CD Alceste

COMPOSITEUR Georg Friedrich HAENDEL
LIBRETTISTE Tobias Smolett

 

ORCHESTRE Early Opera Company
CHOEUR
DIRECTION Christian Curnyn

 

Lucy Crowe soprano
Benjamin Hulett ténor
Andrew Foster-Williams baryton-basse
Elizabeth Weisberg soprano
Sian Menna mezzo-soprano

 

DATE D’ENREGISTREMENT 7 et 8 novembre 2011
LIEU D’ENREGISTREMENT St Jude on the Hill, Hampstead Garden Suburb, Londres
ENREGISTREMENT EN CONCERT non

 

EDITEUR Chaconne
DISTRIBUTION Abeille Musique
DATE DE PRODUCTION 3 mai 2012
NOMBRE DE DISQUES 1
CATEGORIE DDD

 

 

Critique de cet enregistrement dans :

Forum Opéra

« En 1727, Haendel avait composé pour Londres un opéra intitulé Admeto (dont les intégrales au disque ne se bousculent pas, malgré deux versions assez médiocres en DVD). Près d’un quart de siècle plus tard, il fut sollicité pour concevoir la musique destinée à un ambitieux spectacle censé renouveler la tragédie antique sur la scène de Covent Garden : le même sujet, jadis traité par Euripide (et naguère par Quinault pour Lully), devait être remis au goût du jour par Tobias Smollett, alors jeune romancier picaresque dont rien ne laissait imaginer qu’il serait le mieux placé pour mener à bien une telle entreprise. Et au beau milieu du XVIIIe siècle, alors que l’opéra italien avait désormais droit de cité à Londres, l’Angleterre devait ainsi renouer avec la formule chère à Purcell du semi-opera : les trois personnages principaux auraient dû être des rôles parlés, la musique étant confiée à des divinités ou à des figures secondaires (Calliope, Apollon, Charon, une sirène, etc.). La partition fut achevée le 8 janvier 1750 mais pour des raisons qui restent mystérieuses, le projet tomba à l’eau après quelques répétitions. La pièce de Smollett est aujourd’hui perdue, n’a survécu que la musique de Haendel, qui s’empressa d’en recycler une partie dans The Choice of Hercules, créé le 1er mars 1751, puis dans Alexander Balus. Toujours est-il qu’il s’agit là de la seule incursion du compositeur dans le domaine de la musique d’accompagnement pour une pièce de théâtre : une vingtaine de numéros, pour environ une heure de musique. Curieusement, l’air écrit pour la Sirène n’a pas été retenu dans cet enregistrement, parce qu’il figure dans le manuscrit conservé à Londres, mais pas dans le conducteur conservé à Hambourg ; on a en revanche jugé bon d’ajouter la Sinfonia d’Admeto et une passacaille tirée de Radamisto pour étoffer l’évocation du Styx et des Champs-Elysées…
Succèdant à celle qu’avait enregistrée pour Decca Christopher Hogwood à la tête de The Academy of Ancient Music, avec notamment Emma Kirkby (1994), cette version est dirigée avec conviction par Christian Curnyn, auquel l’English National Opera confie régulièrement des opéras de Haendel ou même de Rameau. Des trois principaux solistes, la basse est la moins sollicitée : l’excellent Andrew Foster-Williams n’a ici à chanter que le très entraînant air de Charon, « Ye fleeting shades, I come », mais il prouve qu’il existe de bonnes basses haendéliennes, même si on ne les entend pas toujours en France. Le ténor semble l’emporter avec ses quatre airs : le virtuose « Ye swift minutes as ye fly », le paisible « Enjoy the sweet Elysian grove », le majestueux accompagnato « He comes, he rises from below », et finalement « Tune your harps, all ye Nine ». A la soprano n’échoient que trois airs, mais quels airs ! « Still caressing, and caress’d », où sa voix s’entrelace à celles du chœur, le magnifique « Gentle Morpheus », véritable sommet de la partition, et le charmant « Come, Fancy, Empress of the brain », dont l’appel à l’imagination semble sorti de L’Allegro, Il Penseroso ed il Moderato. Dans la mesure où les morceaux composés par Haendel étaient avant tout destinés à des divertissements venant s’intercaler entre les moments d’action du drame, ils ne sont évidemment pas censés véhiculer les affects majeurs qui déchirent les protagonistes, émotions dont l’expression était réservée aux acteurs non musiciens. Les chanteurs doivent se contenter d’invitations au plaisir ou au sommeil (ou à monter dans la barque véhiculant les âmes sur le Styx). Tout n’est donc ici qu’harmonie, sans que jamais Haendel ne puisse manifester sa maestria dans la description de la douleur ou de la rage. D’où une relative impression de monotonie, qui n’enlève cependant rien au grand talent des artistes réunis.
Lucy Crowe confirme ici ses immenses qualités de chanteuse haendélienne, dont on a déjà pu juger à la scène comme au disque. Sa voix paraît s’être enrichie, et il y a fort à parier qu’elle ne restera pas longtemps cantonnée aux rôles de seconda donna. « Gentle Morpheus » est pris très lentement (il dure près d’une minute de plus que dans la version Hogwood), mais Lucy Crowe y semble parfaitement à l’aise, et sa voix est infiniment plus séduisante que le timbre de petite fille de sa compatriote présente sur la version Decca. La découverte réside en la personne du ténor Benjamin Hulett, jusqu’ici inconnu au bataillon : il a certes enregistré plusieurs disques de mélodies anglaises et, notamment sous la direction de Frieder Bernius, plusieurs œuvres de Haendel et de ses contemporains. Voilà encore un de ces ténors dont l’école de chant anglaise paraît être une réserve inépuisable : voix agile, élancée et expressive, un talent à suivre. Les interventions des solistes sont fort bien complétées par celles des douze chanteurs du chœur de l’Early Opera Company, et fort bien soutenues par leurs confrères de l’orchestre du même nom. »

Diapason – septembre 2012 – appréciation 4 / 5

« À la fin de sa carrière, tous ses opéras et presque tous ses oraatorios achevés, Handel se frotte à un genre autrefois populaire que Purcell avait illustré dans ses King Arthur et ses Fairy Queen : le dramatick opera. Une pièce de théâtre ponctuée d’intermèdes qui, par leur ampleur et leur qualité, font jeu égal avec le drame. Manque de chance, pour quelque raison – peut-être justement l’ampleur et donc le coût de l’opération -, les représentations d’Alceste prévues à Covent Garden en 1750 furent annulées, la tragédie du jeune Tobias Smollett disparut et une bonne part de la musique trouva bientôt asile dans The Choice of Hercules. L’ouvrage reprit du poil de la bête en 1980, lorsque parut l’un des premiers grands albums de l’Academy of h Ancient Music. Emma Kirkby, Paul Elliott, David Thomas, Christopher Hogwood : dream team dont une rivale lyonnaise confirmait plus tard la suprématie. Désincarnées peut-être, éthérées sans doute, la berceuse » Gentle Morpheus  » par Miss Kirkby et les célestes vocalises de Paul Elliott dans  » Ye swift minutes » conservent trente ans plus tard leur charme originel. Charme si prégnant que la jeune équipe de l’Early Opera Company semble voir son album plutôt comme un hommage que comme une réponse. Enregistrée dans la même église londonienne, l’Alceste nouvelle marche sur les brisées de l’ancienne: voix » instrumentales », espace plus religieux que théâtral, direction paisible et stylée, rien n’a changé. Trouvera-t-on à l’orchestre moins de substance (quatre hautbois et deux bassons chez Hogwood, la moitié ici), au choeur peu de corps, à la délicieuse Lucy Crowe plus de chair et moins de mots qu’à sa devancière, au ténor Benjamin Hulett moins de fluide et plus de métal qu’à Paul Elliott ? Ce sera affaire de goût car, pour l’essentiel, Alceste est là et bien là. Un regret? Pourquoi, au lieu d’une sinfonia de l’opéra Admeto et de la passacaille de Radamisto, ne pas avoir enregistré les versions primitives de « Gentle Morpheus » et « Come Fancy » ainsi que le petit air de la Sirène écartés par Handel et Hogwood mais accessibles aujourd’hui ? »