CD Berenice (2009)

BERENICE

COMPOSITEUR

Georg Friedrich HAENDEL

LIBRETTISTE

Antonio Salvi

 

ORCHESTRE

Il Complesso Barocco

CHOEUR
DIRECTION

Alan Curtis

Berenice

Klara Ek

Aristoboldo

Vito Priante

Arsace

Mary Ellen Nesi

Selene

Romina Basso

Demetrio

Franco Fagioli

Alessandro

Ingela Bohlin

Fabio

Anicio Zorzi Giustiniani

DATE D’ENREGISTREMENT

novembre 2009

LIEU D’ENREGISTREMENT

Lonigo, Villa San Fermo

ENREGISTREMENT EN CONCERT

non

EDITEUR

Virgin

DISTRIBUTION

EMI

DATE DE PRODUCTION

14 juin 2010

NOMBRE DE DISQUES

3

CATEGORIE

DDD

 Critique de cet enregistrement dans :

Diapason – juillet/août 2010 – appréciation 3 / 5 – technique 7 / 10

« Sur la route qui le conduit apparemmment vers la première intégrale jamais tentée des opéras de Hanndei, Alan Curtis fait escale chez la discrète Berenice. Plus que discrète : rarissime. Après la troisième (ou quatrième) représentation au printemps 1737, son Angleterre natale ne la revit qu’en … 1985 – dans un cadre universitaire, loin des foules. Un premier enregistrement nous arriva des Etats-Unis en 1994 (Julianne Baird dans le rôle-titre), suivi de quelques échos ici ou là. Rien de sérieux jusqu’au concert parisien du 21 novembre 2009 dont voici le reflet poli en studio.

De quoi s’agit-il ? Du dernier opéra taillé par Handel à la mesure de son Alcina, la soprano bergamasque Anna Maria Strada. Eternel conflit entre l’élan du c’ur et l’intérêt du trône, le livret a pour auteur Antonio Salvi, poète de Rodelinda et d’Ariodante dont il était permis d’attendre un nouveau miracle. Attente déçue. Egaré dans une histoire égyptienne sans queue ni tête, Salvi n’offre au musicien que terres sèches et lieux communs dont l’animal se tire avec brio (l’Ouverture, les envoléesde Demetrio, la divine « Tortorella » de Selene … ) mais, avouons-le, sans génie. Tout ce qui dépasse, il nous semble l’avoir déjà entendu ailleurs; le reste sent la routine, Pour sauver Berenice, il faut avoir plus que les moyens : la foi. Or nous manquent ici et la foi et les moyens.

Exceptons le Demetrio du contre-ténor argentin Franco Fagioli, univoque mais prodigieusement maîtrisé du grave à l’aigu (« Sù Megera », spectaculaire) et la Selene profonde de Romina Basso. Déjà, pourtant, un tel choix nous échappe : que vient faire cet alto viril dans un rôle de princesse quand celui du futur monarque Alessandro (à l’origine le castrat soprano et athlétique Conti) revient à une Ingela, Bohlin plus soubrette que jamais ? Distribution improbable. Si Vito Priante joue comme toujours les utilités avec panache, Klara Ek pose un autre problème. De l’aplomb, de la netteté, de l’aigu à revendre, mais un soprano léger sans pulpe bien frivole pour un emploi si large. Quant au Complesso Barocco en formation minimale, les prestiges de Floridante sont à nouveau perdus. Que ces violons paraissent gris ! Que le drame s’étire! Combien, dans une oeuvre difficile à mouvoir, font défaut la tension, la narration, la simple direction ! Alan Curtis connaît certes son affaire, et l’ancienne gravure américaine peut retourner aux oubliettes d’où d’ailleurs, elle n’est pas sortie longtemps. Mais qu’à convaincre le sceptique que Berenice s’impose dans sa discothèque… »

Classique.news

« Haendel cisèle en particulier la figure du couple opposé à la souveraine: Selene, sa soeur et Demetrio son amant (soutenu par Mitridate, roi du Pont qui aimerait détroner Bérénice pour sa soeur Selene…). La première est un emploi sombre, lugubre, ample, tragique d’alto féminin (excellente Romina Basso qui si elle perfectionne sa diction et les nuances des intonations, aura demain la carrure d’une Mingardo). Son air désespéré au III- cavatine de la scène 6-, souligne la démence amère d’une solitude douloureuse et démunie: son fiancé Demetrio emprisonné est condamné à mort!; le second est un emploi de haute-contre (honnête Franco Fagioli qui dans son air de fureur et d’invocation infernale (II, air n°7) relève les défis d’un rôle de caractère qui n’est pas réduit aux atermoiements d’un soupirant impuissant. Le rôle d’Alessandro enfin est captivant: distribué à une soprano (séduisante Ingela Bohlin), Haendel donne matière à un personnage d’adolescent de plus en plus viril, percutant, profond, attirant… dans le regard de plus en plus clairvoyant de Bérénice. Soulignons aussi l’excellente tenue du baryton Aristobolo. L’Arsace de Mary Ellen Nesi est souvent dépassé.

Dans cette lecture de studio enregistrée en novembre 2009, grâce au soutien indéfectible de la mécène Donna Leon, l’orchestre sur instruments d’époque d’Alan Curtis, Il Complesso Barocco, porté par le sens des contrastes du chef, mord, se tend, se cabre; d’une nervosité musclée et parfois âpre, il assure un continuo exalté et vivant. Avec cet abandon (rare) vers la danse (comme dans la gigue qui conclut l’ouverture); mais atteint souvent nuances et précisions dans plusieurs tableaux essentiellement psychologiques: voyez ainsi la contribution instrumentale palpitante pour la cavatine de Selene au III, déjà citée.

Notre seule réserve vaut pour Klara Ek dans le rôle de Bérénice: en dépit d’un sens du texte (inflexions et connotations), la soprano plafonne par ses aigus acides et tendus, son timbre serré et minaudant. Elle n’exprime que trop rarement la dignité tiraillée de la reine d’Egypte qui doit renoncer à Demetrio pour mieux découvrir la beauté finale d’Alessandro : son grand air de bascule de l’acte III, avec hautbois obligé (à l’origine pour le virtuose Giuseppe Sammartini!) reste en dessous du texte: sans ampleur ni gravité, sans poésie ni humanité, sans sincérité ni dévoilement (pourtant tout est inscrit au long de ses 10 minutes de tension émotionnelle ininterrompue). Dommage. Nonobstant, soyons reconnaissant mis à part ce défaut vocal, à Curtis de nous révéler les joyaux en demi teintes de Berenice: opéra majeur dans la carrière malheureuse de Haendel à Londres. »

 Opéra Magazine – juillet/août 2010 – appréciation 5 / 5

« Infatigable explorateur de l’oeuvre du compositeur, Alan Curtis ne change pas de style d’un enregistrement à l’autre : son Haendel est toujours musical, élégant et plaisant. Il Complesso Barocco sonne toujours un peu petit et sec, et, surtout, on ne sent guère la vie du théâtre, malgré l’engagement des chanteurs. Sauf que Berenice, opéra sur la rivalité entre amour et politique, convient mieux que d’autres à la baguette policée du chef américain qui, en plus, a réuni pour l’occasion une distribution sans faiblesse.

On pourrait, sans doute, souhaiter une Berenice dotée d’un peu plus de présence, mais Klara Ek est impeccable (c’est à elle qu’échoit le largo «Awertite, mie pupille», seul air en do dièse mineur dans un opéra de Haendel). Ingela Bohlin et Mary-Ellen Nesi sont à peu près irréprochables, la basse Vito Priante est solide et la mezzo Romina Basso, simplement excellente. Le ténor Anicio Zorzi Giustiniani possède une jolie voix et il chante les aigus sans forcer, ce qui n’est pas si courant. Quant au contre-ténor Franco Fagioli, il confirme tout le bien que nous pensions déjà de lui, avec un timbre riche – bien qu’un peu nasal -, une émission égale, et un chant à la fois intelligent, musical et fin.

Berenice n’est certes pas l’opéra le plus spectaculaire de Haendel, mais il regorge d’excellente musique. Et même si le chef ne nous emmène pas au théâtre, le concert est (ô combien !) séduisant. »