Aci, Galatea e Polifemo (2002)

COMPOSITEUR Georg Friedrich HAENDEL
LIBRETTISTE Nicola Giuvo
ORCHESTRE Le Concert d’Astrée
CHOEUR
DIRECTION Emmanuelle Haïm

 

Aci Sandrine Piau soprano
Galatea Sara Mingardo contralto
Polifemo Laurent Naouri baryton

 

DATE D’ENREGISTREMENT décembre 2002
LIEU D’ENREGISTREMENT
ENREGISTREMENT EN CONCERT non

 

EDITEUR Virgin
DISTRIBUTION EMI
DATE DE PRODUCTION avril 2003
NOMBRE DE DISQUES 2
CATEGORIE DDD

 

 

Critique de cet enregistrement dans :

Goldberg – juin 2004 – appréciation 5 / 5

« L’oeuvre — “officiellement” une serenata a tre — fut créée en 1708, et c’est le Haendel de la période italienne (il a alors quitté Rome pour Naples) qui s’exprime ici dans toute son ardeur solaire. L’histoire tirée des Métamorphoses d’Ovide est connue, Haendel la réutilisant plus tard dans Acis and Galatea. Toutefois, il convient de signaler que si le compositeur chérisait suffisamment cette oeuvre de jeunesse pour en réutiliser le matériau mélodique dans es pages ultérieures, la sérénade italienne et le masque anglais n’ont pratiquement rien en commun. La musique d’Aci est globalement plus dramatique et sombre que celle d’Acis, et les exigences vocales plus grandes aussi, Polyphème (une basse), en particulier, affrontant ne tessiture crucifiante (trois octaves). Face à une concurrence somme toute restreinte (citons Medlam et le London Baroque dans un engistrement Harmonia Mundi datant de 1987), Le Concert d’Astrée s’impose sans peine. Sandrine Piau (Aci) est éblouissante dans la pyrotechnie, mais la plastique l’emporte parfois sur l’engagement. Laurent NaourïiPolyphème, lui, joue la carte opposée, intonation qu’on souhaiterait plus précise, mais timbre qui se pare d’une noirceur souvent étonnante. C’est au final Sara Mingardo (Galatée) qui offre le compromis le plus convaincant entre bel canto et expression, technique assurée, grain de voix somptueux et styliste accomplie. Cette fois en grand effectif, Le Concert d’Astrée convainc par ses sonorités charnues compensant une fusion des pupitres encore perfectible — mais le concerto grosso op. 3 n°4 choisi comme « ouverture” le place d’emblée face à des rivaux de choc, Musiciens du Louvre en tête. Globalement, une réalisation de première force. »

L’Avant-Scène Opéra – novembre/décembre 2003

« Face à une concurrence discographique assez maigre (dominée jusqu’à présent par la version dirigée par Charles Medlam pour Harmonia Mundi), Emmanuelle Haïm, à la tête du Concert d’Astrée, signe ici une version de référence. La jeune chef a en effet déjà plusieurs fois montré que ce versant plutôt intimiste de la production haendélienne, néanmoins dotée d’une large palette de situations musicales et sentimentales, lui convenait parfaitement. Sa phalange, magnifique de couleurs, de mobilité rythmique et dynamique, y est ainsi particulièrement mise en valeur, notamment lors des interventions solistes requises dans les trois grands airs des protagonistes. Les entrelacs que dessinent les bois et les cordes avec la voix chaude de Sara Mingardo font merveille dans «Sforzano a piangere con più dolor». De même en va-t-il des interventions du hautbois et du violon dans le délicieux «air aux oiseaux» de Sandrine Piau, «Qui l’augel da pianta in pianta», ou de la délicate suggestion orchestrale du papillon affolé dans l’impressionnant «Fra l’ombre e gl’orrori», parfaitement en symbiose avec le chant tout en douceur de Laurent Naouri. Cette finesse du trait est encore plus étonnante dans les récitatifs, particulièrement fouillés, ou dans les airs dont l’accompagnement est le plus dépouillé, proche du simple continuo, tels «Se m’ami, o caro» de Galatée, soutenu par l’orgue et ponctué de magnifiques interventions des cordes venant mimer les pleurs de la nymphe, ou encore «Dell’aquila l’artigli», accompagné du clavecin vivant et inventif d’Emmanuelle Haïm elle-même. Seul regret cependant: la vie que la direction insuffle à l’œuvre est avant tout d’ordre musical. Manque une forme de «théâtralisation» des situations et des sentiments, en particulier dans le cas de l’accompagnement orchestral du géant Polyphème, pour lequel davantage de caractérisation n’aurait pas nui. Les solistes sont quant à eux dignes d’éloge. Le timbre chaleureux et sensuel de Sara Mingardo, son intelligence musicale et stylistique sont comme toujours source d’infinies satisfactions. Sandrine Piau, pour offrir un chant essentiellement élégiaque, d’une palette de coloris un peu étroite, délivre malgré tout un Acis d’une extrême beauté. Sa vocalise est parfaite, tout comme sa capacité à marier sa voix avec les instruments obbligatiqui font tout l’intérêt de sa partie. Le Polyphème de Laurent Naouri, enfin, est d’une présence impressionnante. Si la voix bouge un peu dans les airs lents, sa projection vocale, sa diction et sa gestion des écueils inhérents à la tessiture redoutable de son rôle sont remarquables. L’air «Fra l’ombre e gl’orrori», clou de la partition avec ses écarts le menant du Ré grave au La aigu, ou le récitatif accompagné «Ed io che tanto ascolto», plein de douleur et de douceur, sont anthologiques. Une bien belle gravure, donc, et on attend avec impatience d’autres réalisations majeures dans ce même répertoire. »

Opéra Mag – juillet/août 2003

« De son clavecin directif, Emmanuelle Haïm mène ses troupes avec le char-me qu’on lui connaît, imposant sans difficulté ce nouvel Aci comme le plus attachant d’une discographie sans sérieuse concurrence. Malgré de petites raideurs des cordes, l’orchestre n’a rien à envier à ses aînés (et les vents sont superbes). Le Polifemo de Laurent Naouri, malgré un « Sibillar… »périlleux et instable, est d’une bouleversante monstruosité (sublime etvocalement terrible « Fra l’ombre… »). Sara Mingardo déroule pour sa Galatea le velours soyeux de son timbre dans un « Sforzano a piangere… » déchirant. Quant à l’Aci radieux et virtuose de Sandrine Piau, il est techniquement et vocalement irréprochable. Néanmoins, quelques options stylistiques singularisent une interprétation dans son ensemble très aboutie. Assurément, certains étirements métronomiques déforment le propos (« Non sempre, no crudele… »de Polifemo et « Qui, l’augel… » d’Aci) sans pour autant l’annuler. Mais que dire de l’ornementation extravagante de notre berger (« Che non puo la gelosia… », « Qui, l’augel… » encore), si ce n’est qu’elle semble bien anachronique dans cette belle et cruelle histoire…Une version surprenante, mais envoûtante. »

Crescendo – été 2003 – appréciation 7 / 10

« En guise d’ouverture, Emmanuelle Haim a choisi de présenter deux mouvements du Concerto grosso, op. 3 n° 4 et tout se présente sous les meilleurs auspices, Dès le premier Duetto apparait une volonté évidente de présenter les choses avec brillant, souci louable en soi et bien dans [a nature transalpine. L’énergie est omniprésente jusqu’à se traduire par l’agitation, la sur-dramatisation, la recherche de l’effetplus que de l’affect, le tout baignant dans des vibratos parfois démesurés. On se sent parfois emporté dans un tourbillon confus, ne sachant plus très bien où l’on est et où l’on va. Il faut attendre le dernier tiers de l’oeuvre pour retrouver un peu de respiration et de souffle maîtrisé comme en témoignent un très beau terzetto Dolce amico amplesso et l’émouvant Verso già l’alma col sangue chanté par Sandrine Piau. Sara Mingardo montre son habituelle implication, et colore comme toujours sa présence chaleureuse. Haendel a été très exigeant pour la basse et l’on excuse Laurent Naouri pour les quelques écarts de justesse dans le fin fond du grave. Du Concert d’Astrée, nous dirons qu’il manque étrangement de couleur et surtout de connivence. Dommage vraiment, beaucoup d’ingrédients étaient réunis pour que la fête soit réussie. Emma Kirby, Carolyn Watkinson et David Thomas, accompagnés par le London Baroque avaient fait bien mieux il y a 15 ans. »

Opéra International – juin 2003 – appréciation 4 / 5

« Si Medlam et son équipe nous sont encore sensibles pour leur formalisme de bon aloi et des timbres vocaux touchants, la verve et l’allant dramatique des nouveaux interprètes nous rendent la version Virgin encore plus enivrante. Voici une vraie vision théâtrale, coloriste, tendre… Les choix stylistiques d’Emmanuelle Haïm sont parfois surprenants, mais toujours assumés : ainsi en va-t-il du tempo « lentissime » du « Qui l’angel » d’Aci, qui ruinerait toute autre interprétation que celle de Sandrine Piau, qui assure crânement. Malgré la ligne vocale étirée à l’extrême, cette belle haendelienne parvient à rendre crédibles ces onze minutes de gazouillements. Les deux autres solistes transfigurent eux aussi leurs parties respectives : Sara Mingardo en Galatea, avec un merveilleux « Verso già » final, et Laurent Naouri en Polifemo, à qui est confié le plus bel air de la partition (« Fra l’ombre e gli orrori »). L’orchestre du Concert d’Astrée, un peu vert, gagnera certainement bientôt en épanouissement, mais quels timbres pour le hautbois et le basson ! Il faut dire que la chef claveciniste sait ce que récitatif ou cantabile veu-ent dire… »

Le Monde de la Musique – mai 2003 – appréciation 4 / 5

« C’est Polyphème qui a la vedette dans le trio vocal en présence. Hurlant et se lamentant sur une tessiture incroyable (du ré grave au la aigu!), le monstre requiert une voix non moins incroyable. L’impeccable baryton Laurent Naouri, que l’on sait aussi bon comédien, s’y livre à des prouesses dont on ne l’aurait pas imaginé capable : son air  » Fra l’ombre e gl’orrori « , en particulier, restera dans l’histoire du chant pour ses merveilles techniques et sa formidable expressivité. Pour pratiquer un chant un peu moins acrobatique, Sandrine Piau et Sara Mingardo n’en sont pas moins impeccables, et parviennent même à faire paraître naturel le fait que la frêle Galathée soit pourvue d’une voix d’alto tandis que le bouillant Acis plane dans les sphères du soprano. A la tête des formidables instrumentistes de son Concert d’Astrée (la violoniste Stéphanie-Marie Degand, la flûtiste Héloïse Gaillard, etc.), Emmanuelle Haïm s’en donne à coeur joie dans cette musique éclatante, où trompettes et flûtes ajoutent à la somptuosité de l’or-chestre. Mais cette excellente musicienne a les défauts de ses qualités, et un peu plus de discipline ne nuirait pas à la cohérence de l’ensemble. »

Répertoire – mai 2003 – appréciation 9 / 10

« La gravure d’Emmanuelle Haïm s’impose sans difficulté à la tête d’une maigre discographie dominée jusqu’à présent par la version publiée en 1986 chez Harmonia Mundi, avec un bon trio de chanteurs (Emma Kirkby, Carotyn Watkinson, David Thomas), sous la direction de Chartes Medlam. A la tête du Concert d’Astrée, la jeune Française impose une vision extrêmement musicale : très belle articulation, jeux de timbres entre les différents pupitres de l’orchestre, tempi bien tenus et cohérents, virtuosité des solistes. Certains moments pourraient être plus éclatants mais cela reste un question de goût. On remarquera enfin l’inventivité des embellissements dans les da capo des airs, la vitalité du continuo et la virtuosité du clavecin (joué par Haïm). La distribution vocale est dominée par l’alto italien Sara Mingardo, dont le timbre rare et somptueux est mis au service d’une musicalité infaillible et d’une émotion pudique. Toutes ses interventions sont anthologiques, mais l’air  » Sforzano a piangere con più dotor « , avec ses effets de moirures avec les bois et le luth, est proprement magique. Sandrine Piau est une interprète d’élection dans ce répertoire. Le timbre est cristallin, l’intonation parfaite, et il semble qu’elle puisse phraser (legato ou piqué) et chanter dans n’importe quelle nuance jusque dans les notes les plus aiguës. On aimerait toutefois plus de couleurs chaudes, qui donneraient à ce chant pur un frisson plus charnel. A Laurent Naouri revient le rôle impossible de Polyphème. Celui-ci réclame une basse capable de vocaliser et de chanter piano y compris dans l’extrême aigu. Qui pourrait relever un tel défi aujourd’hui ? Laurent Naouri, qui depuis deux ans aborde des rôles de baryton-basse, a les notes, le panache et la maîtrise des nuances. Il est certes plus baryton que basse : là où la voix sonne le mieux est sensiblement un à deux tons plus haut que la tessiture de ce rôle. »

Diapason – mai 2003 – appréciation 5 / 5 – technique 7 : 10

« Revoici les couleurs, tendres ou éclatantes, les gestes, larges ou abrupts ; les envols d’Acis, les caresses de Galatée, les rugissements de Polyphème. Revoici la cantate napolitaine de Haendel, perdue de vue depuis sa révélation par le London Baroque. Où la troupe de Charles Medlam exaltait la forme, Emmanuelle Haïm favorise la sensibilité. Opération traduite d’abord dans le choix de tempos plus larges, quelquefois au bénéfice du sentiment, d’autres fois, avouons-le, en dépit du bon sens…Pourtant, les maladresses ne sont pas seulement rares. Elles sont assumées – mieux transfigurées – par les solistes. Sandrine Piau déroule dans « Qui, l’augel » ses phrases longues et douces, et son Acis, plus ange que berger peut-être, coule de source…Sara Mingardo franchit l’obstacle des ornements avec moins d’aisance dans « Benché tuoni », ce qui n’est pas très fair-play de la part d’Emmanuelle Haïm, le da capo étant supposé servir le chanteur, non l’éreinter. Mais la voix est toujours aussi belle, la langue aussi riche, le style aussi juste. Quant à Laurent Naouri, il a sans doute eu la faiblesse de prendre le monstre Polyphème en sympathie…Mais plus le personnage s’épaissit, plus l’interprète s’ouvre pour l’accueillir : vous n’avez jamais entendu quoi que ce soit de comparable à ce « Fra l’ombre e gli orrori », ciselé, coloré, cantabile…Cyclopéen…D’une manière générale, l’orchestre connait mieux le théâtre napolitain que le I.ondon baroque de 1986, et les récitatifs sont beaucoup plus parlants. On devra certes attendre encore un peuque le Concert d’Astrée s’épanouisse, que les basses varient leurs phrases, que les violons déploient leur sonorité (mais quel hautbois !). »

Forum Opéra

« Fra l’ombre e gl’orrori, farfalla confusa, già spenta la face, non sa mai goder » (« Dans l’ombre et les ténèbres, une fois la flamme éteinte, le papillon désorienté ne sait plus comment se réjouir ») : six minutes de pur bonheur et quelques instants précieux dans leur sillage, le temps de réaliser que nous avons quitté notre enveloppe « pour quelques moments, courts à la mesure des montres et bien longs en sensations » (Balzac, Massimila Doni) fortes et inédites. Laurent Naouri nous livre tout simplement la plus extraordinaire leçon de chant et de musicalité jamais offerte par un baryton chez Haendel. Après un tel choc, certains choisiront le silence, d’autres voudront immédiatement retrouver cette voix ensorcelante, noire et lumineuse, tour à tour incisive et caressante, basse-contre et basse chantante, murmure et tonnerre, au gré de nuances et de gradations presque infinies. Ceux qui prétendent que le baryton-basse français ne sait que rugir, incarner les rustres et les monstres, que son chant est brut de décoffrage, incapable de finesse, ceux-là refuseront peut-être de croire leurs sens. Bien sûr, la partition est géniale – en 1732, Haendel confiera l’air à la plus fameuse basse du XVIIIe siècle, Antonio Montagnana (Sosarme) – mais encore faut-il l’investir, avec style, imagination et sensibilité, nombre d’or que seuls détiennent les plus grands. Réécoutez David Thomas dans la gravure pionnière de cette sérénade (Harmonia Mundi) et vous mesurerez l’abîme qui sépare une exécution littérale et prosaïque d’une véritable interprétation, pensée, sentie et construite dans les moindres détails. Quel formidable défi, quelle griserie pour les artistes qui n’ont pas seulement un bel organe, souple et docile, mais des choses à dire, une vision à partager ! Le rôle exige sans doute la tessiture et l’aisance dans les graves d’une vraie basse, en particulier le célébrissime « Sibilar l’angui d’Aletto » : les traits sont inégaux et manquent d’impact, mais Laurent Naouri embrasse la complexité de son personnage, autrement subtil que ne le laissait croire son prédécesseur. Loin du mythe originel, dans lequel Polyphème est la personnification de l’Etna, le géant apparaît vulnérable sous ses dehors épais et cruels. Peut-être même trop humain : ainsi dans le splendide trio de la première partie, « Proverà lo sdegno moi », Polyphème s’oppose moins au duo des amants qu’il ne l’accompagne, comme si la tendresse d’Acis et Galatée amollissait sa détermination. On sait bien peu de choses du chanteur qui a inspiré ce rôle surhumain. Cette basse à l’ambitus démentiel – du ré grave (ré1) au la aigu (la3) – certes virtuose, mais aussi capable de traduire un large éventail d’affects, de la fureur au désarroi, a probablement créé, à la même époque, la cantate « Nell’ Africane selve », une oeuvre spectaculaire : le premier air qui dépeint les mouvements désespérés d’un lion pris dans le filet d’un chasseur, est un morceau de bravoure à l’écriture fantastique, mais assassine (avec des sauts de presque trois octaves, du do dièse grave au la du diapason !) ; peu de chanteurs modernes ont osé l’aborder et l’on rêve d’y entendre un Denis Sedov. Certains musicologues attribuent ces pages exceptionnelles à Giuseppe Boschi (1698-1744), natif de Viterbo, dans le Latium, et mentionné pour la première fois en 1703 dans la distribution d’Il più fedele fra i vassali de Gasparini, à Casale Monferrato. Un an après Aci, Boschi prit part à la création d’Agrippina. En 1711, Haendel l’engage, ainsi que son épouse, le contralto Francesca Vanini (Goffredo), pour ses débuts londoniens avec Rinaldo, Argante héritant d’une reprise légèrement modifiée de « Sibilar l’angui d’Aletto ». Neuf ans plus tard, Boschi intègre la troupe de la Royal Academy où il participe, entre 1720 et 1728, à plus d’une trentaine de créations, dont treize opéras du Saxon, parmi lesquels Ottone, Giulio Cesare, Tamerlano et Rodelinda. Curieusement, aucune composition postérieure au séjour italien de Haendel n’exploite les moyens faramineux de cette basse, le plus souvent cantonnée à des rôles secondaires, plutôt stéréotypés et dans une tessiture de baryton aigu. Vous l’aurez compris, la performance de Laurent Naouri justifie à elle seule l’acquisition de ce coffret. Mais ne soyons pas injuste : il est magnifiquement entouré. Emmanuelle Haïm ne s’en cache pas, elle le revendique même : seules les voix mûres et les techniques aguerries trouvent grâce à ses yeux. La jeune chef aime le belcanto et ne compte pas : l’aria enjouée et tonique d’Aci, « Qui l’augel da pianta in pianta », à peine tempérée dans sa section B par les accents affligés du berger, se transforme en une vaste et langoureuse rêverie (près de onze minutes !) où le timbre frais et juvénile, le canto di maniera délicat, mais sans afféterie, de Sandrine Piau font merveille. Rien que de très prévisible pour ceux qui la connaissent et apprécient sa science ornementale, la morbidezza de ses aigus et de ses pianissimi. Mais sa mort (« Verso già l’alma col sangue « ) est presque trop belle, trop parfaite jusque dans son ultime soupir, pour émouvoir… La prestation de Sara Mingardo est elle aussi sans surprise : le contralto s’épanouit dans le cantabile – « Sforzano a piangere con più dolore » d’anthologie, engagé et raffiné, mais qui ne fait pas oublier la sobriété et les accents poignants de Carolyn Watkinson (Harmonia Mundi) – et la vocalisation manque toujours d’éclat, le canto di bravura de mordant (« Benché tuoni e l’etra avvampi « ). Léger et irrésistible, en revanche, « S’agita in mezzo all’onde » est enlevé avec ce qu’il faut d’esprit : un régal ! Dommage que le studio n’ait pas conservé l’électricité du concert où la « ferveur musclée » d’Emmanuelle Haïm (Daily Telegraph) stimulait davantage son ensemble, parfois un peu en retrait, sinon timide dans les passages plus brillants et théâtraux ; mais écoutez seulement les bruissements de la forêt au crépuscule, la plainte des cordes épouser le désespoir de Polyphème (« Fra l’ombre et gl’orrori », encore, oui !) ou ces vents enchanteurs dialoguer amoureusement avec les solistes : la magie naît aussi de cet accord idéal entre la voix et l’orchestre. Le Concert d’Astrée, au sein duquel on reconnaît le nom de quelques valeurs sûres entendues ailleurs (Stéphanie Marie-Degand, Simon Heyerick, Héloïse Gaillard, Benoît Hartouin…), se révèle un partenaire d’élection pour la fine fleur du chant baroque et une des phalanges les plus prometteuses de la nouvelle génération. »

Ramifications – mars 2003

« Pour son deuxième enregistrement en tant que chef de son ensemble baroque, Le Concert d’Astrée, Emmanuelle Haïm a choisi la version moins connue d’Acis et Galatée de Haendel, celle que l’on cite d’ordinaire étant le masque anglais de 1718. Il s’agit ici d’une imposante cantate composée dix ans plus tôt à Naples, dont la beauté réside dans l’intensité des sentiments exprimés plus que dans la vision universelle du mythe. Haendel réunit trois personnages que le destin saisit au plus fort de la haine, l’amour et la jalousie. L’intensité de leur confrontation s’exprime dans la déchirure, la brûlure et la passion jusqu’à la tragédie. Les interprètes d’Aci, Galatea et Polifemo assument donc une écriture vocale d’une extrême exigence, tant dans la puissance émotive que l’habileté technique. L’intense Sandrine Piau, d’une aisance vocale vertigineuse et pure incarne un superbe Aci, étouffant sans doute la prestation de Sara Mingardo en Galatea portant touchante et vraie, sans apprêt ni fioriture. Laurent Naouri affronte la terrifiante tessiture vocale de Polifemo avec un indéniable brio, exécutant d’extraordinaires acrobaties vocales sans faiblir. Cependant, on aurait souhaité plus d’ampleur, de profondeur et de résonance pour un rôle qui demande un baryton d’une stature de géant. Quant à Emmanuelle Haïm, elle assume sa partie de clavecin avec assurance et précision tout en dirigeant intelligemment et d’un oeil d’aigle les musiciens perfectionnistes du Concert d’Astrée. Le résultat final, très beau, ne parvient pourtant pas à bouleverser. La quête d’une trop grande virtuosité technique conduit parfois à une sorte de froideur, de beauté glacée difficile à pénétrer. »