CD Pirame et Thisbé

 

COMPOSITEUR François FRANCOEUR et François REBEL
LIBRETTISTE Jean-Louis-Ignace de la Serre

 

ORCHESTRE Stradivaria
CHOEUR Choeur de l’Académie Baroque (dir. Phlippe Le Corf)
DIRECTION Daniel Cuiller

 

Pirame Thomas Dolié baryton
Thisbé Judith van Wanroij soprano
Ninus Jeffrey Thompson ténor
Zoraïde Katia Velletaz soprano
Zoroastre Jean Teitgen basse
La Gloire Leonor Leprêtre soprano
Vénus Adèle Carlier soprano

 

DATE D’ENREGISTREMENT mai 2007
LIEU D’ENREGISTREMENT Nantes – Théâtre Graslin
ENREGISTREMENT EN CONCERT oui

 

EDITEUR Mirare
DISTRIBUTION Harmonia Mundi
DATE DE PRODUCTION 24 avril 2008
NOMBRE DE DISQUES 2
CATEGORIE DDD

 

 

Critique de cet enregistrement dans :

Le Monde de la Musique – juillet/août 2008 – appréciation 3 / 5

« Régulièrement, disques et concerts le confirment : une vie lyrique a existé durant le demi-siècle qui sépare la mort de Lully des débuts de Rameau. Hier Hugo Reyne dévoilait Ulysse de Jean-Féry Rebel, aujourd’hui Daniel Cuiller fait entendre une tragédie lyrique de son fils François, composée avec Français Francoeur, également fils de musicien. Elle repose sur une des plus célèbres Métamorphoses d’Ovide, Pirame et Thisbé, que Shakespeare adaptera en Roméo et Juliette. Du récit original, le librettiste La Serre ne retient que le double suicide des amants et occulte la rivalité entre leurs familles. Il y ajoute en revanche de nouveaux personnages, Nirus, roi de Babylone, Zoraïde, sa promise, et Zoroastre, le père de cette dernière, qui viennent interférer dans les amours des protagonistes.
Echo d’une série de représentations au Théâtre Graslin de Nantes, cette première discographique permet d’apprécier l’efficacité de la construction dramatique (la fin, lapidaire, rappelle celle de Cal­lirhoé de Destouches) malgré sa soumission au modèle lulliste où règnent récitatifs et danses. L’écri­ture orchestrale se montre souvent brillante, évoque parfois Rameau (bassons dans l’aigu, les traits imprévisibles des violons quand Zoraïde invoque son père, Acte II, scène 5) et ne manque jamais de charme dans cette oeuvre où se mêlent amour, jalousie et magie.
Tous les éléments semblent donc réunis pour combler le curieux. Mais il faudra passer outre une prise de son d’une grisaille incompréhensible et des violons faillibles, puis supporter le Ninus braillard et maniéré de Jeffrey Thompson. On appréciera ensuite le fier Pirame de Thomas Dolié, la solide Zoroastre de Jean Teitgen et surtout la grave Zoraïde de Katia Velletaz (Acte II, scène 2) et la théâtrale Thisbé de Judith Van Wanroij, fleur rare que William Christie avait choisie pour son Jardin des Voix. »

Diapason – juillet/août 2008 – appréciation 5 / 5 – technique 7 / 10

« Le passage de la tragédie myrique entre la mort de Lully et la vocation tardive de Rameau, se précise peu à peu au disque. Destouches revit fièrement (Niquet, Glossa), Desmarest pastoralement Rousset, Naïve), la Semele de Marais en dépit de terribles vers (à nouveau Niquet), le Céphale et Procris d’Elisabeth Jacquet de La Guerre malgré toutes ses maladresses (et une distribution impossible, ORF), Rebel père (Jean-Féry) à travers son bel Ulysse (Reyne, Chabotterie), et son fils François dans ce Pirame et Thisbé qu’il écrivait à quatre mains avec Francoeur en 1726 — première collaboration d’une longue série pour l’Académie royale. Comment les deux jeunes François, violonistes l’un et l’autre, se partageaient-ils le travail ? “ Morceaux d’expression “ pour Francoeur, nous dit-on, “ morceaux de caractère “ pour son complice. Mais la signature est commune, celle d’un art mélodique intarissable et savoureux, d’un trait fondamentalement classique. Quelquefois nuancé (chez Francoeur, semble-t-il) par des harmonies saisissantes, ainsi le désespoir furieux de Ninus à la fin de l’acte II.
Autre atout de l’oeuvre, son livret. Ignace de La Serre concentre dans le dernier acte l’essentiel du récit d’Ovide (quiproquo en double suicide façon Roméo et Juliette) et le prépare à travers un chassé-croisé vigoureux et pervers. Les chantages vont bon train au nom de l’amour, par l’ignoble empereur épris de Thisbé, mais aussi la tendreZoraïde prête à tout pour le reconquérir. Ninus arrive in extremis sur le cadavre de son rival, et trouve Thisbé écumante : « J’abhorre, Roi cruel,/ Ta flamme criminelle./ Celle de mon amant était pure et fidèle,/ Il meurt pour moi, je meurs pour lui. » Poignard, rideau.., de fa dièse majeur.
Irrésistible au Théâtre Graslin l’an dernier, cette révélation captée sur le vif est un peu moins heureuse au disque. Le choeur formé pour l’occasion, très sollicité par la mise en scène, manque d’assurance et de rondeur ; Stradivaria séduit toujours par ses phrasés souples mais quelques imprécisions prennent un tout autre relief. Thomas Dolié fait un guerrier bien indolent ; le show névrotique de Jeffrey Thompson impressionnait en scène, hélas les micros n’en transmettent que l’uniformité, les respirations hystériques et les détails peu soignés. Même la noble Thisbé de Judith Van Wanroij, timbre décidément jumeau de Mireille Delunsch à ses débuts, trahit à l’aveugle une déclamation un rien rigide et parfois systématique — celle de Katia Velletaz est en revanche idéalement conduite et sensible. Gageons qu’un enregistrement de studio aurait permis à Daniel Cuiller, qui dirigeait là sa première production lyrique, de donner plus de souffle au prologue ankylosé, et de resserrer bénéfiquement certains boulons sans contraindre son geste large et naturel. »

Classica – juillet/août 2008 – appréciation 5 / 10

« Enfants de la balle, chacun est issu d’une dynastie de musiciens. Francoeur est le fils d’un violoniste de l’opéra, orchestre dans lequel il joue dès ses 15 ans. François Rebel a pour père le célèbre Jean-Féry Rebel, violoniste du roi et auteur du stupéfiant ballet des Élémens. Les deux garçons lient connaissance lors d’un voyage à Prague pour assister au couronnement de l’empereur de Charles VI. Devenus célèbres grâce à Pirame, cette tragédie leur permettra d’accéder à la direction de l’Académie Royale en 1757. Louis XV leur on accorde la licence pour trente ans, mais ils rendront leur tablier dès 1767. Pirame et Thisbé est aussi l’opéra des enfants puisque l’histoire recueillie par Ovide dans ses Métamorphoses est le Roméo et Juliette antique. Elle permet au poète latin de fixer l’origine du mûrier dont les fruits restèrent noirs en souvenir du sang des amants que l’arbre reçut. C’est aussi le sujet d’une pièce de Théophile de Viau et la fable figure comme pièce dans la pièce au coeur du Songe d’une nuit d’été. En 1726 la galanterie se pique d’exotisme. Le librettiste Jean Louis Ignace de la Serre adjoint en effet un couple alors en vogue, le mage Zoroastre et la jalouse Zoraïde dont les menées précipitent le drame. Sans oublier un roi Ninus en jaloux obligé. Montée sous forme de miniature persane à Angers et Nantes en 2007 par Mariame Clément, la partition relie Campra et Rameau. Les choeurs à cinq parties appartiennent au grand motet mais la couleur ramiste est en gestation. Pirame est de 1726, Hippolyte et Aricie de 1733. Écoutez l’air de Thisbé « Amour que ton flambeau me guide » (acte V), ce sont déjà les accents de Phédre dans « Cruelle mère des amours ». Cette oeuvre inouïe est brillante, sans temps morts ni faiblesse, sauf le rôle de Ninus littéralement hurlé par Jeffrey Thompson. Déjà pénible sur scène, sa voix gâche souvent l’écoute de cette rareté plutôt bien servie par le choeur de l’Académie Baroque et le reste d’une distribution verte, mais vaillante. »

Opéra Magazine – octobre 2008 – appréciation 4 / 5

« Comme le soulignait très justement Richard Martet dans son compte rendu de la recréation de Pirome et Thisbé parAngers Nantes Opéra au printemps 2007, la tragédie lyrique post-lullyste est loin d’avoir livré toutes ses richesses. Pour preuve, cette partition éclatante, composée à quatre mains par Rebel et Francœur en 1726. Inspirée et fluide, leur musique se distingue tout de suite par son extrême qualité. Les rythmes sont d’une variété exceptionnelle, les coloris instrumentaux toujours renouvelés. La vocalité, pour sa part, si elle fait preuve de virtuosité, ne se laisse jamais embarquer dans une ornementation outrancière ou systématique. Le traitement choral, enfin, réserve de formidables envolées.
Malheureusement l’enthousiasme perceptible dans la salle laisse au disque une empreinte moins accomplie et l’on se demande si un enregistrement de studio n’aurait pas été préférable. Dans cette captation effectuée au Théâtre Graslin de Hantes, les pupitres de Stradivaria, s’ils sonnent avec implication et tempérament, ne s’expriment pas toujours avec rigueur. L’ouverture, en dépit de sa belle énergie, souffre notamment d’imprécisions répétées sur les sections vives. De même, le jeune Choeur de l’Académie Baroque montre plus d’une fois ses limites, en termes d’homogénéité et de souplesse. Chez les solistes,Thomas Dolié, récemment récompensé par une Victoire de la musique classique, désappointe par son manque de mordant. JeffreyThompson, à l’inverse, frôle l’implosion par ses détimbrages intempestifs. Jean Teitgen, Zoroastre monolithique, n’a pas de vraie ampleur. Côté féminin, Juditn van Wanroij, en dépit de résistances palpables sur quelques récitasifs, apporte à Thisbé toute la richesse harmonique de son timbre. Katia Velletoz se montre toutefois la plus convaincante : timbre charnu, diction assurée, son soprano épanoui offre à Zoraïde de délectables nuances.
Une résurrection plus qu’attachante, dont les défauts sont un moindre mal en l’état actuel de a discographie. »