Ballet du Grand Bal de la Douairière de Billebahaut

COMPOSITEUR Antoine BOËSSET
LIBRETTISTE René Bordier


Ballet dansé le 26 février 1626.
Cinq airs ont été conservés, dont trois d’Antoine Boësset, un de Paul Auget, et un de François Richard, sur des textes de René Bordier.

second récit du Grand Turc, de Boësset : Je règne à la source du jour, Où le Soleil me faict la cour, inclus dans le recueil d’Airs de cour avec la tablature de luth d’Antoine Boesset (Ballard, 1626) ;
quatrième récit, de Boësset : Il est vray, mes beautez seroyent dignes de blasme Si je manquois de foy, inclus dans les recueils d’Airs de cour à 4 & 5 parties (Ballard, 1626), d’Airs de cour avec la tablature de luth d’Antoine Boesset (Ballard, 1626), d’Airs de cour à 4 & 5 parties (Ballard, 1689) ;
dernier récit, de Boësset, chanté en choeur par le corps de musique qui vient auparavant le Grand Ballet : Grandes Reynes dont les yeux captivent les Roys, Les voyci, qui d’un juste choix, inclus dans les recueils d’Airs de cour à 4 & 5 parties (Ballard, 1626), d’Airs de cour avec la tablature de luth d’Antoine Boesset (Ballard, 1626), d’Airs de cour à 4 & 5 parties (Ballard, 1689) ;
récit du Cacique sur son éléphant, de Paul Auget : Je fais pleuvoir par tout la honte & le malheur, Quand mon ambition fait tonner ma valeur, inclus dans le recueil d’Airs de cour avec la tablature de luth d’Antoine Boesset (Ballard, 1626) ;
récit d’Atabalipa suivy des peuples et coustumes de l’Amérique, de François Richard : Je suis l’effroi des plus grands rois A qui je laisse pour tout choix La gloire de me rendre hommage, inclus dans les recueils d’Airs de cour avec la tablature de luth d’Antoine Boesset (Ballard, 1626), d’Airs de cour avec la tablature de luth (Ballard, 1637), et d’Airs de cour à 4 parties (Ballard, 1637)


A côté de René Bordier, d’autres auteurs écrivirent des vers : Claude de l’Estoile (*), un certain Imbert, Charles Sorel (**), et César de Grand Pré (***)
(*) Claude de L’Estoile (1602 – 1652), fils de Pierre de L’Estoile (secrétaire du roi, grand audiencier de la chancellerie de France), se consacra aux belles-lettres, et devint l’un des premiers membres de l’Académie française en 1634.

(**) Charles Sorel, sieur de Souvigny (1602-1674), romancier et écrivain prolifique. Il participa en 1623 à la composition du livret du Ballet des Bacchanales aux côtés de Théophile de Viau, Boisrobert-Métel, Saint-Amant et Du Vivier. En 1635, il racheta la charge d’historiographe de son oncle.

Charles Sorel
(***) César de Grand Pré, mal connu, auteur de la dédicace à la reine-mère Marie de Médicis, du Ballet du Grand Démogorgon, dansé en 1632, dans laquelle il définit le ballet à entrées.

Il parut en 1626 chez Mathurin Hénault une Description du Ballet, et les Vers dudit ballet par le sieur Bordier, ayant charge de la poésie près de Sa Majesté.

Ballets d’Atabalipa, & des Peuples d’Amérique
Les bruits qui portent esgallement sur leurs aisles les secrets des plus petites escholles, aussi-bien que les manigances des plus grands Monarques, n’ont pas espargné leur diligence à répandre parmy les diverses parties du Monde les mérites de la Douairiere de Billebahaut ; laquelle pour accueillir les honnestes recherches du Fanfan de Sotte-Ville, assemble le grand Bal à la manière de ses Ancestres, pour recognoistre les gestes de son Galand, & controller le maintien des Estrangers qui arrivent de tous costez, en la forme qui s’enfuit.
Récit de l'Amérique - femme jouant de la mandoline - Daniel Rabel
S’il est donc vray que la promptitude des bruits recueille la curiosité de tant de gens, quelle force n’a point la Renommée, qui penettre les tombeaux, & réassemble les cendres dispersées pour leur donner un nouvel estre. Voicy la puissance qui esclatte en l’arrivée d’Atabalipa, Roy de Cusco, lequel ayant envoyé son Récit devant luy,
Récit des Ameriquains
revient sur la terre, & paroist dans la Salle du Louvre,
Entrée d’Atabalipa
Entrée du Roy - Atabalipa - Daniel Rabel
porté à la façon de la contrée, à sa teste d’une troupe d’Ameriquains, lesquels ayant l’honneur de danser un Ballet avec luy, animent leur disposition par la présence de leur Chef inanimé.
Ballet des Ameriquains
Première Entrée des Amériquains - Daniel Rabel
Quelqu’un dira que ces gentils Ameriquains ne sont habillez que de plumes ; mais pour cela ne les rejettez pas, puis que comme légers ils excuseront facilement les legeretez d’autruy.
Ceux-là n’ont pas plustost monstré la plante des pieds à la Compagnie, qu’une troupe de Perroquets monstrent leur bec aux portes du Théâtre :
Ballet des Perroquets
Entrée des quatre Perroquets - Daniel Rabel
Et bien qu’ils seroient, peut-estre, meilleurs causeurs en cage, que bons danseurs devant les Dames, si ne laissent-ils de se glorifier en leur bonne ou mauvaise danse, à cause de leur plumage vert, qui les couvre d’espérance d’estre bien ou mal reçeus.
Mais helas ! les Chasseurs naturels du païs
Ballet des Preneurs de Perroquets
Seconde entrée des Amériquains - Chasseurs - Daniel Rabel
arrivent chargez d’instrumens préparez à leur ruine ; ils leur présentent une espèce de Musique,
Musique de l'Amérique - Daniel Rabel
dont le son les amuse, le bruit les estonne, & ne sçavent s’ils doivent escouter ou fuïr ; tellement que les uns pensent trouuer leur azile dans les filets que leurs propres ennemis leur ont tendus : les autres qui rencontrent leurs espèces dans les miroüers, y croyent trouver la feureté de leur vie, fans s’adviser que la cruelle main du Chasseur les attrappe. Lors il ne leur reste autre espérance que de servir d’honorable mets sur la table de leur Roy, dequoy encores ils demeurent trompez, puis que n’estant qu’un ombre il ne se repaist que d’air.
Mais cependant que les Chasseurs emportent leur proye, ils ne songent pas que les extravagantes Androgines prennent leur place, lesquelles pour garantir leur Ballet des atteintes de nos Censeurs, mettent en comparaison le pas terre à terre, avec le dispost : Elles portent comme femmes la quenouille, & comme hommes la massuë, pour filer d’un costé & d’assommer de l’autre.

Vers des Ballets de l’Amérique Par le sieur Bordier, ayant charge de la Poesie pres de sa Majesté : lesquels Vers ne regardent principallement que les Récits de la Musique, & les personnages du Roy, des Princes & Seigneurs
Atabalipa, suivy des Peuples et coustumes de l’Amérique. Récit
Je suis l’effroy des puissans Roys, A qui je laisse pour tout choix La gloire de me rendre hommage ; Et vais réduire les Mortels A ne chercher plus les Autels Que pour adorer mon Image.
Neptune flatte mon courroux, L’orgueil de Mars est à genoux Lorsque ma fureur est armée ; Et le Soleil ne luit aux Cieux, Que pour guider en mille lieux Les courriers de ma Renommée.
Mais ô que dans les grands Estats L’ambition des Potentats Trouve d’embusches dans sa routte Quand j’ay terre & mer surmonté, Invincible je suis domté Par un Enfant qui ne voit goutte.
Monsieur le Comte représentant l’un des Ameriquains
Beautez qui me voyez paroistre a coeur ouvert, Au rang des Inconstants & des plus Infidelles Encore que mon corps soit de plumes couvert, Mon amour n’a point d’aisles.
Monsieur le Comte d’Arcourt (*) représentant un Androgine
Quelle gloire eut jamais de plus augustes marques, Le fuzeau que je tiens est le fuzeau des Parques. Par qui des Rodomons je dévide les jours, Leur audace ou je suis est en vain occuppée, Affin de la trancher sans espoir de secours J’ay de la main de Mars cette fameuse espée.
(*) Henri de Lorraine, comte d’Harcourt, alors âgé de 21 ans


Recueil de Vers de quelques beaux Esprits, qui ont travaillé pour les particuliers.
Atabalipa, Roy de Cusco
Quelqu’un dira peut estre, au lieu de me loüer, Que si l’on voit ma tejse en grosseur non commune, C’est à cause quelle a des chambres à louer Pour loger en tout temps la follie & la lune.
Mais las ! j’ay tant de soin pour estre possesseur D’une jeune merveille, a nulle autre seconde, Qu’il faut bien que ma teste ait beaucoup de grosseurs Puis que je mets dedans tous les soucis du monde.
O beauté, beau suject de joye & de tourment, Et qu’avec tant d’amour tous les jours je recherche ; Chere Olinde aymons-nous jusqu’au jour seulement Que l’on sçaura pourquoy je suis sur une perche.

(De L’Estoille)

Atabalipa, Roy de Cusco. Au Roy.
J’ay quitté mon séjour, & ce que je possede De biens, de gloire & de pouvoir, Pour posseder un bien à qui tout autre cede, Qui naist de celuy de te voir. Honneur que je tiendray toujours incomparable, Puis que pour comble de ce bien, Je trouve en tes païs ce Soleil adorable, Qui fait que l’autre n’est plus rien, Je voy les yeux divins de ceste Doüairière, Qui font advoüer aux mortels Que les autres attraits trouvent un cimetière, Quand les siens trouvent des autels. Belles qui ravissez, vostre gloire est ravie, Une autre a maintenant son tour, Ceste Cypris vous doit faire mourir d’enuie, Ou son Adon mourir d’amour.

(Imbert)

Autres Vers pour Monsieur le Comte.
De ces riches climats les derniers découverts, De ces fertilles champs qui n’ont iamais d’hyvers, Je me fuis venu rendre aux prisons de Cloride : J’ay par terre & par mer cheminé nuict & jours Et n’ay voullu qu’Amour, Tout aveugle qu’il est, pour Pilote & pour guide. On ne peut ignorer quels estoient les plaisirs, Dont ces lieux innocens contentoient mes desirs ; Nos terres ny nos moeurs ne font plus incogneües : C’est la qu’on trouve aux coeurs de la fidélité, Et que la liberté Fait voir, comme les corps les ames toutes nuës. […]
Pour les Perroquets. Aux Dames.
Ce n’est point la légèreté Qui nous fait desguiser en ces formes nouuelles; Pour nous ravir la liberté Amour que nous suivons nous a donne ces aisles. […] Si nous avons trop de caquet, Et st nostre discours se porte à la licence, Feignez d’entendre un Perroquet Qui parle incessamment, et qui jamais n’offence.

(Imbert)

Pour les Ameriquains chassans aux Perroquets avec des miroüers & des rets.
Quel Dieu contraire à nos esbats Fait que nostre poursuitte est vaine, Et que fsns prendre rien qu’une inutile peine Nous perdons le temps & nos pas. […] Belles, nous quittons les forests Jugeans que ces oyseaux volages Aymeront beaucoup mieux estre pris dans vos cages Que se prendre dans nos rets.

(Imbert)

Ballets du grand Turc et des Peuples d’Asie
Les Ballets de l’Amérique ne sont pas plustost achevez , & à peine les violons ont tiré le long coup d’archet, qui tesmoigne que l’invention passée en rapelle une autre, que le Récit des Peuples d’Asie chante ce qu’il luy plaist.
Récit des Peuples d’Asie
Récit de l'Asie - femme jouant de la mandoline
Il est suivy des Porteurs de l’Alcoran qui marchent devant Mahommet, lequel vient apres en pas niaísement graves ;
Entrée de Mahomet
Entrée de Mahomet et de ses Docteurs - Daniel Rabel
son Turban & sa science jaune & verte, ne luy enseigne pas mieux que de raison l’entrejan de nos Ballets : Et l’on ne peut véritablement croire qu’il ait apris à danser à Paris. Il attire apres soy le Ballet des Docteurs de sa Loy,
Ballet des Docteurs Turcs
qui sont combattus par les raisons de quelques Persiens (*), aussi savans les uns que les autres :
(*) dont un joué par le roi Louis XIII

Ballet des Docteurs Persiens
icy les coups de poings suppléent au deffaut de la doctrine ; tel ne peut r’enverser l’esprit de son compagnon, qui luy donne la jambe pour le jetter par terre : C’est à qui gaigne pert ; & les coups de livre s’impriment mieux sur leur teste, que les arguments dans leur cervelle.
La confuse retraicte des uns & des autres, laisse la Salle libre aux Piclers ou Lacquais du grand Turc, qui dansent un Ballet
Ballet des Piclers ou Lacquais du grand Turc
Entrée des Piclairs - Daniel Rabel
pour advertir la Compagnie de l’arrivée de leur Maistre ;
Entrée du grand Turc
Entrée du Grand Turc
lequel paroist à cheval, bouffonnement orné de son grave maintien & en bonne posture, sans avoir esté dressé au pillier. S’il suit de fort prés à cheval son Pédant à pied, c’est qu’il craint que sa pompe ne soit estimée moindre que celle du Pont-neuf ; ou qu’au lieu d’estre nommé le grand Dominateur d’Asie , les médisans de ceste contrée l’appellent pire que Turc. Il met pied à terre pour attendre les Dames de son Serrail (*),
(*) dont une jouée par Gaston d’Orléans, frère du roi

Ballet des Dames du Serrail
Entrée des Sultanes
qui entrent aussi couvertes de fard que pleines d’appas, pour danser leur Ballet devant luy : puis selon l’ancienne coustume des grands Turcs, il jette le mouchoir à celle qui doit estre Sultanne. Il la prend par la main, & d’une mine cruellement douce, la meine en dansant. Les autres Darmes que l’occasion chauve remet entre les mains de la rage, qui devient maistresse de leur sens, se soubmettent aux leçons de ceste cruelle Baladine, qui leur aprend à marquer avec leurs pieds la cadance du martel de leur teste.
Autre Ballet des Dames du Serrail insensées
Mais cet attiral d’esprits jaloux, qui se peuvent dire reduites au néant, estant hors de soy, ne sçavent si le coste des Reynes est le Théâtre, si les fenestres sont les portes, ou si la Salle du Louure est un Amphithéâtre à combattre les Panthères, ce qui les trouble tellement, que si elles s’en retournent du costé d’ou elles sont parties, c’est faute de sçavoir qu’elles en sont venues , & manque de trouver party ailleurs.

Vers des Ballets de l’Asie Par le sieur Bordier, ayant charge de la Poesie pres de sa Majesté : lesquels Vers ne regardent principallement que les Récits de la Musique, & les personnages du Roy, des Princes & Seigneurs
Le Grand Turc. Récit.
Je règne à la source du jour, Où le Soleil me fait la Cour. Dans un Empire plein de charmes, La fortune fuit mon ardeur, Et le Dieu Mars ne prend les armes Que pour les consacrer aux pieds de ma grandeur. […] Ma puissance imite le cours De la Mer qui marche tousjours D’un pas fatal a la contrainte : Mais quoy ? ces titres inoüis Ne m’exemptent pas de la crainte D’accroistre quelque jour les palmes de LOVIS.
Mahomet, représenté par le sieur Baronnat
Prophete que je suis, o merveïlleux effets, J’ay l’honneur de servir une jeune Merveille : En ce gain amoureux la perte que je fais, C’est qu’au lieu d’un pigeon j’ay la puce a l’oreille.
Monsieur de la Rocheguyon (*) : Docteur, je ne perds point le temps A chercher dans ma Biblioteque, Le moyen de rendre contens Tous les Pèlerins de la Mecque, Qui vont sçavoir si Mahommet Leur tiendra ce qu’il leur promet.
Monsieur de Liancourt (**) : Mes suivants ont peu dauantage Ma doctrine est un entretien Qui donne le ciel en partage, Mais je ne suis garend de rien.
(*) François de Silly, comte puis duc de La Rocheguyon, Grand Louvetier de France, devait mourir en 1628 au siège de La Rochelle

(**) Roger du Plessis, duc de Liancourt, gentilhomme attaché au Dauphin, futur Louis XIII, puis Premier gentilhomme de la chambre du Roi

 

Les Gentils-hommes Persans lettrez
Le Roy : Je viens comme Persan, Docteur & Gentil-homme Ne m en croyez pas moins de la Foy protecteur : Un turban sur le Chef du Fils aisné de Rome, Est tel qu’un mauvais livre en la main d’unDocteur.
Monsieur le Premier
Venez trouver vostre bon-heur, Beautés, à qui le point d’honneur Embarrasse la phantaisie, Je suis un Docteur de la Cour Né pour combattre l’heresie Qui répugne a la Loy d’Amour.
Monsieur le Commandeur de Souvray (*)
Je ne suis point de ces Docteurs Qui remplissent leur gibeciere Car si j’ay quelques bons Autheurs Ils sont tout couverts de poussiere.
(*) Gilles de Souvray (1540 – 1626), marquis de Courtenvaux, fut précepteur du Dauphin, futur Louis XIII, puis maréchal de France

 

Recueil de vers de quelques beaux Esprits, qui ont travaillé pour les particuliers.
Les Porteurs de l’Alcoran de Mahommet
Si déja quelque curieux Nous suit comme des demy-Dieux Qui sçavent tout ce qui doit estre ; Le croyez vous impertinent Puis que nous avons maintenant Tout le sçavoir de nostre Maistre ? Mais quelle erreur de s’engager A nous venir interroger Sur ceste doctrine nouuelle. Car nous n’en sçavons pas trois mots : Nous l’avons tousjours sur le dos Et jamais dedans la cervelle.

(Sorel)

Mahommet
Quel rang ne dois-je point tenir ? Faut-il quelqu’un qui ne me prise ? Horsmis les choses à venir, Il n’est rien que je ne prédise. [….] Je rends tous les Turcs resjoüis, Et tant de force en eux j’assemble Qu’au seul bruit du nom de LOVIS, Il n’est pas un d’eux qui ne tremble. Un jour ce Monarque indompté ; Dont la valeur n’a point d’exemple, Doit faire boire a ma santé Tous ses soldats dedans mon Temple.

(De L’Estoile)

Les Docteurs de la Loy de Mahommet
Nous sommes de sçavans Docteurs, Sans avoir ilmais leu d’Autheurs, Instruits aux Loix du Ciel aussi peu qu’aux prophanes : Nos escrits expliquez, en diverses façons, Servent toutesfois de leçons Dans l’université des asnes. Nous cherchons tousjours les débats, Soit au repos soit au repas, Autant que nous fuyons l’usage des harangues : Et pour faire durer la dispute au besoin, Nous commençons a coups de poing Quand nous cessons à coups de langues.

(Imbert)

Les Persiens disputans contre les Docteurs
Ces Dosteurs a platte cousture, Qui pour nous charger d’imposture, D’innombrables erreurs surchargent leurs cerveaux, Voulans par des discours estranges Nous tesmoigner qu’ils sont des Anges, Trouvent mille tesmoins qu’ils ne sont que des veaux. Si l’art de la Philosophie Ou leur impudence se fie Les fournit en tout temps de points vrais ou douteux Pour rembarrer ces belles brutes Dans la chaleur de nos disputes, La nature au besoin nous en fournit de deux. Nous leur ferons tousjours la guerre, Puisque par les loix de leur terre On défend aux humains ce que le Ciel permet : Et d’une audace sans pareille Nous irons planter une treille Dans le temple où leurs voeux adorent Mahommet.

(Imbert)

Les Piclers ou Lacquais du grand Turc
Beautez dont l’oeil nous ensorcelle, Si nous courrons d’un pied leger, Cest qu’afin de nous descharger Vous nous avez oísé le coeur & la cervelle. Aussi nest-il pas necessaire Que pour cheminer vistement, Sans nous lasser aucunement, Nous ayons un démon, ou quelque caractere. Ce sont vos graces immortelles Qui nous font ce bien précieux ; Et pour courrir encore mieux L’Amour qui nous chérit nous a preste ses aisles.

(Sorel)

Pour le Grand Turc
Célestes beautez, dont les yeux ont des traits Qui domptent tout le mondes & font qu’ils vous adore ; Le corps de ce grand Turc n’a pas beaucoup d’attraits : Mais quant à son esprit, il en a moins encore. Il est tousjours partout, ou bien ou mal reçeu ; Tout aussitost qu’il marche, aussitost il chemine, Et bien que devant vous il paroisse bossu, Il n’en est pas plus droit, ni de meilleure mine. Ceux qui de la vertu n’oseroient s’approcher Ne cessent de le suivre en quelque part qu’il aille ; Et je croy qu’il est d’ambre, au lieu d’estre de chair : Car il attire à luy tous les hommes de paille. C’est toy seul, Grand LOVIS, dont les armes un jour Abbattront son Croissant ayant fait sa conquefte : Mais tes soldats faisant à ses femmes l’amour, L’auront en peu de temps, replanté sur ta teste.

(De L’Estoille)

Le Grand Turc. Au Roy.
Srtant des bornes de l’Asie, Je suis entré en frenaisie, Entrant dans ton Royaume & voyant tes sujects : J’ay creu tous mes pays réduits souz ta conqueste, Et qu’en marque de ces projets, Beaucoup des tiens portoient mes armes sur la teste. Maìs j’ay sçeu durant mon séjour, Apres m’estre informé des moeurs de ceste terre, Que ces effets naissoient des causes de l’Amour, Et non de celles de la guerre : Si bien que rappellant mes sens, Et trouvant la raison conforme a l’apparence, J’ay creu puisqu’on voyoit tant de Soleils en France, Qu’on pouvoit bien y voir aussi tant de Croissans.

(Imbert)

Pour les Eunuques
Que vois-je icy ? sont-ce des corps Qui soient vivans comme nous sommes, Ou des souches que par ressors On fait danser en habit d’hommes. O beautez, beaux soleils des âme, En attendant que l’on sçaura S’ils sont hommes, bestes ou femmes, Ils sont tout ce quil vous plaira.

(D. L.)

Monsieur (*), Représentant une Sultanne
Amour ce Monarque indonté, Depuis que de ces feux il m’enseigne l’usage, Me fait a tous propos selon sa volonté Changer d’abit & de visage. Le premier vainqueur illion, Soumis à fsn Esclave, aprit en mesme escole, A despouiller son corps de la peau du Lion, Pour vestir la robbe d’Iole. Un jour pour tromper deux beaux yeux, Le mary de Junon d’une amoureuse adresse, Quita la Majesté du grand Maistre des Dieux, Et prit celle d’une Déesse. Que j’aymerois ce vestement, Si je devois gaigner en faisant la Sultane, Ce qu’obtint Jupiter desguisé finement Sous la semblance de Diane.

(T. )

(*) Gaston d’Orléans (1608 – 1660), frère cadet de Louis XIII

Les Dames du Serrail
Quel destin menace nos jours D’une nuict si prompte & soudaine, Faut-il qu’à des plaisirs si courts Succède une si longue peine. En vivant nous allons mourir Sous la garde de ces fantosmes, Qui n’ont rien propre à nous guérir, Pour n’avoir pas ce qu’ont les hommes. Et ce qui croist nostre travail, C’est que ces monstres de nature Ont des clefs pour nostre Serrail, Mais non pas pour nostre serrure. Si bien qu’il nous faut souspirer, Puisque sans d’extrêmes magies, Ce mal doux deffend d’espérer Le bien de nous voir eslargies.

(Imbert)


Ballet des Baillifs de Groenland & Frisland & Peuples du Nort
Il semble que la place estant eschapée des flames de la fureur & du ravage de tant de forcenées, ne sçauroit mieux ouvrir les bras qu’à la froideur du Nort, qui ayant envoyé le Récit des régions froides devant ses neiges & ses glaces,
Récit du Nort & regions froides
Récit des Parties du Nort - deux figures jouant de la mandoline - Daniel Rabel
introduit les Baillifs de Groenland & Frisland, accompagnez de leurs capriolleurs de louage, qui en leurs places donnent de la teste au plancher,
Ballet des Baillifs de Groenland & Frisland
Entrée des Baillifs de Groenland & Frisland - Daniel Rabel
car la coustume du pays ne porte pas que les gens graves aillent à gambades : Ils disent que la jeunesse en leur contrée court aussi viste que la mode en celle-cy. Si l’une porte les années dans son porte-manteau, l’autre porte la diversité des habillemens dans sa malle : Mais quoy ? la mode va & vient, & non pas les années : de sorte que si celle-cy plaist à l’assistance, l’on s’en pourra servir sans financer.
Ces Ammitouflez précédent les Hausnagues & les Haucriquanes, qui sont les tout chausses & tout pourpoints, & dansent comme ils peuvent :
Ballet des tout chausses et tout pourpoint
Entrée des Hocricanes et des Hosnaques - Daniel Rabel
Puis les Glisseurs & les Glisseuses forment les figures de leur Ballet aussi gaillardement que leurs chausses fourrées & grands bustes ravigorent leur froide contenance.
Ballet des Glisseurs & Glisseuses
Entrée des Glisseurs - Daniel Rabel
Ils sont peut-estre au bout de leur rollet ; ce qui les rameine impatiemment à leurs poilles.
Tandis les Damoiseaux Glacez, qui prétendent que la lueur des flambeaux leur servira d’une douce tiédeur contre la rigueur du climat qui les importune, dansent leur Ballet, dont les figures sont aussi entreprises que les pas sont morfondus.
Ballet des Damoiseaux glacez
Entrée des Gelez
Le bruit de ville est que ces Damoiseaux furent tres-poupins & galans, portant peigne en poche & fer en chevelure, moustache postiche r’atachée d’un ruban incarnat en bas de soye gris de perle : Mais la rude saison qu’ils ont si souvent mesprisée,se mocque de leur défunte galanterie, qui les reduit à chercher dans la chaleur du charbon que le bon Vieillard leur apporte, une plus utile ardeur pour eux, que celle dont ils ont voulu autrefois tromper la Compagnie.

Vers des Ballets du Nort & régions froides. Par le Sieur Bordier.
Récit du Nort & régions froides
Toupan mepchico doulon, Tartanilla Norveguen laton : El bino fortan nil gonsongo, Gan tourpin noubla rabon torbongo, Pinfa zapaly noucan, Britanu gogita moüescan : Vallaguino nordamidon, Golgon midarman ninbolbodidon.
Les Baillífs de Gruenland & Frisland, suyvis des Peuples & Coustumes du pays.
Monsieur le Duc de Nemours (*), représentant le Baillis de Groenland.
Je ferois le dessein de retourner en Trace Pour y cueillir tes fruicts d’une guerrière audace, N’estait qu aux pieds de Mars je trouve ici l’Amour Qui du vent de ses aisles Esvente deux Soleils qui font naistre le jour Et les roses nouvelles.
Monsieur le Comte de Carmail (**), représentant le Baillif de Frisland.
Bien que transi de froid l’exercice m’appelle, Mon coeur ambitieux Ne confsent, ô Beautez, que ma glace dégelle Qu’aux rayons de vos yeux.
(*) Henri Ier de Savoie-Nemours (1572-1632), duc de Genève, duc de Nemours, il devint duc d’Aumale par son mariage, en 1618, avec Anne de Lorraine, fille de Charles Ier de Lorraine.

(**) Adrien de Monluc (1571-1646), comte de Cramail. Gascon, il prit part aux campagnes militaires menées contre le duc de Rohan en Languedoc, mais fut embastillé en 1635 pour avoir participé à la Journée des Dupes.


Recueil de Vers de quelques beaux Esprits, qui ont travaillé pour les particuliers.
Le Baillif de Groenland.
De tout temps je suis juste & de facile accez, Je sers aux vertus de refuge, Et je suis cet excellent juge, Qui sait juger de tout, excepté des procez.
Le Baillif de Frisland
Je sçay mieux la chicannerie Que tout le reste des humains : Belles plaideuses, je vous prie, Mettez vos pièces en mes mains. Mais vainement je vous propose De vous servir de mon sçavoir ; Vous gangnez tousjours vostre cause, Quelque bon droict qu’on puisse avoir.

(De L’Estoile)

Les Haufnagues, ou les tout chausses.
Changez, si vous voulez, & de mille habits divers, Que les meilleurs fripiers ont dedans leurs boutiques ; Il n’est rien de pareil à nos gregues antiques Pour faire la nique aux Hyvers. Faisant ce vestement si juste & si complet, On mesprise la mode avec tout autre exemple ; Et nos tailleurs expers nous l’ont rendu bien ample, Pour s’y fourrer jusqu’au collet. Ne tenez plus jamais ces parolles pour fausses Que quand le froid revient a son temps limité, La chaleur va loger dedans les haut-de-chauffes, Ainsi qu’au trosne de l’Esté.
Les Haucriquanes ou les tout pourpoint.
Ne vous estonnerez vous point De nostre forme si divine ? Si nostre habit est tout pourpoints Nostre corps n’est rien que poitrine : Car nostre nature demande une place qui soit bien grande. Et pour demeurer les vainqueurs Dans tous les combats ou nous sommes ; un seul de nous a plus de coeurs Qu’une légion d’autres hommes.

(Sorel)

Les Glisseurs & Glisseuses.
Est-ce un sujet de nous fascher, De ne plus rencontrer de place, Qui ne soit couverte de glace, Et de ne pouvoir plus marcher ? Si le bon Homère on doit croire, En glissant nous auvns la gloire De cheminer comme les Dieux : Leur pas est tout pareil au nostre, Ils peuvent aller en tous lieux, Sans qu’ils mettent iamais leurs pieds l’un devant l’autre.

(Sorel)

Les Damoiseaux glacez. Aux Dames.
Nous venons des Zones glacées, Qu’en vain nous avons traversées, Pour esteindre le feu qui nous brusle si fort : Dieux ! que les desseins font frivoles, Qm nous ont fait chercher aux glaces de ces Poles, Ce qu’on ne peut trouver qu’en celles de la mort. Beautez & chef-d’oeuvre de nature, Qui riez, voyant la froidure De nos membres transis que la glace a perdus : Songeant aux outrages passées, Nous n’osons vous nommer des Amantes glacées, De peur d’estre nommez des Amans morfondus. [….] Nous craignons voyant nostre glace Se fondre aux rais de vostre face, Que nos discours glacez venans a dégeler, Vous n’ayez bien tost cognoissance Des secrets amoureux, dont en vostre presence Le plus hardy de nous n’osa jamais parler.

(Imbert)

Ballets du Cacique et des Peuples d’Afrique, suivis du grand Cam ìncogneu.
Personne ne doute qu’il n’y a celuy d’entre ces Enrumez, dont nous auons parlé, qui ne mette volontiers son office à pris, pour en acheter quelque meilleur en pays tempéré : C’est pourquoy ils cèdent sans réplique à leurs contraires, qui se découvrent lors que le Nez camus du Récit des Afriquains
Récit des Afriquains
se monstre en teste d’une escouadre de Bazanez qui dansent
Ballet des Bazanez
devant l’Elephant sur lequel le grand Cacique se présente à ses Peuples :
Entrée du Cacique
Entrée du Grand Cacique - René Rabel
Il cause en son ramage, & ses sujects luy répondent en si excellent jargon, que l’on n’entend ny les uns ny les autres.
Ceste entrée finie, une troupe d’Afriquaines
Ballet des Afriquaines
Entrée des Afriquaines
viennent attaquer les Afriquains avec leurs zagaïes ; mais les hommes qui ne sont que sur la deffensive, tiennent à gentillesse le souffrir, & toute la caballe du Cacique s’en retourne sur ses pas.
Cependant il faut noter que le grand Cam,
Entrée du grand Dam incogneu
Entrée du Grand Cam - René Rabel
bien qu’il soit de l’Asie, pour s’accommoder à la caravane des chameaux, ou pour arriver incogneu en ceste contrée, suit la piste des Afriquains, si bien travesty & desguisé, que l’on n’a garde de le cognoistre s’il ne leve le masque : Au pis aller il ne se picquera pas contre ceux qui le tiendront pour dissimulé ; car il s’est laissé dire par les chemins que le sçavoir feindre est une piece de cabinet. LesTartares qui suivent leur Chef,
Ballet des Tartares
le convïent à se jetter en bas de son chameau pour danser en leur brigade, ce qu’il exécute si bizarrement, que ce Ballet emporteroit l’eschelle apres soy, s’il ‘estoit suivy par d’autres qui emportent la piece.

Vers des Ballets de l’Afrique par le Sieur Bordier
Le Cacique sur son Eléphant, représenté par le sieur Delfin, suivy des Peuples & Coustumes d’Afrique. Récit.
Je fais pleuvoir par tout la honte & le mal-heur, Quand mon ambition fait tonner ma valeur Pour immoler des Roys a l’autel de ma gloire : Que pourroit contre moy l’audace des humains, Puis que de Jupiter j’ay la foudre en mes mains, Et que Mars chaque jour me doit une victoire ? Au fort de mon courroux le sang & le trespas Arrousent les Lauriers qui naissent sous mes pas, Dont les moindres butins sont de riches Couronnes : Je pesche les Citez auec mes hameçons, Et prens le fier au poing des Sceptres pour moissons Que je fais entasser a mes fieres Bellonnes. La terre qui pour moy brusle de passion Donne la carte blanche à mon ambition ; L’Ocean de ma gloire annonce les nouuelles : L’Enfer que j’enrichis n’est sans me redouter ; Mais je ne puis descendre, &jaloux de monter, Si j’espargne le Ciel c’est par faute d’eschelles.
Les Afriquains, qui ont dansé selon l’ordre cy-apres.
Monsieur
Bautez, si l’humeur vagabonde Me fait errer par tout le monde, Voicy d’ou vient ma passion : C’est au à l’esgal de mes mérites, L’Afrique, a mon ambition Ofroit des bornes trop petites.
Monsieur de Longueville (*)
Je meure, ô merveilles des Cieux, Si le plus grand orgueil d’une Dame Afriquaine Est propre devant vos beaux yeux Qu’à servir de quaintaine.
Monsieur d’Elbeuf (**)
Les ardeurs de la Canicule Ont beau m’affliger nuict et jour, Si je dois mourir comme Hercule, Je veux brusler du feu d’Amour.
Monsieur le Grand Prieur (***)
Yeux, qui donez la paix quand vous faites la guerre, Et qui de vos beautez rendez les Dieux jaloux : Je vivois en Afrique ainsi que sur la terre ; Mais je croy vivre au Ciel que d’estre auprès de vous.
Monsieur le Commandeur de Souvray
Amour que je croyois un Dieu fur une pelle, Et que par tant de fois j’ay nomé mon vainqueur ; Parce que le Soleil fait bouillir ma cervelle, Faut-il donc qu’un bel oeil face rostir mon coeur ?
Le grand Cam, représenté par Monsieur de Liancourt
Je ne m’esloigne pas des fins de mon Empire, Pour trouver son pareil : Mais c’est que je désire Brusler d’un plus beau feu que celuy du Soleil.
(*) Henri II d’Orléans (1595–1663), duc de Longueville, prince et pair de France. Il fut gouverneur de Picardie, puis de Normandie. Il devait épouser, en secondes noces, Anne Geneviève de Bourbon-Condé, soeur du Grand Condé.

(**) Charles II de Lorraine, duc d’Elbeuf, pair de France. Il épousa en 1619 Mademoiselle de Vendôme, fille légitimée de Henri IV et de Gabrielle d’Estrées. Il opta pour les Parisiens pendant la Fronde, en 1649.

(***) Alexandre de Vendôme, dit le Chevalier de Vendôme (1598 /-1629), deuxième fils d’Henri IV de France et de Gabrielle d’Estrées, Grand prieur de France et gouveneur de Caen. Dans sa Bibliothèque dramatique (1844), Martineau de Soleinne commente ainsi : « Dans ce ballet qu’on aurait pu nommer le ballet des Quatre parties du monde, le grand-prieur de Vendôme dansait comme un profane, et Bordier lui fait dire que les beaux yeux du soleil des beautés veulment qu’en l’amoureux office il porte toujours sa croix ».

 

 

Recueil de Vers de quelques beaux Esprits, qui ont travaillé pour les particuliers.
Pour le grand Cacique
Voicy ce grand astre des Roys Dont les Ayeux tous pleins de gloire, Ont fait de si dignes exploists, Qu’on en parle par tout excepté dans l’histoire.

(De L’Estoille)

Le Cacique sur son Eléphant, avec ses Bazanez
Je crains qu’en voyant mon entrée, Les Peuples de ceste contrée N’outragent sans sujet mes Peuples bazanezs : Et qu’en mon superbe équipage, Pour avoir beaucoup d’avantage, Ma suitte n’ayt trop peu de nez. Mais quoy l’Eléphant qui me porte A bien un nez de telle force, Qu’il me peut garantir de honte & de soucy ; Puis qu’en l’excez de sa mesure, Il en peut fournir sans usure Tous les camus qui sont icy. J’eusse fait voir à ceste feste Des asnes cornus par la testes, Communs dans mon pays, bien qu’ailleurs incognus : Mais par un esprit prophétique, J’ay sçeu qu’icy comme en Afrique On trouve assez d’asnes cornus.

(Imbert)

Monsieur, Représentant un Afriquain
De plus loin que les mots & que les bords de l’Onde, Q’on prenoit autrefois pour les bornes du Monde, J’ay traversé des Mers pour m’offrir a vos yeux : Ne me desdaignez pas pource que je suisMore : Car comme le fils de l’Aurore, Bien que mon teint soit noir je suis du sang des Dieux. [….] Quoy que vostre rigueur à mes desirs prépare, Je trouve en ma deffaite une gloire bien rare, Et que ma destinée a de beaux accidens : Puis qu’au moins les Soleils dont les divines flames Esclairent les yeux & les âme, M’ont noircy par dehors & bruslé par dedans.

(T.)

Monsieur le Grand Prieur, représentant un Afriquain. Sonnet.
De ces lieux ou le chaut seiche la Terre & l’Onde, De ces champs où l’Hyver ne fait jamais pleuvoir ; Le renom d’Uranie & l’honneur de la voir M’ont fait conduire icy ma barque vagabonde. C’est la seule clarté que je cognois au monde ; Seulle elle fait les loix que je veux reçevoir : Ses yeux sont les seuls Roys dont je crains le pouvoir, Et la seulle fortune ou mon espoir se fonde. Ils tiennent pour jamais mon destin arresté, Je renonce a ces champs dont l’éternel Esté Noircit nostre couleur de son ardeur extrême. Mais qu’esperoit mon coeur, ou qu’est-ce qu’il a craint, Le Soleil qu’il fuioit ne brusloit que mon teint Et ceux qu’il a trouvez le brusleront luy même.

(R)

Pour le grand Cam
Ce grand Cam jamais ne s’atriste Qu’il n’ayt quelque sorte d’ennuy. Aussi tout luy cède aujourd’huy, Hors-mis tout ce qui luy resiste. ce Prince accomply de tout point, Aura place dans nos histoires, Et desja l’on peint ses victoires De couleurs que l’on ne voit point.

(De L’Estoille)

Les Tartares
Bien quon nous appelle Tartares, Beautez, il ne faut pas penser Que nous soyons quelques barbares Qui viennent pour vous offencer : Aucune ardeur n’est dans nos âmes ; Que celle qui vient de nos flames. Nostre esprit sanguinaire en est tout adoucy, Et dans le martire où nous sommes, De tant de passions qui possèdent les hommes, Nous n’avons que l’amour, la crainte & le soucy.

(Sorel)

Ballets des Peuples d’Europe devant la Doüairiere de Billebahaut
Enfin il n’est pas juste que l’Europe demeure au bout de la plume, quand ce ne seroit que pour estre le centre des bons danseurs, & l’unique giste de la Douairiere de Billebahaut, pour laquelle tant de diverses troupes s’assemblent ; aussi l’on entend incontinent son Récit,
Récit de l’Europe
Récit de l'Europe - Daniel Rabel
qui precede une descente de Grenadins (*),
(*) dont un joué par Gaston d’Orléans, frère du roi

Ballet des Grenadins
Chantres Grenadins - Daniel Rabel
lesquels estans bannis d’Espagne, comme Mahommetans, viennent courir la France comme vagabonds : S’ils ont esté chassez de leur pays, ils viennent chasser vos ennuis par la suitte de leur gentillesse ; leurs mulets de bagage parroissent chargez d’estuits & de drapeaux.
Bagage des Grenadins - Daniel Rabel
Apres le corps de leur Ballet arrive, qui consiste en vieilles porteuses d’enfans sur l’espaule,
Nourrices des Grenadins - Daniel Rabel
en joueurs de Guiterres,
Entrée des Joueurs de Guitare - Daniel Rabel
si merveilleux en leur art, que l’assemblée les admire, en danseurs de sarabandes, Danseurs de Sarabande - Daniel Rabel
dont la souplesse du corps, & la vistesse des pieds estonne les regardans ; & en bons chanteurs, qui enchantent les oreilles des assistans par la douceur des accens de leurs voix. Mais ceste bande lasse de danser, mérite bien que l’hostellerie de Clamart leur soit ouverte, qu’ils y soient receuz, qu’on les repaisse, qu’ils se reposent, & le tout à crédit ; attendant le passe-port de leurs Majestez pour aller ailleurs : Aussi sont-ils benignement rencontrez par l’hoste & l’hostesse de Clamart,
Entrée de l’hoste et de l’hostesse de Clamart
L'Hôte et l'hôtesse - Daniel Rabel
qui dansent en leur compagnie, les tenans pour compagnons avant que les cognoistre : mais gare la griffe, & que les Guiterres ne se changent en Harpes.
C’est à la queue de tant de divers Ballets que paroist la vraye Douairiere de Billebahaut : elle entre à ses propres frais & despens,
Entrée de la Doüairiere de Billebahaut
Entrée de la Douairiere de Billebaheut - Daniel Rabel
gourmée d’un poínct plus qu’il ne faut ; & se confiant en ses laides beautez, se mocque de la mode, & prise ses coustumes : Si ses pas sont mal arrestez, & ses figures inconstamment compassées, c’est qu’elle croit que la Constance est une vieille Damoiselle qui ne danse nullement à la mode.
Les Donzelles qui la suivent luy marchent sur ses talons,
Récit des Donzelles avec la Doüairiere
cherchant & ne trouvant pas la cadence des bransles de Boccan (*), & leur pas plustost de balle que de Ballet, tesmoignent qu’elles ont grand tort de venir estudier dans la Salle du Louvre pour aller danser ailleurs.
(*) Jacques Cordier, dit Bocan, du nom d’une terre offerte par M. de Montpensier. Originaire d’Abbeville, il commença sa carrière en Angleterre, invité par le roi Charles Ier envers 1610, mourut à Paris en 1653. Maître à danser réputé, chorégraphe et excellent violoniste. Sauval disait de lui qu’il était le miracle de son siècle non seulement pour la danse, mais aussi pour le violon.

Ces mignardes Donzelles ne sont pas si tost assises autour de leur maistresse que les impatiences du Fanfan de Sotteville ameine en teste de son Ballet :
Entrée du Fanfan de sotte-ville
mais son geste tres-contraint, & sa mine résolue donne une grâce empruntée à ses prétentions. Il se prise comme naïf pour fuir l’artifice quil ne cognoist point, & pense que pour porter son espée à la droicte, il doit estre nommé le Fanfan Coup-d’espée.
Les nobles Muguets qui l’assistent,
Ballet des Muguets avec le Fanfan
Entrée de l'Amoureux de la Douairiere et de ses suivants - Daniel Rabel
manqueroient quelques-fois à la figure du Ballet, si leurs esperons trop souvent embarassez parmy ceux de leur Capitaine ne les entrénoít ou d’amour ou de force en leur place.
Cependant les haubois, peut-estre mal d’accord avec les violons, convïent par leurs chants à la vieille Gauloise, la Doüairiere & Fanfan, à commancer le grand Bal :
Grand Bal
ils sont suivis de leurs Donzelles & nobles Muguets ; la ils estalent non seulement ce qu’ils ont appris soubs l’orme, mais encore une marchandise de rire, qui sera à assez bon marché, si la foulle & la presse n’y met son enchère.
Mais le Corps de Musique qui arrive,
Corps de Musique
Musique de la Douairiere - Daniel Rabel
mérite bien que ceux à qui il chatouille les oreilles ne le presse point des pieds : Et le Grand Ballet
Grand Ballet
qui vient apres a besoin d’une belle place, afin que la nouvelle invention, dont il est tissu, puisse librement repaistre les dégoustez, & contenter les fantasques.

Vers des Ballets de l’Europe & de la Douairière de Billebahaut. Par le Sieur Bordier.
Les Musiciens de Grenade. Récit.
Murmuravan las olas y los penascos Iuare que murmuran de mis enganos. A la orilla del Tormes sale Belisa Y las flores se alegran por que las pisa.
Les Grenadins joueurs de Guiterre. Le Roy
Je suis un Amant de campagne, Qui porte un front victorieux Pour faire l’amour a l’Espagne : Est-il dessein plus glorieux ?
Monsieur le Grand Prieur
Je sers le Soleil des beautez, Mais, ô mal-heur, ses cruautez Ne me destinent qu’au suplice ; Et ses beaux yeux qui sont mes Roys, Veulent en l’amoureux office Que je porte tousjours ma croix.
Monsieur le Premier
Ma gloire ne fait que de naistre ; Mais certe il faut l’advoüer : J’apprens des mains d’un si bon maistre Que je ne puis que bien jouer.
Les Grenadins danseurs de Sarabande
Monsieur le Comte d’Harcourt
Ma souplesse aujourdhuy se met en évidence : Mais ne vous trompez pas si je suis a la Cour, Damoiseau pour la danse, J’y suis Mars pour l’Amour.
Monsieur le Commandeur de Souvray
Quee ma fortune est grande en l’esprit des humains, Les supresmes danseurs m’offrent un diadesme : Mais je veux, ô Beautez, le prendre de vos mains ; Si j’ay le pied friand, le reste va de mesme.
Un Musicien de Grenade, représenté par Monsieur le Marquis de Mortemar
Dans le choix des beaux chants si je fais des merveilles, Cloris, c’est pour l’amour de vous ; Mais sachez que ma voix qui charme les oreilles N’estas ce que j’ay de plus doux.
L’Hoste de la ville de Clamart, représenté par Monsieur de Liancourt
Les divines Beautez viennent loger chez moy Pour boire le Nectar & manger l’Ambrosie : Logez-y donc Phillis & je jure ma foy, Que je ne veux de vous rien que la courtoisie.
La Doüairiere de Billebahaut. Récit.
Il est vray, mes beautez seroient dignes de blâme Si je manquois de foy, Pour appaiser la flame D’un demy-Dieu qui souspire pour moy. Amour en sa faveur tousjours me sollicit, Et me veut soustenir Qu’il a tant de mérite, Que du deffunct il en pers le souvenir.
En fin voicy le terme & l’heureuse journée Que je puis faire choix, D’un second hymenée Parmy la fleur des Princes & des Roys.
L’Amoureux de la Douairière, représenté par le Sieur Maresse
Amant désespéré que l’extrême rigueur D’un chef d’oeuvre des Cieux fait mourir en langueur Je viens en cette Cour des regnes de l’Aurore, Pour trouver dans le Louvre & dans Fontainebeleau Quelque lieu qui soit propre à loger le tableau De l’object que j’adore. [….] Elle a dans chaque bras une fosse a noyaux ; Une meutte de chiens jappe dans ses boyaux ; Son esprit en Amour est un vieil protocolle : Et sans rien desguiser son visage est un plat, Où pour charmer les coeurs ses beaux yeux ont l’esclat De prunes de brignolle.
Dernier Récit du Corps de la Musique qui vient auparavant le grand Ballet, & dont les parolles ont esté accommodées à l’Air qui estoit fait.
Aux Reynes
Grandes Reynes^ dont les y eux captivent les Roys, Les voicy, qui d’un juste choix, Apres mainte victoire, N’aspirent qu’a la gloire D’embrasser vos Loix. Ces Monarques si fameux en la voix de tous Et de leur grandeur si jaloux ; Viennent tant ils fiont braves En qualité d’esclaves Mourir pres de vous.

Recueil de Vers de quelques beaux Esprits, qui ont travaillé pour les particuliers
La descente des Grenadins
Chassez, de nostre propre terre Par les cruautez de la guerre, Nous trouvons en la tienne un séjour plus humain : Clamart & son Bourgeois, fameux en cestte ville Nous offre un favorable azille Dans le fauxbourg de Sainct Germain. [….] Parmy nostre joyeuse bande, L’on sçait danser la sarabande ; L’autre excrime des doigts d’un dextre mouvement : Et bien que ‘nous portions la Guiterre en escharpe, Nous jouons tous mieux de la Harpe, Que non pas de cet instrument.

(Imbert)

Autres Vers pour les Grenadins
Contre l’Espagnol dont l’audace Sçait bien qu’elle est nostre vertu ; Nous avons si bien combatu, Qu’il nous a fait quitter la place. [….] Grand LOVYS que le Ciel admire, Regarde en pitié nostre ennuy, Et puisse-tu vaincre celuy, Qui nous a volé nostre Empire.

(De L’Estoille)

Chanson d’un Grenadin, estant dans l’hostellerie de Clamart
Que j’ayme me en tout temps la taverne, Que librement je m’y gouverne ; Elle n’a rien d’esgal à soy : J’y voy tout ce que j’y demande Et les torchons y sont pour moy Tous faits de toile de Hollande. [….] Pour moy jusqu’a tant que je meure, Je veux que le vin blanc demeure, Auec le clairet dans mon corp, Pourveu que la paix les assemble ; Car je les jetteray dehors S’ils ne s’accordent bien ensemble.

(De L’Estoille)

La Doüairière de Billebahaut
Grand Roy, que l’univers admire, Je viens monstrer en ton Empire Des attraits admirez des hommes & des Dieux ; Et faire advouer a l’enuie, Que si l’on doit perdre la vie, On la doit perdre pour mes yeux. [….] Que si iamais il en eschape, Asseurez vous que je l’attrape : Et que pour arrester ce volage vainqueur, Sortant d’une prison si rare, Luy mesme une autre il se prépare, Ou dans mes yeux, ou dans mon coeur.

(Imbert)

Le Fanfan de Sotte-ville
Seul affre des Roy & des Princes, Qui faictes voir en vos Provinces, Ce quon croit n’être veu qu’aux Dieux : Je viens pour charmer vos oreilles Du récit des douces merveilles, Qui m’ont charmé l’ame & les yeux. [….] Si quelqu’un voyant ce bel Astre Ne peut se résoudre au désastre Où Phaeton fut destine : Il faut au moins qu’il se prépare A mourir noyé comme Icare, Dans les roupies de son né.

(Imbert)

Dialogue de la Douairière de Billebahaut & de son Fanfan de Sotte-ville.
La Douairière : Que l’on doit bien craindre mes coups ; Est-il rien que je n’emprisonne ?
Le Fanfan : Certe tous vos traits sont fi doux Qu’ils n’ont jamais blessé personne.
La Douairière : L’on doit m’aymer uniquement, Car je suis parfaitement belle.
Le Fanfan : Vos feux m’eschauffent tellement Que je n’ay froid que quand il gelle.
La Douairière : Je ne veux plus chérir que vous ; Mais gardez-bien de me desplaire.
Le Fanfan : Lors que je seray vostre espoux, Je n’ay garde de vous-rien faire.
La Douairière : Vostre voix ravit tous les sourds ; On se meurt quand on vous escoute.
Le Fanfan : Vos beaux yeux où sont tant d’amours Charment ceux qui ne voyent goute.
La Douairière : J’ay pour vous une passion Qui ne peut avoir de seconde.
Le Fanfan : J’ay pour vous une affection, Que je n’ay que pour tout le monde.
La Douairière : Vous avez ravy dans la Cour & ceux qu’on n’y vit jamais parestre.
Le Fanfan : Vous avez fait mourir d’amour Tous les hommes qui sont a naistre.

(De L’Estoille)


Dans ses Mémoires, Michel de Marolles raconte : Pendant le Carnaval de l’année 1626, le Roy voulut dancer encore un Balet, dont M. de Nemours inventa le sujet, qui estoit de representer plusieurs Balets en un seul, pour les rejouissances des Nopces imaginaires de la Douairière de Bilbahaut, avec un personnage qu’il appelloit le Fanfan de Sotteville (car les noms mesmes en ces choses- là, doivent avoir quelque chose de plaisant & il y a de l’art à les bien choisir). Mons. de Nemours qui m’en avoit dit le dessein voulut que je le visse, parce qu’il se persuadoit que je m’y connoissois un peu, & qu’il sçavoit bien que j’estimois tout ce qui venoit de luy. Je le vis donc mais pour en dire la vérité, ce ne fut pas si commodément que celuy de l’année d’auparavant. J’en remarquai pourtant assez bien toutes les particularitez, & je luy en dis ensuite mes sentiments. Il y eut sans doute de bonnes choses en ce genre là, mais il y en eut aussi qui ne reussirent pas si bien qu’on l’avoit espéré comme d’y avoir amené un cheval sur lequel estoit monté le Sieur Marais, louant le personnage du Grand Turc, au lieu de l’introduire seulement sur une machine representant un cheval, ce qui est de bien meilleure grace, que de faire paroistre ces choses-là au naturel (*) ; puisqu’en effet la dance n’est qu’une pure fiction pour le divertissement ce qui n’est pas de mesmes de la Comédie, qui approche davantage du naturel. C’est pourquoy la Comedie peut admettre quelques fois des animaux naturels, au lieu que la dance, qui n’est que des hommes, ne le fait jamais avec succez.
(*) cette remarque se comprend mieux lorsqu’on sait que ce cheval s’était laissé aller à souiller la scène…


On trouve une longue description dans un article de Duponchel (*), dans la Revue de Paris de 1829 :
Voici l’analyse du ballet de Louis XIII en 1626. On y voit d’abord la douairière de Bilbao et son fanfan de Sotteville ; cavalier extravagant, il envoie convier toutes les parties du monde pour assister au grand ballet qui doit se danser chez l’hôtesse de la ville de Clamart où ils sont logés. Tous s’y rendent, la douairière les reçoit et donne l’ordre a chacune des compagnies de faire leurs entrées selon le costume de leurs pays.
D’abord paraît un chœur de musiciens de campagne ; ensuite la musique de la douairière qui est bientôt suivie de la douairière même, et de son enfant qui commença le bal avec sa maîtresse ; aussitôt arrivent les parens de la douairière avec leurs pages et les embaboinés parens du cavalier qui dansent une entrée, et enfin toute la suite composée de Macette la cabrioleuse, de Jacqueline l’entendue, de Perrette la bavarde, de Guillemine la quinteuse, et Alisson la hargneuse ; la folie est a leur tête et chante un récit.
Vient ensuite la musique de l’Amérique. Un Américain chante un récit, et est suivi d’une troupe d’Américains dansans et entièrement vêtus de plumes, puis le roi Atabalipa jouant de la vielle, portée par deux esclaves. Une seconde entrée d’Américains chassant aux perroquets avec des miroirs. Les deux premiers Américains étaient M. le comte de Soissons et M. le comte d’Harcourt.
On voit ensuite des Asiatiques et l’Asie faisant son récit, Mahomet dansant son entrée avec trois de ses docteurs et trois docteurs persans. Le roi représentait Mahomet ; MM. de la Roche-Guyon, de Liancourt et de Baradas, les trois docteurs mahométans, et M. le duc de Nemours, MM. le grand Prieur et le comte de Cramaille, les trois docteurs persans.
Certes, les titres de toutes ces entrées sont bizarres, et le caprice seul paraît les avoir choisis ; mais cela était racheté par une brillante composition ; les idées en étaient rendues avec une originalité que nous n’aurions peut-être pas aujourd’hui, et il y régnait un bon goût d’ajustement qui fut bien loin de se conserver sous le règne suivant, où le trop grand désir de tout surpasser fit tomber les artistes dans un dévergondage d’imagination, dans une profusion de toutes choses difficiles à comprendre, et qu’on ne pourra jamais surpasser.
Le cérémonial suivi avant et pendant cette fête est un monument non moins curieux que les mœurs de la cour de ce roi, qu’on nous représente cependant mélancolique et fuyant les plaisirs.

« L’an 1626, le quatrième jour de février, M. le Bailleul, chevalier, sieur de Vattetot-sur-Mer et de Soisy-sur-Seine, conseiller d’estat, et lieutenant civil et prévost des marchands de la ville, a rapporté a MM. les eschevins estant au bureau, que le jour d’hier estant au Louvre, le roy luy avoit dit qu’il vouloit venir danser son ballet au dit Hostel-de-Ville, et qu’il vouloit honorer la dite ville de cette action ; à ce qu’il eust à donner ordre aux préparatifs nécessaires, et d’y mander toutes les plus belles dames et de condition relevée pour y assister.
Le mardi 24 du dit mois de février, les seigneurs et dames estant placées sur les théâtres et eschafaux, l’on a allumé tous les flambeaux, et lors toutes les belles dames ont esté reconnues, qui étoient pleines de perles et de diamans, et parées a l’avantage.
Sur les onze heures du soir y est venue madame la première présidente qui a esté reçue par mesdits sieurs de la ville et placée à la première place.
Sur les minuit, l’on a dressé la collation des confitures pour le Roy dans la petite salle du costé de l’église Saint-Jean, où a esté aussi dressé le buffet d’argent de la ville gardé par quatre archers, à laquelle collation a esté mis plus de six cents bouettes de confitures fines.
Plus a esté dressé trois grandes tables, pour y mettre le festin de poisson, lequel toutefois l’on n’a pas fait cuire, que quand l’on a veu comme arrivoient les masques.
Toute la nuit les vingt violons ont sonné et joué de leurs violons dans ladite grande salle, pour entretenir la compagnie, sans que l’on y ait dansé, d’autant que les dames ne vouloient quitter leurs places.
Messieurs de la ville ont eu le soin de faire changer et renouveller les flambeaux blancs à mesure qu’ils estoient bruslés, y ayant dans ladite salle, trente-deux croisées de chandeliers, dedans lesquelles il y avoit cent vingt-huit flambeaux, qui ont esté renouvelés et changés deux fois pendant toute la nuit ; et ainsi de mesme aux autres salles, chambres et bureaux.
Sur les quatre heures du matin les masques ont commencé à venir. Mesdits sieurs les P…. des M…. et E…. et greffier se sont vestus de leurs robbes de drap mi-parties, fors ledit sieur Prévost qui avoit sa robbe de satin mi-partie, et sont allés au-devant du Roy, marchant devant eux lesdits sergens de la ville, aussi vestus de leurs robbes mi-parties, et tenant chacun deux flambeaux blancs allumés en leurs mains ; et auraient les dits sieurs de la ville rencontré le Roy sur les montées : auquel mon dit sieur le prévost des marchands a fait un petit compliment sur sa bienvenue, et de l’honneur que la ville recevoit en cejourdhui par sa présence. Laquelle Majesté s’est excusée de ce qu’elle venoit si tard, que ce n’étoit pas sa faute, ains des ouvriers qui n’avoient pas achevé assez tost les préparatifs. Laquelle Majesté a esté conduite par lesdits sieurs gouverneur, prévost des marchands, eschevins et greffier, dans le cabinet dudit sieur greffier qui avoit esté préparé pour Sa Majesté où elle a pris sa chemise et ses habits de masque. Monsieur, frère unique du Roy, a esté conduit dans la chambré dudit greffier, proche ledit cabinet où estoit le Roy. M. le comte de Soissons, prince du sang, a esté conduit dans le petit bureau qui lui estoit préparé MM. les autres princes et seigneurs qui estoient du grand ballet dans les autres chambres. Les masques dans le grand bureau. Les masques, des musiques et violons dans la chambre de la première galerie : en toutes lesquelles il y avoit du feu, pain, vin et viandes.
Lesdits sieurs P… des M… E… et greffier ainsi vestus de leurs robbes mi-parties ont toujours suivi Sa Majesté jusqu’à ce qu’il ait été prest de danser son ballet.
Ledit sieur Duhallier, ainsi qu’il ait esté projetté, a fait oster les violons de la ville, qui estoient sur les eschafaux et en leur place, y a fait mettre les violons du Roy qui sonnoient un ballet.
Et environ les cinq heures du matin, Sa Majesté et tous les autres masques sont allés dans la grande salle pour danser le ballet, et lors les violons ont commencé a sonner. Et pendant que les premiers masques faisoient leurs entrées, Sa Majesté, Monsieur, et les autres princes se sont mis dans la loge de Charpenterie, faite exprès a l’entrée de la salle, et que le ballet appelloit la ville de Clamart, proprement une taverne pour les voir danser. Après quelques entrées faites, le Roy est venu masqué qui a pareillement dansé avec d’autres. Les machines ont aussi fait leur effet, et après le grand ballet a danser, qui estoit composé du Roy et douze autres princes et seigneurs et entr’autres de Monsieur frère du Roy, de M. le comte de Soissons, de M. le grand-prieur, de M. le duc de Longueville, de M. le duc d’Elbœuf, de M. le comte Harcourt, de M. le comte de la Roche-Guyon, de M. de Liancourt, de M. Baradas, de M. le comte de Cramaille, et de M. le chevalier de Souverux, tous vestus très-richement.
Après tout ledit ballet dansé, qui a duré du moins trois heures, les violons ont commencé à jouer une danse, et s’est Sa Majesté et les autres masques démasqués, et ont tous les dessus nommés pris chacun une femme pour danser audit branle, a savoir : Sa Majesté a pris madame la première présidente, Monsieur frère du Roy madame de Bailleul, femme dudit sieur P… des M…, monsieur le comte après, et ainsi les dits princes et seigneurs.
Ledit branle fini, Sa Majesté a été conduitte par mes dits sieurs de la ville dans la salle où estoit préparée le festin et la collation , lequel festin qui estoit de très-beau poisson, a esté admiré par le Roy, lequel étant tout de bout a mangé fort longtems des viandes du dit festin, estant accompagné des dits princes et seigneurs ci-dessus nommés, qui ont semblablement fort mangé des dites viandes, mesdits sieurs de la ville avec ledit greffier estant toujours proche de Sa Majesté lors du festin. Et ayant Sa Majesté demandé a boire, tenant le verre a la main, auroit dit tout haut, adressant la parole audit sieur prévost des marchands, qu’il alloit boire à lui et à toute la ville ; et se tournant vers les dits sieurs eschevins, auraient aussi bu a eux semblablement ; et particulièrement s’adressant audit greffier lui auroit fait la faveur de boire a luy, ce qu’ils ont fait aussi avec une joie non pareille. Et a l’instant, Sa Majesté s’est approchée de la table aux confitures, qui estoit couverte de deux grandes nappes blanches, lesquelles nappes ayant été levées, Sa Majesté, se reculant en arrière, admirant le grand nombre de confitures exquises qui y estoient, auroit dit tout haut : Que voilà qui est beau ! et en même temps Sa Majesté auroit choisi elle-même trois bouettes des dites confitures, et tout aussitôt lesdits princes et seigneurs et autres personnes se sont jetés sur ladite collation qui a été prise, ravie et dissipée , et la moitié renversée à terre, a quoy le roy auroit pris un singulier plaisir. Ce fait, Sa Majesté auroit dit aux dits sieurs de la ville et audit greffier, qu’il estoit très-content d’eux , et qu’il les en remercioit , et qu’il n’avoit jamais veu un plus bel ordre , ni n’avoit jamais mangé de plus grand appetit qu’il avoit fait. Et tout vestu ou masqué comme il estoit lorsqu’il avoit dansé son grand ballet, s’en serait allé, et a été conduit par mes dits sieurs de la ville et ledit greffier qui levoient toujours leurs robbes mi-parties, jusque sur le perron dudit Hostel-de-Ville, où estant environ neuf heures du matin, l’artillerie, canons et bouettes de la ville commencèrent à tirer ; à quoy Sa Majesté prit un grand plaisir et se tint fort long-tems sur ledit perron , étant veu de tout le peuple qui estoit sur la Grève, laquelle Grève estoit toute pleine de monde qui crioit vive le Roy, avec grandes acclamations de joyes ; et le Roy remerciant de rechef les dits sieurs de la ville, est entré dans son carrosse pour aller a son Louvre marchant devant lui les Suisses de la garde, le tambour sonnant.
Et est a noter que par les rues par où le Roy a passé pour venir du Louvre au dit Hostel-de-Ville, il y avoit des lanternes de papier de diverses couleurs, a chacune fenestre et boutique de toutes les maisons, suivant les mandemens envoyés par la dite ville aux quarteniers a cette fin : comme aussi tout en estoit plein au dit Hostel-de-Ville, tant dedans que dehors, ce qui faisait fort bon voir.

(*) Charles-Edmond Duponchel, directeur de l’Opéra en 1835, dont la source est l »’Histoire de la ville de Paris », par Michel Félibien, Paris, 1725

 

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