CD Rodelinda (direction Alan Curtis)

RODELINDA

COMPOSITEUR

Georg Friedrich HAENDEL

LIBRETTISTE

Antonio Salvi / Nicola Francesco Haym

 

ORCHESTRE Il Complesso Barocco
CHOEUR
DIRECTION Alan Curtis

Rodelinda Simone Kermes soprano
Eduige Sonia Prina contralto
Bertarido Marijana Mijanovic mezzo-soprano
Garibaldo Vito Priante basse
Grimoaldo Steve Davislim ténor
Unulfo Marie-Nicole Lemieux mezzo-soprano

DATE D’ENREGISTREMENT septembre 2004
LIEU D’ENREGISTREMENT Palazzo Doria Pamphili – Sala Olimpia, San Martino al Cimino
ENREGISTREMENT EN CONCERT non

EDITEUR Deutsche Grammophon – Archiv Produktion
COLLECTION
DATE DE PRODUCTION 6 juin 2005
NOMBRE DE DISQUES 3
CATEGORIE DDD

Critique de cet enregistrement dans :

Goldberg – octobre 2005 – appréciation 5 / 5

« Le glorieux été indien que s’offre Alan Curtis en enregistrant les opéras de Handel s’était concentré jusqu’à présent sur la reprise d’oeuvres négligées. Cette fois, en revanche, le chef américain s’intéresse à celui qu’on considère généralement comme l’un des plus grands opéras et l’un des plus efficaces sur le plan dramatique du compositeur. Rodelinda, histoire de fidélité conjugale épicée de trahisons et de grands moments de théâtre, fut jouée pour la première fois au Rings Theatre le 13 février 1725. Pour son interprétation, Curtis utilise en fait largement le matériel de cette reprise, dont il explique avec conviction qu’il est pour une fois plus fort que la partition utilisée lors de la première représentation.

Linterprétation, qui éclipse les versions précédentes de Schneider (DHM) et de Kraemer (Virgin), ne mérite que des superlatifs. Ses véritables héros sont Curtis lui-même, dont la direction inspirée atteint un niveau de véracité et de conviction dramatique remarquables, et la magnifique Simone Kermes, dont le chant embrasse toutes les facettes du rôle-titre et touche l’auditoire par la vivacité des émotions exprimées. Elle est entourée d’une distribution exceptionnelle, où seul le vibrato excessif de Mijanovic apporte parfois une note discordante. Ce coffret n’en est pas moins remarquable. Il s’agit, tout simplement, de l’un des plus beaux enregistrements d’un opéra de Hàndel jamais réalisé. Comme tel, il a droit à sa place dans toute collection de disques. »

Crescendo – été 2005 – appréciation 9 / 10

« Alan Curtis continue son périple haendélien et aborde l’opéra Rodelinda dont la première eut lieu en février 1725 à Londres. L’époque était très féconde pour le grand Saxon puisqu’elle a également vu naître les sommets que sont Giulio Cesare et Tamerlano. Plutôt que la version originale, Curtis a choisi d’en présenter une remaniée par Haendel lui-même et, à maints égards, plus intéressante. Une des particularités de l’oeuvre réside dans l’immersion au coeur du drame dès le premier acte alors que celui-ci est généralement réservé dans l’opéra haendélien à une mise en situation. La distribution réunit des noms déjà confirmés de la jeune génération. A toute reine, tout honneur avec Simone Kermes qui donne àRodelinda, reine de Lombardie, une consistance dramatique très dense. Dès l’air « Hoperduto il caro sposo » de l’acte 1, elle plonge dans le tragique de la situation en usant de sa magnifique voix et de son sens dramatique. Le reste de sa prestation est à l’avenant, la beauté de son chant étant toujours convaincante quels que soient les états d’âme qu’elle exprime. On ne saurait bien sûr pas passer sous silence la tendresse du duo « Io t’abbracio » qui réunit Rodelinda et son mari Bertarido chanté par Marijana Mijanovic. On retrouve également chez cette dernière la superbe faculté d’exprimer l’émotion et de la susciter dans sa profondeur grâce à une maîtrise impeccable et un timbre tout à la fois généreux et chaleureux. Steve Davislim défend lui le troisième personnage important, Grimoaldo, désireux de s’approprier le royaume et l’épouse de Bertarido. Il en reflète bien le caractère ambigu mais ne peut éviter quelques rares imprécisions relatives à la justesse. Du reste de cette excellente distribution on évoquera encore la prestation de Marie-Nicole Lemieux dans Unulfo, conseiller de Grimoaldo mais surtout en secret l’ami de Bertarido. Présence consolatrice si bien suggérée par la sombre chaleur d’une voix que rien ne semble pouvoir éteindre, même quand elle se fait à dessein un peu voilée et moins affirmée. Comme d’habitude, Alan Curtis conduit Il Complesso Barocco en évitant toute surdramatisation mais en ne délaissant pas pour autant les couleurs et les inflexions auxquelles Haendel invite si bien. Son souci de laisser aux choses leur naturel et leur respiration est dans ce cadre tout à fait louable. »

Diapason – juillet/août 2005 – appréciation 4 / 5 

« Que les choses soient claires : ceci est la meilleure version jamais parue en CD d’un chef-d’oeuvre dont notre lecteur ne saurait se passer. Alors que l’ancien enregistrement de Brian Priestman (Westminster 1964, Stich-Randall, Forrester, Young) reste introuvable, Curtis balaie le souvenir du tardif Bonynge/Sutherland (1985), de l’ennuyeux Schneider (1990) et du malingre Kraemer (1996). Réalise-t-il pour autant le potentiel dramatique de l’ouvrage ? Il en donne une vision plus vive, mieux jouée et infiniment mieux chantée que ses prédécesseurs, plus éloignée cependant des enjeux dramatiques que la production du couple Christie/Villégier (Glyndebourne 1998) disponible en DVD. La faute en incombe au chef lui-même, à ses choix instrumentaux (un orchestre réduit de moitié par rapport aux ressources de Haendel au Haymarket, quinze cordes pour trente), mais surtout à son style cursif, agile et certainement musicien, mais aussi passe-partout, qui pourrait aussi bien s’appliquer à un Bononcini ou à un Hasse. Avec une légèreté parfois séduisante, plus souvent désinvolte, Curtis glisse sur les profondeurs de l’écriture haendélienne, évacue les mystères, escamote les conflits et les contrastes. Les chanteurs en pâtissent, et nulle davantage que Mari jana Mijanovic qui, jamais inspirée par le regard du chef, choisit de se reposer sur son timbre somptueux. Si Bertarido n’a pas été mieux chanté depuis Forrester, c’est un héros bien placide que nous entendons là, sans armure. Le piège se referme sur Steve Davislim, pliant sous cet emploi de Borosini, artiste qui contribua à placer le ténor sur la carte lyrique de son siècle. Le chanteur australien, « secondo tenore » joli et sensible, maîtrise le style, compose tant bien que mal avec la technique et court après le personnage du tyran torturé sans l’atteindre. Trop typique de cet enregistrement, l’enivrant « Tra sospetti » nous le montre préoccupé par ses notes, pendant que l’orchestre compte les siennes, sans que quiconque ne soupçonne les abîmes qu’Haendel y dessine.

La primadone allemande Simone Kermes, raison d’être du disque, ne laisse pas moins perplexe. La voix est ferme, conséquente et égale, si la couleur n’a rien d’original, l’aigu (par ailleurs pléonastique) parvient à nous bluffer, mais le phrasé et la vocalise manquent de souplesse, la dynamique de nuances, les récitatifs de pertinence, le personnage demeurant à l’état d’esquisse. La satisfaction qu’on en tirera sera donc d’ordre instrumental plutôt que théâtral.

Paradoxalement, les rôles secondaires s’affirment avec plus de bonheur : Sonia Prina s’ajoute à la liste des Eduige aussi attachantes que virtuoses, à croire le rôle invulnérable ; Marie-Nicole Lemieux vibre de passion et enchante par la profondeur du timbre ‘ si cette formidable chanteuse voulait bien se donner quelques mois pour parfaire se virtuosité, les plus beaux emplois haendéliens lui seraient réservés ; Vito Priante offre à Garibaldo un métal noble et une italianità irremplaçable. Nous devons le résumé de l’action, ainsi que ‘ nous dit-on ‘ l’existence de la bande, à la généreuse Donna Leon, auteur d’innombrables best-sellers, et dont le nom figure sur la boîte. »

Opéra International – juillet/août 2005 – appréciation 3 / 5

« Rodelinda figure en bonne place parmi les opéras de Haendel les plus représentés, et si les micros se sont approchés de la souveraine lombarde dès les années 1930, le résultat a été souvent source de frustration. Dans l’attente, déjà trop longue, d’une éventuelle réédition de l’enregistrement mythique dirigé par Brian Priestman (Westminster, 1964) avec Teresa Stich-Randall et Maureen Forrester, une version de référence moderne se fait attendre. C’est dire si cette nouvelle gravure était espérée avec curiosité et gourmandise. Trop peut-être, car c’est la déception qui est au rendez-vous.

Pourtant, on est immédiatement séduit par la tenue de l’orchestre d’Alan Curtis, plus consistant et précis ici qu’il ne l’a parfois été, puis par la densité vocale et dramatique de Simone Kermes, la meilleure Rodelinda entendue au disque depuis longtemps, à qui l’on ne peut reprocher que la recherche systématique des notes aiguës dans ses cadences. Les réciatifs sont convaincants, Sonia Prina est simplement excellente en Eduige et Marie-Nicole Lemieux est un très bon Unulfo. L’inadéquation de la technique de Steve Davislim et la vocalité un peu trop buffa de Vito Priante ne sont pas rédhibitoires. C’est l’arrivée du Bertarido de Marijana Mijanovic qui pose problème. Le magnifique récitatif accompagné « Pompe vane di morte » et l’air « Dove seli ? » sont maltraités par un chant tellement peu et mal soutenu que la justesse est en grand péril, les couleurs non maîtrisées, les registres inégaux et les tenues rattrapées par un vibrato complètement artificiel. La suite est un peu meilleure, l’engagement de l’actrice et l’énergie de certains airs compensant les faiblesses vocales. On n’en reste pas moins dubitatif.

Sans ces insuffisances et avec une prise de son plus équilibrée ‘ une certaine spatialisation tend à nous maintenir à distance du drame et de l’émotion ‘, cet enregistrement se serait confortablement placé en tête de la discographie. Mais il ne peut complètement faire oublier l’émotion, la cohérence et l’équilibre que l’on trouvait dans les versions de Michael Schneider (Deutsche Harmonia Mundi) et de Nicholas Kraemer (Virgin), qui offraient pourtant des interprètes aux moyens souvent beaucoup plus modestes. Cette intégrale, emplie de beaux moments mais en définitive insatisfaisante, nous rappelle à quel point l’opéra est une subtile alchimie… »

 Forum Opéra

« Tout haendélien qui se respecte tendra l’oreille. D’abord, parce qu’aucune des versions disponibles ne rend justice à l’un des drames les plus aboutis du compositeur, de la veine d’un Tamerlano et sacrifié comme ce dernier sur l’autel de Giulio Cesare. Cette nouvelle parution s’impose donc facilement et malgré d’indéniables faiblesses – nous allons y venir.

Second attrait, la pochette annonce fièrement la première version intégrale de l’ouvrage. C’est là une accroche pour le moins discutable quand on sait qu’Alan Curtis mêle différents états de la partition. Comme d’autres avant lui, il n’entend pas s’en tenir à la version créée le 13 février 1725, car elle nous priverait du célèbre « Vivi tiranno » de Bertarido, écrit la même année pour une reprise. En outre, il restitue l’ultime duo des amants, pièce charmante à défaut d’être inoubliable, qui fut également ajoutée à cette occasion. Et de vanter la géniale transition imaginée par Haendel qui supprime la ritournelle conclusive du duo et celle qui introduit le choeur final. Fort bien, mais est-ce une raison pour couper le sifflet des tourtereaux, leur dernière note, inaudible, étant recouverte par l’entrée précipitée du choeur ? On a connu le musicien plus scrupuleux… Par contre, on lui saura gré d’avoir préféré le remaniement de « Sono i colpi », l’air d’Unulfo au I, plus raffiné et suggestif dans sa mouture en mi mineur.

Hélas, Alan Curtis n’a jamais été un homme de théâtre, de la trempe de Minkowski ou de Jacobs, pour ne citer que ces deux chefs, aux partis pris parfois excessifs et contestables, mais qui osent prendre des risques et ont marqué ce répertoire. Il ne faut pas compter sur l’ex-pionnier américain pour nouer les fils d’une intrigue, ménager tensions et suspens, explorer la richesse des caractères, etc. Du sang, des larmes, de la fureur ou du désespoir, de la passion ? Le chef parle une autre langue et ignore ces obscénités. Aucun élan, aucune vision ne porte l’ouvrage, réduit à une succession de numéros, un comble pour ce modèle de construction dramatique ! Flatté par une prise de son généreuse, Il Complesso Barocco se montre pourtant plus alerte qu’à l’accoutumée et nous offre quelques beaux moments, mais le naturel reprend vite le dessus, tel un mal chronique et incurable (le flegme… ou la flemme ?), à l’image de ce « Vivi tiranno » nonchalant et d’une insipide tiédeur, là où on attend un rythme vif et implacable. Ce n’est même pas, en l’occurrence, le sens du drame qui vient à manquer, mais simplement l’énergie…

En revanche, Curtis multiplie les attentions pour sa prima donna, soutenue, enveloppée, caressée par un orchestre en pâmoison dès qu’elle s’épanche. Il faut admettre que le goût immodéré de Simone Kermes pour les contre-notes fait ici moins de dégâts que dans d’autres ouvrages (Deidamia ou Lotario). Son métal lunaire, ses aigus adamantins épousent à merveille le climat mystérieux et glacé du lamento « Ombre piante » comme le timide espoir de « Ritorna, o caro e dolce moi tesoro ». Toutefois, l’artiste ne peut embrasser le rôle dans toute sa complexité : ce n’est pas tant son tempérament, que ses limites vocales – à commencer par la monochromie et la pauvreté du médium – qui l’empêchent de convaincre dans la révolte ou même l’abandon amoureux. Difficile d’oublier les tendres accents de Sophie Daneman, Rodelinda sans doute trop frêle et diaphane, mais bien plus humaine.

Bertarido devra, lui aussi, attendre son heure. Plus hétérogène que jamais, la voix de Marijana Mijanovic irrite autant qu’elle fascine. Il ne suffit pas de posséder un des contraltos les plus androgynes qu’il nous ait été donné d’entendre depuis Carolyn Watkinson, ni d’afficher une forte et belle personnalité pour convaincre : « Pompe vane di morte… Dove sei, amato bene » surexpose un manque flagrant de soutien, une instabilité heureusement moins préjudiciable dans les pages virtuoses (dépourvue de notes longues), même si « Confusa si miri » manque de hargne et nous laisse quelque peu sur notre faim. En revanche, une invention de tous les instants caractérise les cadences, la chanteuse ayant la bonne idée de reprendre les ornements mis au point par Emmanuelle Haïm pour le festival de Glyndebourne 2004. Les duos sont musicalement très réussis, mais guère lyriques, les timbres de Kermes et Mijanovic se mariant particulièrement bien – union sans nul doute facilitée par leur commune absence de rondeur et de moelleux.

L’Eduige de Sonia Prina ne laissera pas de souvenir impérissable. La mère indigne de Lotario (Matilde) la trouvait nettement plus inspirée et les raffinements de son chant faisaient alors oublier la légèreté du matériau et une tessiture fort courte. Gageons que Marie-Nicole Lemieux aura mûri son rôle avant de l’endosser à Toronto la saison prochaine, car elle promet beaucoup ! L’ambre est splendide, la musicienne rayonnante et subtile à la fois (« Un zeffiro »), les récitatifs frémissent et nous tiennent éveillés, mais l’instrument doit encore s’assouplir.

Le choix de Steve Davislim pour incarner Grimoaldo est, quant à lui, indéfendable. D’aucuns apprécieront la qualité du grain et la sensibilité du poète (« Pastorello d’un povero armento »), mais nous n’évoluons pas dans l’Arcadie précieuse des salons. Héritant d’un rôle en or, riche et ambigu à souhait, taillé pour l’étoffe exceptionnelle de Borosini (créateur du superbe Bajazet de Tamerlano), le ténor se révèle d’une exaspérante mollesse, vocaliste laborieux, avare d’aigus, il est incapable d’esquisser le début d’une composition : tant son air de fureur (« Tuo drudo è mio rivale ») que son intense monologue du trois (« Fatto inferno il mio petto »), dévitalisés, tombent à plat. Comment croire un instant aux doutes qui tenaillent l’usurpateur quand ses carences vocales retiennent toute l’attention ? En revanche, si Vito Priante ne possède pas l’envergure requise, le baryton ne manque pas de panache et l’artiste parvient à brosser un portrait crédible du vil Garibaldo. En voilà un au moins qui jette toutes ses forces dans la bataille ! Mais pourquoi donc les parties écrites pour les grandes basses haendéliennes, Montagnana et, en l’occurrence, Giuseppe Maria Boschi sont-elles si souvent négligées ? Si les stars dédaignent ces filons, il ne manque pas de jeunes talents prêts à les servir, basses ou baryton basses, peu importe l’étiquette, pour autant que les voix soient larges, longues et vaillantes et le style assimilé…

Pour découvrir Rodelinda – mais en entrevoyant à peine son formidable potentiel – cette interprétation est à l’heure actuelle la plus recommandable, à moins que vous ne dénichiez chez un brocanteur ou dans le grenier de votre grand-oncle la gravure de Brian Priestman (Vienne, juin 1964, 3 disques chez Westminster) dont l’affiche aujourd’hui fait rêver – Teresa Stich Randall (Rodelinda), Maureen Forrester (Bertarido), Alexander Young (Grimoaldo), Helen Watts (Unulfo)… »