chant est entortillé, sans fluidité, avec des effets de couinements bizarre, des appoggiatures disgracieuses. Il finit par fatiguer malgré une présence scénique réelle.
Thomas Dolié, pour sa part, confirme des vertus éminentes dans ce répertoire, déjà illustrées avec Sémélé mais magnifiées ici par la beauté singulière du rôle : chant ferme et souple, élégant, avec un mélange de noblesse et de retenue qui rendent sa voix, aussi séduisante de couleur que de texture, particulièrement pénétrante. La diction est magnifique et qui serait assez mesquin pour lui reprocher une diérèse oubliée sur « justifier » ? Scéniquement, il en impose même lorsqu’il ne bouge pas, par le port, l’œil, force et délicatesse parfaitement balancées. La scène de sa mort, soutenue par des bassons, est un grand moment.
Sa Thisbé, Judith van Wanroij, me laisse assez partagé. Le timbre est magnifique, la voix est ample, caressante, mais la diction reste assez floue (les consonnes sont souvent défaillantes), et son chant souffre de respirations plus ou moins bien contrôlées et d’un manque de soutien des fins de phrases, qui donne régulièrement lieu à des « euh » parasites en fin de vers, comme si elle peinait à lâcher le son strictement sur la syllabe. L’interprétation paraît parfois un peu terne aussi. Mais cette artiste encore très jeune peut faire bien mieux, assurément.
Face à elle en Zoraïde, Katia Velletaz dispose d’un matériau vocal moins typé et plus frêle, avec un grave assez faible. Mais l’art et la sensibilité sont admirables : pas une phrase n’est indifférente ou banale ou négligée, l’expression est fine et nuancée, ce qui ne l’empêche pas de briller dans une magnifique invocation à Cérès à l’acte III, tenue, concentrée, frémissante. Et l’élégance du geste vocal est à la mesure de l’incarnation scénique, aisée, profondément sentie, et qui sert un rôle très attachant (plus à mon sens que celui de Thisbé, plus générique). L’ensemble donne une impression d’évidence et d’adéquation intime avec cette musique. Une heureuse découverte.
Cette interprétation est d’ores et déjà enregistrée et sera bientôt publiée en CD chez Mirare. Cette production, c’est vraiment à souligner, a été programmée dans le cadre du Printemps des Arts de Nantes, accompagnée de diverses manifestations autour de Pyrame et Thisbé : lecture de la tragédie homonyme de Théophile de Viau par Benjamin Lazar, conférences sur la fortune picturale du thème, initiation du public scolaire, etc.
Enfin, les éditions Espaces 34, sises à Montpellier et qui se consacrent à l’édition de pièces rares du XVIIIe siècle, ont fait paraître un volume consistant sous la direction de Françoise Rubellin : Pyrame et Thisbé : un opéra au miroir de ses parodies. Il propose le livret de l’opéra avec toutes les variantes, accompagné d’une étude littéraire et musicologique, complétée par le texte de diverses parodies de Pyrame & Thisbé jouées au Théâtre de la Foire entre 1726 et 1757 (l’existence de ces parodies est un signe sûr du succès des opéras ainsi parodiés). Voilà bien des conditions exemplaires pour l’exhumation d’une œuvre marquante. Bravo. »

ResMusicaUn maillon fort du baroque français

« Au terme d’un prologue allégorique, pendant lequel Vénus et la Gloire débattent de la compatibilité de l’amour et du devoir pour finalement proclamer « Régnons d’intelligence », nous sommes plongés dans la tragédie de Pirame et Thisbé, deux jeunes gens qui s’aiment depuis toujours. Ninus, roi de Babylone et fils de Sémiramis, tombe malheureusement amoureux de Thisbé et délaisse Zoraïde. Celle-ci n’est autre que la fille du grand magicien Zoroastre, qui déchaîne ses pouvoirs par mesure de rétorsion. Ninus, l’inconstant, sera-t-il puni ? Non, ce sont nos amoureux qui, victimes d’une méprise qui les reli si étroitement aux amants véronais de Shakespeare, s’immolent sur l’autel de l’amour et de l’honneur. L’intrigue paraît cousue de fil blanc, et pourtant les personnages existent, souffrent, luttent et s’interrogent ; le librettiste Jean-Louis Ignace de la Serre, censeur royal et biographe de Molière, ne s’est très heureusement autorisé aucune fadeur dans la peinture des caractères.
Pirame et Thisbé est le premier opéra né de la collaboration de François Rebel et François Francœur, pas même trentenaires lors de sa création à l’Académie Royale de Musique en 1726. Un demi-siècle plus tard, après que les deux amis eurent assumé de concert la direction de l’Opéra, c’est Francœur seul qui assure la réalisation de la version définitive, jouée en 1771 et éditée en 1779. C’est cette ultime mouture, redécouverte par Daniel Cuiller, que proposent aujourd’hui Angers Nantes Opéra et l’ensemble Stradivaria, au moment même où est porté sur les fonts baptismaux un nouveau pôle de coopération culturelle, « Scènes Baroques », associant sous l’égide d’A. N. O. et de l’ARIA (Académie de recherches sur l’interprétation ancienne) de Rezé, les différentes structures culturelles œuvrant localement dans le champ des musiques anciennes.
Tout au long des cinq actes qui constituent cette tragédie lyrique, les deux musiciens font preuve d’une qualité d’instrumentation, d’une maîtrise de l’écriture chorale et d’une fraîcheur mélodique qui forcent le respect. Bien sûr, l’œuvre a connu une longue maturation, mais nous pouvons imaginer que les jalons de sa séduction avaient été posés d’emblée, ce qui explique son succès immédiat comme les commentaires malveillants d’observateurs doutant que les deux jeunes musiciens aient pu composer des pages d’un souffle et d’une couleur aussi soutenus sans l’appui de maîtres renommés. Etrangers à ces controverses, nous nous laissons porter par la grâce des lignes mélodiques, la fluidité du commentaire orchestral, le naturel des vocalises et la délicatesse des contre-chants instrumentaux. Cette partition témoigne d’un goût très sûr et d’un généreux élan juvénile, ne tolérant aucun alanguissement, de même que d’un réel pouvoir d’évocation, en particulier lorsque Zoraïde décrit les sortilèges de son père.
La très prometteuse Mariame Clément signe une mise en scène qui conjugue simplicité et imagination espiègle. Evitant le piège de l’actualisation comme les périls de la reconstitution (en dépit d’un clin d’œil très bien venu aux machineries baroques à l’occasion de l’apparition de Zoroastre au troisième acte), elle nous entraîne dans un Orient rêvé, où Ali Baba s’invite chez les Ming et Schéhérazade parcourt les rizières. Des palais ottomans aux jardins zen, c’est toute l’Asie qui est ainsi élégamment suggérée. Dans cette scénographie astucieuse, Mariame Clément opte pour une charmante distanciation (en particulier pour le triomphe de Pirame au premier acte), avec malice mais sans ironie. Toutefois, lorsque l’étau du drame se resserre autour des deux protagonistes, l’espace scénique (jusque là confiné dans un quadrilatère étroit) s’élargit et les costumes s’actualisent : la couleur locale s’éteint pour laisser le drame à cru jusqu’au dénouement tragique, d’une poignante sobriété.
Il faut saluer la préparation technique du chœur, composé de jeunes chanteurs recrutés sur audition à l’automne et qui ont bénéficié de quatre sessions de formation professionnelle avec des intervenants aussi prestigieux qu’Agnès Mellon et Isabelle Poulenard. L’ensemble Stradivaria, qui fête ses vingt ans cette année, se coule parfaitement dans ce répertoire qui lui est familier, sous la direction souple et précise de Daniel Cuiller, dont la lecture pratique l’alacrité sans acidité.
La distribution est plus inégale. Jeffrey Thompson, ténor de caractère, peine dans la partie meurtière de Ninus, auquel il ne parvient pas à conférer la noblesse souhaitable. Son engagement dramatique sans retenue le conduit même à la limite de l’incident dans son air de bravoure à la fin du deuxième acte. De même, le soprano court de Katia Velletaz ne peut traduire toutes les facettes de Zoraïde. En revanche, Jean Teitgen fait belle impression dans Zoroastre avec une voix qui a trouvé toute son assise, un timbre profond, une réelle adéquation stylistique et une indéniable présence scénique. Ce sont toutefois les deux interprètes principaux qui enlèvent la mise. Dans la partie pourtant peu démonstrative de Pirame, Thomas Dolié, très concentré, confirme brillamment ses qualités vocales et sa maîtrise technique. Interprète de Thisbé, Judith Van Wanroij est une véritable révélation : timbre captivant, format prometteur et bonne école. Une artiste à suivre ! »