Roland

COMPOSITEUR Jean-Baptiste LULLY
LIBRETTISTE Philippe Quinault
ORCHESTRE Les Talens Lyriques
CHŒUR Chœur de l’Opéra de Lausanne
DIRECTION Christophe Rousset

 

Roland Nicolas Testé basse
Angélique Anna Maria Panzarella dessus
Médor Olivier Dumait ténor haute-contre
Témire, Bélise Monique Zanetti dessus
Astolphe Robert Getchell ténor haute-contre
La Fée principale, Logistille Salomé Haller dessus
Ziliante, Démogorgon, un Suivant d’Angélique Evgueniy Alexiev basse
Tersandre, un Insulaire Emiliano Gonzalez-Toro taille
Coridon, un Insulaire Anders J. Dahlin ténor haute-contre
Une Pastourelle, Une Amante contente, une Suivante d’Angélique Marie-Hélène Essade dessus
La Gloire, une Suivante d’Angélique, une Amante contente Delphine Gillot dessus

 

DATE D’ENREGISTREMENT janvier 2004
LIEU D’ENREGISTREMENT Opéra de Lausanne
ENREGISTREMENT EN CONCERT oui

 

ÉDITEUR Ambroisie
DISTRIBUTION Harmonia Mundi
DATE DE PRODUCTION 9 avril 2004
NOMBRE DE DISQUES 3
CATÉGORIE DDD

 
Critique de cet enregistrement dans :

Goldberg – octobre 2004 – appréciation 5 / 5

« Roland est la dixième des onze tragédies lyriques auxquelles Lully collabora avec le poète Philippe Quinault. Donnée d’abord à Versailles le 8 juillet 1665, elle fut ensuite transférée à l’Opéra de Paris deux mois plus tard, et se maintint à son répertoire pendant encore soixante-dix ans. Le livret magistral de Quinault, l’un des meilleurs qu’il ait écrit pour Lully, est tiré d’Orlando furioso (Le Roland furieux) de l’Arioste, et raconte l’histoire de l’amour non partagé du légendaire chevalier Roland pour la belle Reine du Cathay, Angélique, qui de son côté est amoureuse d’un homme du peuple, Médor. C’est donc une histoire de devoir, Angélique s’y dérobant lorsqu’elle succombe à l’amour d’un homme d’une condition inférieure à la sienne, et Roland obéissant finalement au sien surmontant la folie et la trahison avec l’aide de puissances magiques, il finira par retrouver le chemin de la gloire. La musique est du meilleur Lully.C’est curieusement la première fois que cet opéra est enregistré mais cela valait la peine d’attendre ce disque, réalisé à partir d’une production montée à l’opéra de Lausanne en janvier dernier. La direction superbe de Christophe Rousset et le jeu splendide de l’ensemble Les Talens Lyriques s’appuient sur une distribution solide, qui n’a pas de points faibles mais qui est très justement dominée par l’Angelica interprétée par Panzarella, tour à tour compatissante et impérieuse, et par la basse aux sonorités riches de Nicholas Testé dans le rôle-titre. L’enregistrement chaleureux et détaillé apporte la touche finale à une réalisation exceptionnelle qui fait honneur à tous ceux qui y ont participé. »

Anaclase.com

« Vaguement inspirée de l’Orlando innamorato de Boiardo et de l’Orlando furioso de l’Arioste, l’histoire est celle de la reine Angélique, reine du Catay, dont est amoureux Roland, mais qui soupire pour un homme sans biens, sans noblesse (Mais Médor est si beau qu’elle l’a préféré / A cent roys qui pour elle ont en vain soûpiré). Sur les conseils de sa servante Témire, elle l’éloigne mais n’arrive pas à l’oublier. Alors que l’élu tente de mettre fin à ses jours, elle le retrouve et lui avoue enfin sa flamme. En parallèle, nous assistons aux tourments de Roland : d’abord désolé par l’ignorance de l’ingrate qu’il couvre de cadeaux, il espère enfin quand, pour gagner du temps, elle lui fait la promesse de le retrouver à la nuit. Mais des serments gravés, la rencontre d’une troupe de bergers et bergères lui apprennent la vérité : l’amour de la reine pour un autre, sa fuite avec lui et leur mariage pour le lendemain. La détresse d’un amour déçu, la fureur d’avoir été trahi lui font perdre l’esprit. Sollicitée, la fée Logistille endort le malheureux, le guéri de son amour pour Angélique et lui redonne le goût des armes et du combat. La Gloire, la Renommée et la Terreur assistent ravies à ce retour à la raison : ne suivez plus l’amour, c’est un guide infidelle !Après une entrée un peu effacée, Anne-Maria Panzarella (Angélique) sert le texte subtil grâce à une belle diction et donne un relief théâtral à cette tragédie point trop sanglante – voir en particulier son dilemme (Acte I, scène 5) : S’il faut que l’amour me surmonte / Je doy mourir de honte / S’il faut l’arracher de mon cœur / Je mourray de douleur. Signalons également son art de l’ornementation (acte II, scène 2). Face à elle, Nicolas Testé (Roland) fait merveille avec sa voix de basse aux graves un peu creux parfois mais dont la juvénilité est irremplaçable ; Olivier Dumait (Médor), instable, nous aura moins convaincu. Monique Zanetti (Témire), à la voix présente et sonore, possède une belle homogénéité de timbre. Evgueni Alexiev (Demogorgon, Ziliante…), nasil-lard et un peu faux, manque de subtilité par rapport aux autres interprètes. Citons aussi les ténors Emiliano Gonzalez-Toro et Anders J.Dahlin qui, avec des voix très différentes, apportent leur contribution de qualité au projet – dont ce duo des deux insulaires (fin de l’acte I), réflexion populaire sur l’amour qu’on pourra retrouver plus tard dans Les Troyens, de Berlioz. Enfin, les chœurs très présents dans l’œuvre (fées, bergers, ombres des héros…) sont excellents et profitent d’une belle prise de son qui donne relief et luminosité aux ensembles. Christophe Rousset, à la tête des Talens lyriques, nous enchante une fois de plus par un grand travail de nuances et une dynamique très vive qui font de ce premier enregistrement de l’œuvre une référence. »

Crescendo – été 2004 – appréciation JOKER

« Tout y est vivant, varié , justement interprété. la diction naturelle dispense de suivre le livret et n’appelle que des louanges. D’une distribution impeccable (où l’on regrette parfois encore des accents sans timbre ou peu soutenus) se détache le Roland de Nicolas Testé. L’orchestre sonne clair, fluide, vif et poétique. »

Classica/Répertoire – juin 2004 – appréciation 8 / 10

« Après un excellent Persée, Christophe Rousset poursuit sa passionnante redécouverte des tragedies en musique de Lully, répertoire dont la discographie reste toujours relativement maigre. Si Persée donnait déjà en 1682 l’image d’un roi pacificateur de l’Europe et non plus celle d’un guerrier conquérant, Roland, qui date de 1685, accentue encore cet aspect, mais en lui donnant une nette inflexion religieuse dans un contexte qui est celui de la révocation de l’édit de Nantes, c’est désormais un champion de la chrétienté qui succède aux héros de l’Antiquité, un champion qui, se défaisant des mirages de l’amour se montre prêt à pourchasser toutes les formes d’hérésie son royaume. Au-delà de ces références historiques assez transparentes le reécit de L’Arioste et, en son centre le fameux épisode de la fureur du héros, inspirent à Quinault et Lully le premier chef-d’oeuvre lyrique d’une longue série d’ouvrages prestigieux consacrés aux amours malheureuses de Roland, Angélique et Médor (aventures entre autres illustrées par Haendel, Vivaldi, Piccinni ou Haydn). Rien que pour cet acmé dramatique que constitue l’ensemble de l’acte IV et particulièrement le déchirant « Je suis trahi ! Ciel ! « , époustouflant moment de déclamation lyrique mis au service d’une tension psychologique extrême, l’opéra méritait d’être redécouvert. Et ce n’est pas la seule joie que procure cette oeuvre qui, équilibrant idéalement action et divertissement, offrant, grâce à des moyens artistiques à la fois homogènes et constamment évolutifs, une palette psychologique fort riche, en compte beaucoup. L’interprétation est évidemment impeccable de raffinement et de cohérence, même si l’on aurait peut-être aimé des personnalités plus affirmées encore dans les rôles principaux (songeons que Van Dam a chanté Roland sous la direction de Jacobs !), par ailleurs excellemment rendus. Nicolas Testé et Anna-Maria Panzarella sont parfaits mais manquent un peu de format, Cependant que Olivier Dumait, plus proche de Fouchécourt que de Padmore, Agnew ou Beuron par le timbre, n’a pas tout le charme vocal requis pour le rôle de Médor. Les seconds rôles, Salomé Haller en tête dans le rôle de la fée principale et de Logistille, sont exemplaires. De même Christophe Rousset aurait-il peut-être pu insuffler davantage d’éclat et de variabilité encore à une oeuvre qui, sur la durée de sa soixantaine d’airs le plus souvent accompagnés d’un simple continuo, pourrait paraître un rien monotone. Réalisation importante, en tous les cas, d’une oeuvre majeure. »

Le Monde de la Musique – appréciation : CHOC

« Après Alceste (Malgoire, 1992 – Disques Montaigne), Armide (Herreweghe, 1992 – Harmonia Mundi, Phaëton (Minkowski, 1993 – Erato-Musifrance), Persée (Rousset, 2001 – Astrée-Naïve), il faut se réjouir de pouvoir ajouter un nouveau titre au catalogue, d’autant que Roland (1685), né de la onzième collaboration entre Lully et son librettiste Quinault, peut prétendre au titre de chef-d’oeuvre. La nature du livret, inspiré par le chevaleresque Orlando furioso de l’Arioste, une structure dramatique originale (Roland se fait attendre, car il n’est qu’évoqué au premier acte, Médor et Angélique disparaissent après le troisième acte fermé par une chaconne, la folie de Roland au quatrième), un enjeu simple (le paladin Roland aime la reine Angélique qui aime le Sarrasin Médor), la beauté de la langue de Quinault et une musique qui oscille sans cesse entre le dire et le chanter participent à la réussite de cette tragédie lyrique à la morale peu conforme à notre époque, où l’on préfère les « charmes  » de la gloire aux « liens honteux de l’amour « .Enregistrée en parallèle des représentations à l’opéra de Lausanne, cette interprétation bénéficie de la familiarité des artistes avec leurs personnages. L’orchestre, si important dans cet opéra et vaillamment conduit par Christophe Rousset, souffle le chaud et le froid. En formation complète ou réduite (la basse continue), il commande le déroulement de l’action. L’imbrication des récitatifs aux airs comme l’intégration des divertissements constitue par ailleurs un des points forts de cet enregistrement. On regrette alors que le fastueux décor composé par l’orchestre (malgré ses vingt-sept musiciens) ne bénéficie pas d’un éclairage valorisant, la prise de son le réduisant à son spectre supérieur et enfermant les voix solistes dans des boites.La distribution vocale n’atteint pas non plus à la perfection, malgré de solides atouts. Si le Médor d’Olivier Dumait se montre trop docile, l’Angélique d’Anna-Maria Panzarella révèle son autorité naturelle. Nicolas Testé, pourtant peu habitué au répertoire baroque, est la véritable vedette de cet enregistrement sa diction et son aisance stylistique exemplaires sont doublées d’un rare talent d’acteur. Son grand monologue du quatrième acte constitue un grand moment de théâtre et de musique. Après une telle effervescence, le cinquième acte, dominé par l’hypnotisante fée Logistille de Salomé Haller, dispense un effet lénifiant bénéfique. »

Télérama – 14 avril 2004 – appréciation ffff

 » Montrons les erreurs où l’amour peut engager un coeur qui néglige la gloire » : dès le prologue, Roland, avant-dernière tragédie lyrique du tandem Qulnault-LulIy, annonce la couleur. Noire. A l’image de la cour versaillaise, assombrie par la mort de la reine Marie-Thérèse et le remariage secret de Louis XIV avec la très bigote Mme de Maintenon. Finis les frasques lascives et les fastes exotiques de la mythologie grecque ou des Métamorphoses d’Ovide ! Via le Roland furieux de l’Arioste, Quinault choisit désormais ses modèles de vertu parmi les rudes héros de la chevalerie médiévale – Amadis en 1684, Roland en 1685, Renaud on 1686. Ces preux n’ont plus à descendre aux Enfers, comme Orphée ou Thésée, pour affronter les démons : il leur suffit d’entrer en eux-mêmes pour conjurer des furies – jalousie, détresse sentimentale, rage suicidaire. Ainsi Roland, le neveu de Charlemagne, courtisant en vain une reine de Chine qui n’a d’yeux et de tendresse que pour un simple spadassin sarrasin, s’abandonne-t-Ii, un acte durant, à d’extravagants transports de désespoir. Avant qu’une suave musique n’endorme enfin sa souffrance. Scène d’enchantement à l’envers, où la magie sonore dégrise de l’ivresse amoureuse et ramène à la froide raison. De l’amour passion ne peut naître qu’une mésalliance destructrice : ce leitmotiv pessimiste et racinien, Lully l’instrumente ici avec un apparat d’une ampleur et d’un luxe inédits. Le véritable monarque absolu, dans Roiand, c’est l’orchestre, son gouvernement de cordes – cinq ministères du grave à l’aigu, regroupés en une surintendance des récitatifs. A la tête des Talens lyriques jamais mieux nommés, Christophe Rousset s’impose en chef de l’exécutif, vif et félin. Quant à la distribution vocale, elle articule les vers magnifiques de Quinault avec l’éclat et le tranchant dignes de l’estoc d’une Durendal. »

Res Musica

« Au début janvier, les Talens lyriques donnaient une rareté à l’Opéra de Lausanne : Roland de Lully. Onzième des douze tragédies lyriques du compositeur, avant-dernière de ses collaborations avec Philippe Quinault, Roland (1685) était l’une des œuvres préférées du célèbre Français actif sous Louis XIV. Le label Ambroisie, pour lequel Christophe Rousset a récemment enregistré les Suites anglaises de Bach, semble avoir noué des liens étroits avec le claveciniste et fondateur des Talens Lyriques. On ne peut que louer la démarche consistant à éditer cet opéra en première mondiale, tant il apparaît difficile de trouver des enregistrements complets d’œuvres de Lully ! Il y a bien çà et là des extraits de ballets, d’opéras et quelques chœurs, mais trouver dans les bacs des disquaires un coffret proposant l’une ou l’autre de ces douze tragédies lyriques dans une interprétation récente relève de l’exploit. L’intérêt de cette parution ne réside en l’occurrence pas dans le seul fait de trouver une œuvre baroque de plus ; ce Roland de Lully autorise des plaisirs musicaux de tout premier ordre. Et rares de surcroît ! D’un point de vue instrumental d’abord, l’œuvre comporte de longs intermèdes purement orchestraux. Lors des vastes ballets conçus par le compositeur de la cour du Roi Soleil, ritournelles et danses françaises s’égrainent pour constituer des pages magnifiques. À ce titre, signalons afin de la mettre en exergue, la présence de la longue et magnifique chaconne qui clôt le troisième des cinq actes. La griffe de Christophe Rousset et des Talens lyriques est immédiatement reconnaissable dans ces passages de pure musique. La précision des attaques et le traitement affûté des contrastes soulignent la beauté des timbres de l’orchestre de Lully. Toute l’orchestration de cette tragédie est généreuse, colorée. Le rôle des instruments y est amplifié afin de donner corps aux enjeux éthiques qui agitent les divers personnages de la pièce, mais aussi pour épouser de la manière la plus chatoyante possible toute la féerie de l’ouvrage ; une féerie qui fait bien plus que simplement s’insinuer aux entournures puisqu’elle innerve l’entier du récit de Quinault. Certes, les questionnements inhérents à l’attitude du chevalier face à son devoir que renferme le livret de Quinault peinent aujourd’hui à trouver un écho dans notre société. Ils réaffirmaient cependant en leur temps l’attachement aux valeurs de la chevalerie. Si l’intrigue peut à la rigueur ne pas retenir l’attention de l’auditeur, le texte de Quinault, lointainement inspiré de l’Orlando furioso d’Arioste, se laisse entendre avec une rare intelligibilité sur cet enregistrement. La langue de Molière est réputée difficile à chanter et est d’ailleurs souvent estropiée, même par des interprètes originaires d’un pays francophone. Sur ce Roland, il est par contre loisible de suivre l’intrigue et les dialogues sans concentration forcée, et ce tout au long des trois disques renfermant l’œuvre. L’entier de la distribution plaît par cet aspect non négligeable du traitement du texte. C’est peut-être ce naturel-là qui permet à des composantes plus directement musicales de s’épanouir pleinement. On ne peut en effet que réaffirmer le bien que l’on pense de la brochette de chanteuses et chanteurs rassemblés par Christophe Rousset. Annamaria Panzarella en Angélique déploie un chant affirmé et souple à la fois dont la vigueur s’équilibre avec l’autorité vocale de Nicolas Testé (rôle-titre). Le Médor d’Olivier Dumait retrouve au disque la présence vocale qu’il n’avait pas toujours à la scène. Sa voix de fin ténor se soumet avec ductilité aux nuances qu’appellent la musique ancienne et sa clarté de timbre séduit tout particulièrement. Les prestations de Monique Zanetti (Témire) comme de la Fée principale campée par Salomé Haller convoquent elles aussi tous les éloges. Quant aux rôles secondaires et au Chœur de l’Opéra de Lausanne, il se joignent avec bonheur à l’entreprise et se plient aux exigences théâtrales avec un aplomb de bon aloi. Quel bonheur que de pouvoir graver un opéra entier au terme d’une série de représentations ! Le fait que toutes et tous aient vécu l’ouvrage sur scène offre une plus-value certaine. Avec cet enregistrement, on se situe idéalement et comme par magie, à la frontière du studio et du « sur le vif ». L’équilibre de la captation et sa respiration intérieure resplendissent de surcroît continûment. La douceur des bois répond à la vivacité des cordes, alors que les parties de clavecin perlent alentour. La prise de son réalisée par les ingénieurs de Musica Numeris relaye les musiciens et chanteurs pour en exalter les qualités à la perfection. Voilà une parution significative qui ne devrait pas échapper à celles et ceux qui désirent depuis longtemps voir l’un des fers de lance français de l’ère baroque, Jean-Baptiste Lully, se parer des plus beaux atours discographiques. »

Opéra International – avril 2004 – appréciation 4 / 5

« Capté en janvier dernier à Lausanne, il y avait fort à parier que ce Roland serait d’une très haute tenue. De la production, un pur émerveillement, le disque ne transmet certes que l’image sonore (un DVD eût été souhaitable), mais celle-ci s’avère suffisante pour mesurer combien la prosodie et la mélopée du drame lulliste coulent avec un naturel confondant dans les veines de Christophe Rousset, auquel on devait déjà un superbePersée. Les valeurs sûres de la distribution demeurent Annamaria Panzarella (bouleversante Angélique), Salomé Haller (Logistille bluffante de présence et de style) et Monique Zanetti (Témire tendre et touchante).; elles abordent la onzième et avant-dernière tragédie lyrique de Lully (l’une des oeuvres préférées du compositeur) avec une vivacité très disciplinée. La qualité de la diction et de l’ornementation, le sens du récit sont dignes d’éloges. Les seules mais réelles réserves concernent les voix masculines, le Roland d’un seul bloc de Nicolas Testé (« Ah, j’attendrai longtemps » est vraiment monochrome) et le Médor parfois contracté d’Olivier Dumait. Néanmoins, la partition contient bien assez de trésors (chaconne de l’acte III, ritournelle des fées, fête des bergers…) pour qu’on soit intrigué par cette intégrale rare. Ajoutons une prise de son dans l’ensemble naturelle et qui capte avec précision Les Talens Lyriques dans l’acoustique favorable du théâtre helvétique. »

Forum Opéra

« Quelqu’un vient : c’est Roland » (Angélique, Acte II, scène première) : Roland fut l’une des tragédies de Lully les plus prisées de l’époque, et il paraît que c’était l’oeuvre préférée du compositeur : représentée à Versailles en présence du Roi le 18 janvier 1685, elle est reprise huit fois à la cour, puis au Palais Royal. Elle sera de nouveau choisie pour célébrer le mariage du duc de Bourgogne en 1697 et pendant tout le dix-huitième siècle jusqu’en 1755, à la cour comme à la ville. Roland est d’abord le fruit de la longue, fructueuse, et amicale collaboration entre le tout-puissant « Monsieur de Lully, escuyer, conseiller, Secrétaire du Roy, Maison, Couronne de France & de ses Finances, & Sur-Intendant de la Musique de sa Majesté » anobli depuis 1681 et du poète Quinault dont les tragédies étaient aussi admirées que celles de Racine et Corneille. 1685, année de paix. Louis le Grand est à l’apogée de sa puissance. Le doge de Gênes lui-même vient présenter ses excuses à Versailles pour la construction de galères aux ennemis de la France. Les places royales fleurissent partout dans le royaume, la Cour – installée définitivement à Versailles depuis plus de deux ans – ne sombre pas encore dans une austérité dévote encouragée par l’épouse morganatique du Roi. La révocation de l’Edit de Nantes paraît chose si aisée…Quinault abandonne les dieux de l’Olympe et replonge dans les temps moins païens des preux croisés. Le livret s’inspire de l’Orlando Furioso de l’Arioste, source intarissable pour les opéras italiens du siècle suivant, et se concentre sur l’histoire bien connue de l’amour passionné du héros éponyme pour Angélique. Cette dernière lui préférant Médor, Roland sombre dans la folie et retrouve la chemin de la Gloire grâce à la fée Logistille. Le message est clair, comme dans l’Orlando de Haendel : « Lascia Amore e siegui Marte ! » (Délaisse l’Amour et suit Mars – Acte I, scène 2). Sur ce livret particulièrement inspiré et au fil dramatique remarquable, Lully va composer une partition à la fois innovante et riche qui sera son avant-dernière tragédie lyrique… Pour ce Roland, Christophe Rousset a réussi le pari d’une belle musicalité sans sacrifier le côté dramatique et théâtral de l’oeuvre. Par rapport à son précédent Persée (Astrée), son Roland est mieux construit, plus posé, plus mûr. Certes, l’excellent livret de Quinault y est pour beaucoup, mais l’on ne peut s’empêcher de penser que cet enregistrement-ci bénéficie d’une vision d’ensemble et d’une cohérence narrative qui manquaient aux jolis tableaux de Persée. Malgré quelques traces de bel canto, Nicolas Testé campe un Roland héroïque de sa voix puissante et profonde. Pourtant, sous ces dehors glorieux, c’est bien l’incarnation de l’homme malheureux, blessé, et perdant finalement la raison qui emportent l’adhésion. Le voilà donc, ce héros magnifique qui soupire éternellement aux pieds de la belle Angélique. Désespéré dans le célèbre monologue de l’acte IV, « Ah, j’attendrai longtemps », dément dans « Je suis trahi ! Ciel ! » alors que la basse continue déstructure le récit par sa course effrénée de doubles croches, ce Roland-là est fait de chair et de sang. On s’étonnera d’ailleurs que Lully ait confié ce rôle à une basse, là où l’on aurait plutôt attendu le traditionnel haute-contre. Le reste du plateau frise également le sans faute : on remarquera entre autres Olivier Dumait et Robert Getchell, irréprochables en nobles gentilshommes, même si leurs personnages restent finalement aussi élégants que superficiels. Leur jeu sans affectation et leur fidélité au texte font cependant plaisir à entendre et nos deux gaillards (excusez cette familiarité) semblent nés avec une perruque et une épée de cour au côté. Anna Maria Panzarella est impériale en Angélique. Au-delà de certains ports de voix et autres ornements parfois un peu agaçants, surtout lors du premier acte, la chanteuse allie présence et beauté du timbre : les fadaises galantes du duo « Se peut-il qu’à ses voeux » de l’acte III sur une parodie de chaconne se transforment en grand moment d’émotion. Le reste des seconds rôles est à l’avenant. Pourtant, le grand vainqueur de ce Roland, c’est l’orchestre. La griffe précise et colorée des Talens Lyriques est vraiment remarquable et l’on se félicitera de la précision des attaques des cordes, perceptible dès l’ouverture. Les ritournelles et symphonies sont interprétées avec beaucoup de grâce et l’on ne peut que regretter deux choses : l’absence de percussions pour les danses et le maigre effectif des instrumentistes. En effet, les Talens sont à peine une vingtaine quand Lully disposait de la Grande Ecurie et de la Chambre. Le continuo en particulier souffre d’un unique théorbe là où Malgoire alignait cinq instruments à cordes pincées pour son Alceste (Astrée) et Christie quatre pour son mythique Atys (Harmonia Mundi). C’est d’autant plus dommage que l’orchestre est omniprésent dans cette tragédie, dont il constitue la véritable ossature. La grande chaconne de l’acte III « C’est Médor qu’une Reine si belle » perd quelque peu son pouvoir d’évocation et la densité sombre de l’écriture à cinq parties du Florentin s’en trouve affaiblie au profit d’une lecture plus fine, plus ciselée mais qui présente bien moins de force. De même, l’air de folie de Roland à l’acte IV manque de corps dans l’équilibre entre vents et cordes. Les choeurs sont homogènes, mais souvent trop précipités comme le final « La Gloire vous appelle ». Enfin, l’on se félicitera de l’intelligibilité du texte et des efforts de Christophe Rousset afin que Roland reste avant tout une tragédie mise en musique et non un opéra. Malgré ces quelques réserves, cette nouvelle réalisation représente une réussite indéniable, avec ses moments forts comme la longue chaconne préfigurant la passacaille d’Armide et l’étonnante scène de folie de Roland, et l’on ne peut que s’écrier à son écoute : « Ca sent le Rousset ! ». Une dernière chose : le label Ambroisie propose un coffret au design novateur, sans boîtier ni fourreau, tout à fait inapproprié. Les disques ne cessent de tomber et le livret aussi. Revenons donc à la bonne vieille formule classique, bien meilleure pour la conservation de cet admirable enregistrement. »