Thésée

Thésée - édition C. Ballard - 1688

COMPOSITEUR Jean-Baptiste LULLY
LIBRETTISTE Philippe Quinault
DATE ÉDITION DIRECTION ÉDITEUR NOMBRE LANGUE FICHE DÉTAILLÉE
1973 Willard Straight RCA 1 français
2006 2007 Paul O’Dette / Stephen Stubbs CPO 3 français

 

Tragédie en musique ornée d’entrées de ballet, de machines et de changements de théâtre, en un prologue et cinq actes, sur un livret tiré des Métamorphoses d’Ovide. Elle fut créée à St Germain en Laye, dans la Salle des ballets, devant le roi, le 11 janvier 1675, puis au Théâtre du Palais Royal, au mois d’avril, avec une distribution réunissant, sous la direction de Lalouette, Mlles Bony et Presche (Deux Grâces), Marotte et Lanneau (Deux Amours), La Grille, ténor (Bacchus), Mlle Beaucreux, soprano (Vénus), Mlle de La Borde, soprano (Cérès), Godonesche, basse (Mars) et Dauphin (Bellonne) pour le prologue ; Marie Aubry, soprano (Aeglé), Marie-Madeleine Brigogne, soprano (Cléone, confidente d’Aeglé), Morel, basse (Arcas, confident d’Egée), Marie Verdier (*), soprano (La Grande Prêtresse de Minerve), Jean Gaye, baryton (Égée), Mlle Saint-Christophe, soprano (Médée), Mlle Beaucreux, soprano (Dorine, confidente de Médée), Bernard Clédière, haute-contre (Thésée), Mlle Des Fronteaux, soprano (Minerve), Tholet et Miracle (Deux Vieillards), Jollain (La Rage), Le Febvre (Le Désespoir), Mlles Desfronteaux, Bony, Presche et Verdier (Bergères), La Grille (habitant de l’Ile enchantée).
(*) Marie Verdier, fille de violoniste, épousa Verdier, premier violon à l’Opéra. Elle tint les seconds emplois, notamment de confidente. Elle se retira en 1980.

Le château de Saint-Germain
Madame de Sévigné nota : Il y a un opéra tout neuf qui est fort beau. Lecerf de la Viéville en fit l’éloge, indiquant qu’il était admiré également du peuple et des savants.
Thésée_1675_frontispiceThésée - 1675 - gravure de frontispice

Les machines préparées par Carlo Vigarani n’eurent pas tout le succès espéré, étant jugées inférieures à celles – préparées par le marquis de Sourdéac – de Circé, pièce de Donneau de Visé, interprétée par les Comédiens Français. Pour la colonnade du dernier acte, Vigarani s’inspira de celle du troisième intermède de La Liberazione di Terreno e d’Arnea connue par la gravure de Jacques Callot.
Parmi les danseurs figurait Magny qui dansa un Vieillard.
Magny en Habit de Vieillard - Jean Mariette d'après Berain
Des reprises eurent lieu :

le 16 février 1677, à Saint-Germain en Laye, devant le roi, avec une distribution presque identique à celle de 1675 ;
en septembre 1677, à Fontainebleau, dans la salle de la Belle Cheminée ;
le 29 octobre 1679, au Palais Royal, avec Mlle Moreau (Aeglé), Dun (Arcas), Egée (Beaumavielle), Mlle Rochois (Médée), Mlle Barbereau (Dorine), Du Mesny (Thésée) ;
en octobre 1688, au Palais Royal ;
le 18 décembre 1688, à Versailles, par tous les musiciens et les danseurs de l’Opéra, avec leurs habits ;
en novembre 1698, avec Mlle Moreau (Aeglé), Mlle Clément (Cléone), Dun (Arcas), Hardouin (Égée), Mlle Desmatins (Médée), Mlle Guyar (Dorine), Du Mesny (Thésée), Desvoyes et Labbé (Deux Vieillards), Mlle Maupin (Minerve), Desvoyes (Un Combattant) ;
le 23 février 1699 ;
le 17 novembre 1707, avec Mantienne, Bertrand et Chopelet (Jeux et Plaisirs), Mlle Journet (Vénus), Dun (Mars), Mlle Aubert (Cérès) et Beaufort (Bacchus) pour le prologue, Mlle Journet (Aeglé), Mlle Aubert Cléone), Thévenard (Arcas), Mlle Desjardins (La Grande Prêtresse de Minerve), Hardouin (Égée), Mlle Desmatins (Médée), Mlle Heuzé (Dorine), Cochereau (Thésée), Boutelou et Desvoyes (Deux Vieilllards), Mlles Cochereau et Chevalier (Deux Bergères), Chopelet (Un Berger), Mlle Desjardins (Minerve) ;
le 5 décembre 1720, avec Mlle Lambert (Vénus), Le Mire (Mars), Mlle Constance (Cérès) et Jacier (Bacchus) pour le prologue, Mlle Tulou (Aeglé), Mlle Lambert Cléone), Dun (Arcas), Mlle Tettelette (La Grande Prêtresse de Minerve), Thévenard (Égée), Mlle Antier (Médée), Mlle Minier (Dorine), Murayre (Thésée), Mantienne et Dautrep (Deux Vieilllards), Mantienne (Un Combattant, Mlles Tettelette et Person (Deux Bergères), Jacier (Un Berger), Mlle Charlard (Minerve) ;
le 29 novembre 1729, avec Dumast, Cuvillier et Fontenay (Jeux et Plaisirs), Mlle Minier (Vénus), Chassé (Mars), Mlle Julie (Cérès) et Dautrep (Bacchus) pour le prologue, Mlle Pélissier (Aeglé), Mlle Petitpas Cléone), Dun (Arcas), Mlle Julie (La Grande Prêtresse de Minerve), Thévenard (Égée), Mlle Antier (Médée), Mlle Minier (Dorine), Tribou (Thésée), Dumast et Cuvillier (Deux Vieilllards), Mlles Souris et Petitpas (Deux Bergères), Dumast (Un Berger), Mlle Julie (Minerve). On remarqua l’effet produit par le temple de Minerve, avec des décorations imaginées par Jean-Nicolas Servandoni, qui avait succédé à Jean II Berain comme décorateur de l’Opéra. Mlles Prévost, Sallé et Camargo participaient aux ballets.
le 10 décembre 1744, avec La Tour, Cuvillier et Le Page (Jeux et Plaisirs), Mlle Romainville (Vénus), Chassé (Mars), Mlle Coupée (Cérès) et Bérard (Bacchus) pour le prologue, Mlle Fel (Aeglé), Mlle Coupée Cléone), Le Page (Arcas), Mlle Metz (La Grande Prêtresse de Minerve), Chassé (Égée), Mlle Chevalier (Médée), Mlle Jacquet (Dorine), Jélyotte (Thésée), La Tour et Cuvillier (Deux Vieilllards), Mlles Romainville et Metz (Deux Bergères), La Tour (Un Berger), Mlle Jacquet (Minerve) ;

Poupée représentant Jélyotte en Thésée - 1744

le 3 décembre 1754, à Fontainebleau, sans le prologue. Le déplacement de la Cour à Fontainebleau se situait cette année-là sous le signe favorable de la naissance du duc de Berry, futur Louis XVI. Il n’y eut pas moins de quatorze représentations d’opéra, dont trois créations : La Naissance d’Osiris et Anacréon de Rameau, et Daphnis et Alcimadure de Mondonville. La reprise de Thésée fut accueillie avec enthousiasme par la Cour. On dispose d’un dessin partiel du rideau de fond du décor du palais d’Égée et de son avant-cour, pour l’acte II, montrant un pavillon avec un attique surmonté d’une coupole et relié à des galeries latérales, le tout rythmé par de grands pilastres, décor dessiné par les frères Sébastien-Antoine et paul-Ambroise Slotdz ; on dispose également de dessins représentant le désert horrible de la scène 4 de l’acte III ;
le 8 (13 ?) décembre 1765, avec Sophie Arnould dans le rôle d’Églé ; Marie-Madeleine Guimard apparut trois fois : en Bergère, dansant un pas de deux avec Gardel ; en Prêtresse ; dans le Peuple. Pour chacun de ces rôles, la Bibliothèque de l’Opéra conserve des croquis des costumes – tous de couleur dominante blanche – annotés par Boquet. Boquet dessina aussi les costumes rehaussés d’une draperie rose de Mlles Allard et Peslin, qui dansaient avec Mlle Guimard, ainsi que celui du danseur Vestris pour le pas seul de l’acte V : habit à tonnelet blanc et argent, avec des draperies de gaze d’argent ; Bertrand de Bury avait écrit une nouvelle Ouverture, qui fut remaniée par Pierre Montan Berton ;
le 13 janvier 1767, dans une adaptation de Mondonville, qui ne tint l’affiche que quatre à cinq représentations. On reprocha à Mondonville d’avoir remplacé le récitatif de Lully sans inventer un récitatif vraiment nouveau, et on jugea qu’il était impertinent et insolent de sa part de faire plus mal quelui qu’il voulait corriger. Collé rapporte : Je n’ai point vu de chute aussi prompte et aussi honteuse. On a été révolté contre la présomption d’un musicien qui, entreprenant de changer le récitatif de Lully, ne crée pas un autre genre de de récitatif. Le public réclamant la version originale, celle-ci fut reprise le 1er février pour vingt représentations.

Selon les Annales dramatiques : Mondonville voulut ajouter une musique nouvelle aux paroles de Quinault ; mais il eut le malheur de ne pas réussir, et le public redemanda la musique de Lully. Toutefois, on lui envoya le peu d’argent qui lui revenait pour sa part d’auteur ; il le refusa, en disant modestement , « Qu’il avait déjà trop de reproches à se faire » d’avoir fait perdre à l’Opéra les recettes que lui aurait procurées la musique de Lully.»

le 23 mars 1770 ;
le 23 février 1779. Ce fut la dernière fois qu’une tragédie de Lully fut représentée avant l’époque moderne.

Le livret de Quinault fut remanié en trois actes par Morel de Chedeville et mis en musique par Gossec (création à l’Opéra, le 26 février 1782), avec quelques emprunts au Thésée de Lully.
Selon Castil-Blaze : Morel arrange le Thésée de Quinault, Gossec le remet en musique. Par déférence pour Lulli, son prédécesseur, il conserve l’ancien air d’Égée, Faites grâce à mon âge. Ce morceau, très-bien dit par Larrivée, qui dès longtemps en connaissait la tradition, est admiré généralement, il obtient une préférence marquée sur tout le reste. Après cent dix ans de possession du théâtre académique, la musique de Lulli pousse enfin, exhale son dernier soupir, et ce n’est pas sans honneur. Mme Saint-Huberti remporte une palme de plus en représentant Églé, princesse d’Athènes. On dit que les paroles de Quinault avaient été fort légèrement traitées par Morel, et très lourdement par Gossec.
Des représentations eurent lieu à La Haye (*), le 18 mai 1682, pour l’entrée dans la ville de la princesse d’Orange, avec Mlle Cartilly (qui s’était fait connaître dans la Pomone de Cambert) dans les rôles de Médée et Minerve ; à Bruxelles, le 10 novembre 1697, au Quai au Foin, et le 1er janvier 1713, au Théâtre de la Monnaie ; à Wolfenbüttel, le 19 août 1687 ; à Lyon en 1691 (1692 ?), et en 1749, dans la salle du Jeu de Paume de la Raquette Royale, à l’initiative de Mangot, beau-frère de Jean-Philippe Rameau ; à Gand en juin 1698 ; à La Haye en 1701 ; à Lunéville, sous la direction d’Henry Desmarest, les 5 et 9 février 1708 ; à Lille en 1718 ; à Dijon en 1730.
(*) selon d’autres sources, cette date serait celle de la création à Bruxelles, avec un prologue composé par Fiocco.

La reprise de 1745 inspira deux parodies, la première, représentée aux Italiens sous le nom d’Arlequin Thésée, le 30 janvier 1745, de Valois d’Orville ; l’autre à l’Opéra-Comique sous le titre de Thésée, composée par Charles Favart, Pierre Laujon & Parvy, donnée le 17 février de la même année. Personnages : Choeur de Combattants, Égée, Églé, Cléone, la Grande-Prêtresse de Minerve, Médée, Dorine, Thésée, Arcas, une Harangère, Harangères, Démons, les Furies. Livret.
A cette dernière occasion, les Annales dramatiques (1812) rapportent les anecdotes suivantes : Epris du noble amour des arts , et voulant consacrer ses talens au théâtre , un nommé Léger, domestique de Favart, débuta dans cette parodie, par la moitié du bœuf gras, sur lequel devait monter Thésée. Ce bœuf était figuré par une machine de carton, dans laquelle étaient renfermés deux hommes qui la faisaient mouvoir. Le premier, debout, mais un peu incliné ; le second , la tête appuyée sur la chute des reins de son camarade. Léger, qui avait brigué l’honneur du début, obtint la préférence pour faire le train de devant ; gonflé de gloire et d’aliments, il lâcha une flatuosité qui suffoqua son collègue. Celui-ci , dans le premier mouvement , et pour se venger de l’effet sur la cause, mordit ce qu’il trouva sous ses dents. Léger fit un mugissement épouvantable. Le bœuf gras se sépara en doux ; une moitié s’enfuit d’un côté , une moitié de l’autre ; et voilà le superbe Thésée à terre : on eut beaucoup de peine à continuer la pièce. A peine était-elle achevée, que l’on entendit une nouvelle rumeur : c’était encore Léger qui se gourmait avec son camarade, sur le ceintre. Après avoir disputé sur la prééminence du train de devant et du train de derrière, ces messieurs en étaient venus aux mains. Le pauvre Léger faillit en être la victime : il fut précipité du ceintre ; mais fort heureusement pour lui , il fut accroché par des cordages et resta suspendu à vingt pieds de haut : enfin il en fut quitte pour quelques contusions.
Cette pièce est féconde en grands évènemens , comme il sera facile de s’en convaincre en lisant ce qui suit : A l’une de ses représentations, l’actrice chargée du rôle de Médée s’amusait à écouter les fleurettes d’un fmancier sexagénaire : elle entend la réplique au moment où le bonhomme, transporté d’amour, se précipite à ses genoux pour lui baiser la main : elle le repousse brusquement ; mais, dans le mouvement qu’elle fait pour se débarrasser, la crinière postiche du vieil adonis s’accroche aux paillettes de la robe de Médée. La magicienne part , et laisse son amant en attitude, chauve, et prosterné. Elle arrive sur la scène, portant devant elle, sans le savoir , ce grand trophée chevelu , qui, se balançant avec majesté, semblait s’accorder avec les gestes pathétiques de l’actrice. Tout-à-coup un applaudissement général se fait entendre. Le rire devint tout-à-fait convulsif, lorsque l’on vit sortir de la coulisse une tête pelée qui réclamait sa vénérable dépouille. Médée, déjà toute fière de l’accueil favorable qu’elle croyait recevoir du public, faisait de grandes révérences ; mais son erreur ne tarda pas à sa dissiper : en effet , en s’inclinant respectueusement pour remercier les spectateurs, elle aperçut la malheureuse perruque. Une actrice ordinaire eût été déconcertée mais celle-ci, en princesse au-dessus des coups de la fortune, détacha tranquillement la perruque, la remit sur le chef du financier, et continua froidement son rôle. Cette présence d’esprit lui valut un succès : tant il est vrai qu’il faut se posséder dans les circonstances difficiles, pour en sortir avec honneur !

La première édition de la partition fut imprimée, avec des caractères mobiles en plomb, par Christophe Ballard en 1688, soit après la mort de Lully.
  L’œuvrefut rééditée en 1711 par H. de Baussen, en partition réduite, avec la technique de gravure sur cuivre. Les héritiers de Lully avaient entrepris une réédition de ses oeuvres pour laquelle ils voulaient se passer de Ballard et s’était adressés à H. de Baussen. Ballard réussit à racheter et poursuivre l’édition, qui comprend neuf volumes. L’édition de Baussen fut renouvelée en 1719 et 1720.
L’oeuvre fit l’objet de nombreux manuscrits, et on recense seize partitions complètes conservées à ce jour.
L’exemplaire de Thésée conservé à la Bibliothèque nationale de France contient des gravures de Jean-Baptiste Scotin l’aîné (1671-1716), et de Louis Desplaces (mort en 1739), d’après Claude Gillot (1673 – 1722), J.-V. Duplessis et François Roettiers. La musique n’y est notée que pour dessus et basse.
Thésée - édition Baussen
La scène du prologue se passe dans les jardins de la façade du palais de Versailles. Le fond du sujet de la tragédie est l’amour éprouvé de Thésée et d’Eglé, princesse placée sous la tutelle du roi d’Athènes Egée, et que ce roi veut épouser. Thésée, exposé par son père dans son enfance à Trézène, a promis sa foi à Médée, la magicienne. Il revient à Athènes, combat une sédition qui menaçait le trône de son père, devient l’idole du peuple, mais porte ombrage à Egée. Celui-ci poussé par la fureur jalouse de Médée, accepte de ses mains un breuvage empoissonné qu’il donne à boire à Thésée. mais il reconnaît tout à coup dans l’épée qu’il porte le signe de reconnaissance qu’il avait attaché au corps de son fils lorsqu’il fut exposé par ses ordres. Médée prend la fuite, le fils et le père s’embrassent, Eglé est au comble de ses voeux, et le peuple d’Athènes chante un chœur d’allégresse (Dictionnaire des opéras – Clément et Larousse).

Synopsis détaillé
Thesse - édition Ballard

Prologue
Dans les jardins et devant la façade du palais de Versailles

Le chœur des amours, des grâces, des plaisirs, et des jeux se plaint que le maître des lieux dédaigne les plaisirs pour la guerre, et décide de de se retirer. Vénus tente de le retenir. On entend des trompettes et des tambours dont le bruit se mêle au son de plusieurs instruments champêtres. Mars paraît sur son char avec Bellone. Il promet que rien ne viendra troubler Vénus et les amours, mais envoie Bellone faire la guerre. Vénus s’inquiète, mais Mars la rassure : le roi sera victorieux. Mars et Vénus chantent les louanges du roi. Bacchus et Cérès suivis de moissonneurs, de silvains et de bacchantes, ramènent les amours, les grâces, les plaisirs, et les jeux. La troupe des moissonneurs commence à danser, et environne Cérès. Celle-ci chante, puis Bacchus. Divertissement.
Acte I
Le temple de Minerve, à Athènes

(1) On entend des soldats qui combattent. (2) Eglé, princesse placée sous la tutelle du roi d’Athènes Egée, vient chercher le secours de Minerve et l’implore d’intervenir. (3) Eglé interroge Cléone pour savoir si Thésée, qu’elle aime, revenu à Athènes combattre une sédition qui menace le trône de son père Egée, est vainqueur. Cléone ne peut la renseigner mais la rassure sur l’amour que Thésée lui porte. (4) Eglé interroge Arcas qui lui indique que le combat continue, et que le roi s’inquiète pour elle. Eglé n’ose pas l’interroger sur Thésée, et demande à Cléone d’aller se renseigner sur son sort. (5) Cléone exprime à Arcas ses doutes sur l’amour qu’il lui porte. Celui-ci proteste, et Cléone en profite pour lui demander de s’attacher à Thésée. Arcas, jaloux, ne comprend pas et mais Cléone refuse de lui expliquer le motif de sa demande. (6) La Grande prêtresse vient implorer Minerve. On entend les clameurs effrayantes des combattants. (7) Le roi Egée annonce la victoire contre la sédition. La Grande prêtresse l’invite à rendre grâces aux dieux. (8) Egée veut rassurer Eglé et lui annonce son projet de l’épouser. Eglé, surprise, lui exprime son respect et l’interroge sur Médée à qui il est lié par un serment. Egée lui explique qu’il a prévu de la faire épouser par un enfant de lui qu’il avait caché à Trézène. (9) La Grande prêtresse et le choeur des prêtresses honorent Minerve en présence du roi et de suite. (10) Des sacrificateurs combattants apportent les étendards et les dépouilles des ennemis vaincus. La cérémonie se poursuit par un simulacre de combats.
Acte II
Le palais d’Egée

(1) Médée, avec sa suivante Dorine, se lamente sur son destin qui la conduit à être criminelle par amour. Celle-ci lui suggère de recommencer une nouvelle vie avec Thésée. (2) Le roi Egée vient remercier Médée d’avoir favorisé la victoire et évoque son serment de mariage. Médée montre peu d’empressement. Egée annonce la venue prochaine d’un fils à lui qu’il n’avait pas reconnu. Médée lui répond que seul Thésée est digne d’elle et qu’il peut épouser Eglé. Egée et Médée sont tous deux satisfaits de cette solution. (3) Arcas vient alerter le roi contre la popularité grandissante de Thésée que le peuple veut porter à la place du roi. (4) Dorine en profite pour relancer Arcas, son ancien amant, et l’interroge sur ses rapports avec Cléone. Arcas élude. (5) Dorine est sans illusion. (6) On entend le peuple qui acclame Thésée. (7) Arrivent quatre esclaves qui portent Thésée, les Athéniens qui chantent et dansent. Ils se réjouissent de la victoire que la valeur de Thésée vient de remporter, et veulent le proclamer comme successeur d’Egée. Thésée les remercie, mais les disperse. (8) Il s’apprête à rentrer dans l’appartement du roi, et rencontre Médée qui en sort. Il lui explique qu’il vient rassurer Egée. Médée lui propose d’intercéder pour lui auprès du roi. Thésée lui confie qu’il est épris d’Eglé et que son seul souhait est de l’épouser. Médée lui révèle les projets d’Egée, et lui demande de lui faire confiance. (9) Seule, Médée, est ivre de jalousie et prépare sa vengeance.
Acte III

(1) Eglé se prépare à accueillir Thésée, et se demande quelle sera son attitude. (2) Arcas arrive et lui confirme de la part d’Egée que le mariage est proche. Celone lui demande d’aider à ce que le roi renonce à son projet. (3) Médée vient faire des reproches à Eglé. Celle-ci lui demande de lui laisser Thésée, et lui propose d’épouser le roi. Médée lui révèle qu’elle est également éprise de Thésée et qu’elle fera son possible pour qu’Eglé épouse le roi. Elle décide de lui montrer l’étendue de ses pouvoirs.
Un désert épouvantable rempli de monstres furieux
(4) Eglé, Cléone et Arcas crient leur effroi. (5) Cléone demande à Arcas de la défendre contre un monstre, mais un fantôme emporte son épée en volant. Cléone et Arcas implorent Dorine et l’assurent de l’amour d’Arcas. (6) Médée fait sortir Cléone et Arcas. (7) Médée invoque les habitants des enfers. Ceux-ci expriment la douceur qu’ ils trouvent dans les ordres que Médée leur donne de donner des frayeurs, et de faire de la peine à Eglé. (8) Les habitants des enfers épouvantent Eglé, qui tentent de les fuir.
Monstre infernal et lutin
Acte IV

(1) Eglé implore Médée, sans pour autant accepter de cesser d’aimer Thésée. Médée, furieuse, fait apparaître Thésée endormi qui descend conduit par des spectres volants. (2) Médée invoque les Furies qui sortent tenant un tison ardent d’une main, et un couteau de l’autre. (3) Médée annonce à Eglé que Thésée, toujours endormi, va être sacrifié sous ses yeux. Eglé finit par céder et accepte d’épouser le roi. Les furies rentrent dans les enfers.
Une île enchantée
(4) Médée réveille Thésée, qui regarde l’habit magnifique et galant dont il est paré, et réclame son épée. Il aperçoit Eglé, sans comprendre pourquoi elle détourne les yeux. Médée lui fait croire qu’Eglé le délaisse pour partager le trône. (5) Thésée exprime son amour déçu. Eglé lui confie qu’elle s’est résolu à épouser le roi pour le sauver. Thésée lui révèle alors qu’il est le fils d’Egée. (6) Médée sort tout à coup d’ un nuage, furieuse de ce qu’elle a entendu. Eglé et Thésée demandent chacun à Médée d’épargner l’autre. Médée, attendrie, décide de favoriser le bonheur de celle qu’elle aime. Elle rend son épée à Thésée, et invite les habitants de l’île enchantée à célébrer les plaisirs des heureux amants. Divertissement.
Acte V
Un palais, que les enchantements de Médée font paraître, et où l’ on voit les apprêts d’ un superbe festin

(1) Médée est torturée par la jalousie, et décide de se venger de sa rivale, quitte à perdre celui qu’elle aime. (2) A Dorine qui vient lui annoncer que les festivités vont commencer et que le roi a choisi Thésée comme son successeur, elle révèle son projet de vengeance. (3) Médée propose au roi d’empoisonner Thésée. Egée hésite. Médée finit par le convaincre en évoquant le fils qu’il pourra ainsi faire revenir de Trézène. (4) En présence des Athéniens, le roi annonce qu’il choisit Thésée comme son successeur, et ouvre la cérémonie en lui offrant le vase empoisonné. Thésée prend le vase d’ une main, et tire son épée de l’autre pour jurer fidélité au roi. Le roi aperçoit l’épée de Thésée, et la reconnaît pour être celle qu’il avait laissée pour servir un jour à la reconnaissance de son fils. Il empêche Thésée de porter le vase à sa bouche et reconnaît son fils. Médée s’enfuit. (5) Egée renonce à Eglé en faveur de son fils. (6) Médée apparaît sur un char tiré par des dragons volants, et profère des menaces. Le palais s’embrase, et les mets du festin préparé se convertissent en des animaux horribles. (7) Les Athéniens implorent les dieux. (8) Minerve apparaît qui fait apparaître un palais magnifique et brillant. (9) Toutes les voix, et tous les instruments des deux choeurs se réunissent. Les plus considérables courtisans du roi d’Athènes, environnés d’ une troupe d’ esclaves, forment une espèce de fête galante pour se réjouir de la reconnaissance de Thésée. On voit Arcas et Cléone qui chantent au milieu de leur danse.

 

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Pour en savoir plus :


Thèse de Doctorat – Pascal Denecheau – décembre 2006

Thésée, troisième tragédie en musique de Jean-Baptiste Lully et de Philippe Quinault, fut de ces deux auteurs l’œuvre qui connut le plus grand nombre de reprises, à Paris et à la Cour, de sa création (janvier 1675) jusqu’à sa dernière représentation à la fin du XVIIIe siècle (1779). Cette étude en retrace l’histoire à l’aide des nombreuses sources (livrets, partitions et matériels d’orchestre, documents d’archives) conservées en France et à l’étranger et des témoignages de contemporains (articles de périodiques, correspondances). Le chapitre I présente le contexte historique de la création de Thésée, les écrits qui inspirèrent Quinault, l’analyse du livret et de quelques extraits musicaux ; les chapitres II et III étudient les relations entre les sources tant littéraires que musicales et les pratiques éditoriales chez l’imprimeur Ballard ; le chapitre IV aborde l’histoire des représentations (interprètes, mise en scène, décors) et les remaniements apportés en 1754, 1765 et 1779.
Position de thèse :
Troisième des onze tragédies en musique nées de la collaboration du librettiste Philippe Quinault et du compositeur Jean-Baptiste Lully, Thésée n’est pas actuellement l’ouvrage le plus connu de ces deux auteurs. Armide et Atys sont souvent cités comme étant leurs chefs-d’œuvre. Cependant, Thésée est celui qui, de tous les ouvrages lyriques de Lully, resta le plus longtemps au répertoire de l’Académie royale de musique. Entre 1675, date de sa création, et 1779, date de la dernière représentation à Paris, ses reprises furent si fréquentes (elles eurent lieu environ une fois tout les dix ans), que leur nombre n’avait jamais été défini avec certitude. Quelle est la raison de ce succès ? Quelle place l’œuvre occupe-t-elle dans la production de Lully et Quinault ? Quels furent les instruments de sa diffusion en France et à l’étranger ?
L’objectif de cette thèse est de montrer l’évolution de Thésée sur plus de cent ans. Après avoir replacé l’œuvre dans son contexte culturel et historique, elle présente le fruit de la comparaison des nombreuses éditions des livrets et de la partition et met en lumière quelques procédés employés lors de leur impression. Enfin, elle établit la chronologie la plus exhaustive possible des représentations et aborde chacune des productions sous divers aspects (mise en scène, décors, interprètes, montants des recettes) à l’aide des nombreux témoignages recueillis (articles de périodiques, correspondance, documents d’archives, etc.).
I. Présentation de l’œuvre
Thésée occupe une place importante dans la production de Lully et Quinault. L’œuvre s’inscrit musicalement dans la continuité des deux premières tragédies en musique, Cadmus et Hermione (1673) et Alceste (1674), notamment par son écriture, par la structure de scènes conçues en vaste rondeau dont le refrain est constitué par les différentes interventions du chœur, et par l’utilisation des tonalités à des fins dramatiques. Les prologues de Thésée et des deux opéras précédents sont prétextes à la glorification de Louis XIV et de ses victoires, au moment même où la France est engagée dans une guerre contre la Hollande (1672-1678). Instrument de la propagande royale, le prologue devait rendre compte de l’actualité du moment : à la suite d’une victoire remportée par Turenne sur l’Électeur de Brandebourg, Lully et Quinault furent obligés de revoir le texte et la musique du prologue de Thésée peu de temps avant la première représentation pour louer ce nouvel exploit.
Le livret de Thésée marque en revanche une rupture avec Cadmus et Alceste dans lesquels l’irruption de personnages comiques et de situations burlesques, héritage des premiers opéras italiens joués à Paris du temps de Mazarin, avait été durement critiquée par une partie des gens de lettres, parmi lesquels se trouvaient Jean Racine et Boileau-Despréaux. Une cabale en avait résulté contre Quinault qui, en traitant le sujet d’Alceste, avait, disait-on, défiguré l’ouvrage homonyme d’Euripide. Sans la faveur de Louis XIV qui montra un grand intérêt pour l’ouvrage, faisant taire du même coup la critique, Lully n’aurait sans doute plus composé d’opéras. Thésée, dépourvu des passages comiques qui avaient tant déplu dans Cadmus et Alceste, est l’œuvre dont la forme se rapproche le plus du modèle de la tragédie classique. Au XVIIIe siècle, elle passait encore pour la mieux équilibrée et la mieux construite de toutes celles que Quinault avait écrites.
C’est aux Métamorphoses d’Ovide que le librettiste emprunta le sujet de son opéra. Quinault n’a retenu de la légende antique de Thésée que la partie consacrée à la jeunesse du héros : Thésée, qui vient réclamer la succession au trône d’Athènes, montre qu’il est bien le fils du roi Égée en présentant l’épée que ce dernier lui a laissée en signe de reconnaissance. Le héros échappe de peu à la tentative d’empoisonnement orchestrée par la magicienne Médée. L’ouvrage d’Ovide n’est cependant pas la seule source dont Quinault se soit inspiré. Il puisa largement dans la pièce de Jean Puget de La Serre, Thésée ou le prince reconnu, tragi-comédie en prose publiée à Paris en 1644, en l’adaptant au genre dramatique de l’opéra. La guerre, évocation des combats menés par les troupes françaises contre l’ennemi hollandais, constitue le cadre principal du premier acte pendant lequel la ville d’Athènes et assiégée. Dans les quatre autres actes, le récit se concentre autour du personnage de Médée dont les pouvoirs magiques sont prétextes à de nombreux effets spectaculaires tels que vols de fantômes, apparitions de monstres et de furies, embrasement de palais, etc.
II. Les Livrets
L’engouement du public pour Thésée engagea un grand nombre d’imprimeurs à en publier les paroles sous diverses formes : ainsi, ne trouve-t-on pas moins de cinquante-neuf éditions différentes, dont vingt furent réalisées pour les représentations à Paris et à la Cour, onze autres pour celles données en province ou à l’étranger, sept publiées en recueil jusqu’en 1824 et enfin, dix-neuf éditions contrefaites en Hollande et aux Pays-bas. Chaque nouvelle reprise de Thésée à l’Académie royale de musique ou à la Cour donnait lieu à l’impression d’un livret. Ce petit ouvrage d’une soixantaine de pages contenait les paroles de la pièce et permettait au public d’en suivre le déroulement et d’en saisir le sens au moment où elles étaient chantées. Lorsque des changements étaient apportés soit dans la mise en scène, soit aux vers (ajouts et retranchements), ils étaient reportés dans chaque nouvelle édition du livret. La comparaison du contenu de ces ouvrages permet de suivre l’évolution de l’œuvre au fil du temps. Contrairement aux premiers opéras de Lully et Quinault qui furent créés à l’Académie royale de musique de Paris, Thésée fut d’abord représenté devant Louis XIV et sa Cour pendant les mois de janvier et février 1675 et ne fut joué devant le public parisien qu’au mois d’avril suivant. Cette situation particulière eut une répercussion sur les livrets imprimés pour ces spectacles. En effet, ceux-ci font pour la première fois apparaître les noms des interprètes (chanteurs, danseurs et musiciens) qui parurent sur scène devant le roi.
La comparaison de quelques exemplaires, imprimés par Christophe Ballard pour les représentations données à Saint-Germain-en-Laye en janvier 1675 et qui au premier abord semblaient identiques, montre qu’en réalité ils possèdent des caractéristiques permettant de les différencier et de déterminer l’ordre dans lequel ils furent réalisés. Ces différences apparaissent principalement dans le motif des fleurons employés pour séparer les scènes ainsi que dans le dessin des culs de lampe placés à la fin des actes. On relève d’autres variantes plus importantes telles que le remplacement d’un vers par un autre ou encore le changement du nom de quelques interprètes. La confrontation des pages des exemplaires examinés montre que, dans un même cahier, certaines ont été recomposées quatre fois, d’autres ont été corrigées tandis que d’autres n’ont subi aucun changement. Les formes qui avaient servi à l’impression de ces dernières pages avaient vraisemblablement été conservées pendant le temps des représentations (janvier et février 1675) permettant ainsi à Christophe Ballard de pouvoir produire de nouveaux exemplaires du livret dans un délai très court. Cette manière de procéder va à l’encontre des pratiques ordinaires qui voulaient que lorsque l’impression des pages était terminée, les formes soient rompues et la casse distribuée.
Les livrets publiés pour les représentations suivantes témoignent d’autres modifications liées notamment aux contraintes imposées par le lieu de représentation. Ainsi en septembre 1677, lorsque Thésée fut représenté au château de Fontainebleau, toutes les indications concernant les rôles de personnages volants furent supprimées dans les livrets : en effet, la salle de spectacle du château n’était à l’époque pas dotée de machineries adéquates. D’autre part, une partie des décors fut renouvelée à cette date et le texte de quelques répliques fut adapté en conséquence. Ces changements, pourtant abandonnés lorsque l’opéra fut repris à Paris, se retrouvent imprimés dans les éditions suivantes. Il apparaît donc qu’après la mort de Lully, ses successeurs à la tête de l’Académie royale de musique ne veillèrent pas avec la même attention à mettre en conformité le texte des livrets avec celui chanté sur la scène.
III. Les Partitions
En 1688, soit un an après la mort de Lully, Christophe Ballard fit imprimer une première édition de la partition de Thésée à l’aide de caractères mobiles en plomb. On sait que le compositeur accordait une attention toute particulière à la publication et à la diffusion de ses ouvrages. Il en relisait les épreuves. Les pages qui comportaient des erreurs typographiques étaient corrigées au cours de l’impression, voire entièrement recomposées. La partition de Thésée ne bénéficia pas des mêmes soins et la famille de Lully, qui fut vraisemblablement à l’origine de cette édition, semble s’en être totalement désintéressée au point que c’est le fils de Christophe Ballard qui fut chargé de corriger à la main les fautes d’un certain nombre d’exemplaires avant leur mise en vente. L’imprimeur réalisa vraisemblablement son édition à partir d’une copie manuscrite de Thésée qui appartenait à Lully. En effet, la partition imprimée contient quelques vers correspondant à la première version du prologue. Or ces vers furent remplacés peu de temps avant la première représentation en janvier 1675. Ce sont ces nouveaux vers qui furent chantés à l’Opéra en 1688 comme en témoignent les livrets publiés à cette date. Treize ans après sa suppression, l’ancienne version n’avait donc aucune raison de figurer dans la partition de Ballard.
Une seconde édition en partition réduite, qui reprend le contenu de l’édition de Ballard, fut gravée sur plaques de cuivre par Henry de Baussen et imprimée en 1711. À la mort de celui-ci, Jean-Baptiste-Christophe Ballard fit l’acquisition des plaques et réédita l’ouvrage une première fois en 1719 et une seconde fois en 1720. Parallèlement à ces éditions, un grand nombre de copies manuscrites furent réalisées et diffusées par l’atelier du marchand de musique Henry Foucault. Ces copies se distinguent des éditions par le fait qu’elles contiennent la nouvelle version des vers du prologue. De plus, pendant les chœurs qui terminent le premier acte, elles font apparaître un accompagnement de l’orchestre là où dans la partition imprimée ne figure que la basse continue. La présence de l’orchestre à cet endroit de l’œuvre est également attestée par d’autres sources telles que les parties séparées réalisées par André Danican Philidor pour le comte de Toulouse. En revanche, les copies de Foucault se révèlent être moins précises du point de vue rythmique que la première édition de Ballard. Les matériels d’orchestre successifs qui servirent aux musiciens du roi ou de l’Académie royale de musique aux XVIIe et XVIIIe siècles ont tous disparu aujourd’hui. Seules subsistent trois partitions (deux sont issues de la première édition, l’autre est un exemplaire de la partition gravée imprimée en 1719) qui furent employées lors des représentations à Fontainebleau en octobre 1754 et à l’Opéra de Paris entre décembre 1754 et mars 1779.
IV. Histoire des représentations
Parmi les dates des reprises de Thésée avancées par les premiers historiens du théâtre dans la seconde moitié du XVIIIe siècle et répétées dans des ouvrages plus récents, quelques-unes se révèlent être erronées : elles sont le fruit d’une mauvaise interprétation des articles du Mercure galant. Au total, il y eut dix-neuf productions différentes, dont douze à l’Académie royale de musique de Paris et sept dans les résidences royales de Fontainebleau, Saint-Germain-en-Laye et Versailles. La confrontation des documents et des témoignages dans lesquels il est question des représentations de Thésée, a permis d’en dresser la chronologie.
La longévité de Thésée tient en partie à la faveur que lui portait Marie Leczinska. Pendant près de dix-sept ans, l’épouse de Louis XV fit jouer cet opéra en version de concert dans ses appartements privés. C’est probablement elle qui fut l’instigatrice de la reprise de Thésée à Versailles en février 1745 lors des fêtes organisées pour le mariage du dauphin, puis de celle de Fontainebleau en octobre 1754. D’autre part, les remaniements apportés par François Rebel et François Francœur en 1754, puis par Pierre Montan Berton en 1765 et Louis Granier en 1779, redonnèrent un nouveau souffle à l’ouvrage et permit de le maintenir à l’affiche de l’Académie royale de musique, cela même après la réforme du genre opérée par Christoph Willibald Gluck.

Pour en savoir plus :

La musique comme métaphore – Ana Stefanovic – chapitre V – Thésée – Un modèle pour la description musicale – page 261

http://books.google.fr/books?id=CuPolgSCAlEC&printsec=frontcover&dq=La+musique+comme+m%C3%A9taphore&sig=ACfU3U1uxA0noNtOqd7SdCy0vqavr643QQ#PPA7,M1

Représentations :

Université McGill – Canada – Salle Pollack – 14, 15, 16 novembre 2008 – Orchestre baroque de McGill – dir. Hank Knox – mise en scène Patrick Hansen – scénographie Vincent Lefèvre – costumes Ginette Grenier – lumières Serge Filiatrault

 

Opéra de Lille – 11, 13, 15, 17 mars 2008 – Orchestre et Choeur Le Concert d’Astrée – dir. Emmanuelle Haïm – mise en scène Jean-Louis Martinoty – décors Hans Schavernoch – costumes Sylvie de Segonzac, chorégraphie François Raffinot – lumières Fabrice Kebour – avec Paul Agnew (Thésée), Salomé Haller (Médée), Sophie Karthäuser (Æglé), Jean-Philippe Lafont (Égée), Jaël Azzaretti (Cérès, Cléone, une Bergère), Nathan Berg (Mars, Arcas), Aurélia Legay (Vénus, Dorine, une Bergère), Françoise Masset (La Grande Prêtresse, Minerve), Cyril Auvity (Bacchus, un Plaisir, un Berger, un Vieillard), Henri Vasselot (un Plaisir), Jean-Gabriel Saint-Martin (un Plaisir, un Vieillard), Pierre Virly (un Combattant)

Forum Opéra – 11 mars 2008 – Le Jardin des délices

« Après les premières représentations parisiennes, voici enfin à Lille ce Thésée tant attendu, fruit de la collaboration entre l’Opéra de la ville nordique, qui accueille depuis maintenant quatre ans en résidence Le Concert d’Astrée, et le Théâtre des Champs-Elysées. Projet ambitieux pour la scène lilloise, mais qui signe bien sa trop discrète mais ferme prise de position dans le peloton des scènes lyriques françaises. L’auteure de ces lignes n’était pas à la première parisienne, accueillie de façon mitigée par Viet-Linh Nguyen. Bénéfice du rodage parisien ? Des quelques jours de repos avant la reprise lilloise ? De l’effet Dany Boon ? Toujours est-il que, avec tout le respect de la confraternité, on ne reprendra ici aucune des ses remarques négatives sur le spectacle, après une soirée qui fut pour nous l’un des plus beaux spectacles lyriques vu ces dernières années. Une splendeur de tous les instants.
La partition d’abord, majeure, qu’Emmanuelle Haïm incarne littéralement. On connaît sa mobilité, sa technique de direction pour le moins originale, qui fascine ou agace. Fascination ce soir, car ce n’est pas du chiqué : Haïm se transfuse au sang de l’italien, danse, suit du corps les moindres détails, et repasse le fluide à ses musiciens et ses chanteurs avec un amour radieux et une efficacité totale. Heureuse, elle est heureuse, et la voir ainsi, comme on dit dans le nord, c’est « rien que du bonheur ». Aux agapes finales, Françoise Masset nous confiait la confiance des chanteurs à se sentir aussi fusionnels avec leur chef, portés par elle, du geste et du regard. Alors, où sont les décalages, la sécheresse de ton, les défaillances des cuivres ? Le microclimat lillois était tout de velours (bravo les bassons, les flûtes à bec…), de lyrisme, d’équilibre des timbres, de précision de dynamiques et de contrastes.
Côté plateau vocal, là aussi, rien que du bonheur dans un casting de haut vol et pertinent, qui voyait le rôle de Médée dévolu à Salomé Haller au lieu de Sofie von Otter. La scène lilloise n’a pu s’offrir la star, mais le public n’y perd rien : subtile caractérisation dramatique, entre cruauté et douleur, belle ligne de chant. On notera simplement qu’absolument aucun surtitrage n’était nécessaire : tous les chanteurs sont parfaitement compris, tous campent à la perfection leurs personnages. L’acoustique a probablement joué un rôle dans ce changement notable par rapport à la scène parisienne, car l’Opéra de Lille rend justice au moindre détail. Aucune faille dans un plateau vocal superlatif, peu avare d’engagement, de sincérité, et de vaillance vocale, à l’image d’un chœur particulièrement éloquent. Occasion de saluer le travail de trois personnes de l’ombre, chef de chœur et chefs de chant, qui ne sont évidemment pas étrangers à la clarté de la diction. Un plateau enfin de chair et d’émotion palpables, prenant dans ses rets une salle attentive, et enthousiaste au salut final.
Jean-Louis Martinoty place délibérément l’action dans le Grand Siècle versaillais, auquel ne manque aucun parterre, galerie, dorure et perspective. Mais cela est réalisé dans une vision poétique colorée et dynamique, à mille lieux de toute nostalgie sepia, que renforcent les éclairages directs – enfin un opéra qui ne se déroule pas dans le noir, si ce n’est dans la scène infernale, ce qui aurait été totalement incompatible avec le contexte de splendeur royale et de violence des sentiments. Tout est abouti, soigné dans les détails de costumes, de couleurs (palette vive et riche), de déplacements, dans un plateau entièrement exploité. Cette option dix-septième ne gêne que lorsqu’on entend une Mère supérieure de Port-Royal adresser une prière à Minerve… Quant aux éléments vidéo, tournoiements de personnages de Bosch côté Enfers ou Délices, ils nous ont semblé une alternative bien pensée aux machineries infernales du florentin, même s’ils détournent un peu de la scène un regard capté malgré lui. Mais n’en était-il pas de même des dispositifs de la création, quand on voit les dessins conservés ? »

Théâtre des Champs Élysées – 20, 22, 25, 27, 29 février 2008 – Orchestre et Choeur (chef de choeur Denis Comtet) du Concert d’Astrée – dir. Emmanuelle Haïm – mise en scène Jean-Louis Martinoty – décors Hans Schavernoch – costumes Sylvie de Segonzac – chorégraphie François Raffinot – lumières Fabrice Kebbour – avec Paul Agnew, haute-contre (Thésée), Anne Sofie von Otter, dessus (Médée), Sophie Karthäuser, dessus (Æglé), Jean-Philippe Lafont, basse-taille (Égée), Jaël Azzaretti, dessus (Cérès, Cléone, une Bergère), Nathan Berg, basse-taille (Mars, Arcas), Aurélia Legay, dessus (Vénus, Dorine), Salomé Haller, dessus (La Prêtresse), Cyril Auvity, heute-contre (Bacchus, un Plaisir, un Berger, un Vieillard), Jean-Gabriel de Saint-Martin, taille (un Plaisir, un Combattant, un Vieillard), Henri de Vasselot, basse-taille (un Plaisir)


La Tribune – Un Thésée séduisant au Théâtre des Champs Elysées – 22 février 2008 – Emmanuelle Haïm dirige la tragédie lyrique de Lully avec charme et rigueur. Un alliage réussi.

« Décidément, quelle belle musique que celle de Lully ! Particulièrement quand elle est jouée avec la finesse et la justesse du Concert d’Astrée, dirigé par la sémillante Emmanuelle Haïm. Jusqu’au 29 février, la chef et son orchestre font leurs débuts dans la fosse du Théâtre de l’avenue Montaigne avec la musique délicate et enthousiasmante de « Thésée ».
Le long prologue, écrit à la gloire de Louis XIV par son compositeur fétiche, pouvait pourtant faire craindre que le spectacle entier ne fût qu’une vaste exposition. Mais cinq actes plus tard, le charme de la troisième tragédie lyrique de Lully et du librettiste Quinault a définitivement opéré. L’oeuvre, créée comme « Cadmus et Hermione » d’après les « Métamorphoses » d’Ovide, recèle, à côté des grands airs choraux traditionnels, de petites apparitions musicales intimes et merveilleuses. Ici un duo de vieillards burlesques, là une fin inattendue, une flûte s’éteignant… jusqu’au noir.
Si l’absence de surtitre peut de prime abord sembler un peu gênante, elle permet surtout d’apprécier la très bonne diction des interprètes. Anne-Sofie von Otter incarne ainsi, dans un français parfait, une Médée aussi vénéneuse qu’amoureuse. La distribution est d’ailleurs très réussie, de Paul Agnew en Thésée plutôt discret, à Sophie Karthaüser en Aeglé émouvante, en passant par l’excellent Nathan Berg.
La mise en scène de Jean-Louis Martinoty joue intelligemment, grâce aux ingénieux décors de Hans Schavernoch et aux lumières de Fabrice Kebour, sur les effets de miroir. Notamment ceux qui existent entre la tragédie lyrique et le roi Louis XIV. Comme dans l’oeuvre, le monarque est ici partout, ainsi que Versailles (en fond, la chapelle royale ou bien le plafond d’Apollon peint sur du tulle) et plus particulièrement ses jardins et ses fontaines. Versailles est le miroir du Roi, et « Thésée » est leur vitrine. On achète ! »

Res Musica – 20 février 2008

« Il est des charmes qui demande à maîtriser les justes proportions des filtres pour agir, mais ce soir pour la première de Thésée au Théâtre des Champs-Elysées, reconnaissons que les apprentis sorciers ne les ont pas toujours trouvées. » (suite)

ConcertoNet – Le retour de Lully – 20 février 2008

« Le renouveau du répertoire lyrique baroque a un peu, il faut le dire, délaissé Lully au profit de Haendel ou Rameau, même si c’est l’un de ses opéras – Atys en 1986 – qui a marqué cette renaissance. Hormis une version de concert remontant à dix ans (lire ici), Thésée (1675) est oubliée à Paris. Changement de tendance ? Deux Lully sont donnés cette saison, et on en annonce d’autres les années qui viennent au Théâtre des Champs-Elysées. Après le magnifique Cadmus et Hermione à l’Opéra comique, voici donc Thésée. Benjamin Lazar, dans Cadmus, défendait une approche fondé sur une recherche très poussée de la reconstitution historique, Jean-Louis Martinoty, s’il ne reprend pas ce point de vue radical et contestable, n’en oublie pas moins l’arrière plan historique en prenant comme décor de grandes reproductions photographiques de Versailles (jardins, plafonds, Galerie des glaces). L’effet est splendide. Des projections de personnages de cauchemar de Jérôme Bosch représentent avec tout autant de justesse les sortilèges de la magicienne Médée. La distribution est remarquable et réunit parmi les grands noms du chant baroque (Paul Agnew, Anne-Sofie von Otter, Nathan Berg, Aurélia Legay, Jaël Azzaretti, Cyril Auvity) et, on l’attendait moins ici mais il excelle, Jean-Philippe Lafont. Animant chaque seconde de cette partition Emmanuelle Haïm est le véritable maître d’œuvre de ce spectacle à marquer d’une pierre blanche. »

Forum Opéra – 20 février 2008

« Après son Alceste d’il y a presque dix ans, on attendait avec impatience le retour de Jean-Louis Martinoty chez Lully. Le metteur en scène n’a guère changé d’optique en prônant une lecture théâtrale et baroquisante : devant des photos de Versailles représentant la Chapelle Royale, la grande perspective du Tapis Vert et du Grand Canal, la Galerie des Glaces, ou encore un plafond à caissons des Grands Appartements, les protagonistes évoluent en justaucorps, baudriers et perruques. On louera avec enthousiasme la qualité des costumes confectionnés par Sylvie de Segonzac, notamment celui de Thésée directement inspiré d’une tenue de campagne de Louis XIV, tout en déplorant les éclairages trop cru de Fabrice Kebour (il est vrai handicapé par un sol noir réfléchissant), et des diaporamas géants qui brisent la ligne narrative en forçant le spectateur à regarder ce qui rassemble indubitablement à un home cinéma prétentieux.
Le Prologue traîne en longueur, de même que le grand divertissement du quatrième acte, et Martinoty meuble alors sans conviction la scène avec une bande de saltimbanques de la comedia dell’arte, discréditant totalement les compliments de rigueur adressés au monarque ainsi que les interventions divines. En revanche, l’acte premier est particulièrement soigné, et l’idée du plan de Vauban utilisé comme carte d’état-major très judicieuse, alors que l’on a célébré en 2007 le tricentenaire de son décès. Les passages aux Enfers sont également très bien rendus, et la rupture de ton qu’ils induisent avec l’introduction de trucages numériques et de monstres inspirés des peintures de Bosch s’avère d’une rafraichissante horreur. Le principal reproche que l’on adressera à cette mise en scène stylée – outre les gadgets numériques superflus – est sa froideur distanciée où les personnages ne sont que de nobles silhouettes (ou des enregistrements vidéo de ceux-ci) sans vie. Si l’on excepte le magnifique monologue de Médée « Dépit mortel, transport jaloux » (III, V) et le début de la séquence infernale (fin du 3ème acte), force est de constater que jamais au cours de la tragédie l’on ne s’inquiète réellement du sort de nos héros emperruqués.
Anne Sofie von Otter a offert une sublime incarnation de Médée. Personnage de chair et de sang, femme vulnérable et troublée à l’âme fière et emplie d’une bouillonnante souffrance, la cantatrice a su composer un portrait d’une grande finesse psychologique. En outre, son art de la déclamation – au centre de la tragédie lyrique qui est avant tout du théâtre chanté – laisse vibrer les consonnes, respecte la prosodie et les « -e » muets, éclaire le texte de la clarté qui tombe des étoiles. Ce n’est hélas pas le cas de tous ses partenaires, comme s’en plaignait notre voisine à l’entracte qui réclamait des surtitres. Pourtant, Paul Agnew campe un galant Thésée, peu conquérant mais parfait galant homme en dépit d’un manque de projection et d’aigus tirés. Son père et rival échoit à Jean-Philippe Lafont, basse chaleureuse mais brouillonne. Et l’on comprend que les deux hommes succombent au timbre argentin et pur de Sophie Karthäuser qui n’a cependant pas les aigus transparents et dynamiques de sa suivante Cleone (Jaël Azzaretti). Nathan Berg, à force de surjouer le guerrier Arcas et d’en faire une veule caricature, finit par rendre sa ligne de chant approximative et peu avenante. Enfin, on se réjouira des trop rares apparitions de Salomé Haller, prêtresse grecque attifée en religieuse de Port-Royal.
L’orchestre et le chœur du Concert d’Astrée n’étaient pas au meilleur de leurs formes, avec des départs souvent décalés, et une certaine sécheresse de ton qui ne leur est pas habituelle. Inégaux, les choristes ont parfois fait montre d’une cohésion et d’un entrain communicatifs (chœur de triomphe de Thésée, scène infernale), mais les parties étaient de temps à autre mal équilibrées (acte premier notamment). De même, l’orchestre a manqué d’ampleur et de souffle dès l’ouverture saccadée, où le rythme pointé et majestueux s’est mu en exercice claudiquant. Alors que les bois et le continuo étaient charmants de couleur (le gambiste Atsushi Sakaï en particulier), les cuivres ont rapidement laissé voir leurs limites malgré de trompettes baroques (1) : les trilles sont savonnés, le son plus toussotant que rutilant. »

Webthea – Versailles comme si on y était…

Une leçon de choses aux reférences picturales – Ici, contrairement à la production de Benjamin Lazar, pas de recherches « à l’identique » éclairées à la bougie, mais une plongée dans le Grand Siècle censée en décrypter les portées et les symboles. Jean-Louis Martinoty le metteur en scène propose une sorte de leçon de choses traversant le temps et l’espace, avec les multiples références picturales qu’il affectionne. Il y a trois ans il avait déjà transposé Les Noces de Figaro de Mozart dans les clairs-obscurs d’un musée imaginaire (voir webthea du 16 octobre 2005). Dès le lever de rideau, c’est Versailles comme si on y était, et Louis XIV auquel l’œuvre est dédiée apparaît dès le prologue avant de prendre les atours et les contours du rôle titre. De fait ce Thésée amoureux est plutôt mal intitulé car, dans le livret tiré par Philippe Quinault des Métamorphoses d’Ovide, ce n’est pas lui qui en est le personnage principal, mais Médée, la magicienne qui en est éprise. Médée, la mal aimée éconduite qui va user de tous les sortilèges de son pouvoir pour se venger de son heureuse rivale…
Illusions, tours de magie, cascades d’allégories – Le vieux monarque Egée doit prendre Médée pour épouse, mais il lui préfère la jeune et fraîche Aeglé… Médée, amoureuse du victorieux Thésée, est ravie de l’aubaine, mais, Aeglé, comme elle, n’a d’yeux que pour le même héros. Egée avoue avoir un fils caché dont il a perdu la trace et propose en guise de troc de le refiler à la magicienne ignorant que Thésée et l’enfant clandestin ne font qu’un… Deux femmes pour un homme, l’infernal trio est dupliqué chez les confidents, Arcas, celui d’Egée aime Cléone la suivante d’Aeglé mais est également aimé de Dorine qui œuvre au service de Médée…
Illusions, tours de magie, cascade d’allégories se rapportant aux événements de la cour, l’œuvre aligne au pas de course intrigues et rebondissements. Martinoty les illustre de d’une pluie de projections filmées, d’effets de miroirs, de décors flamboyants signés par son habituel compagnon de route Hans Schavernoch. Des vues sur jardin, des gros plans sur des détails de toiles peintes, la galerie des glaces en perspective, l’intérieur de l’église servant d’infirmerie, et toutes sortes d’effets spéciaux avec notamment Thésée endormi sur un lit volant… Anachronisme poétique ou paraphrase pédagogique ? En lieu et place des « affreux déserts » ou de « l’île enchantée » des 3ème et 4ème actes, Martinoty expédie en jets continus une pléiade de monstres tirés du Jardin des Délices et du Jugement Dernier de Jérôme Bosch.
Un langage esthétique et savant – Tout bouge, les images défilent en mouvement perpétuel jusqu’à éclipser actions et personnages. Martinoty a inventé un langage esthétique et savant dont il use et abuse jusqu’à donner le tournis. On aimerait quelques plages de répit sur la durée – 3 heures de musique + 2 entractes – pour apprécier les danseurs acrobates chorégraphiés par François Raffinot qui transcendent avec humour et agilité la gestique baroque.
Pour surtout entendre plus sereinement la performance des chanteurs : le Thésée à l’impeccable projection du ténor Paul Agnew, fin spécialiste de ce répertoire et familier de nos scènes, l’Egée plus inattendu de Jean-Philippe Lafont, apportant en épaisseur la note burlesque qui en ces temps-là éclairait toute tragédie, l’exquise Sophie Karthäuser en Aeglé limpide, tout comme la fraîche Cléone de Jaël Azzeratti. Excellente prestation également du baryton basse Nathan Berg, Arcas agile à la diction impeccable. Il est l’un des rares (avec Agnew) dont on comprend chaque mot prononcé. Les textes étant en français, la production a fait l’économie des sur-titrages, ce qui, brouille comme d’habitude l’audition des timbres aigus. En Médée, Anne Sofie von Otter plus fée aristocratique que méchante sorcière, conserve intacte sa lumineuse présence, même si le timbre a perdu de la chaleur ignifuge d’autrefois.
L’énergie solaire d’Emmanuelle Haïm – Mais l’incontestable réussite de la soirée vient de la fosse traditionnellement surélevée des baroqueux. L’énergie solaire d’Emmanuelle Haïm, son charme, son aplomb, la vigilance qu’elle accorde à chaque instrument, à chaque voix, électrise Lully, le met en ébullition. Les continuos de son ensemble Le Concert d’Astrée, les clavecins, les violes, les théorbes, trompettes naturelles, flûtes et hautbois sont à la fête et nous entraînent dans leur swing. »

Le Monde – « Thésée », un Lully « post-baroque »

« Jean-Louis Martinoty, metteur en scène du Thésée (1675), de Jean-Baptiste Lully (1632- 1687), que présente le Théâtre des Champs-Elysées (TCE), à Paris, explique, dans un documentaire visible sur le site Internet www.theatrechampselysees.fr, combien, à l’époque où Lully écrit cette « tragédie en musique », le château de Versailles est la « grande affaire » du roi et pourquoi il a choisi, pour les éléments du décor, des « citations » du bâtiment et de ses jardins. Il précise aussi combien Thésée se rapporte constamment au monarque, au-delà même du prologue qui est traditionnellement, et selon les termes à la bonne franquette de Martinoty, « un cirage de pompes louis-quatorzième ».
Cette présentation bonhomme pourrait faire oublier que la réflexion de Martinoty sur ce répertoire est finement cultivée et éminemment politique. Sa façon de regarder le monde de l’opéra, toute personnelle qu’elle est, est l’une des rares à ne pas imposer des verres déformants au spectateur. Martinoty, qui nous indique des pistes sans nous faire la leçon, a imaginé un monde baroque avec le confort moderne, et traité Thésée avec des guillemets de précaution. Il a réussi cet « entre-deux » stylistique risqué, qu’on qualifierait, comme la chorégraphie de François Raffinot, de « post-baroque » (comme on dit postmoderne).
Martinoty pousse sûrement un peu trop le goupillon lorsqu’il fait invoquer la déesse Minerve à une bonne soeur dans le cadre de la chapelle du château transformée en infirmerie de guerre. Il lasse aussi lorsque, à la fin de l’ouvrage qui traîne un peu en longueur, il abuse des effets vidéographiques dans le genre « soirée diapos » avec vues sur Versailles et zoom sur Louis le Grand qu’on entendrait presque dire à la caméra : « M. De Mille, je suis prêt pour mon close up. » C’est dommage, mais l’intelligence du spectacle, reçu sans la moindre huée, ce qui est rare à Paris, n’en souffre pas.
Anne Sofie von Otter (Médée), au français parfait, donne les signes de l’émotion plutôt que l’émotion, comme le reprochait Roland Barthes au baryton Gérard Souzay. La voix est monochrome et manque de chair. Aussi abuse-t-elle des pianissimos pour augmenter artificiellement sa palette de nuances. A l’Opéra de Lille, où Thésée sera repris mi-mars, Salomé Haller, distribuée dans le petit rôle de la « bonne soeur » (une prêtresse dans le livret), la remplacera. Les Lillois ne seront sûrement pas déçus par cette chanteuse discrète mais exceptionnelle. Les rôles secondaires constituent le meilleur de la distribution, notamment le couple de valets (avec l’excellente Jaël Azzaretti).
Emmanuelle Haïm, chef d’orchestre, a fait un travail formidable : elle donne une cohésion à cette partition faite de maillons contrastés (on passe d’un petit motet à trois voix à un choeur, via un air de cour ou un Te Deum profane), ne détend jamais la courroie de transmission entre fosse et scène. Avec un rien de contrastes supplémentaires, ce Thésée sera un vrai bonheur. »

Altamusica – Si Versailles m’était démontré – 22 février 2008

« Au Théâtre des Champs-Élysées, Thésée s’érige en miroir de Versailles, reflétant des personnalités vocales aussi fortes que disparates engluées dans une dramaturgie exégétique que guette plus d’une fois l’ennui. Érudite, pavée de références littéraires, picturales – Jérôme Bosch, ses Enfers comme ses Délices tourbillonnant jusqu’à la nausée, parce qu’à l’instar de Médée, son art est « aussi séduisant que barbare », et surtout « le plus éloigné du goût classique français » –, la production de Jean-Louis Martinoty évoque en effet les Petits Classiques Larousse, où les notes en bas de page ne cessent d’empiéter sur le texte.
Aulique, la troisième tragédie en musique de Quinault et Lully l’est assurément, et la figure du Roi commanditaire y est exaltée à la moindre occasion. Mais pourquoi vouloir à ce point démontrer, démonter le livret jusqu’à engloutir la fable mythologique sous les marbres de Le Vau et Mansart et les parterres de Le Nôtre ?
Au-delà du Prologue qui authentiquement s’y déroule, Thésée vire dès lors au film publicitaire à la gloire de Versailles, atteignant son apogée quand Minerve, s’invitant à la Chapelle royale, suscite un ballet de religieuses en transe où la dérision sombre dans le ridicule. Au moins la chorégraphie de François Raffinot assume-t-elle ses clins d’œil, Michael Jackson compris, sans pontifier.
Car la science, chez Jean-Louis Martinoty, occulte décidément un théâtre pourtant habile, de surcroît entravé par une intelligibilité intermittente qui rend l’absence de surtitrage préjudiciable à la saveur de la musique de Lully, puisque celle-ci se goûte le plus souvent dans les vers. Il y a là matière à rouvrir le débat sur l’emploi de la prononciation restituée. Car si le français chanté de Cadmus et Hermione n’était pas tout à fait le nôtre, pas un de ses mots ne se perdait. Les efforts d’articulation visibles des protagonistes n’en peuvent, mais les mots ne passent pas ici la rampe, à l’exception de ceux de Salomé Haller, Cyril Auvity et Paul Agnew, avantagés peut-être par leur familiarité avec ce répertoire.
Aussi formidable soit-il en barbon libidineux, Jean-Philippe Lafont n’a, il est vrai, plus grand-chose à y faire, tant la voix déborde le cadre. Ailleurs exceptionnelle d’à-propos, Sophie Karthäuser fait une Aeglé trop purement décorative, et devrait s’épanouir davantage dans Rameau. Même Anne Sofie von Otter, qui habituellement réussit toutes les métamorphoses – et ce n’est pas son moindre mérite que d’approcher Médée par l’angle de la fragilité qui évite de souligner l’usure du timbre –, ne parvient pas tout à fait à se hisser à la hauteur de son personnage.
Sans doute parce que Martinoty lui refuse la place centrale que lui ont octroyée Quinault et Lully, orientant tous les regards sur un héros éponyme fardé en Louis XIV, qui pourtant chante si peu. Mais aussi parce qu’Emmanuelle Haïm, audiblement en deçà de ses intentions de continuiste – elle assistait William Christie lors de la recréation de l’œuvre dans le cadre de l’Académie d’Ambronay –, demeure assez constamment lisse, avec quelques clinquantes embardées de percussions à l’authenticité douteuse. À défaut d’inspiration, le Concert d’Astrée n’en révèle pas moins une mise en place d’une propreté inhabituellement conforme à une production discographique surestimée. »

Concertclassic – Adieu Thésée

« On peinera à convaincre Jean-Louis Martinoty que l’abus de culture tue la culture, et pourtant son Thésée en est la parfaite démonstration. Embarrassée dans des décors étouffants (Hans Schavernoch) où Versailles se voit mis en abyme jusqu’à la nausée, sa relecture des aventures d’Aeglé et de Thésée à l’aune des péripéties amoureuses du roi Soleil et de la Montespan aboutit à une singulière réduction de sens. Evacuée la mythologie par laquelle Médée (on suppose que Martinoty l’associe à la Brinvilliers), qui est la véritable héroïne de l’intrigue justifie son personnage, envolée la possibilité des enfers autrement vue que comme une grotesque nuit des morts vivant (avec en point d’orgue un méchant coup de projecteur sur le visage révulsé d’Aeglé).
A force de vouloir lire le politique dans les ouvrages de Lulli on en oublie la vraie trame dramatique. Les sortilèges de Médée, transformés en un bombardement intersidéral d’objets boschiens parfaitement identifiés, tournent à vide et écœurent rapidement, perdant leurs pouvoirs, et comment ne pas sourire devant cette pauvre Aeglé qui, encore prisonnière des enfers, nous montre tous les états de décomposition de son visage. Ah ! La vidéo ! Chausse-trappe majeur de ce spectacle assurément.
La distribution laissait un peu sans voix : Anne-Sophie von Otter n’en a jamais eu beaucoup, mais du moins compose-t-elle un vrai personnage, Jean-Philippe Lafont s’est trompé d’opéra – on croit voir entrer le Baron Ochs – et de style, Nathan Berg chante dans la caverne de sa gorge, Sophie Karthäuser est parfaite mais indifférente, Jaël Azzaretti trouve souvent de belles idées poétiques mais on l’a connu plus fine diseuse qu’ici ; Salomé Haller vit avec emphase la révélation mystique (façon Bernadette Soubirous) de la Grande Prêtresse confrontée à la parole divine à l’éclaircissement de l’opéra et chante bien tout ce qu’elle chante ; on reste curieux de la Médée qu’elle réserve aux Lillois. Belle Dorine, assez joueuse et piquante, d’Aurélia Legay, Paul Agnew fait très bien le peu que Lulli lui demande.
Seul moment réussi, en dehors des beaux ballets de François Raffinot qui fait (bien) avec le petit espace qu’on lui laisse, le couple des vieillards au divertissement du II, chanté à tue tête par Cyril Auvity et Jean-Gabriel Saint-Martin. Sous tout cela (et très en-dessous), le grand orchestre symphonique d’Emmanuelle Haim joue atone, pâle, réveillé seulement par la trompette. Un mystère demeure : Thésée est une partition faible. Comment peut-il précéder le coup de génie qui suivra jour pour jour une année plus tard : Atys. »

Diapason – Thésée pour les nuls – 27 février 2008

« Inutile de comparer deux propositions portant sur des oeuvres aussi différentes : argument prétexte (au grand spectacle, au merveilleux) pour l’attachant prototype de Cadmus, intrigue dense, finement tissée autour de la monstrueuse Médée pour la troisième tragédie lyrique du tandem Lully­Quinault. De ce point de vue, Jean-Louis Martinoty remplit le contrat de Thésée : mots, passions et personnages sont caractérisés et articulés par une formidable direction d’acteurs. L’ambitieuse architecture du I, tout en champ / contrechamp et hors champ sur l’amour, le ciel et la guerre-gloire, est idéalement lisible. Bravo. Mais à quel prix ! Voici pour le Temple de Minerve une vision glaciale de la Chapelle royale versaillaise investie par des généraux groupés autour d’un plan de Vauban et des nonnes accueillant les victimes du combat. Tous plantés sur un sol noir brillant et sous des lumières terribles qui javellisent les perruques et attisent le clinquant tutti frutti des costumes. Lully fait expirer un soldat invisible, ses quatre vers chantés depuis les coulisses suffisent à dire l’horreur des combats ? Le voici exhibé au centre du tableau. Qu’elle est démonstrative, cette intelligence qui par ailleurs restitue fidèlement la richesse du livret ! Qu’il manque de noblesse, cet efficace « Thésée pour les nuls », dès le Prologue auquel Martinoty réinjecte le roi pour l’associer (par l’habit) au héros de la tragédie. Le symbole, transparent en 1675, fait place aux clins d’oeil pesants, le délicieux préambule obligé prend une importance dramatique disproportionnée. Surtout, la composition de Paul Agnew en amant geignard ruine l’idée autant qu’elle désamorce les répliques acérées du dialogue avec Médée.
C’est heureusement le seul portrait raté d’une superbe galerie. On peut bien sûr imaginer sans peine un Egée plus distingué (personnage et chant) que Jean-Philippe Lafont, mais son numéro de Baron Ochs Grand Siècle, certes peu crédible en souverain, fait son effet. Partout ailleurs, quel luxe ! Dans les utilités confiées à Cyril Auvity, la Dorine d’Aurelia Legay, la Prêtresse en extase de Salomé Haller, la Cléone de Jaèl Azzaretti, tous magnifiques. Belle surprise pour l’Arcas plein d’esprit de Nathan Berg, Aeglé pudique et touchante de Sophie Karthäuser, Médée insinuante et cruelle d’Anne Sofie von Otter, manquant d’éclat vocal dans les fureurs mais experte en double sens et en regards de travers. On s’en veut presque d’avoir des réserves sur la mise en scène tant les chanteurs et le texte s’épanouissent dans le théâtre de Martinoty. Emmanuelle Haïm est à son meilleur dans cette musique où l’essentiel est de guider et servir amoureusement la déclamation ; sa direction n’a pas encore tous les contrastes qui pourraient porter un monument si vaste, mais quels progrès tout de même Et quels progrès dans son Concert d’Astrée qui offre pour la première fois un son de cordes éloquent, plein, résonnant. Tout arrive ! »

Opéra Magazine – avril 2008 – 29 février 2008

« Après Atys (1676), en 1987 à l’Opéra-Comique, la première reprise à la scène d’Alceste (1674), en 1991 au Théâtre des Champs-Ely­sées, a constitué une date majeure dans la renaissance de l’oeuvre de Lully. Cette nouvelle production de Thésée (1675), signée par le même Iean-Louis Martinoty, n’est pas moins importante (l’édition critique sera publiée par Pascal Denécheau courant 2008). Pas tout à fait un inédit, depuis la parution récente du premier enregistrement, mais, après le concert mis en espace à Ambronay en 1998, une création scénique française de poids. Au spectacle, qui s’inscrit dans la droite ligne de l’Alceste de 1991, nous ne ferions qu’un reproche : ne pas nous avoir surpris. Nous espérions un travail d’une grande beauté et d’une extrême intelligence : nous l’avons eu, et quelques lignes ne peuvent suffire à en rendre compte. Le parti, sur lequel son auteur s’est longuement expliqué, est simple, mais très fort et d’une parfaite efficacité. Dans cette machine au service du pouvoir royal qui soutient et guide fermement le compositeur et le librettiste, Thésée est Louis XIV lui-même, l’oeuvre marquant, au sortir des guerres, la volonté du souverain de se consacrer aux arts, et avant tout à Versailles où il va bientôt se fixer définitivement. Situé en ces lieux, le Prologue, plus que jamais indispensable, s’ouvre sur l’admirable image de fond du Grand Canal sous la neige, après qu’a pivoté un système ingénieux de modules portant glaces, miroirs et peintures, qui reviendra à plusieurs reprises. L’opéra se conclut également là-dessus, dans un crescendo dont Martinoty a le secret sur l’éclatant choeur fmal, le monarque et sa compagne, de dos à l’avant-scène, assistent à une focalisation d’images vidéo sur des vues anciennes du château, asile bienfaiteur restitué par Minerve, avec arrêt sur le ciel chargé de nuages menaçants qui le domine au soleil couchant, préfigurant les jours difficiles à venir. Splendide!
Entre-temps, d’autres magnifiques tableaux ont situé l’action à l’entrée de la galerie des Glaces et, surtout, dans la Chapelle royale, par deux anticipations chronologiques qu’on pardonnera aisément (l’une et l’autre sont en effet postérieures à la création de Thésée). Une première fois. bien en situation, à la fin de l’acte 1, pour la cérémonie religieuse du temple de Minerve, converti temporairement en salle d’état-major et infirmerie de guerre — comme le justifie pleinement le texte. Une seconde au V, pour la réapparition du palais. Parmi tant d’autres inventions admirables, où le talent de Hans Schavernoch atteint son zénith, citons ce plafond versaillais placé à la verticale (un tulle, au travers duquel on verra l’affrontement deThésée et d’Æglé au IV, pendant que Médée épie leurs paroles au premier plan), où les peintures s’effacent d’un coup pour laisser paraître la fabuleuse mise en mouvement des figures fantastiques de Jérôme Bosch, et son non moins subjuguant Paradis du Jardin des délices du Prado, vision de l’île enchantée suscitée par Médée. En dépit des ressources techniques limitées du théâtre, Martinoty et Schavernoch parviennent ainsi à restituer toute la magie des « machines et changements » du Grand Siècle, avec l’aide également des merveilleux costumes de Sylvie de Segonzac et d’un ballet dépassant intelligemment la reconstitution archéologique.
L’art de Martinoty metteur en scène se situe à la conjonction, qui lui est propre, de celui, également exceptionnel, du dramaturge, du directeur d’acteurs et de l’esthète. Le directeur d’acteurs triomphe ici dans les dialogues. Sauf que dans cette attention portée à la dissection de l’entrelacement de la rhétorique amoureuse et de celle du pouvoir; c’est un peu de la force de l’oeuvre achevée (l’union indissoluble d’un texte et d’une musique transcendant à l’évidence ces composantes de base) qui risque de s’émousser. De façon assez inattendue, c’est un Lully « précieux »que nous avons d’abord vu, au sens de l’époque comme à celui du nôtre, y compris dans ces habiles et nombreuses touches d’humour réintroduites par le réalisateur pour bien souligner qu’il n’approuve pas la présentation qu’on fait ordinairement (et encore dans le programme !) de ce qui serait la première oeuvre uniquement sérieuse de Lully. Du même coup, et malgré la beauté extraordinaire des images comme celle d’une éblouissante partition, on ne peut pas dire que l’émotion soit souvent présente.
La responsabilité en incombe peut-être, pour une part, à la partie musicale et à la composition d’un plateau pourtant de très haut niveau, et de diction exemplaire (le surtitrage n’était pas nécessaire). La spontanéité et la simplicité dans le jeu de l’Æglé de Sophie Karthäuser (déjà à Ambronay en 1998), ses moments d’impulsion, réussissent à toucher. Comme le naturel qui habite le jeune et bondissant Arcas de Nathan Berg, danseur autant que chanteur, doté d’un très beau timbre (idéal pour « Lorsque par le feu du bel âge » au III). Comme encore l’Égée d’un Jean-Philippe Lafont au trait plus large, plus gras même, mais juste et d’une sobriété bienvenue. En total contraste, la Médée d’Aune Sofie von Otter impose une extrême sophistication, tant dans l’alternance d’imperceptibles pianissimi et de soudains accents expressifs que dans le jeu des bras et des mains : à la limite d’un maniérisme qu’évoquent aussi sa silhouette élancée et sa robe d’un satin vert mordoré à la Pontorrno. »

Alma Opressa

Après la relative déception de Cadmus et Hermione, j’attendais beaucoup de cette production. Espoir déçu en grande partie à cause de l’oeuvre elle même qui est loin d’être une réussite dans l’oeuvre de Lully et surtout de Quinault. S’il est évident que les actions mythologiques présentées sont avant tout un miroir de la vie de la Cour, Quinault n’en est pas moins un grand dramaturge capable d’architectures rigoureuse et de textes émouvants comme peuvent le prouver des livrets tels qu’Armide ou Proserpine. Or le livret de Thésée n’est vraiment pas à son honneur: prologue sans intérêt, acte I qui n’est qu’un grand « bruit de guerre », sorte d’excroissance du prologue dans le drame qui ne commence vraiment qu’au II; et encore, les divertissements, en plus d’être interminables, tombent rarement au moment opportun, les scènes arrivent souvent comme des cheveux sur la soupe (le retour de Médée au V!) et certaines phrases sont répétées jusqu’à plus soif au milieu d’un texte qui ne brille ni par son invention ni par sa profondeur. Seuls les passages de Médée sont passionants, tant par la richesse du texte que par l’esquisse du personnage célèbre et récurrent de la magicienne amoureuse. Sur un livret si inégal, la musique tient souvent du Lully au kilomètre, c’est toujours très agréable à écouter mais peine à soutenir le drame et à émouvoir, sauf encore une fois pour les scènes de Médée qui sortent du lot. Je suis vraiment étonné de voir sous la plume de Piotr Kaminski cette oeuvre si bancale élevée au rang de chef-d’oeuvre.
Dans ce contexte, retenir l’attention du spectateur pendant presque trois heures relève de la gageure et Jean-Louis Martinoty y arrive, même si on l’a connu beaucoup plus inspiré ailleurs. Le gros défaut de cette mise-en-scène est en effet d’user jusqu’à la corde des procédés qui auraient été les bienvenus de façon ponctuelle. Par exemple: pendant la scène de sorcellerie de Médée, l’élégant plafond peint dans le style 17ème français et projeté en fond de scène se transforme en une lanterne magique où errent des figures issues des tableaux de Bosch ou le portrait d’Aeglé au visage mortifié et défiguré; ce qui eut été interessant 5 minutes devient lassant au bout de 20, sans compter que cette projection vidéo est parfois le seul élément censé figurer l’horreur de la scène; autre exemple: la trappe en milieu de scène utilisée au moins trois fois de façon très très prévisible et par laquelle disparait Médée au V… en se cachant sous la table! On était habitué à plus de dignité de la part de la Colchidienne! Le reste de la mise en scène n’est pas indigne mais manque d’imagination (les projections vidéos du chateau de Versailles lors du final sont l’exacte illustration du livret) et pêche par la conception du personnage de Thésée/Louis XIV: comme souvent le personnage royal brille par la rareté de ses scènes, alors en faire un type perdu sans energie et accablé par le sort… Passés ces idées un peu courtes et répétitives, les décors stylisés d’Hans Schavernoch sont agréables à défaut d’être signifiants et les costumes d’époques ne sont pas portés avec la même prestance par tous (Agnew et Lafont sont particulièrement peu crédibles pour ne pas dire ridicules). La direction d’acteurs est claire à défaut d’être foisonnante, et réussit à se maintenir même pendant les ennuyeux divertissements, on lui en sait gré. Les chorégraphies de François Raffinot ne sont pas toujours de la meilleure eau: j’ai toujours pensé que la capoeira était une bonne idée pour les batailles handeliennes, mais elle se justifie moins pendant les scènes de triomphe; la danse des morts est assez caricaturale et maladroite; par contre la scène de sorcellerie et la gestion de la foule est excellente, grace aussi aux très beaux et vivement colorés éclairages de Fabrice Kebour.
Emmanuelle Haïm à la tête du Concert d’Astrée étonne par la vivacité de sa direction, voilà un ensemble que je n’appréciais que moyennement quand je l’ai découvert mais qui me plait de plus en plus même si je trouve que cela manque toujours cruellement d’esprit et d’intelligence dans Handel. Ici c’est animé, consistant et toujours habité, on atteint pas les splendeurs du Concert Spirituel mais c’est largement suffisant pour mes oreilles qui sont pourtant très difficiles pour ce repertoire. Excellent aussi le choeur à la diction claire et percutante.
Paul Agnew est un Thésée absent et geignard, j’ai détesté; Jean-Philippe Lafont est bien prosaïque pour le roi Egée et ses talents de récitativistes (que l’on pouvait admirer dans L’Etoile) masquent mal sa laideur vocale; Jaël Azzaretti est toujours aussi impeccable, ça manque un peu de caractérisation mais il serait crétin de le lui reprocher ici; la voix d’Aurélia Legay m’a semblé assez sérrée mais ne manquait pas de dramatisme; Salomé Haller est splendide en prêtresse; Cyril Auvity parfait pour ce repertoire et la voix rocailleuse mais néanmoins stylée de Nathan Berg confère une vraie personnalité et donc vie à son personnage pourtant bien commun. Reste la superbe Aeglé de Sophie Karthäuser à la voix pure et à l’expression parfaitement maitrisée, voire un peu trop si l’on veut chipoter. Ce manque relatif de sincérité, on ne peut le reprocher à la Médée d’Anne-Sophie von Otter qui justifie à elle seule ce spectacle: certes la voix est un peu légère pour les affres de la magicienne et ressemble un peu trop à Aeglé mais quelle intelligence dans la déclamation, quel port, quelle authenticité, quelle variété et quelle imagination dans les nuances toujours justifiées. Le chant est d’un tel naturel que le personnage semble simplement parler dans une langue suresthétisée. »

Operabase – L’Atelier du chanteur

« Martinoty et Schavernoch signent une production comme à leur habitude intelligente scéniquement et superbe visuellement. Emmanuelle Haïm dirige avec une énergie souple un Concert d’Astrée au son brillant et plein. La salle comble est enthousiaste, que demander de plus? Peut-être un plateau vocal plus homogène? Une compréhension encore plus parfaite du français en l’absence de surtitres ?
Si ces surtitres avaient été présents ou si l’on avait été étranger, aurait-on été fasciné, indépendamment du texte, par la beauté vocale et la musicalité déployées? Non, car ce n’est pas le but recherché par une « tragédie en musique ». Non, car le rayonnement purement vocal des chanteurs n’était pas optimal.
Cette production est intelligente et originale en ce qu’elle respecte les codes baroques tout en se permettant la liberté de les outrer, critiquer ou dépasser. Elle est « scénographiée » à l’extrême, mettant en abîme le regard du spectateur d’aujourd’hui sur l’époque baroque et le regard du roi et de la cour sur elle-même à travers la « tragédie ». Tragédie d’ailleurs bien légère, puisqu’elle ne semble être qu’une trame, un prétexte à maintes galanteries. Le marivaudage y semble érigé en norme sociale.
Côté baroque, la chorégraphie de François Raffinot est un gage d’authenticité. Le Concert d’Astrée offre également tout ce que l’on peut attendre de la partition. Décors et effets sont spectaculaires. Si ces éléments comblent ou dépassent l’attente, le travail de déclamation et de théâtre effectué par et avec les chanteurs aurait sans doute pu être poussé plus loin : ces chanteurs nous offrent une lecture de la partition, mais guère plus. Mais le choix de la distribution ne limitait-il pas d’emblée toute possibilité de dépassement? Que l’on songe par exemple à la consensuelle Anne Sofie von Otter en Médée : son seul choix ne nous prive-t-il pas déjà de l’excitation incroyable, de la charge sensuelle et émotionnelle qu’apportait au rôle la jeune Stéphanie d’Oustrac en 1998?
Paul Agnew se sort très bien d’un rôle peu exigeant auquel son timbre plaintif (et ce soir peu ampoulé) peut convenir. Mais ne nous prive-t-il pas d’un autre Thésée plus jeune qui nous aurait étonnés, stupéfaits? Serait-ce Cyril Auvity? Peut-être pas, car il privilégie une émission directe et ouverte, pénible dans l’aigu. Aurélia Legay séduit en Vénus, mais semble un peu ampoulée en Dorine. Nathan Berg cravate en Mars comme en Arcas, ne faisant entendre le vrai timbre de sa voix que l’espace de quelques notes. La pureté vocale de Jaël Azzaretti flirte avec l’aigreur. Restent la superbe Sophie Karthäuser en Æglé et l’inattendu Jean-Philippe Lafont en Égée. La première séduit par la liberté et la plénitude de son émission. Le second chante bien assez quand il ne semble que parler. Tout en étant l’élément le moins « baroque » de la distribution, il est ainsi paradoxalement le seul à évoquer le souvenir (ou plutôt le fantasme!) d’une « déclamation lyrique ». Hélas, sa diction s’empâte dès qu’il « chante » un rien trop.
Si le prologue et le premier acte sont parfois presque trop « remplis » scéniquement par Martinoty, les deuxième et troisième actes sont traités de manière plus intimiste. Nourris par des tragédiens plus captivants, ils auraient pu être efficaces, mais forment ce soir presque un « tunnel ». On en sort heureusement avec les derniers actes à nouveau plus brillants et démonstratifs. Voici sans doute la clé d’une soirée réussie : une bonne ouverture et un bon final ! »

Mezzo – mars 2002 – présentation du film tiré de l’enregistrement réalisé le 16 octobre 1998, à l’Auditorium de Lyon – réalisation : Pierre-Henri Loÿs et Thierry Paul Benizeau.

« William Christie et Les Arts Florissants avec Emmanuelle Haïm et Javier Lopez-Piñon se sont lancés dans la formidable aventure de la recréation, après deux siècles de silence, de Thésée, drame lyrique de Lully et Quinault. Les interprètes de ce Thésée ont été choisis parmi les étudiants des plus grands conservatoires européens (Paris, Lyon, Caen, La Haye, Londres, Tros-sigen) et réunis par l’Académie Baroque européenne d’Ambronay. Orchestre, chœur et chanteurs se retrouvent sur la même scène dont les seuls effets consistent en des marches de part et d’autre de l’orchestre et une estrade où se tient le chœur.

Boston – Copley Theatre – juin 2001 – Tanglewood Music Centre – juin 2001 – Boston Early Music Festival – dir. Stephen Stubbs et Paul O’Dette – mise en scène Gilbert Blin – décors Robin Linklater – chorégraphie Lucy Graham – avec Ellen Hargis (Aeglé), Laura Pudwell (Médée), Howard Crook (Thésée), Kendra Colton (Minerve et le Prêtre de Minerve), Olivier Laquerre (Arcas), Bernard Delétré (Egée)




Auditorium de Lyon – 16 octobre 1998 – Opéra Théâtre d’Avignon – 17 octobre 1998 – Cité de la Musique – 18 octobre 1998 (version de concert) – Utrecht (Muziekcentrum)Bruxelles (Palais des Beaux-Arts)Théâtre de Caen – 23 octobre 1998 – Genève (Grand Théâtre)Londres (Barbican Center) – Académie baroque européenne d’Ambronay – dir. William Christie – mise en espace Javier Lopez Pinon – assistante musicale Emmanuelle Haïm, préparation du choeur François Bazola – avec Aurélia Legay (Aeglé), Célia Cornu-Zozor (Cléone), Frank Lunion (Arcas), Christian Immler (Egée), Stéphanie d’Oustrac (Médée), Jean-François Novelli (Thésée)

 

Opéra International – janvier 1999 – Cité de la Musique

« A défaut de mise en scène, et plutôt que de se contenter d’une version de concert pure et simple, l’on a cru bon d’infliger aux spectateurs une « mise en espace » signée Javier Lopez Pinon. Mais la principale motivation de l’auteur de cette pochade, indigne d’une salle des fêtes de sous-préfecture, n’était sans doute pas de servir la musique de Lully et le livret de Quinault… Cela étant dit, on aura pu apprécier le remarquable travail accompli par les jeunes musiciens de l’orchestre. Ils ont assumé leur tâche avec un professionnalisme sans faille, sous la direction vive et inspirée de William Christie. Vocalement, le bilan est plus contrasté. Il est toujours délicat de porter un jugement sur de jeunes chanteurs, en ne les ayant entendus qu’au cours d’une seule représentation nos conclusions ne sauraient être dé-finitives. La favorite de la salle a incontestablement été Stéphanie d’Oustrac (Médée) : si elle a fait preuve de qualités indéniables dans le quatrième et le cinquième acte, il aura fallu auparavant passer sur une justesse approximative, un vibrato mal contrôlé et une fâcheuse tendance à détimbrer dans le grave. C’est dommage car elle possède une voix puissante, et un joli timbre de mezzo bien adapté au rôle. Aurélia Legay, dans le rôle d’Aeglé, a par contre été remarquable de bout en bout timbre clair, excellente diction, mise en place et justesse impeccables, atouts qui ont fait d’elle la vraie révélation de la représentation. On relèvera aussi la très bonne impression laissée par la Cléone de Célia Cornu-Zozor. Du côté des protagonistes masculins, on retient la prestation tout à fait méritoire de Franck Lunion (Arcas) et l’Egée en demi-teinte de Chistian Immler, dont les moyens vocaux, incontestables, sont un peu gâchés par une émission souvent trop nasalisée. Saluons enfin l’excellent comportement des choeurs, préparés par François Bazola. »

ConcertoNet – 18 octobre 1998 – Cité de la Musique

« On ne peut trouver que remarquable, une telle réussite. Même si c’était William Christie qui dirigeait des étudiants (en double distribution pour certains rôles) de plusieurs grands conservatoires européens, il disposait de peu de temps et d’une longue partition. La mise en place était parfaite, la prononciation –supervisée par Patricia Ranum, spécialiste de la rhétorique- presque impeccable. Si la mise en espace nous a paru, par contre, constamment ridicule, l’orchestre et les choeurs furent somptueux. Crée à St-Germain-en-Laye le 11 janvier 1675, cette tragédie lyrique en un prologue et cinq actes, comme de coutume, est la troisième des tragédies de Lully, qui collabore ici avec Philippe Quinault. La présence de Médée, qui décline amour, guerre et merveilleux, habite toute la représentation, et l’on pouvait admirer, dans ce rôle, une élève du conservatoire de Lyon, Stéphanie d’Oustrac. Tant sur le plan scénique que vocal, elle a régné, en compagnie de sa rivale Aeglé (Aurélia Legay), sur tout l’opéra. On aura également remarqué une très belle voix de haute-contre : Jean-Christophe Henry. Le niveau professionnel de l’ensemble rendait donc pleinement justice à cette partition. Une interrogation persiste toutefois : pourquoi Lully est-il présent de manière si parcimonieuse à l’affiche ? »

Opéra International – octobre 1998 – « William Christie retrouve Lully »« Un Thésée pour le Roi-Soleil » – à l’occasion de la représentation de Thésée