CD Tolomeo (direction Alan Curtis)

TOLOMEO

COMPOSITEUR

Georg Friedrich HAENDEL

LIBRETTISTE

Nicola Haym, d’après Capece

 

ORCHESTRE Il Complesso Barocco
CHOEUR
DIRECTION Alan Curtis

Tolomeo Ann Hallenberg
Seleuce Karina Gauvin
Alessandro Romina Basso
Araspe Pietro Spagnoli
Elisa Anna Bonitatibus

DATE D’ENREGISTREMENT 2006
LIEU D’ENREGISTREMENT
ENREGISTREMENT EN CONCERT

EDITEUR Archiv – DG
DISTRIBUTION Universal
DATE DE PRODUCTION 25 mars 2008
NOMBRE DE DISQUES 3
CATEGORIE DDD

 Critique de cet enregistrement dans :

Classica – mars 2008 – appréciation 8 / 10

« Tolomeo n’a pas ou les faveurs du disque. Cette gravure écrase donc sans difficultés la modeste concurrence (Richard Auldon Clark, Vox Classics et Howard Arman, Mondo Musica) et cela d’autant plus qu’il s’agit probablement là d’un des plus beaux enregistrements de Curtis. Est-ce l’impasse dans laquelle se trouve la Royal Academy of Music (elle ferme un mois après la création de l’oeuvre) ou le souci de donner une réponse convaincante aux détracteurs de l’opéra italien qui explique la relative économie de moyens, le classicisme épuré qui caractérisent Tolomeo ? Toujours est-il que cette esthétique très peu démonstrative, gracieuse et non pas spectaculaire, convient fort bien au chef et au Complesso Barocco : la délicatesse et la musicalité des uns et des autres sont largement mis en valeur, et l’on souffre moins qu’à l’accoutumée d’un certain défaut de théâtralité, d’expressivité et de narrativité. Il faut dire également que la distribution est de tout premier ordre et parfaitement équilibrée, avec une vraie intelligence musicale et stylistique. Loin de considérer qu’il s’agit là d’un Haendel mineur, chaque chanteur s’est pleinement investi dans tous les airs, les changements de couleurs, les délicats effets d’expressivité, les ornementations, tout est parfaitement pensé, et les récitatifs sont très vivants. Aucun sentiment de monotonie, donc.

Dans le rôle-titre, Ann Hallenberg fait briller son beau timbre chaud et frémissant, sa vaillance, sa personnalité et sa virtuosité dès « Cielo ingiusto, potrai fulminarmi ». Elle est magnifique dans l’émouvant arioso « Tiranni miei pensieri », et à pleurer dans le superbe « Toma sol per un momento », d’une simplicité déchirante, tout comme dans « Stille amare, già vi sento » avec ses scansions rythmiques saisissantes, où l’accompagnement fait juste ce qu’il faut comme effet. L’alliance de son timbre avec celui de Karina Gauvin fait merveille dans « Se il core ti perde », le traditionnel duo conclusif de l’acte II, superbe. Cette dernière constitue, on le sait, l’un des sopranos haendéliens les plus estimables et désirables du moment. Pureté, fraîcheur du timbre mais avec de la ressource, engagement musical et dramatique tout est là. Dans « Fonti amiche, aure leggere », ses échanges avec les instruments solistes (deux violons, deux flûtes) sont splendides : l’un des plus beaux passages du coffret. « Senza il suo bene la tortorella » est également ravissant.

Depuis ses premières apparitions scéniques et discographiques, Anna Bonitatibus, pleine d’élégance, de style, et de délicatesse, constitue pour nos oreilles un constant ravissement. Ici, elle est à nouveau à son meilleur, faisant de chacun de ses airs ‘ pas forcément tous puissamment caractérisés ‘ un moment plein de charme et d’émotion, rare et indispensable. Au fil de leurs trois airs, l’alto Romina Basso et la basse Pietro Spagnoli complètent valeureusement la distribution, elle en incarnant avec justesse et retenue le personnage d’Alessandro, lui en se situant bien au-dessus, de par la qualité et la souplesse du timbre, de même que par l’implication théâtrale, du tout-venant de la basse haendélienne.

Nous avons souvent été assez sévères dans ces colonnes à l’égard des précédentes gravures haendéliennes d’Alan Curtis mais c’est sans arrière-pensée et même avec un certain enthousiasme que nous louons cette réalisation au charme tout à la fois discret et bien réel. »

 Diapason – avril 2008 – appréciation 4 / 5 – teechnique 7,5 / 10

  « Sans vouloir reprendre l’antienne puérile et lassante de l’oeuvre injustement oubliée, Tolomeo mérite mieux que son sort. On a certes connu livret plus solide, et, Pharaon pour Pharaon, ces messieurs Ptolémée IX (Sôter) et Ptolémée X (Alexandre) pourraient causer, dans leur détresse, un peu moins jupons, un peu plus action. Le miraculeux équilibre de politique et d’amour qui distingue Giulio Cesare in Egitto manque ici cruellement. Ni virtuosité théâtrale, ni (pure) virtuosité vocale, ni virtuosité instrumentale : l’oreille comme l’oeil cherchent le spectacle, d’autant que, cinq tableaux sur six ayant pour décor la verte nature, l’opéra tient plutôt de la pastorale que du drame héroïque. Pourtant cette économie des lieux, des situations, des effets et des personnages (cinq, ni « confident » ni « général » à signaler) pousse le compositeur à écrire dru, net, sans détour. Tout se tient dans Tolomeo. Et si plusieurs arias sentent la convention, la musique déborde à chaque scène. Non, l’ouvrage ne recèle pas uniquement le tube de l’époque (« Non lo diro ») et le tube d’aujourd’hui (‘ Stille amare ‘). Les deux duos sont des bijoux. La brise des lentes vallées traverse ‘Mi volgo ad ogni fronda ‘. L’émotion la plus tendre et la plus directe imprègne ‘ Tornal sol ‘. La scène des amants qui se cherchent sans se voir (‘ Dite, che fà ‘) est un tableau sonore miraculeux. Ainsi de suite avec assez d’humour pour que l’esprit se désaltère autant que l’oreille.

Ce ne fut pourtant pas un succès. Après Tolomeo (1728), la Royal Academy dut déposer son bilan. Le XXe siècle attendit 1938 pour y prêter attention. Rien de notoire ni alors ni ensuite. Au disque, deux intégrales quasi simultanées (Clark 1995 chez Vox avec Jennifer Lane en Tolomeo ; Harman 1996 chez Mondo Musica avec Jennifer Lane an Alessandro) n’ont pas fait plus de vagues que deux pirates obscurs. Nulle surprise, donc : Curtis 2006 les écrase. Et d’abord parce qu’il propose de loin le meilleur plateau. On pourra discuter l’adéquation d’un mezzo assez clair avec un rôle-titre franchement contralto, juger avare l’unique couleur de la remarquable Karina Gauvin ou chercher la véhémence d’Araspe du gracieux Spagnoli : tous chantent à ravir. Les trois mezzos nous comblent de sveltesse et d’intelligence Spagnoli, Basso et Bonitatibus ‘parlent’ un italien de rêve. Bonheur sans nuage.

Il n’empêche que To/omeo exige une vertu : le souffle. C’est le souffle qui fera voguer les pages d’inspiration modeste (‘ Torni omai’ au pire moment…) dans le sillage des merveilles. C’est le souffle qui fondra ensemble air et récit, numéro et scène, passion et action. C’est le souffle qui donnera la vie. Mais rien. Un visiteur français qui découvrait Tolomeo àLondres an 1728 nous assure que ‘ cet orchestre fait un grand fracas ‘. Miniaturisé, étroit de son et de geste, fragile de substance et d’intonation, Il Complesso Barocco regarde le drame passer avec dévouement. Ni vrai staccato (‘ Son qual rocca ‘), ni vrai cantabile : des notes.

Quant au chef, ses bonnes manières, son flegme amical, son insouciance joviale sont ici de graves défauts. Bien trop souvent les chanteurs, livrés à eux-mêmes, semblent se demander où nous en sommes. Curieuse sensation : Haendel adoré, Tolomeo négligé ! »

 Opéra Magazine – avril 2008 – appréciation 5 / 5

« Créés en 1728, Siroe et Tolorneo sont les deux derniers opéras écrits par Haendel pour la Royal Academy of Music, deux partitions de qualité méritant amplement que l’on s’y intéresse. Si Tolomeo est rarement entendu de nos jours, c’est probablement parce qu’il n’est pas l’une des oeuvres les plus spectaculaires de son auteur. Il comporte peu de tableaux, pas de machines, pas de figure historique majeure, et seulement cinq personnages. Modeste par certains côtés, il n’en est pas moins marqué au sceau d’un relatif classicisme et doté d’une musique pleine de charme, avec des caractères bien dessinés. Les très beaux moments sont nombreux, à commencer par la superbe scène de suicide du troisième acte (récitatif simple « Che più Si tarda ornai », récitatif accompagné « Inurnano fratel » et air « Stille amare »). Tolomeo avait déjà connu deux gravures en CD en 1996 chez Vox Classics, sous la direction de Richard Auldon Clark, interprétation moyenne valant par l’engagement dramatique des chanteurs et la très belle prestation de la mezzo Jennifer Lane dans le rôle-titre ; en 2003 chez Mondo Musica, sous la direction de Howard Arman, production de l’Opéra de Halle captée en 1996 et d’une bien meilleure tenue (très bon orchestre, prestation satisfaisante du contre-ténor Axel Köhler en Tolomeo et de Jennifer Lane à nouveau, cette fois en Alessandro). Dans la nouvelle édition Archiv, la direction d’Alan Curtis est une fois encore sans surprise. On l’aimerait comme toujours moins placide, et à la tête d’un orchestre plus dense. Mais il faut reconnaitre que le Haendel poli et élégant du chef américain se prête plutôt bien à cet opéra au caractère presque chambriste. De plus, Curtis s’est entouré d’excellents chanteurs, ce qui n’est pas systématiquement le cas avec lui. On retrouve avec plaisir le potentiel prometteur de Romina Basso en Alessandro. Pietro Spagnoli est un Araspe agile et bien timbré. Quant au trio principal (à la création, les légendaires Faustina Bordoni en Elisa, Francesca Cuzzoni en Seleuce et le castrat Senesino en Tolomeo), il ne réserve que des satisfactions.

La virtuose Anna Bonitatibus se tire à merveille d’un rôle tout en nuances, la qualité du chat et la densité de l’incarnation de Karina Gauvin en faisant une rivale tout aussi passionnante. Quant à Ann Hallenberg, son sens de la déclamation et du théâtre éclate dès le récitatif accompagné qui ouvre l’opéra. On apprécie la beauté de son timbre et la longueur de son souffle dans une tessiture sans doute un peu basse pour elle (son Siroe nous avait fait une impression plus marquée), avec à l’arrivée une prestation quasiment irréprochable.

S’il ne nous transporte pas complètement comme la Deidamia parue en 2003, ce Tolomeo se hisse sur des sommets refusés aux précédents Floridante et Rodelinda d’Alan Curtis. »

 Le Monde de la Musique – mai 2008 – appréciation 4 / 5

« Alan Curtis poursuit obstinément son exploration des opéras méconnus de Haendel. Voici le vingt-cinquième et dernier composé pour la Royal Academy of Music, crédité de seulement deux enregistrements peu accessibles et peu enthousiasmants (Vox et Mondo Musica). Le livret de ce Tolomeo (1728), signé Nicola Francesco Haym, également auteur d’Ottone, Flavio, Giulîo Cescire, Tamerlano, Rodelinda et Siroe, ne requiert que cinq personnages et ne nécessite pas de lourds moyens techniques. Même si cette rivalité politique entre Tolomeo (Ptolémée) et son frère Alessandro (Alexandre), ces amours croisés, ces déguisements (Tolomeo et son épouse Seleuce se font passer pour des bergers) s’inscrivent dans la tradition, le traitement musical se montre original. Haendel, qui disposait pourtant du castrat Senesino dans le rôle-titre, de la soprano Cuzzoni et de la mezzo-soprano Bordoni, évite les airs de bravoure, les longues déplorations et les joutes vocales. La musique préfère la continuité aux contrastes, environnement dans lequel Alan Curtis évolue le plus naturellement.

Aux chanteurs incombe l’essentiel: les cinq réunis dans cet enregistrement se montrent à la hauteur. Ann Hallenberg dispose de la virtuosité et de l’aplomb (« Stille amare, già vi sento », le plus bel air de l’opéra) nécessaires à l’incarnation du vaillant Tolomeo. Karina Gauvin prête sa spontanéité à Seleuce, épouse fidèle et femm de caractère. Capable de séduire ou de menacer avec la même efficacité, Anna Bonnitatibus se montre une parfaite Elisa, jalouse et ambitieuse. »