La Représentation de l’Âme et du Corps
(« La Rappresentazione di Anima e di Corpo »).
Drame lyrique et sacré d’Emilio dei Cavalieri (février 1600, Rome ). Livret d’Agostino Manni.
L’orée du XVIIe siècle voit naître en Italie, et plus précisément à Florence et à Rome, ce que l’on peut aujourd’hui qualifier d’opéra et d’oratorio. La genèse en est liée à la fois à l’humanisme de la Renaissance, en l’occurrence soucieux de restituer le drame antique tel qu’on se le représentait à l’époque, et à l’esprit de la Contre-Réforme. Celle -ci voyait dans la musique un moyen privilégié de diffusion de la foi ; en outre, les recommandations du concile de Trente influèrent considérablement sur l’évolution de la musique vocale par leur exigence d’un chant au texte intelligible, ce qui disqualifiait la polyphonie, car son contenu musical était devenu si complexe qu’il reléguait au second plan la compréhension des paroles. C’est dans ce contexte qu’apparurent les formes embryonnaires de l’opéra, issues du madrigal ou de la pastorale (qui chante les amours des bergers et des bergères ). La camerata du comte Giovanni Bardi, à Florence, en fut le laboratoire. Ce mouvement culturel regroupait des poètes, des musiciens et des théoriciens humanistes, dont Vincenzo Galilei (père de l’astronome ), qui préconisait le remplacement de la musique de son temps, jugée trop compliquée et hédoniste, par le dépouillement de la monodie grecque antique. Les chanteurs Giulio Caccini et Jacopo Peri voyaient quant à eux dans une telle réforme le moyen de mieux faire apprécier leurs talents.
En 1600, quelques mois avant la création d’Eurydice de Jacopo Peri (1561 -1633 ) au palais Pitti de Florence, Emilio dei Cavalieri donnait à Rome la Représentation de l’Âme et du Corps. Cavalieri (1550 -1602 ), organiste à Rome puis intendant des arts à la cour des Médicis, avait activement participé au mouvement de réforme florentin du comte Bardi. Les deux ouvrages différaient par la nature de leur sujet : celui de Peri était mythologique (la mythologie devait pendant longtemps fournir la plupart de ses sujets à l’opéra ), tandis que celui de Cavalieri était moral et sacré (la création eut lieu dans l’oratoire des pères philippins ). Mais tous deux étaient écrits pour la scène, dans un style monodique avec accompagnement harmonique ; on trouvait donc là associés deux principes d’écriture complémentaires : le récitatif (appelé alors «style représentatif »), chant épousant les inflexions de la parole (recitar cantando ), et la basse continue, accompagnement instrumental minimal (basse enrichie d’accords à réaliser par l’interprète ). Les fondements de la musique de scène étaient posés : la mélodie avec accompagnement (et implicitement, l’harmonie ) remplaçait l’écriture contrapuntique privilégiant l’équilibre entre les voix. Un profond bouleversement de l’écriture vocale était donc en gestation à travers la mise en scène de la musique vocale accompagnée.
Sur le plan dramatique, l’ouvrage de Cavalieri montre des personnages abstraits, allégories de l’Âme, du Corps, de l’Intelligence, de la Sagesse, du Temps, du Plaisir ‘ Des choeurs célestes et édifiants viennent mettre un terme aux conflits entre l’Âme et le Corps. Cette absence d’action dramatique, mais plus encore la monotonie du style récitatif, auraient sans doute conduit le nouveau genre à l’impasse si, quelques années plus tard, le génie de Claudio Monteverdi n’avait donné, dans l’Orfeo, la mesure de ce qui pouvait être obtenu grâce à l’application des nouveaux principes. L’oeuvre de Cavalieri demeure toutefois de première importance pour l’histoire de la musique, puisqu’on en fait l’ancêtre de l’oratorio et de l’opéra.
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