Scipione nelle Spagne (Scipion en Espagne)

COMPOSITEUR Antonio CALDARA
LIBRETTISTE Apostolo Zeno

 

Drama per musica, sur un livret en trois actes d’Apostolo Zeno, représenté au Hoftheater de Vienne, le 4 novembre 1722.

Scipione nelle Spagne (*) a été écrit en quelque sorte sur mesure à l’intention de l’archiduc Charles d’Autriche, futur empereur Charles VI (1711-1740). Ce fils cadet de l’empereur Léopold, à la mort du roi d’Espagne Charles II, a prétendu à la couronne d’Espagne, sous le titre de Charles III, et s’est rendu dans ce pays en 1703 pour combattre le successeur désigné par Charles II, Philippe V, petit-fils de Louis XIV. Installé à Barcelone en 1705, il guerroie sans succès jusqu’en 1711, date à laquelle il est rappelé en Autriche pour y succéder à son frère Joseph Ier, empereur depuis le décès de leur père en 1705.

Francesco Negri raconte ainsi la genèse du Scipion : Je ne peux passer sous silence l’invitation plus que toutes honorable et avantageuse qu’il eut de s’employer au service de l’archiduc Charles d’Autriche alors que celui-ci, avec le titre de Charles III, était installé à Barcelone en attendant la fin de la guerre acharnée qui tenait indécis son sort autour du trône d’Espagne. La première œuvre qu’il envoya à Barcelone fut la Zenobia, à laquelle Pariati mit également la main ; peu après, à la demande du marquis Giorgio Clerici, président du sénat de Milan, il envoya le Scipion nelle Spagne, dont l’argument avait été judicieusement choisi pour séduire la gravité des Espagnols. Aussi bien par une œuvre que par l’autre, Zeno se fit une place honorable dans l’opinion du jeune prince, lequel fit ainsi son éloge dans une lettre à son frère l’empereur Joseph : « C’est ainsi que mes poètes me servent.» (F. Negri, Vita di Apostolo Zeno, Venise, 1816, p. 118).

Il est en effet visible que tout le livret est composé ad hominem, puisqu’il donne l’exemple de quelqu’un qui, venu conquérir l’Espagne, s’y est acquis l’affection de sa population par son comportement exemplaire. Les nombreuses allusions aux mœurs espagnoles, à l’honneur espagnol notamment, le rappellent sans cesse. Il n’est pas non plus indifférent de signaler que Charles III s’est emparé de Carthagène en 1706.

La musique de 1710 est perdue ; elle était peut-être de Caldara, d’autres sources mentionnant Chelleri. Le livret est mis en musique à Naples par Alessandro Scarlatti en 1714. Il est ensuite repris en 1722 à Vienne, avec musique de Caldara, pour la fête onomastique de l’empereur, la Saint-Charles (4 novembre, fête de saint Charles Borromée.) Zeno, qui est devenu en 1718 poète officiel de la cour de Vienne, en est absent à cette date. Bien qu’il soit payé pour produire de l’inédit, il réussit cependant à faire reprendre son ancien texte : Au bouillonnement de la jeunesse succédait la glace de la vieillesse, et son esprit lui aussi en ressentait l’influence nocive, et les vers ne lui venaient plus que difficilement. Aussi, pour s’épargner de la fatigue, il entreprit – et il y réussit – de faire chanter pour le jour de la Saint-Charles une de ses premières œuvres, le Venceslao. Il avait déjà fait de même trois ans plus tôt avec le Scipion nelle Spagne, avec la permission du bienveillant monarque. (Negri, Vita…, p. 246).

Le livret s’inspirait largement d’une œuvre antérieure à laquelle Zeno fait allusion dans l’argument, le drame en prose Scipione, overo le gare eroiche, de Giovanni Battista Boccabadati, représenté en 1693 pour le mariage de Francesco d’Este et Margherita Farnese. Le sous-titre les rivalités, les joutes héroïques laisse prévoir l’aspect édifiant de l’œuvre. À titre indicatif, le mot vertu est employé 38 fois ; honneur, 37 ; gloire, 25 ; devoir (nom), 14 ; juste et sa famille, 20. Il est vrai qu’amour apparaît 94 fois…

La licence de 1722 joue abondamment sur le nom de l’empereur, qui invite à évoquer Charlemagne et Charles-Quint. Les victoires évoquées concernent la guerre contre les Turcs : ceux-ci ayant menacé la république de Venise, Charles VI a fait marcher ses armées contre eux et remporté les victoires de Peterwarden (1716 ; actuellement Petrovaradin, en Serbie) et de Belgrade ; la paix de Passarowitz, 1718, lui donne Belgrade, Temesvar, une partie de la Serbie, de la Bosnie et de la Valachie.

 

Personnages : Publius Cornélius Scipion (P. Cornelio Scipione), proconsul de Rome en Espagne, amoureux de Sophonisbe ; Sophonisbe (Sofonisba), fille de Magon, capitaine carthaginois, prisonnière de Scipion et fiancée à Lucéius ; Elvire (Elvira), sœur de Cardénius, prisonnière de Marcius, amoureuse de Lucéius ; Lucéius (Luceio), prince des Celtibères, amoureux de Sophonisbe ; Cardénius (Cardenio), prince des Illergètes, amoureux de Sophonisbe ; L. Marcius (L. Marzio), tribun romain, amoureux d’Elvire ; Q. Trébellius (Q. Trebellio), autre tribun romain, ami de Cardénius.

La scène se passe à Carthagène.

 

Argument

Après que Publius Cornélius Scipion, le premier Africain, eut pris Carthagène en Espagne, on lui amena entre autres prisonnières une belle et noble jeune fille, dont il devint passionnément amoureux ; mais ayant appris qu’elle était promise à Allucius, que d’autres nomment Lucéius, prince des Celtibères, il la rendit généreusement, sans l’avoir touchée, à son fiancé, sans autre condition sinon que celui-ci devînt son ami et l’allié de Rome. Voir Tite-Live, Valère Maxime et autres.

Sur ce fondement historique, on imagine que cette jeune fille se nomme Sophonisbe et est la fille de Magon, capitaine des Carthaginois en Espagne ; qu’elle a été promise au prince Lucéius, mais que la guerre avec les Romains a fait différer le mariage ; que Cardénius, prince des Illergètes, a aspiré à sa main, mais que, se voyant préférer Lucéius, il s’est désisté de son intention, sans que Lucéius l’ait vu ni connu. On a également imaginé qu’Elvire, sœur de Cardénius, restée comme otage auprès de Magon, est devenue amoureuse de Lucéius, mais lui a toujours tu son amour ; que lors de la prise de la ville, elle a été faite prisonnière par Lucius Marcius, un des tribuns militaires romains, lequel s’est épris d’elle ; que Lucéius, mis en déroute dans un accrochage, a été cru mort par tous, y compris par Sophonisbe ; qu’ayant ensuite appris la perte de la cité et la captivité de son amante, il s’est dirigé vers Carthagène, vêtu en simple soldat, pour avoir de ses nouvelles. Le reste se comprend à la lecture du drame, dont le sujet a été ingénieusement traité en prose par une autre plume.

 

Synopsis

Résumé de l’argument : après la prise de Carthagène, Scipion a reçu comme captive la belle Sophonisbe, fiancée au prince celtibère Lucéius. Un autre prince ibère, Cardénius, a également brigué sa main, mais s’est désisté. Elvire, sœur de Cardénius, est amoureuse de Lucéius ; elle est prisonnière du tribun Marcius, qui a des vues libidineuses sur elle. Lucéius, qu’on croit mort au combat, vient à Carthagène déguisé en simple soldat.

Acte I

Sc. 1 à 5 : les Romains célèbrent leur victoire. Elvire, captive attribuée à Marcius, craint pour sa vertu. Scipion recommande à Marcius de la respecter. On annonce que Sophonisbe, prisonnière carthaginoise, enfermée dans une tour, s’est jetée à la mer. À l’émoi qu’il ressent, Scipion comprend qu’il est amoureux d’elle. Elvire repousse les entreprises de Marcius et se déclare prête à suivre l’exemple de Sophonisbe. Marcius décide d’employer la manière forte.

Sc. 6 à 8 : au bord de la mer, Lucéius et Sophonisbe se sont miraculeusement retrouvés. Ils se racontent leurs aventures récentes. Scipion arrive, et, devant Lucéius, se déclare à Sophonisbe. Elle lui présente Lucéius comme un inconnu qui l’a sauvée des flots. Scipion veut le récompenser, il décline et se fait passer pour un soldat de Lucéius, nommé Tersandre. Bien qu’il soit ennemi de Rome, Scipion, qui admire sa noblesse, lui laisse sa liberté, et entreprend de conquérir son amitié. Lucéius est inquiet : Sophonisbe est trop belle pour ne pas plaire à Scipion, Scipion trop vertueux pour ne pas être attirant. Cette même vertu devrait rassurer, mais on ne sait jamais.

Sc. 9-10 : dans le camp romain, Cardénius est venu essayer de récupérer sa sœur Elvire. Le romain Trébellius, qui lui doit la vie, l’assiste. Cardénius avoue aimer Sophonisbe ; mais la défense de l’honneur de sa sœur est prioritaire.

Sc. 11 à 13 : faute d’autre argument, Marcius propose le mariage à Elvire. Elle le repousse, il devient menaçant, puis sort. Cardénius, qui a suivi la scène, est indigné et prêt à le tuer ; puis, il s’avise que tuer Elvire serait aussi un bon moyen de sauver son honneur. Marcius revient à temps pour l’en empêcher ; ils se battent. Survient Scipion, à qui Cardénius explique les enjeux. Scipion confisque Elvire à Marcius.

Sc. 14 à 15 : Marcius proteste : il veut Elvire, et non sa rançon ; et il souligne la dangerosité de Cardénius. Lucéius est inquiet : Scipion est trop admirable. Cardénius est fait prisonnier ; mais il est reconnaissant à Scipion d’avoir défendu l’honneur de sa sœur, donc le sien.

Sc. 16-17 : Lucéius accuse Scipion d’accabler Cardénius en tant que rival auprès de Sophonisbe. Scipion obtient de Lucéius un serment d’amitié en échange de la liberté de Cardénius. Sophonisbe s’inquiète : comment pourra-t-il concilier son amour pour elle et son amitié pour Scipion, qui est son rival ? En tout cas, elle n’aime que lui.

Acte II

Sc. 1-2 : On libère Cardénius, qui est intrigué : qui est ce Tersandre qui est intervenu en sa faveur ?

Sc. 3-4 : Marcius n’en veut plus à Cardénius ; mais il trouve injuste qu’on lui enlève Elvire, alors que Scipion conserve Sophonisbe. Celle-ci est convoquée : Scipion lui déclare que, malgré son amour, il va lui rendre sa liberté, et, puisque Lucéius est mort, la marier à Cardénius. Celui-ci exulte, Lucéius est évidemment consterné ; lui comme Sophonisbe sont en proie à un affreux dilemme. Marcius a pour consolation de voir souffrir Scipion.

Sc. 5 à 7 : Sophonisbe manifeste sa répugnance à Cardénius, qui demande l’assistance de Lucéius. Cardénius sorti, elle reproche à Lucéius d’avoir été trop bon pour lui : sa vertu les perdra. Restée seule, ele chante son dilemme : si elle épouse Cardénius, elle trahit Lucéius ; si elle refuse ce mariage, on la soupçonnera d’être l’heureuse maîtresse de Scipion.

Sc. 8-9 : Elvire révèle à son frère que Tersandre est Lucéius, et qu’elle l’aime. Cardénius amène Lucéius à se découvrir, et lui déclare renoncer à Sophonisbe.

Sc. 10 à 12 : Cardénius doit ensuite faire accepter son refus par Scipion ; l’assaut de générosité est arbitré par Lucéius, en faveur de Cardénius. Scipion, se voyant rendre Sophonisbe, envisage le mariage pour sauver leur honneur. Il envoie Lucéius lui en parler. Celui-ci souffre, mais se console en se sentant généreux.

Sc. 13 : Marcius envisage d’enlever Elvire.

Sc. 14 à 16 : Sophonisbe est soulagée d’échapper à Cardénius ; mais Lucéius la pousse à épouser Scipion ; si elle refuse, il se fera connaître, donc tuer. Après de longs débats, Sophonisbe feint d’accepter. Scipion ravi va faire préparer la cérémonie.

Sc. 17 à 19 : Elvire déclare son amour à Lucéius. Marcius les suprend et est indigné de voir quel vil objet elle a choisi. Les deux hommes se battent. Scipion arrive à temps pour les séparer. Pour sauver l’honneur d’Elvire, Lucéius révèle que son amour est haut placé : elle aime le prince Lucéius, et c’est lui-même. Marcius réclame sa tête : non seulement c’est un ennemi, mais il s’est introduit sous un faux nom dans le camp romain.

Sc. 21-21 : Lucéius expose à Scipion que son honneur et son devoir lui imposaient de lui céder Sophonisbe ; Scipion est piqué au vif ; il va réfléchir. Elvire est angoissée.

Acte III

Sc. 1 : Sophonisbe reproche à Lucéius d’avoir pris trop de risques pour Elvire.

Sc. 2 : Scipion est prêt à protéger Lucéius, que Sophonisbe lui demande de sauver : il va lui procurer un vaisseau, et Sophonisbe l’y suivra. Les deux hommes joutent pour se rendre mutuellement leur présent (i.e. Sophonisbe).

L’intéressée a une idée diabolique : elle invite Lucéius à partir avec Elvire et à être heureux avec elle. Lucéius préfèrerait une mort glorieuse en combattant, mais se résigne.

Sc. 3-4 : Elvire annonce un soulèvement des troupes romaines, qui réclament la tête de Lucéius. Cardénius va défendre ce dernier.

Sc. 5-6 : Sophonisbe et Elvire font assaut de noblesse et de générosité. Elvire va renoncer à Lucéius.

Sc. 7 à 11 : Marcius propose un marché à Scipion : il favorisera l’évasion de Lucéius, si on lui rend Elvire. Scipion expose le marché à Elvire et Cardénius. Cardénius est contre, mais Elvire est prête à tout pour sauver Lucéius. Celui-ci ne veut pas de cette solution, qui mettrait l’honneur d’Elvire en danger. Scipion pris comme arbitre diffère sa décision.

Sc. 12 à 14 : Lucéius obtient de Marcius qu’il s’engage par serment à assurer sa sécurité, à défaut de quoi il perdra Elvire. Sur cette assurance, il part avec lui. Les autres restent bouleversés et l’expriment dans un quatuor.

Sc. 15 à 17 : au camp romain, Marcius annonce qu’on va aller tuer Lucéius, mais demande à ses hommes d’épargner Tersandre. Lucéius, qui veut mourir en héros, révèle son identité. Trébellius est indigné de la duplicité de Marcius, mais veut s’en remettre à Scipion avant de tuer Lucéius. L’héroïsme de Lucéius provoque l’admiration des troupes. Scipion arrivant pardonne à tout le monde, y compris Marcius ; il veut rendre Sophonisbe à Lucéius, qui lui renvoie la politesse ; Sophonisbe est accablée par ce duel de générosité ; on s’en remet à l’arbitrage d’Elvire, qui se montre aussi généreuse que les autres en se désistant de toute prétention sur Lucéius, qui épousera donc Sophonisbe.

(*) page écrite par Alain Duc

Livret (en italien)