CD Il Combattimento di Tancredi e Clorinda (direction Emmanuelle Haïm)

IL COMBATTIMENTO DI TANCREDI E CLORINDA

COMPOSITEUR

Claudido MONTEVERDI

LIBRETTISTE

Torquato Tasso

 

ORCHESTRE

Le Concert d’Astrée

CHOEUR
DIRECTION

Emmanuelle Haïm

Il Testo Rolando Villazon
Tancredi Topi Lehtipuu
Clorinda Patrizia Ciofi

DATE D’ENREGISTREMENT 2005 / 2006
LIEU D’ENREGISTREMENT
ENREGISTREMENT EN CONCERT non

EDITEUR Virgin Classics
DISTRIBUTION
DATE DE PRODUCTION 13 novembre 2006
NOMBRE DE DISQUES

1 ( Interrotte Speranze, Eterna Fede, Ecco Di Dolci Raggi Il Sol Armato, Si Dolce E ‘L Tormento, Ohime Ch’Io Cado, Ohime, Perche Se M’Odiavi, Et E Pur Dunque Vero, Quel Sguardo Sdegnosetto, Maledetto Sia L’Aspetto, Piu Lieto Il Guardo)

CATEGORIE DDD

2 versions : Normale (CD seul) et Prestige (CD DVD digipack : Les coulisses de l’enregistrement – Portraits croisés des artistes illustrés de nombreuses interview)

 

Critique de cet enregistrement dans :

Diapason – décembre 2006 – appréciation Diapason d’or

« On ne demande pas à un Diapason d’or d’être parfait, on lui demande d’être unique, exceptionnel, introuvable. En fait de « perfection »le présent disque comporte du regrettable (la prestation de Patrizia Ciofi, à l’émission aléatoire et à la parole indifférente), du respectable (la direction d’Emmanuelle Haïm, toujours merveilleux ‘chef de chant ‘, souvent en quête d’une vision) et de l’admirable (Topi Lehtipuu, artiste sensible, intelligent, techniquement accompli, dont l’italien cherche encore ses couleurs et ses accents, mais qu’il faut inspirer, pousser au bord du précipice, comme en témoignent…). Justement : comme en témoignent ses deux duos avec Rolando Villazon où il se surpasse. Admirons le courage du ténor finlandais qui affronte une des plus belles voix d’aujourd’hui, et qui, en déployant ses ailes, n’y laisse pas une plume. Quelle négligence de ne pas leur avoir offert Zefiro torna ! Car ‘ que les divinités du politiquement correct nous pardonnent ‘ c’est Villazon qui est ici « le mâle dominant » et ce sont ses 35 minutes qui valent à ce disque notre récompense suprême, ainsi qu’une place au Panthéon phonographique montéverdien. Certes, dans l’idéal nous rêverions d’une articulation plus variée dans le récit du Testo, construit de bout en bout sur un legato d’or liquide. Mais comment s’en plaindre, puisque le ténor mexicain parvient, dans ce cadre, à faire sonner chaque mot, faire vivre chaque émotion, raconter chaque péripétie, sans recourir aux effets naturalistes détestables d’un Hollweg ? Il en sera de même de ses ariettes passionnées et tragi-comiques, qu’il investit d’une richesse de détails proprement inédite (sans mentionner la virtuosité), renvoyant à leurs chères études tous les « spécialistes » du genre, qui donnent soudain l’impression d’avoir appris l’amour par correspondance. En essuyant des larmes à l’écoute de son Si dolce è l’tormento aux mille accents et nuances (bravo à Emmanuelle Haïm pour le délicieux petit ornement sur la reprise de « speme fallace », et bravo pour l’accompagnement sensuel !), vous aurez compris que c’est ainsi qu’il a toujours fallu chanter cela, avec cette richesse vocale et expressive, cet abandon et cette noblesse de coeur. Les questions de »style » cèdent devant l’évidence du génie, la chronologie s’évanouit et la musique n’est plus qu’une, depuis Mantoue 1607 jusqu’à La Scala 2007. »

Le Monde de la Musique – décembre 2006 – appréciation 2 / 5

« Ce disque boite, tant y est grand le déséquilibre entre le style vériste de Rolando Villazon et l’expression rappresentativa de Patrizia Ciofi et Topi Lehtipuu. Au milieu, Emmanuelle Haïm, conceptrice du projet, ne parvient pas à agréger l’inconciliable. Lesmagnifiques moyens vocaux de Villazon ne sont pas en cause : de tout temps, d’amples voix lyriques ont existé et nul ne doute que Monteverdi ou Haendel aient écrit pour elles ; et, depuis longtemps, Harnoncourt (avec Anthony Rolfe-Johnson dans le Testo du Combattimento) ou Jacobs (avec Kobie van Rensburg) ont légitimé, dans ce même répertoire, l’emploi de ténors aux timbres corsés.

Puisqu’un interprète est un traducteur, on filera la métaphore en déplorant que, au contraire de Ciofi et de Lehtipuu, Villazon n’ait pas compris qu’il chante un Testo (littéralement : un témoin) dont la fonction n’est pas de revivre subjectivement un drame qu’il a éprouvé, mais de narrer, avec distance, la mésaventure qui a frappé autrui et ne le laisse pas insensible. Il s’agit, en fait, d’être glacial dehors et incandescent dedans. A méconnaître cette règle de base, l’illustre ténor ‘ toute gorge déployée ‘ et Emmanuelle Haïm ignorent Torquato Tasso et proposent un continuum sonore, certes professionnel, mais très éloigné de l’univers monteverdien. »

Classica/Répertoire – novembre 2006 – appréciation Recommandé 9

  « Voilà une gravure aussi stimulante qu’originale, et même, pour tout dire et dans le sens propre du terme : un rien extraordinaire. Virgin Classics et Emmanuelle Haïm avaient certes, dans leurs précédentes gravures, réuni des stars prestigieuses dont l’impact débordaient la sphère baroque (Natalie Dessay), voire lui étaient en partie étrangères (Ian Bostridge, Susan Graham), et presque inédites dans ce répertoire. Avec le choix de Rolando Villazon en Testo, encore plus étranger, a priori, à ce répertoire, et encore plus « star », puisque appartenant au monde très fermé des ténors lyriques «méditerranéens » ‘ ce qui veut en principe dire naturellement et « fatalement » destiné au foyer même du grand répertoire vocal ‘ un pas de plus a été franchi, et nous ne pouvons qu’applaudir cette initiative. Le Combat de Tancrède étClorinde est en effet une oeuvre tellement capitale, tellement fascinante : elle méritait que le grand public vienne y voir de plus près sur le seul nom de la star. Et, en retour, Villàzon gagne un surcroît de « capital » en termes d’image ‘ ce qu’il n’aurait certes pas conquis en gravant une énième Bohème celle, décidément, du ténor intelligent, qu’il n’est pas déshonorant de cultiver.

Ceci étant avancé, qu’en est-il de la réalisation elle-même? une fois n’est pas coutume et contrairement aux dernières grandes gravures de l’oeuvre (Garrido, Alessandrini, etc.), l’apport décisif ne vient donc pas de l’accompagnement. Celui d’Emmanuelle Haïm et du Concert d’Astrée est exemplaire d’efficacité narrative, de beauté, de délicatesse, d’économie aussi ‘ en ce sens digne de toutes les louanges, un classicisme expressif qui fait du bien parce qu’il rompt avec cette tendance, manifeste ces dernières années, à manier la surenchère expressionniste (rythmes, couleurs, audibilité outré des touchers, etc.), à délaisser le chant au profit de la seule démonstration orchestrale. Tout l’apport neuf, matière à débat, vient donc de la vedette. Aux premières écoutes, on s’avoue dérangé par deux données : l’ampleur dramatique du chant, large, puissant, sombre et sonore à la fois, une envergure à laquelle nous ne sommes tout simplement pas habitués dans ces pages, et qui perturbe avant de séduire ; l’hyper-investissement du protagoniste, qui est à la fois ce qui nous émeut et nous irrite chez le chanteur depuis qu’il s’est imposé sur la scène internationale, tout répertoire confondu ‘ une caractéristique qui fait que le chant peut être en même temps beau et laid, cuivré et écrasé, libre et nasal.

Une telle incarnation, prise à bras corps avec toute la sympathie vibrante ‘ et souffrante ‘ d’un orateur inspiré, quasi-pythique (et, avouons-le, un peu braillard), renouvelle en profondeur notre écoute de l’oeuvre, désormais vraiment placée sous le signe du drame épique, de l’amour et de la mort grand format. En dépit de ses caractéristiques, le chant ‘ modérément orné ‘ ne sonne pas de façon trop exxotique, ni dans ses inflexions, ni dans son style ou sa vocalité, et répond bien à une certaine idée que nous pouvons nous faire de la grammaire des affects montéverdiens. Et puis, dans ce disque, il n’y a pas que le Combattimento. Au fil des pages, d’airs en duos, la large palette du génie du compositeur est parcourue dans ses grandes marges. L’impact du duo de ténors « Interrotte speranze, eterna fede », avec jeux de frottements et d’unissons, est saisissant. Les sept minutes de « Si dolce è ‘I tormento », mélancoliques et recueillies, sont de toute beauté. Les autres solistes ‘ et pas des moindres ‘ sont également impeccables : Patrizia Ciofi, avec sa voix délicieusement voilée, très à l’aise dans le plus pittoresque et caractéristique « Ohimè ch’io cado, ohimè » ; Topi Lehtipuu, plus léger et plus retenu que Rolando Villazon, audiblement moins latin, mais servi par une très belle voix, et fin et émouvant styliste pour peu qu’on lui prête toute l’attention qu’il mérite – cat il pâlit forcément de la proximité de l’autre ténor, boule de nervosité incandescente, au bord de l’histrionisme. « Tempro la centra » est magnifique, et pour le coup – de lettre et d’esprit – plus othodoxe. Bref : un dique étonnant, de ce dont on recommande l’écoute sans pouvoir trouver en eux les traits stables et rassurants de la référence amenée à durer. »

Altamusica

« Rolando Villazón dans Monteverdi : affiche inattendue, certes, mais pas incongrue, tant la couleur si authentiquement latine du ténor mexicain va de soi dans ce répertoire trop longtemps confisqué par des voix anémiques. Mais sans doute aurait-il fallu un chef moins soucieux d’hédonisme qu’Emmanuelle Haïm pour guider les premiers pas du chanteur le plus ardent de sa génération en des terres si inhabituelles.

La carpe, c’est Emmanuelle Haïm, baroqueuse préférée des stars, qui ne nous a pour ainsi dire rien appris sur les oeuvres qui composent une discographie déjà riche, sinon le très rare « Aci, Galatea e Polifemo » de Haendel, du fait de sa rareté même. Le lapin, c’est Rolando Villazón, ténor star dont la moindre note semble désormais destinée à trouver la voie de la postérité sur CD ou DVD, et ce quel qu’en soit l’intérêt. Du mariage arrangé par leur maison de disques commune, Virgin Classics, est né Combattimento, anthologie monteverdienne regroupant des extraits du Septième livre et divers Scherzi musicali en compléments du Combat du Tancrède et Clorinde. Disque tour à tour fascinant, agaçant, surprenant, décevant, qui n’en finit pas moins par sombrer dans la monotonie.

Mais avant que d’être accusé de dénigrer à coups de préjugés par intégrisme baroqueux, prenons le temps d’argumenter. Car mieux vaut écouter que pousser des hauts cris sur l’inadéquation présumée entre la fougue souvent débordante de Villazón et le genere rappresentativo monteverdien. La couleur authentiquement latine du ténor mexicain, bien que légèrement tassée dans le grave malgré un diapason très haut, constitue en effet un véritable baume après l’insupportable Sprechgesang de Jan Van Elsacker, dernier Testo en date, dans l’enregistrement par ailleurs admirable de Françoise Lasserre. Dès lors, comment ne pas succomber à cette pâte vocale somptueuse, à ce legato sans faille’ qui, justement, est la faille ? Sans se faire l’avocat du diable en prônant l’excès inverse ‘ ce « plus de texte que de voix » qui est trop souvent la norme dans la musique du Seicento ‘, il convient de s’interroger sur la pertinence d’une émission aussi constamment pleine dans le recitar cantando.

Car notre ténor chante indéniablement plus qu’il ne dit, contrariant les préceptes de Monteverdi en subordonnant le texte à la ligne vocale. Non que les mots ne soient énoncés avec suffisamment de clarté, mais leur fait défaut la variété nécessaire à l’expression « des passions de la narration », tant la déclamation paraît coulée d’un seul tenant dans le cuivre du timbre qui, aussi ardent soit-il, ne s’infléchit guère au fil des octaves du Tasse. Le principal regret causé par cette nouvelle gravure du Combat de Tancrède tient donc finalement à ce qu’un artiste aussi doué et intelligent que Rolando Villazón n’ait pas su, voulu, ou osé ‘ le résultat est le même ‘ dépasser ses habitudes vocales et expressives, et n’ait pas saisi cette extraordinaire occasion de démontrer sa versatilité pour s’engouffrer dans les voies ouvertes par une émission moins rigoureusement appuyée sur le souffle, mais plus déclamatoire, sans craindre d’alléger, et pourquoi pas détimbrer certaines notes afin d’éclairer le sens en isolant telle consonne ou tel accent. Malgré quelques attaques un rien trop relâchées, Si dolce è’l tormento l’en montre d’ailleurs tout à fait capable, avant que son chant ne devienne terne, car inutilement musclé, dans Eri già tutta. Mais sans doute eût-il fallu, pour guider les premiers pas du ténor mexicain en terres monteverdiennes, vision plus circonscrite que celle d’Emmanuelle Haïm. Car si la chef-claveciniste n’a pas son pareil pour épouser la texture des voix, elle peine à anticiper et relancer la narration, aux antipodes d’un Jacobs contrôlant la moindre inflexion. Son Concert d’Astrée n’en est pas moins de toute beauté, écrin rutilant pour la voix de Topi Lehtipuu qui, s’il n’a pas la qualité de timbre de Villazón, lui oppose une palette autrement plus variée. Quant à Patrizia Ciofi, jetons sur sa prestation caricaturale un voile aussi opaque que celui qui recouvre désormais un timbre qui fut jadis des plus ravissants. 

Cette version trop confortable du Combattimento di Tancredi e Clorinda, d’une somptuosité vocale et instrumentale pour ainsi dire contreproductive, ne sera assurément pas la nôtre, mais n’en mérite pas moins notre considération, à défaut d’une chaude recommandation, pour s’avérer parfaitement susceptible, à l’instar de la curiosité réduite à une seule voix gravée par Anna Caterina Antonacci, de convertir les plus récalcitrants à ce chef-d’oeuvre singulier de la musique épique. »

 Opéra Magazine – décembre 2006 – appréciation 4 / 5

  « Emmanuelle Haïm avait déjà enregistré un Orfeo de Monteverdi inégal, réunissant plusieurs vedettes des catalogues EMI et Virgin. Toujours avec Patrizia Ciofi, ce sont cette fois Rolando Villazon et Topi Lehtipuu qui s’attaquent à un programme autour du Combattimento di Tancredi e Clorinda.

On aborde avec curiosité la prestation de la nouvelle star mexicaine et le résultat est sans surprise, ni bonne ni mauvaise. Le programme est varié, bien construit, et le Combattimento, avec ses connotations guerrières, supporte plutôt bien la vocalité ‘ décalée dans ce répertoire ‘ du ténor et sa manière énergique de chanter. Villazon, en plus, hérite de la partie la plus grave, celle du narrateur, et fait de louables efforts pour ne pas phraser Monteverdi comme Verdi. Il reste certes quelques aigus en force, quelques trilles difficiles et de nombreux coups de glotte, mais le conteur est exceptionnel et on peut se laisser prendre au jeu sans difficulté. La même intensité parcourt le reste du programme (Interrotte speranze en duo avecTopi Lehtipuu, Si dolce è’l tormento), et seul Eri già tutta mia, qui clôt le disque, met Villazon un peu plus en danger.

Presque aussi engagée que son partenaire,PatriziaCiofi accuse des tensions excessives qui ne vont pas sans occasionner quelques problèmes de justesse, qu’elle essaie de compenser en jouant du vibrato. Quant à Topi Lehtipuu, ses aigus mélangent mieux les registres que ceux de Villazon et sa palette de coloris est plus variée. Mais, malgré ce supplément de finesse, il ne semble pas totalement à l’aise ici, avec une ligne de chant parfois fluctuante. Au bilan, une anthologie qui ne présente sans doute pas le Monteverdi le plus idiomatique, mais qui intéresse et émeut. Notons que ce Combattimento est vendu en CD seul ou en CD DVD (pas vraiment un bonus, puisque les deux références sont vendues à un prix différent). Le DVD est essentiellement destiné aux fans de Rolando Villazon, qui apprécieront probablement ses cabotinages sympathiques ou agaçants. Il aurait pourtant été intéressant d’entendre ce que Patrizia Ciofi avait à dire et de nous faire mieux connaître le talentueuxTopi Lehtipuu… »