Quelle place pour l’opéra baroque ?

Quelques données glanées ça et là permettent de s’en faire une idée précise et actuelle.

D’abord une déception : les résultats de l’enquête d’Opéra International auprès de ses lecteurs, publiés dans le numéro de septembre. Pas un seul opéra baroque dans les « Dix plus grands opéras de l’histoire ». L’opéra le plus ancien – « Don Giovanni « – remonte à 1787. Rien avant, vraiment ? Même pas une petite place pour « L’Orfeo » ou « Le Couronnement de Poppée » ? Le monde de l’opéra est bien ingrat pour ses chefs d’oeuvre fondateurs.

Même absence d’opéra baroque à la question sur les « Dix plus grandes intégrales d’opéra du siècle ». Et pourtant, la trilogie de Monteverdi par Harnoncourt a représenté une étape historique dans la découverte, pas seulement de l’opéra baroque, mais de toute la musique baroque. Elle est toujours au catalogue, heureusement, sûrement pour longtemps. Encore que celle de Garrido pourrait bien lui faire de plus en plus d’ombre.

Petit lot de consolation, bien mérité, la première place de Marc Minkowski dans les « Cinq jeunes chefs qui seront les stars du nouveau siècle ». On admirera au passage la formulation de la question ! Etre une star serait-il le seul objectif valable pour un jeune chef ?

L’opéra baroque aurait-il plus de chance avec les Diapason d’Or de l’année 2000 ? Deux sur vingt-trois, pas si mal. A l’honneur, à nouveau, Marc Minkowski et son « Dardanus ». Honneur mérité, pour tout ce que ce Minkowski a apporté de renouveau à l’opéra baroque, surtout français. Et aussi Cecilia Bartoli et son album explosif des airs de Vivaldi. A propos, à quand l’exploration en profondeur des opéras de Vivaldi ? Qui jouera les chercheurs de trésors dans la mine lyrique vivaldienne est assuré d’y trouver de belles pépites !

Avec le « Guide de l’opéra en 250 CD » (260, en fait ), numéro hors série de « Classica », on a plus de matière. Bien sûr, on peut critiquer la sélection , mais toute sélection est critiquable. Certains, par exemple, se sont étranglés en constatant l’absence d’enregistrement signé de Toscanini. On pourrait, aussi, discuter la part faite à certains compositeurs, la trouver exagérée (8 opéras de Strauss, 6 de Britten, 5 de Janacek ! ) ou insuffisante (1 seul opéra de Cavalli, 1 seul de Vivaldi, 2 seulement de Lully, 4 seulement de Haendel, etc.). Mettons ces réserves à part, et constatons que, quel que soit le critère utilisé (nombre de compositeurs, nombre d’oeuvres, nombre d’enregistrements), la part de l’opéra baroque ressort à 10 %. Va pour 10 %.

Parmi les vingt opéras emblématiques, tout particulièrement conseillés par Alain Duault, on trouve « L’Orfeo » – l’opéra fondateur – et « Didon et Enée », sans doute l’opéra le mieux servi par le disque – tous les chefs anglais ont mis un point d’honneur à enregistrer leur version.

Chez les chefs, on retrouve les grands serviteurs de l’opéra baroque : sur 25 enregistrements sélectionnés, 17, soit les deux tiers sont signés des grands chefs baroques : William Christie, John Eliot Gardiner, René Jacobs et Marc Minkowski. Parmi les autres, les « anciens », Hickox, Scimone, Harnoncourt, Lewis, cotoient les « nouveaux », Herreweghe, et, surtout,Garrido (cf. supra).

Un regret, en cette fin d’année 2000. Qui croirait que l’opéra est né il y a 400 ans ? Que n’a-t-on braqué le projecteur sur ces « merveilleux fous chantants » qui, las du contrepoint incompréhensible, ont inventé un genre entièrement nouveau, lumineux, qui allait faire courir les foules, déchaîner tant de passions !

Merci au comte Bardi et à Jacopo Corsi, amateurs éclairés, animateurs de la Camerata florentine, à Caccini, Peri, Cavalieri, Gagliano, Rinuccini, Monteverdi, initiateurs de génie par qui tout est arrivé.

Décembre 2000