La Délivrance de Renaud, un ballet très politique
« J’étais roi, mais je n’étais rien. Bientôt, je serai vraiment roi. »
Telle était la pensée que devait ruminer le jeune Louis XIII en ce dimanche 29 janvier 1617, alors qu’il revêtait son habit de Démon du Feu pour aller danser dans le Ballet de la Délivrance de Renaud.
On a dit de ce ballet de cour qu’il était le dernier ballet politique (1). Si c’est faire peu de cas du caractère politique d’autres ballets plus tardifs tels que le Ballet de la Nuit ou le Ballet du Palais d’Alcine, il faut reconnaître que rarement ballet de cour eut à ce point le caractère annonciateur d’un bouleversement politique.
Louis XIII est alors âgé de seize ans et demi. Sacré roi de France à l’âge de neuf ans, déclaré majeur à quatorze, il est roi, mais ne compte pour rien dans la conduite des affaires du pays. Depuis que le poignard de Ravaillac l’a privé de père, le pouvoir est accaparé par sa mère Marie de Médicis, qui s’est fait nommer Régente, et par ses âmes damnées, sa soeur de lait Léonora Dori, dite Galligaï, et son mari Concino Concini. L’influence de ce dernier a grandi jusqu’à la démesure : après avoir acheté le marquisat d’Ancre, en Picardie, il a cumulé les charges et les honneurs jusqu’à se faire nommer maréchal en 1613. La majorité de Louis XIII, en octobre 1614, n’y a rien changé : Marie de Médicis, de Régente, est devenue Chef du Conseil, et gouverne avec le couple infernal, Concini allant jusqu’à choisir lui-même les ministres.
Mais le jeune roi supporte de plus en plus mal d’être tenu à l’écart, et de subir l’arrogance de l’aventurier florentin. Il trouve une oreille compatissante en la personne d’Albert de Luynes, petit noble provençal arriviste dont le jeune roi ne peut plus se passer, au point d’en faire son Grand Fauconnier. L’idée de « prendre le pouvoir » fait son chemin, d’autant que Concini, en butte à la haine des princes, bat des records d’impopularité. En septembre 1616, l’arrestation de Condé sert de prétexte à la foule pour dévaster son hôtel du faubourg St Germain. Les jours de l’aventurier florentin sont comptés : reste à savoir qui sera l’artisan de sa chute : le parti des princes, ou le parti du roi ?
Si le maréchal d’Ancre avait pris la peine de déchiffrer la signification – à peine – cachée du Ballet de la Délivrance de Renaud, il aurait su d’où viendrait le coup fatal. Pour le premier ballet royal de son règne, Louis XIII avait choisi lui-même le thème, tiré de La Jérusalem délivrée de Torquato Tasso : le chevalier Renaud, victime des enchantements de la magicienne Armide, échappe à son emprise, et rejoint Godefroy de Bouillon sous les murs de Jérusalem. Il fallait être aveugle pour ne pas y voir une allusion au projet du jeune roi : se débarrasser de la tutelle de la reine-mère et de ses favoris, et mettre au pas les princes sous l’autorité royale.
Louis XIII avait apporté le plus grand soin à la préparation du ballet, son médecin Héroard notant, le 19 janvier : Il recorde szon ballet deux fois par jour. Le soir du 29 janvier, la foule était telle, au Louvre, que la représentation fut retardée, et que le roi lui-même, qui était, comme bien souvent, allé souper chez le duc de Luynes, eut beaucoup de peine à se frayer un passage. La représentation commença à deux heures et demi et se termina à cinq heures du matin.
Dans la première entrée, qui voit Renaud s’alanguir sous le charme des enchantements d’Armide, et sous la garde de ses Démons, le roi avait choisi de figurer un Démon du Feu. Pour que nul n’en ignore la signification, Étienne Durand (2) explique longuement dans l’édition du Ballet parue chez Ballard que le choix du roi visait ainsi à assurer la reine de sa flamme – ce qui ne risquait pas de tromper grand monde, Louis XIII passant beaucoup plus de temps avec De Luynes qu’avec Anne d’Autriche -, mais aussi et surtout à montrer sa puissance à ses ennemis, et sa Majesté aux estrangers. Car c’est le propre du feu d’épurer les corps impurs. Louis XIII voulait ainsi appeler tous ses sujets à leur devoir et les purger de tous prétextes de désobéissance, et était prêt à utiliser son pouvoir pour consumer ses ennemis. L’avertissement avait le mérite d’être clair !
Comme dans les meilleures histoires, tout doit bien se terminer. Renaud, à qui un soldat tend un miroir magique, prend conscience de sa lâcheté, et décide de partir pour le combat. Ce qui donne l’occasion à Louis XIII d’apparaître à nouveau à la fin du ballet, figurant Godefroy de Bouillon, sur un trône sous un pavillon de toile d’or, regardant au-dessous de lui les seigneurs de sa Cour. Le message s’adressait cette fois aux princes : le roi leur rappelait où était leur devoir et les appelait à rejoindre la bannière royale pour défendre la monarchie, émanation du pouvoir divin.
Le 24 avril 1617, moins de trois mois après la représentation du Ballet de la Délivrance de Renaud (3), Concino Concini tombait sous les coups du baron de Vitry, capitaine des gardes du corps. Et une dizaine de jours plus tard, Marie de Médicis quittait Paris pour Blois.
Le jeune roi pouvait clamer à qui voulait l’entendre : A cette heure je suis roi !
Jean-Claude Brenac – Octobre 2009
(*) Naissance du Ballet – Paul Bourcier – Librairie de la Danse
(2) Étienne Durand aurait dû penser que ces menaces le concernaient aussi perssonnellement. Attaché à la maison de Marie de Médicis, il resta fidèle à celle-ci après le meurtre de Concini et fut accusé de comploter contre Luynes, le favori du roi. Il finit roué vif en place de Grève, le 19 juillet 1618.
(3) ce qui n’empêche pas Georgie Durosoir d’écrire dans « Les ballets de la cour de France au XVIIe siècle », que, le 29 janvier, jour de la représentation du Ballet de la Délivrance de Renaud : « La reine mère est éloignée de la Cour, Concini est mort… »
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