CD Juditha Triomphans (direction Alessandro De Marchi)

JUDITHA TRIUMPHANS

COMPOSITEUR

Antonio VIVALDI

LIBRETTISTE

Giacomo Cassetti, d’après le Livre de Judith

 

ORCHESTRE Academia Montis Regalis
CHOEUR Coro Giovanile dell’Accademia Nazionale di Santa Cecilia (dir. Martino Faggiani)
DIRECTION Alessandro De Marchi

Juditha Magdalena Kozena
Vagaus Marina Comparato
Holofernes Maria Jose Trullu
Abra Anke Herrmann
Ozias Tiziana Carraro

DATE D’ENREGISTREMENT octobre 2000
LIEU D’ENREGISTREMENT Istituto di Musica Antica Academia Montis Regalis – Mondovi (Italie)
ENREGISTREMENT EN CONCERT non

EDITEUR Opus 111
DISTRIBUTION Naïve
DATE DE PRODUCTION septembre 2001
NOMBRE DE DISQUES 3
CATEGORIE DDD

Édition Vivaldi – Musica sacra – volume 2

 

Critique de cet enregistrement dans : 

Forum Opéra – novembre 2001

« Voilà le premier volume de ce que l’on peut d’ores et déjà appeler un monument : l’intégrale au disque de la musique d’Antonio Vivaldi. La petite maison de disque opus 111 se lance dans une entreprise absolument titanesque, un peu comme Teldec avec l’intégrale des cantates de Bach ou Philips et son intégrale Mozart. On peut juger l’entreprise suicidaire, en effet Vivaldi n’a pas toujours très bonne réputation, en particulier en France, certains musicologues allant jusqu’à écrire que le prêtre roux est le compositeur de 456 concertos différents, ou plutôt 456 fois le même concerto ! Pour couronner le tout, pour ce premier volume, sorte de  » carte de visite  » de l’intégrale, on a choisi une oeuvre religieuse, peu connue, oratorio en latin, de presque trois heures, et chantée uniquement par des femmes ! Juditha Triumphans est le seul oratorio de Vivaldi qui nous soit parvenu. Redécouverte dans les années 20 avec la majorité des autres oeuvres vocales et religieuse du compositeur, la partition a été composée pour les jeunes filles de L’Ospedale della pietà, orphelinat où Vivaldi assumait le poste de maestro dei concerti. Cet établissement, qui accueillait de jeunes orphelines vénitiennes et les formait, entre autres, à la musique, était connu pour l’excellence de son orchestre, son choeur et de ses solistes vocaux. Pour couronner le tout, Opus 111 nous propose une distribution presque entièrement inconnue (à l’exception, majeure, de Magdalena Kozena et de Maria José Trullu) et un chef loin du star-système baroque.

C’est donc avec une certaine défiance que l’on attaque l’écoute de ce disque. Dès les premières mesures de la sinfonia d’ouverture (qui n’est pas celle d’origine, perdue, mais que le chef a merveilleusement reconstituée, exactement dans le ton guerrier pour le premier mouvement et sensuel pour le deuxième, les deux tons principaux de l’oeuvre) on est emporté par le son puissant et solide de l’orchestre, la justesse des tempi et de l’articulation. On a l’impression d’entendre du Minkowski, sans la précipitation, du Jacobs, sans raideur, du Christie, sans mollesse, de l’Harnoncourt, sans l’âpreté : le jeune chef italien parvient à faire la synthèse de tous les grands baroqueux, sans tomber dans leurs travers. A l’entrée du choeur le ton ne change pas ; passé l’étonnement d’un choeur guerrier chanté par 4 voix de femme, l’articulation tendue, la percussion des consonnes ont une grande force d’évocation. C’est l’Holophernes de Maria José Trullu qui commence avec un air guerrier : la voix sombre et ample n’est pas sans rappeler Horne (le style en plus !), la vocalisation est sûre, l’aigu triomphant. Suit l’air de Vagaus, eunuque, écuyer d’Holofernes. La voix de Maria Comparato n’a pas la séduction immédiate de celle de Trullu mais ce mezzo léger, très agile, possède une très belle vibration naturelle et une connaissance du style qui lui permet d’aborder le rôle dans les meilleurs conditions.

Le grand choc de ce premier CD est l’air d’entrée de la Judith de Magdalena Kozena. On connaissait le timbre de velours et la ligne sans faille de la mezzo tchèque, mais on pouvait lui reprocher une certaine froideur dans ses enregistrements précédents. Ici dès la première phrase, toute critique est impossible quand à son interprétation : elle nous livre un vrai bijou de caractérisation, à la fois sensuelle, aimante et angoissée ; cette Judith appelle d’emblée l’admiration et la compassion. Tout de suite après cette pure merveille vient la grande découverte de ce volume : Anke Herrmann. Le personnage pur et simple de la servante de Judith, Abra, trouve en cette jeune soprano ukrainienne une interprète lumineuse. Le timbre est mordoré, les demi-teintes subtilement colorées, la vocalisation triomphante et surtout la musicalité pleine d’intelligence ; cette voix n’est pas sans rappeler une Bonney à ses débuts ou, plus proche de nous, Veronica Cangemi. Pour compléter cette très belle distribution, la voix noble de Tiziana Carraro sert à merveille le petit rôle d’Ozias.

Mais tous ces atouts vont-ils faire passer la pilule de trois heures d’airs à da capo ? Et bien sans aucun mal car l’oeuvre de Vivaldi est absolument époustouflante. La diversité des airs, des instrumentations, l’urgence des récit (jamais bavards) font de cette oeuvre un exemple d’équilibre musical, jamais ennuyeux ; on se surprend même à se jeter sur sa chaîne, le dernier disque fini, pour réécouter le premier ! Bien sûr la très belle différenciation des voix dans la distribution et le superbe continuo participe à cet enthousiasme mais la pièce est vraiment passionnante de bout en bout ; du très grand bel canto baroque. A noter un livret très bien écrit avec, en particulier, un chapitre passionnant sur les choix interprétatifs du disque. » 

Classica – novembre 2001 – appréciation 3 / 5

« le saisissant instrumentarium requis dépayse divinement l’oreille. Dommage qu’avec cela, De Marchi insuffle si peu de nerf à ce qui est un sacrum militare oratorium…cet orchestre (est) perpétuellement vague…Si Marina Comparato ne fait qu’une bouchée d’Armatae face, Mlle Hermann est maigrichonne, et Mme Trullu inquiétante…La jolie voix intermédiaire, les bonnes manières de chanteuse élevée de Magdalena Kozena ne gagnent pas à être si peu secouées. »

Opéra International – novembre 2001 – appréciation 4 / 5

« Magdalena Kozena est une Juditha des plus convaincantes, tant sur le plan de l’interprétation que d’un point de vue vocal. lLs cadences et ornements sont chantés avec aisance…Malheureusement, en ce qui concerne le reste de la distribution, ils sont souvent exécutés avec plus d’application que de spontanéité. Maria José Trullu est ainsi un Holofernes plus démonstratif qu’expressif. Le chant est trop engorgé et le legato s’en ressent. Alessandro De Marchi éprouve parfois quelques difficultés à contenir ses nombreuses troupes, mais le jeu de l’orchestre n’en est pas moins stylé et efficace…Cette version représente un travail passionnant et le charme agit souvent. »

Le Monde de la Musique – novembre 2001 – appréciation CHOC

« La partition est surtout l’occasion d’un déploiement de virtuosité musicale…La réussite de cet enregistrement est d’autant plus admirable que Magdalena Kozena, impeccable en Juditha…est entourée de partenaires irréprochables. Les récitatifs pâtissent d’un certain manque d’élan dramatique…Le travail d’Alessandro De Marchi est tout aussi remarquable…Le chalumeau, les clarinettes, les violes de gambe, les mille et une nuances du vocabulaire orchestral de Vivaldi sont enfin pleinement respectés et mis en valeur. « 

Paru.com

Voici reparaître ce projet, lancé il y a déjà un an par Opus 111, d’enregistrer l’intégralité des oeuvres de Vivaldi conservées à la Bibliothèque Nationale de Turin. Annoncé par un volume consacré à des concertos et au Stabat Mater, cette entreprise n’avait plus fait parler d’elle et l’on aurait pu croire qu’elle avait avorté, jusqu’à la reprise d’Opus 111 par Naïve et la parution de cet enregistrement qui redonne vie à cet ambitieux défi. L’inaugurer officiellement avec la Juditha triumphans devicta Holofernis barbarie (titre complet) est d’ailleurs une gageure, tant l’oeuvre pose de problèmes musicologiques et interprétatifs. Cet oratorio, le seul du prêtre roux dont nous ayons conservé la partition, fut écrit par Vivaldi en 1706 pour les orphelines de l’Ospedale della Pietà, établissement au service duquel il était entré dès 1703 comme maître de violon puis maestro dei concerti, et pour lequel il fit office de maestro di coro suite au départ inopiné de Gasparini en 1713.

Si le style de Vivaldi est immédiatement reconnaissable, cet oratorio est aussi un des plus riches jamais écrits. Compensant la faible diversité des registres vocaux à sa disposition (du contalto au soprano), le musicien a tiré parti d’un orchestre luxuriant, composant une musique diversifiée aux couleurs instrumentales sans cesse renouvelées : trompettes, flûtes, hautbois solo (« Veni, me sequere fida »), mandolines et cordes pizzicato (« Transit aetas »), etc. La pièce, de vaste dimension, requiert donc des interprètes hors-pairs, preuve que les orphelines de la Pietà étaient d’excellentes musiciennes – certaines étaient d’ailleurs aussi connues que les chanteuses d’op&eacutera.

Si nous avons perdu la sinfonia d’ouverture (remplacée ici par un brillant concerto avec trompettes), d’autres questions restent en suspens : que faire des choeurs à quatre voix chantés à l’origine uniquement par des filles (y compris les ténors et basses) ? Que sont les salmoè, les claren ? Comment restituer l’ensemble de viole all’Inglese ? Sur toutes ces questions, le chef a tranché de manière judicieuse et il assume ses options (limpidement expliquées dans la notice) tout au long de l’enregistrement, portant à l’incandescence cet oratorio transformé en véritable opéra. Son orchestre est luxuriant, toujours brillant, nuancé. Il sait créer un climat approprié dans chaque air ainsi qu’un véritable dialogue entre instruments et voix. Ajoutons à cela une basse continue différenciée pour chaque protagoniste qui fait merveille dans les récitatifs.

Côté vocal, le plateau n’est malheureusement pas pleinement satisfaisant. On passera rapidement sur le très approximatif Ozias, de toute façon secondaire. Mais Holofernes perd souvent sa ligne mélodique sous le vibrato et des accents peu orthodoxes. Certes, il s’agit du méchant de l’histoire, mais tout de même ! Vagaus pâtit d’une émission un peu raide, dont les aigus saturent rapidement, mais quel abattage dans son « Armatae face, et anguibus » ! Le timbre acidulé et léger convient bien à la confidente qu’est Abra. Elle donne agréablement la réplique à Magdalena Kozena, qui est la perle de cete enregistrement. Chacune de ses interventions est un modèle d’expressivité et d’éloquence, depuis l’entrée pianissimo sur « Qocum patriae me ducit amore »jusqu’au sombre et exalté « In somno profundo », en passant par le virtuose « Agitata infido flatu »ou l’hypnotique « Veni, me sequere fida ».

On s’étonnera peut-être de voir, malgré nos réserves, cet enregistrement distingué par un « Sélection Paru.com ». Mais de Marchi et Kozena parviennent à un tel degré d’aboutissement musical, tout en maintenant l’attention et la tension sur près de trois heures, que les imperfections se font aisément oublier. Voilà une Judith ressuscitée avec ardeur, flamme et conviction. » 

Diapason – novembre 2001 – appréciation 5 / 5 – technique 8 / 10 – L’événement du mois

« Le fougueux et inventif Alessandro De Marchi ne manque pas de séduction…Les réussites sont nombreuses. L’exhumation des instruments rares en premier lieu…Cette Judith est celle de l’outrance, de la revendication, d’une progression dramatique culmiant, lors de la décapitation de Holopherne, dans une scène hallucinante…Si Marina Comparato est un Vagaus vibrant et un peu impersonnel, mais solide, le Holopherne de Maria José Trullu est effrayant de vulgarité et de lourdeur. L’ornementation outrancière des da capo, des cadences décalées sont redoutables. l’autorité du grand-prêtre Ozias, Tiziana Carraro, au vibrato large, ne se discute pas. Abra, Anke Herrmann…voix claire, mais serrée, sensible, sans une once de sérénité, aux impossibles vocalises dans les da capo. Magdalena Zozena, ébluisssante Judith irradiant sa partie de bout en bout, avec son timbre éblouissant et sa sensualité étourdissante qui fait basculer Juditha vers l’oratorio erotico. Une grande Judith à écouter absolument, en dépit de conceptions parfois étranges, mais toujours stimulantes du chef italien. »

Répertoire – novembre 2001 – appréciation 6 / 10

« Magdalena Kozena a un timbre exceptionnellement séduisant, une douceur, une rondeur et une fraîcheur admirables. Mais elle manque de souffle pour incarner Judith…Sa voix, d’habitude si agile, semble manquer d’aisance, d’excès, de couleurs pour ce répertoire. Elle n’a pas la dimension vocale que l’on est en droit d’attendre ici. Les autres voix sont toutes plus ou moins du même fortmat. Maria José Trullu poitrine comme elle peut…Maria Comparata (est) aussi à l’aise dans le cantabile que dans la vaillance. Anke Hermann donne à la servante Abra un air juvénile…Tiziana Carraro (est) le point le plus faible et le moins crédible de la distribution. Le choeur n’est pas idéal et les soli instrumentaux souvent limités. Cette nouvelle version est un peu un coup d’épée dans l’eau. »

L’avis de Mezzo

« Vaste projet éditorial, l’intégrale Vivaldi inaugurée l’année dernière par Opus 111 nous offre aujourd’hui un fleuron d’exception avec l’oratorio Juditha Triumphans composé en 1716 pour les pensionnaires de l’Ospedale della Pietà. Le plateau vocal frôle la perfection. Magdalena Kozena (Juditha), Anke Herrmann (Abra) et Marina Comparato (Vagaus) font des scènes entourant le meurtre d’Holoferne un moment d’anthologie dramatique. Le travail sur l’instrumentation s’impose également comme une richesse du disque. La conduite du continuo manifeste un engagement total à soutenir l’action de bout en bout. Cet enregistrement atteint l’essence d’une musique qui depuis Monteverdi sait « apaiser les c’urs troublés aussi bien qu’enflammer les esprits glacés ». Laissons-nous donc tour à tour apaiser et enflammer face au triomphe de la Juditha profondément humaine de Magdalena Kozena. »

L’avis de la Fnac

« L’oratorio Juditha Triumphans, la pièce la plus impressionnante du corpus est le seul oratorio composé par Vivaldi qui nous soit parvenu. Destiné aux offices et concerts, cet oratorio a été écrit pour des voix et des interprètes exclusivement féminines. Lors des concerts, très courus des Vénitiens comme des touristes, seules les solistes étaient visibles et les musiciennes jouaient derrière des grilles drapées de gaze noire, ce qui ajoutait certainement au charme mystérieux et sensuel de ces manifestations. Libre penseur, le Prêtre roux ne sacrifie guère aux contraintes de l’écriture sacrée et varie à loisir les couleurs et les textures d’un orchestre immense (le plus fourni qu’il ait jamais utilisé) afin d’affiner la peinture des caractères et des situations dramatiques, festival de couleurs instrumentales et d’exultation vocale, avec une approche plus érotico-opératique que strictement sacrée. L’Academia Montis Regalis sous la direction d’Alessandro de Marchi, exalte la sensualité vivaldienne et Magdalena Kozena, magnifique et charnelle Juditha, triomphe ! « 

 AltamusicaJuditha Kozena

« Seul oratorio de Vivaldi qui ait été conservé, composé en 1716 pour les orphelines de l’Ospedale della Pietà, cette partition presque inconnue du public enchaîne pendant près de trois heures arie da capo et récitatifs sur un livret en latin, lointainement inspiré d’un épisode biblique maintes fois mis en musique auparavant. Mais récapitulons : une sinfonia d’ouverture perdue, un choeur de femmes à quatre voix dont la mise en place reste à définir, un instrumentarium difficile à restituer avec certitude, des cadences et des ornements à réinventer, l’exécution de cette oeuvre soulève manifestement de multiples problèmes. Dans ce domaine, les choix opérés par le chef, Alessandro De Marchi, ainsi que la genèse de l’oeuvre, sont fort intelligemment détaillés dans le livret.

Mais le résultat de tous ces efforts ? Il est tout à fait convaincant, pour ne pas dire surprenant : par ses dimensions, par son aboutissement, cette oeuvre est l’une des plus belles jamais écrites par le Prêtre Roux. On y trouve notamment une variété et une richesse des couleurs instrumentales inouïes, à laquelle les musiciens de l’Academia Montis Regalis rendent d’ailleurs pleinement justice. La direction d’Alessandro De Marchi est précise mais souple, attentive à la ligne mélodique comme aux nuances expressives. La symbiose entre l’orchestre, le choeur (dont la sonorité insolite est du plus bel effet) et les solistes est parfaite.

La réussite de cet enregistrement doit beaucoup à la présence de cantatrices aux caractéristiques vocales bien différenciées, ce qui écarte heureusement la monotonie que pourrait entraîner l’absence de voix masculines. L’incomparable Judith de Magdalena Kozena domine de très loin la distribution. Timbre de velours, phrasés toujours élégants, nuances d’une grâce divine, le chant de la mezzo tchèque est la séduction même. On comprend que devant tant de beautés, Holopherne rende les armes… dans tous les sens du terme, car en comparaison de la Kozena, le timbre engorgé et les vocalises un rien empiriques de Maria José Trullu n’en paraissent que plus ordinaires. Le personnage d’Ozias, certes secondaire, aurait mérité mieux que l’agilité poussive et l’émission peu orthodoxe de Tiziana Carraro, quand la voix androgyne de Marina Comparato convient très bien au rôle de l’eunuque Vagaus, dont les airs regorgeant de traits de haute virtuosité ne sont pas sans rappeler ceux écrits à l’intention des castrats (et dont la cantatrice se charge avec un panache considérable). Autre perle de cet enregistrement, la très prometteuse soprano ukrainienne Anke Herrmann, dont le timbre léger et fruité, la technique sûre font merveille dans le rôle d’Abra. »