CD Serse (direction William Christie)

COMPOSITEUR Georg Friedrich HAENDEL
LIBRETTISTE d’après Nicolo Minato et Silvio Stampiglia

 

ORCHESTRE Les Arts Florissants
CHOEUR
DIRECTION William Christie
Serse Anne-Sofie von Otter
Arsamene Lawrence Zazzo
Amastre Silvia Tro SantaFe
Ariodate Giovanni Furlanetto
Atalanta Sandrine Piau
Romilda Elisabeth Norberg-Schulz
Elviro Antonio Abete
DATE D’ENREGISTREMENT novembre 2003
LIEU D’ENREGISTREMENT Théâtre des Champs Elysées
ENREGISTREMENT EN CONCERT oui
EDITEUR Virgin Classics
DISTRIBUTION Emi
DATE DE PRODUCTION 7 septembre 2004
NOMBRE DE DISQUES 3
CATEGORIE DDD

Critique de cet enregistrement dans :

« L’enregistrement que vient de faire paraître Virgin est un témoignage des représentations données au théâtre des Champs-Elysées lors de la saison passée. Contrairement à ce qu’on aurait pu attendre, ce n’est pas le rôle principal, chanté honorablement par Anne Sofie von Otter, qui séduira le plus. Si la voix de Elizabeth Norberg-Schulz (Romilda) paraît trop peu caractérisée, elle offre un aigu évident. On découvre un Giovanni Furlanetto (Ariodate) dans une forme relative, mais toujours grand professionnel, et l’Elviro de Antonio Abete est une réussite incontestable, tant le timbre est idéal au personnage. Alors qu’un public pas toujours juste et plus souvent mal élevé boude Sandrine Piau, cette artiste donne au disque une Atalante tout à fait efficace, sachant user d’une expressivité bienvenue. La mezzo-soprano Silvia Tro Santafé (Amastre) affirme une grande présence vocale, un peu lourde sur les vocalises mais avantageusement pleine par ailleurs, et Lawrence Zazzo fait un tabac en Arsamene ! avec des recitativi d’une précision époustouflante, une agilité fabuleuse, un timbre qu’il a su colorer au fil des années, et un grand sens dramatique, le contre-ténor pourrait justifier à lui seul cette captation. William Christie à la tête de ses Arts Florissants présente une interprétation d’une admirable clarté, affirmant dès les premières mesures de l’ouverture une fermeté qui ne pâlira pas jusqu’à la fin. Toutefois, pour satisfaisante que soit cette lecture, elle n’atteint pas à cette sorte d’effervescence proprement haendelienne qui rend les œuvres excitantes ; il manque un rien de théâtre pour magnifier cette fort belle mais précautionneuse conduite. Cela dit, cette version n’est pas en reste sur celles précédemment éditées. Car à l’expressionnisme passionnant mais anachronique de Kubelik il y a quarante ans, au somptueux théâtre néanmoins dangereusement imprécis de Malgoire (1979), aux erreurs de distributions de la version de Bolton, on préférera cette nouveauté ainsi que le coffret dirigé par McGegan. »

  • Goldberg – août 2005 – appréciation 4 / 5

« Le Serse de Haendel représenté au Théâtre des Champs-Elysées à la fin de 2003 avait tous les atouts pour devenir une production mémorable : Les Arts Florissants avec William Christie et une distribution de chanteurs de premier ordre. Ce ne fut cependant pas un succès triomphal, et pas uniquement à cause d’une mise en scène assez peu incisive, fait étonnant de la part de Gilbert Deflo, habituellement excellent. Nous nous en rendons compte dans cet enregistrement public, qui reflète les difficultés de cette production. La plupart des voix ne semblent à l’aise ni dans la tessiture ni dans le rôle qui leur sont attribués, à commencer par von Otter dans le rôle-titre, qui semble privée d’autorité. L’enregistrement public ne favorise certes pas la restitution vocale, ni dans le cas présent le timbre orchestral. Au long de tant d’années de grand succès, Les Arts Florissants ont également habitué leurs admirateurs à des oscillations entre des produits merveilleux et des enregistrements moins réussis. Il n’y a pas ici de véritables problèmes musicaux, mais l’atmosphère générale semble presque empruntée. Il nous semble cependant que certaines des voix se montrent plus convaincantes dans leurs rôles respectifs : le baryton Abete, la basse Furlanetto et le soprano agile de Sandrine Piau. Il est d’ailleurs curieux de penser que Serse, l’un des derniers opéras de Haendel, ne connut pas non plus le succès auquel on aurait pu s’attendre lors de sa création en 1733. Et cependant ses arias, ses choeurs et ses passages instrumentaux sont d’une très grande qualité musicale, comme on peut le constater dans cet enregistrement. »

  • Crescendo – octobre/novembre 2004 – appréciation 8 / 10

« Antépénultième opéra et ultime chef-d’oeuvre, Serse appartient bien à cette veine de la fln, légère, ironique, y compris à l’égard des canons de l’opera seria. Sur un livret vénitien remanié par Stampiglia, Haendel associe le tragique et le bouffe, rapproche le sublime et le grotesque, avec des ruptures de ton parfois saisissantes comme les scènes 11 et 12 de l’acte III, qui enchaînent sans crier gare le délire bachique du valet Elvire et le fugace, mais térébrant duo de Serse et Amastre « Gran pena è gelosia! » Winton Dean n’hésite pas à évoquer les « Nozze di Figaro de Haendel » et d’aucuns citent Cosi… Certes, la partition contient d’autres perles que le célèbre « Ombra mai fiu », mais le mélange des genres et l’extrême variabilité des climats fragilisent la cohérence dramatique et la fluidité de l’oeuvre. Soutenir l’intérêt du public devient une vraie gageure ! Dès l’Ouverture, enlevée avec des gestes amples et beaucoup de naturel, William Christie et ses Arts florissants se révèlent très à l’aise, une désinvolture qui parfois amoindrit les contrastes et adoucit l’amertume de certaines pages. Les scènes les plus drôles sont assez bien rendues (Antonio Abete est pour une fois excellent), mais il nous manque l’essentiel : le jeu de scène, lequel déclenche plus d’une fois les rires du public (ce live fut enregistré au Théâtre des Champs-Elysées en novembre 2003). Alternant le meilleur et l’improbable, le plateau n’est pas toujours digne du voluptueux écrin tissé par les Arts florissants, inégalés au disque. Au coeur des intrigues, la Romilda d’Elisabeth Norberg Schulz est, hélas, insignifiante et Sandrine Piau (malgré quelques aigreurs dans la voltige) lui ravit la vedette avec une Atalanta piquante et frivole à souhait. Que dire de Silvia Tro Santafé ? Elle roule des mécaniques, à grands renforts de trompettes (des graves gonflés à l’hélium), confondant Amastre et Rinaldo. Moins élégiaque qu’Esswood (divin avec Malgoire), plus viril que le troublant Asawa (Mac Gegan), Lawrence Zazzo campe un Arsamène combatif et déchirant. La fatigue et l’usure des moyens (on regrette Watkinson) n’entament en rien la science musicale et théâtrale de von Otter, impétueuse et versatile, exaspérante au point de nous rappeler que Serse fut écrit pour l’infatué, mais très doué Cafarelli. »

  • Le Monde de la Musique – novembre 2004 – appréciation 3 / 5

« Ce neuvième enregistrement de Serse arrive du Théâtre des Champs-Elysées, séjour en novembre dernier d’un spectacle conçu par Gilbert Deflo. Connaisseurs et néophytes s’accordèrent alors à trouver le temps long, pourtant enluminé d’un séduisant livre d’images. Le quarantième opéra de Haendel n’a rien des machines à gagner, saturées d’airs à succès, que sont Rinaldo, Giulio Cesare, Ariodante ou Alcina. En cette année 1738, le compositeur confie ses dernières contributions à la scène londonienne mais se préoccupe essentiellement de l’oratorio anglais qu’il a fait naitre. Pour élaborer ce Serse, il recourt à un livret octogénaire, pensé pour Cavalli et réutilisé par Bononcini. Bravant les interdits de Zeno et Métastase, le texte conserve de son origine vénitienne la mixité entre drame et comédie. Serse dissimule ainsi une puérilité capricieuse derrière sa cruauté despotique (il promet la mort à qui ose contrarier ses projets sentimentaux). Le livret n’exclut pas quelques bavardages mais Haendel sait l’articuler ; il se libère du carcan de l’air da capo et cultive l’irrégularité des formats (airs brefs, récitatifs lapidaires, ariosos, intervention de la parole dans la musique).Si cette diversité promet une oeuvre savoureuse et exotique, elle exige du chef et de son équipe de subtils dosages. Or, la recette ne prend pas et la musique seule laisse la même impression que le spectacle. William Christie et son orchestre donnent de l’ouvrage une lecture très raffinée mais un rien distante. La distribution réunit pourtant des spécialistes de la musique de Haendel. Anne Sofie von Otter traduit idéale-ment les incohérences du rôle-titre qui aime, trépigne et menace dans le même temps. L’habile Lawrence Zazzo incarne un Arsamene frémissant, mais on comprend mal comment la Romilda appliquée d’Elizabeth Norberg-Schulz suscite autant de passions. Sa soeur Atalanta présente, grâce à Sandrine Piau, bien plus d’attraits, tandis que Silvia Tro Santafé compense par la volonté de l’expression le manque de séduction de son timbre. »

  • Classica/Répertoire – novembre 2004 – appréciation 6 / 10

« L’opéra a beau être fort célèbre en raison d un « Ombra mai fu » qui cache une forêt de petites merveilles, sa présence au disque est terne et sporadique (ni Malgoire, ni Bolton, ni Mc Gegan ne sont vraiment excitants). Cette gravure, dont on pouvait attendre beaucoup en dépit du spectacle assez médiocre dont elle est tirée, ne changera hélas pas la donne. Le chef est comme a son accoutumée élégant et musical mais il manque singulièrement de sens du théatre : les cent soixante-cinq minutes de l’oeuvre défilent, belles, ennuyeuses, et sans relief. Et surtout, ce qui est plus grave pour cette oeuvre hybride, sans vrai humour et duplicité. Qui plus est, les Arts florissants, peu flattés par la prise de son, semblent singulièrement secs et chiches en couleurs. Anne Sofie von Otter parait comme toujours moins scandaleusement économe de ses moyens au disque qu’a la scène. En dépit d’une fatigue pour une fois assez audible (timbre un peu décharné, vibrato mains impeccablement contrôlé, grave défaillant), elle en impose encore beaucoup par le style et la musicalité. Si elle offre une sorte de minimum syndical de haut vol dans la moitié des airs (« Più che penso alle flamme », soporifique), elle est au rendez-vous aussi bien dans « Ombra mai fu » que « Se bramate d’amar chi vi sdegna » et « Crude furie degl’orridi abissi « . A l’inverse, la jeune Silvia Tro Santafé, qui trompette de façon assez vulgaire un chant de poitrine imposant a dans le rôle d’Amastre de l’abattage et de la personnalité à revendre. Elisabeth Norberg-Schulz est une Romilda tout à fait satisfaisante mais sans personnalité ni charme véritables. La toujours délicieuse Sandrine Piau possède davantage de piquant en Atalanta. C’est elle qui tire d’ailleurs le mieux son épingle du jeu dans ce coffret, avec l’excellent haute-contre de Lawrence Zazzo (Arsamene), qui confirme que, sans avoir le charisme et le timbre exceptionnels d’un Daniels ou d’un Scholl, il n’a rien à leur envier sur tous les autres plans : technique, puissance, égalité d’émission. Furlanetto, timbre superbe, et Abete, voix éraillée mais esprit bouffe incontestable, complètent de façon plus qu’honnête cette belle distribution. Du très bon niveau mais qui n’éveille ni désir ni plaisir. »

  • Opéra International – octobre 2004 – appréciation 4 / 5

« Pour son Serse, donné en première audition le 15 avril 1738 au King’s Theatre, Haendel eut la chance de pouvoir compter sur une distribution de haut vol. Le célèbre castrat Caffarelli (Serse), la mezzo Maria Antonia Marchesini, connue sous le nom de La Lucchesina (Arsamene), la soprano Elisabeth Duparc, dite La Francesina (Romilda) et la basse Antonio Montagnana (Ariodate) furent en effet les principaux défenseurs des cinq représentations que connut l’oeuvre à son époque. En renouant avec le mélange des genres qui caractérise l’opéra vénitien, le compositeur rendit l’un de ses ultimes hommages à l’opem seria avant de se tourner définitivement vers un tout autre concept : le drame musical en langue anglaise. Echo discographique du lénitif songe orientaliste couleur pastel de Gilbert Deflo (porté par William Christie et ses Arts Florissants en novembre 2003 au Théâtre des Champs-Elysées), ce nouveau Serse misen boîte par Virgin apparaît globalement beaucoup plus abouti sous la capture des micros ! La prise de son, subtile etfouillée,y est sans doute pour quelque chose. Incisif quoique assez tendre, l’orchestre, lumineux (solaire sinfonia de l’acte III) et délectable (les cordes sonnent un rien moins acides, les bois moins verts, les cuivres plus fermes), séduit cette fois sans réserve. Le chef Christie affûte son instrument sans faiblir (mise en place irréprochable de l’air d’Atalanta à la fin de l’acte 1] et brave plutôt glorieusement le substantiel (et parfois ennuyeux) catalogue d’ode que renferme l’ouvrage. Sertis tels des joyaux dans ce bel écrin sonore, trois artistes se distinguent par leur art consommé du chant : Anne Sofie von Otter d’abord, souveraine de style comme de timbre, ne fait qu’une bouchée du rôle-titre (avec elle, le liminaire  » Ombra mai fù  » prend des allures d’hymne éperdu à l’amour). Le contre-ténor Lawrence Zazzo (Arsamene), d’une assurance stupéfiante (l’intrépide « Si, la voglio e l’ottero ! » rappelle l’abattage de Derek Lee Ragin dans son illustre Tamerlano), est un modèle d’expressivité virtuose. Quant à Sandrine Piau, Atalanta d’une effronterie ravageuse (brillantissime  » Un cenno leggiadretto « ), elle aurait fait une Romilda simplement idéale, si la production n’avait pas déjà offert l’héroïne au soprano irrégulier et fade d’Elizabeth Norberg-Schulz. En revanche, il faut admettre que ni l’Amastre, brut de décoffrage, hargneux, voire trivial de Silvia Tro Santafé, ni l’Ariodate carencé en grave de Giovanni Furlanetto, pas plus que l’Elviro cabotin d’Antonio Abete ne font le poids face au zèle de leurs collègues. Un enregistrement tout compte fait quelque peu inégal, mais qui par sa probité et dans l’état actuel de la discographie, surclasse les autres versions existantes. »

  • Altamusica

« Dans la mise en scène de Gilbert Deflo, le spectacle avait été l’un des grands moments de la saison 2003-2004 du Théâtre des Champs-Elysées où cet enregistrement a été réalisé en direct. Sans surprise s’ouvre une nouvelle fois le débat de savoir si, pour un ouvrage de cette longueur, presque trois heures de musique, et de ce style, avec tous ces arie da capo, la représentation vaut mieux que le disque, ou l’inverse. Au théâtre, d’aucuns avaient trouvé la soirée un peu longue. Le disque leur apportera le plaisir musical possible à découper en tranches… hérésie pour les tenants les plus durs d’un baroque intact et authentique. On retrouve en effet toutes les qualités d’une interprétation de très haut niveau, sans tâche dans le domaine vocal, même si la voix d’Anne Sofie von Otter dans le rôle-titre manque parfois de corps, de profondeur, voire de timbre. Il est vrai que tant de cantatrices aux moyens plus impressionnants ont chanté en particulier le célébrissime Largo que nos oreilles tintent de multiples références. Pour le style, en tout cas, von Otter demeure irréprochable, tout comme ses partenaires, avec le plus souvent de très jolies voix agiles et fraîches, comme Elizabeth Norberg-Schulz (Romilda) ou Sandrine Piau (Atalanta) – à noter que Piau a, par ailleurs, chanté Romilda avec Paul McCreesh au Festival de Beaune, il y a quelques années ! Opera seria où se mêlent aussi des passages parodiant le genre de l’opera seria lui-même, Serse est, avec deux ou trois autres partitions de Haendel, d’une facture particulière dans l’œuvre du compositeur. William Christie s’attache à bien situer cette singularité, avec tout l’enthousiasme et toute la science qu’on lui connaît. Et cela fonctionne, même si on aimerait parfois que les instruments transmettent une sonorité plus chaleureuse. Un bel enregistrement, souvenir à garder pour les uns, découverte pour les autres. »

  • Diapason – octobre 2004 – appréciation 4 / 5

« Fallait-il que le Serse présenté la saison dernière au Théâtre des Champs-Elysées devienne un disque ? Nous étions sorti d’une des représentations avec un sentiment mitigé, soulignant les faiblesses du plateau et la sagesse excessive de la conception musicale. Comme souvent, l’enregistrement souligne, et accuse, ce que la scène sublime. Sans la présence divine d’Anne Sofie von Otter, son maintien souverain, que reste-t-il d’un « Ombra mai fù » aux nuances infinies, de « Più che penso » et « Se bramate » aux ardeurs juvéniles, d’un « Crude furie » à l’héroïsme assumé ? Aucun doute, les intuitions de la musicienne sont toujours justes, son art de porter le verbe intact et l’incarnation n’a rien perdu de sa force ni de sa poésie. Mais le médium aminci, les couleurs tirant de plus en plus sur le pastel, le soutien parfois en défaut privent ce turbulent monarque de l’autorité qu’une Maureen Forrester ou une Carolyn Watkinson lui ont jadis conférée – la première dans l’intégrale de Brian Priestman (Westminster), de style daté, la seconde dans celle de Malgoire (Sony), par ailleurs très insuffisante sur le plan instrumental.Dans un rôle écrit pour un mezzo féminin – Paul Esswood s’y était déjà risqué avec Malgoire, Brian Asawa avec McGegan (Conifer Classics) – Lawrence Zazzo convainc par la vérité et la tenue d’un beau portrait d’amant torturé autant que par la suavité de la matière vocale. Mais l’objet de sa flamme, hélas !, a toujours aussi peu de charme ; les exigences de Romilda – figure qu’illustrèrent Barbara Hendricks (Malgoire( et surtout Lucia Popp (Priestman), qui eut pour créatrice la fameuse Duparc (la future Semele !) -dépassent les moyens de la modeste Elizabeth Norherg-Schulz. On n’en dira pas autant de Sandrine Piau qui s’impose par sa fraîcheur et son abattage, même si elle se heurte à une tessiture trop basse pour elle (Romilda lui eût mieux convenu). De Silvia Tro Santafé, nous relevions que sa nature ne correspondait pas au personnage d’Amastre ; l’impression est toujours la même, le timbre saturé, la technique à l’emporte-pièce et l’émission poitrinée semblant davantage ceux d’une duègne grotesque que d’une épouse bafouée (qui émeut toutefois par la sincérité de son « Cagion io son »). Sans costumes ni maquillage, il apparaît encore plus évident que Giovanni Furlanetto court après le grave d’Ariodate, quand le numéro buffo d’Antonio Abete perd de sa verve et de sa spontanéité.Les bonheurs dont Les Arts florissants nous gratifiaient live, le disque les préserve. Dès les premières mesures de l’ouverture, l’orchestre rayonne d’assurance, le trait précis, le dialogue entre les parties parfaitement dosé. Tout au long des trois actes, cette fermeté, cette assurance du ton, ne se démentent pas, sans qu’elles expriment tout à fait ce qu’il faudrait de vue et de fantaisie. Le geste pondéré et toujours élégant de William Christie nous semble trop laisser au second plan la franche ironie du drame découlant d’un livret vénitien écrit à l’origine pour Cavalli. Quand on espère le vent de folie de la commedia dell’arte, souffle seulement le doux zéphyr d’un théâtre d’ombres. Pour autant, si cette intégrale ne règle pas la question de Serse, si ce traité de péripéties douces-amères attend toujours sa grande version, celle-ci se situe dans la bonne moyenne, aux côtés de la gravure de Nicholas McGegan . »

  • Forum Opéra

« Le voici donc ce Serse que tout le monde connaît grâce à son arioso « Ombra mai fù », magnifique déclaration d’amour d’un monarque persan à un platane – d’autres niveaux de lectures sont heureusement permis. Le livret est plus que brouillon, grouillant de situations plus invraisemblables les unes que les autres, de rebondissements en tout genre, de quiproquos complexes. Ironie et décalage sont les armes de cet enchevêtrement délirant qui comprend en vrac une princesse déguisée en soldat, un serviteur travesti en marchande de fleurs, la destruction d’un pont et trois lettres qui plongent les personnages (comme l’auditeur) dans l’incompréhension la plus totale… Alors que le compositeur ne bénéficiait que d’une distribution globalement médiocre, la musique de son antépénultième opéra est absolument magnifique, pleine d’humour et d’inventivité. On a l’impression que l’auteur prolifique pastiche sa quarantaine d’opera seria. Les airs sont peu catholiques : le plus souvent sans da capo, les ritournelles d’ouverture sont absentes et l’arioso abonde. Les mouvements sont très brefs, sans véritable continuité narrative (impossible à atteindre vu le livret). Chacun est une sorte de caricature : la pastorale, l’air héroïque comme l’explosion de fureur sont certes figurés, mais de telle façon qu’ils semblent décalés, ridicules ou pathétiques. Christie et Haendel : un cocktail dangereux. Si Theodora ou Le Messie étaient particulièrement réussis, que dire de l’Orlando ou de l’Alcina aux tempi bousculés, et dont les reprises délirantes défiguraient les oeuvres ? Anne Sofie von Otter campe un monarque persan un peu trop sage pour le despote mégalomane et conquérant qu’on aimerait entendre. Plus de fougue et davantage d’implication dans les récitatifs seraient les bienvenus. Son vibratello constant pourra en déranger plus d’un, et l’on se prend soudain à regretter la monotone version de Malgoire, où la perfection du plateau vocal était minée par l’une des pires prestations de La Grande Ecurie & la Chambre du Roy jamais enregistrées (Sony). La plus grande déception vient du fameux « Ombra mai fù » qui ouvre l’opéra : Christie insiste trop sur le « tube » que les spectateurs du Théâtre des Champs-Élysées attendent avec impatience. Le tempo est désespérément lent pour ce « Larghetto » ironique, trop souvent appelé « Largo » depuis le XIXème siècle. L’introduction orchestrale s’étiole, fait naître des silences entre les phrases, laisse les notes en suspens. Il ne manquerait plus que le mezzo s’arrête afin que le public reprenne en choeur « oooooombra maiiiiii fou (soupir) di vé-gé-é-é-ta-bi-lé ». Von Otter chante avec grâce, mais la ferveur quasi religieuse qui se dégage de l’air est tout à fait inappropriée. Par la suite, elle semble contrainte, comme si la battue retenue du chef ne la laissait guère s’épanouir. L’extraordinaire air de bravoure « Se bramate d’amar chi vi sdegna » où elle se joue des cadences de sa voix puissante et rageuse est l’un des trop rares moments où elle s’émancipe vraiment du carcan lisse et doré des Arts Flo. Notons avec soulagement que les da capo sont ornementés avec grâce, sans acrobaties inutiles et surtout sans anachronismes flagrants (on redoutait Fleming dans Alcina). Du côté d’Atalanta, Sandrine Piau reste fidèle à elle-même : magnifique. Très fidèle au texte dans les récitatifs (la fréquentation de la tragédie lullienne doit y être pour quelque chose), sensible, tout en finesse et en demi-teintes, la chanteuse nous gratifie d’un « Dirà chen non m’amo » mutin et rieur pour continuer avec le déchirant « Voi mi dite che non l’ami » où elle soupire sur son amour condamné. En revanche, Silvia Tro Santafé allie une technique déficiente à un timbre forcé dans les graves, d’une lourdeur particulièrement indigeste. A cela s’ajoute une incapacité totale à agrémenter correctement et à partir sur les temps. L’air « Or che siete, speranze, tradite » du deuxième acte, la voit mitrailler les vocalises et devancer l’orchestre en projetant des notes d’une justesse fort approximative. Certains apprécieront toutefois le côté « brut et cuivré » de son chant et l’énergie qui se dégage de ses interventions. De même, Elisabeth Norberg-Schulz paraît bien peu inspirée par le personnage de Romilda qui eut mieux convenu à la divine Sandrine (que l’on songe à sa prestation avec McCreesh à Beaune). Sa modestie vocale confine à une fadeur éthérée qui, si elle convenait aux décors pastels de Gilbert Deflo, s’avère assez transparente au disque. Les autres solistes sont sans peur et sans reproche, avec une mention particulière pour Antonio Abete, voix riche et vibrante. Passons sur la brève apparition du choeur des Arts Florissants (pour célébrer la construction d’un pont) où les pupitres sont un peu trop ramassés, malgré un entrain certain, et des cuivres mal captés. L’orchestre est précis et incisif ; on reconnaît immédiatement la vive clarté des Arts Florissants dès l’ouverture. Les attaques des cordes sont remarquablement nettes ; les sonorités colorées et bien différenciées ; le climat chaud et moelleux. L’ennui provient du manque d’épaisseur, de corps, de profondeur. Dans les airs, on a l’impression que l’orchestre sans volume freine les chanteurs plus qu’il ne les soutient. Ce Serse-là aurait bien besoin d’élan et de panache. Or, ni Christie, ni McGegan (BMG) et encore moins Malgoire (Sony) n’ont réussi à lui insuffler suffisamment de conviction pour donner un soupçon de vraisemblance et de logique à une intrigue plus qu’artificielle. Enfin, si l’approche globale aurait pu être plus ambitieuse, Christie a cependant parfaitement réussi à doser moquerie et légèreté dans une oeuvre qu’on ne peut décidément pas prendre au sérieux. Les Arts Florissants insistent sur les articulations, accentuent les effets de timbre pour notre plus grand bonheur. Alors ne boudons pas ce plaisir ! «