Théâtres romains pour reines venues du Nord

En novembre 1668, Christine de Suède s’installe définitivement à Rome. Elle a quarante-deux ans, et a abdiqué son trône de « roi de Suède » depuis quatorze ans. En dépit de plusieurs tentatives, elle a dû abandonner toute ambition de retour au pouvoir.

Si sa vie privée suscite bien des controverses – fut-elle « chaste » (*) ou « se livra-t-elle à corps perdu aux démons de la sexualité ? » (**) – , les biographes se retrouvent pour évoquer la passion de la reine pour les lettres et les arts – on sait qu’elle fit venir Descartes à Stokholm – , mais passent le plus souvent sous silence son goût prononcé pour la musique et notamment le théâtre lyrique.

A peine installée dans le palais du Riario (***), sur le Janicule, la « huitième colline » de Rome, Christine de Suède décide de fonder un théâtre. Avec l’accord du pape, elle installe une troupe de chanteurs dans l’ancien couvent de Tor di Nona. Troupe révolutionnaire, puisque les rôles féminins y sont tenus non plus par des castrats bedonnants, mais par des jeune filles recrutées autour de Rome, pour leurs qualités autant plastiques que musicales. Inutile de dire que le théâtre fait courir tout Rome, du petit peuple aux bourgeois, et jusqu’aux aristocrates et cardinaux.

Cette même année, la reine Christine crée autour du poète napolitain Holstenius l’ « Accademia Clementina », en l’honneur du pape Clément IX. Cette Académie deviendra, en 1690, soit après la mort de la reine, la célèbre « Accademia dell’Arcadia », dont un membre éminent, Pietro Metastasio, jouera le rôle que l’on sait dans l’évolution du livret d’opéra.

Auprès de la reine Christine vont se presser de nombreux musiciens. Le premier sera le luthiste et violoniste Bernardo Pasquini, qui compose pour elle le motet « Care Jesu carissime », ainsi que quatorze sonates pour clavecin.

Puis vient Alessandro Stradella, qui séjourne à Rome de 1672 à 1677, et dédie à Christine de Suède l’oratorio « San Giovanni Battista » et deux opéras : « Il biante » et « Il trespolo tutore ».

En 1679 – il a alors dix-huit ans – Alessandro Scarlatti séduit la reine avec son premier opéra « Gli equivoci nel sembiante », représenté au théâtre Capranica. Elle le fait rejouer au Collegio Clementino devant les cardinaux, et fait de Scarlatti son maître de chapelle. Il le restera jusqu’en 1683, composant pour le théâtre Tor di Nona l’« Onesta negli amori », et « Tutto il mal non viene per nuocere ». Après avoir été enthousisamée par une représentation de « Lisimaco » au Palazzo Barberini, la reine suggère à Scarlatti le thème de Pompée. C’est Niccolo Minato qui écrira le livret, et « Il Pompeo » sera créé au théâtre Colonna en 1683.

La reine ne s’intéresse pas qu’au théâtre, et s’ouvre aussi à l’art violonistique sous l’influence d’Arcangelo Corelli qui devient un des familiers du Palazzo Riario et lui dédie son premier livre de sonates en trio. En 1687, à l’occasion de la visite de Jacques II d’Angleterre, il dirige un orchestre de cent cinquante (!) exécutants.

Christine de Suède meurt en 1689. Dix ans après, en avril 1699, une autre ex-reine, elle aussi venue du Nord, s’installe à Rome.

Marie La Grange d’Arquien, demoiselle d’honneur de la reine Marie Louise Gonzague, reine de Pologne, devenue elle-même la reine Marie Casimire en épousant le roi de Pologne Jean Sobieski, héros de la lutte contre les Turcs, avait été chassée de Pologne à la mort de son époux. Bien décidée à recréer une cour d’artistes et d’intellectuels à l’image de la reine de Suède, elle est reçue dès novembre 1699 à l’Accademia delle Arcadia, où elle prend le surnom d’Amirisca Telea. En 1702, elle s’installe dans un palazzo construit au XVIe siècle par le peintre Federigo Zuccari, où elle obtient du pape l’autorisation de faire représenter des comédies.

En 1704, elle engage comme secrétaire Carlo Sigismondo Capeci, poète et auteur dramatique, et aménage dans son palais un petit théâtre qui accueillera un opéra d’Alessandro Scarlatti, « Il figlio delle selve» . Ce dernier, ayant décidé de regagner Naples, laisse la place à son fils Domenico qui restera cinq ans au service de la reine, composant des opéras sur des livrets de Capeci, et avec des décors du célèbre architecte et décorateur Filippo Juvarra : la « Silvia », pastorale, en janvier 1710, « Orlando overo la gelozia pazzia » et « Tolomeo ed Alessandro overo la corona disprezzza » en 1711, « Tetide in Sciro » en 1712, « Ifigenia in Aulide » et « Ifigenia in Tauri » en 1713, « Amor d’un’ombra e gelosia d’un’aura » en janvier 1714.

En juin 1714, Maria Casimira, en proie à des difficultés financières, et désireuse de terminer sa vie en France, quitte Rome. Elle s’installe à Blois où elle s’éteindra en janvier 1716.

 

Jean-Claude Brenac – Mai 2006

(*) Christine de Suède, la reine chaste et folle – Jehanne d’Orliac

(**) Christine de Suède – Un roi exceptionnel – Bernard Quilliet

(***) Palais du Riario, devenu Palais Corsini après son acquisition en 1736 par cette famille patricienne