CD Ballet de Madame ou le Triomphe de Minerve

COMPOSITEUR
Pierre GUÉDRON et Henri de BAILLY
LIBRETTISTE
Etienne Durand et autres

Ballet de cour, dansé le 19 puis le 22 mars 1615, dans la grand’salle de l’Hôtel de Bourbon, dite le Petit-Bourbon.
Le Petit Bourbon près du Louvre
La reine Marie de Médicis avait organisé ce ballet en l’honneur d’Elisabeth (*), sa fille, avant son départ pour l’Espagne où elle devait épouser le roi Philippe IV.
(*) Elisabeth née le 22 novembre 1602, deuxième enfant de Henri IV et Marie de Médicis. Le mariage avait été décidé dès le 25 août 1612, dans le cadre d’un contrat avec l’Espagne – Louis XIII devant épousé Anne d’Autriche. Il fut célébré le 25 novembre 1615. Elle était très liée à son frère Louis XIII, et les adieux entre le frère et la soeur furent déchirants. Elle eut neuf enfants dont seulement deux survécurent, et mourut, épuisée par une nouvelle naissance, en 1641.

Elisabeth, dite Madame
La reine avait mis le texte au concours, et choisi celui d’Etienne Durand, contrôleur provincial des guerres, comme le plus haut et le moins embrouillé, et se rapportant le plus à la condition et qualité de Madame, qu’il faisoit estre une Minerve. Durand fut chargé de tout ce qui regardait les personnes et les danses servant au ballet, mais manquant toutefois de temps pour écrire tous les vers, on fit appel à Malherbe (*) pour travailler ensemble aux vers qu’il faudrait réciter, ainsi qu’à René Bordier.
(*) François de Malherbe, né en 1555 à Caen, mort à Paris en 1628. Il s’était attiré la protection de Marie de Médicis en lui dédiant une Ode à la reine, lors du passage de celle-ci à Aix en 1600. Henri IV le nomma gentilhomme ordinaire de la Chambre.

François de Malherbe
Selon Louis César de La Baume Le Blanc, duc de la Vallière, Malherbe a fait le Récit du Berger, qui commence par ces mots « Houlette de Louis, houlette de Marie », et Bordier, les vers des Sibilles pour le Roy & à la Reine. D’après Pierre-François Godard de Beauchamps, Malherbe fit aussi un air qui ne se trouve pas dans la description du ballet imprimé, « Cette Anne si belle », mis en air par Guédron. Il précise aussi que les vers des Sibilles n’étaient point chantés : ils étaient imprimés, et les Sibiles, après avoir dansé leur ballet, jettoient en l’air des rouleaux d’imprimerie.
Ménage rapporte que Malherbe fit les vers de cet air en moins d’un quart d’heure à la prière de Marais, Portemanteau du feu Roi, et qu’ils ne furent point estimez. Pourtant, Malherbe, sur la fin de ses jours, préférait cette pièce à toutes les autres.
Malherbe, dans une lettre à Peiresc raconte : (le ballet) fut dansé jeudi dernier et redonné hier au soir, toujours avec l’admiration des machines, mutations de scène, et disposition des danseurs, mais plus que nulle autre chose, de la bonne grâce de Madame, qui fit émerveiller toute l’assemblée et particulièrement l’ambassadeur d’Espagne, qui à tout propos regrettoit que tout cela ne se faisoit pas en présence du prince d’Espagne.
Selon Beauchamps, les récits furent composés par Guédron, sauf le récit de la Nuit à la Reyne, composé et chanté par le sieur Bailly (*). Le sieur Robert représentait le Soleil. Le sieur Marais, hommes d’armes de la compagnie de Monsieur le Grand (**), recitait les vers faits par Malherbe pour le berger. La musique du roi représentait les Tritonides, celle de la chapelle les esprits ou démons aériens. Le sieur Ballard conduisait la musique de luth vêtus en amazones et de la suite de Minerve.
(*) Henri Le Bailly, chanteur, luthiste et compositeur, réputé pour son art d’orner les couplets des airs

(**) on appelait ainsi le Grand Écuyer, responsable des écuries royales. Le titulaire était alors César-Auguste de Saint-Lary, baron de Termes

Tomaso Francini (1571 – 1651), devenu Thomas Francine par sa naturalisation en 1600, ingénieur ordinaire du roi et super-intendant de ses fontaines, se chargea des machines. Il en fit un modèle réduit qu’il soumit à la reine qui s’en déclara satisfaite.
Il avait aménagé dans la salle du Petit-Bourbon, à laquelle on n’accédait qu’après avoir traversé une enfilade de pièces, corridors et galeries, un grand théâtre, dans le fond, élevé à six pieds du sol, de six toises de large et de profondeur ; devant s’étendait un grand espace pour les danseurs. La plupart des spectateurs étaient debout, s’entassant dans les galeries et le reste de la salle.
On a conservé les airs suivants de ce ballet :

  • air de la Nuit : Qu’ai-je fait contre vos beautés, de Henri de Bailly, inclus dans le recueil d’Airs de différents auteurs mis en tablature de luth par Gabriel Bataille (Ballard – 1615), et le recueil d’Airs de cour et de différents auteurs (Ballard, 1615) ;

On trouve dans le Mercure françois le passage suivant concernant Le Bailly : Ce qui rendit cette machine plus rare, fut le Bailly, excellent musicien, représentant la Nuit, vêtu d’une lame d’argent et noir, avec quantité d’étoiles d’or semées sur son habit, ayant des ailes noires au dos, et une coiffure faite en nuage ; lequel après avoir chanté devant leurs Majestés des vers adressés à la Reine, où il se fit admirer, il se perdit insensiblement dans le lieu dont il était sorti ;

  • air : Fuyez amants loin de ces lieux, de Pierre Guédron, inclus dans le recueil d’Airs de différents auteurs mis en tablature de luth par Gabriel Bataille (Ballard – 1615), le recueil d’Airs de cour de différents auteurs (Ballard – 1615), et le Troisième livre d’airs de cour à quatre et cinq parties de Guédron (Ballard – 1617) ;
  • récit du Soleil : A la fin je vois vos beaux yeux, de Pierre Guédron, inclus dans le recueil d’Airs de différents auteurs mis en tablature de luth par Gabriel Bataille (Ballard – 1615), et le recueil d’Airs de cour de différents auteurs (Ballard – 1615) ;
  • récit des Machlyennes : Allons n’attendons plus, mettons nous au servage, de Pierre Guédron, inclus dans le recueil d’Airs de différents auteurs mis en tablature de luth par Gabriel Bataille (Ballard – 1615), et le recueil d’Airs de cour de différents auteurs (Ballard – 1615) ;
  • air : Il est temps désormais que le ciel et la terre, de Pierre Guédron, inclus dans les recueils d’Airs de cour à quatre et cinq parties de Guédron (Ballard – 1617 et 1618), les recueils d’Airs de différents auteurs mis en tablature de luth par eux-mêmes (Ballard – 1617 et 1622), le recueil d’Airs de cour de différents auteurs (Ballard – 1617) ;
  • air des Tritonides : C’est trop courir les eaux, de Pierre Guédron, inclus dans le recueil d’Airs de différents auteurs mis en tablature de luth par Gabriel Bataille (Ballard – 1615), le recueil d’Airs de cour de différents auteurs (Ballard – 1615), les recueils d’Airs de cour à quatre et cinq parties de Guédron (Ballard – 1617 et 1618) ;
  • air : Cette Anne si belle, de Pierre Guédron, sur un texte de François de Malherbe, inclus dans le recueil d’Airs de différents auteurs mis en tablature de luth par Gabriel Bataille (Ballard – 1615), le recueil d’Airs de cour de différents auteurs (Ballard – 1615), les recueils d’Airs de cour à quatre et cinq parties de Guédron (Ballard – 1617 et 1618).

La musique instrumentale est presque intégralement perdue.
En 1615, parut chez Pierre Chevalier, Les Oracles françois ou Explication allégorique du Ballet de Madame, soeur aînée du Roi ; ensemble les parallèles de son Altesse avec la Minerve des Anciens, & le Parnasse royal sur le même sujet, par Elie Garel.
On trouve dans cet ouvrage, le Ballet des Ardents, le Ballet des Sibilles, le Ballet des Machlyènes ou Androgines, le Ballet des Bergers, le Ballet des Tritonides, Parallèles de Madame, soeur du Roi, avec Minerve (César de la Vallière).
La Description du Ballet de Madame parut chez Jean Sara, en 1616.
Description
Première partie
Où parurent la Nuict et les neuf Ardents
Le Balet doncques de son Altesse fut commencé par une Nuée assez petite en sortant, mais qui s’agrandissoit en largeur et hauteur, à mesure qu’elle tiroit avant, sans que l’on apperceust la cause de ce mouvement. Dedans estoit representée la Nuict, vestuë d’une lame d’argent et noire, avec quantité d’estoiles d’or semées sur son habit, ayant des aisles noires au dos, et une coiffure faite en nuage.
Air de la Nuict : Qu’ai-je fait contre vos beautés
Le nuage enfin perdu, et la Nuict retirée, la scene parut en rochers couverts d’arbrisseaux, animaux rampans, fleurs et ruisseaux coulans, des croupes en bas, dont les heurts esclatoient d’or et d’argent. D’entre les dits rochers sortirent neuf petits enfans, representans les Ardents, ou vapeurs nocturnes qui se voyent quelquefois ès champs, au milieu de la nuict ; chacun desquels portoit en pots dorés quatre gros feux dessus la teste, et deux grands flambeaux ès mains, brûlans dès la poignée lesquels ayans danse, se retirerent pour faire place aux Sibylles.
« La première entrée étoit de neuf petits enfans, représentant les ardents, ou vapeurs nocturnes, qui se voïent quelquefois dans les champs au milieu de la nuit ; elle fut faite et montrée par M. le Bret l’ainé » (Beauchamps)
Deuxième partie
Ou parurent les Sybilles
A peine estoient les Ardents retirés es deux autres qui estoient au-dessous de la scene, que du milieu d’icelle promptement s’esleva un grand rocher, sur lequel estoient les Sibylles venues trouver leurs Majestés par le commandement des Dieux. Leur coiffure estoit une perruque de cheveux, retressée d’une couronne de laurier eslevée en pyramide, avec d’autres cheveux, gazes, brillans et miroirs, et le surplus de leur habit à l’antique, somptueusement enrichy.
« La seconde entrée étoit de dix Sibiles » (Beauchamps)
Intermède
Où parurent l’Aurore et le Soleil
Aussitost que les Sibylles furent retirées, toute la scene se changeant, on descouvrit un grand bois couvert d’une nuée, et au milieu d’icelle l’Aurore semant des neurs, suivie d’un chariot flamboïant et doré, avec des roues tournantes d’un mouvement esgal et continuel, dans lequel estoit le Soleil.
Récit du Soleil : A la fin je voy les beaux yeux
Troisième partie
Où parurent les Machlyenes
Du milieu des bois qui couvrirent la scene au départ des Sibylles, sortit une fille vestue à l’antique Africaine, ayant un luth à la main (que le Sieur Durand fait representer l’une des Machlyenes, ou Anses). Après que ceste fille eust chanté quelques vers adressés à leurs Majestés, neuf autres de ses compagnes entrèrent vestuës de mesme parure. Leur habit estoit rouge et bleu parsemé d’or, et portoient en main une masse d’or.
Récit des Machlyennes : Allons n’attendons plus, mettons nous au servage
« La troisième entrée étoit des Machliennes ou Auses, nation autrefois habitante des marais de Triton, où Minerve fut nourrie par les filles dudit marais. » (Beauchamps)
Sur le Ballet des Machlyènes ou Androgynes – Stances
Non, ce n’est le brasier du mignon de Cythère…
Quatrième partie
Où parurent les Bergers
Aussitost que les Machlyenes furent retirées, un Berger arriva recitant quelques vers adressés à leurs Majestés, à la fin desquels sortirent autres neuf Bergers vestus de satin blanc couvert de bouquets de broderie d’or, qui danserent un grand Balet devant leurs Majestés.
Sur le Balet des Bergers – Élégie
Pasteurs, ouy, estes-vous, grands mareschaux de France, …
Intermède
Où parurent les Tritonides
Le Balet des Bergers finy, la machine changea, et ce qui estoit bois auparavant, devint rochers aboutissans en branches de coral, escailles, mousses maritimes, et representans des escueils battus des vagues. Dans la mer passoit une musique de Tritons, et après eux venoit encores la musique de la chambre du Roy, vestué en Tritonides, la teste, les espaces et les hanches recouvertes de roseaux artificiels d’or et de soye, et le reste de l’habit de satin recouvert de clinquant d’or.
Air des Tritonides : C’est trop courir les eaux
Sur le second intermède où parurent les Tritonides – Ode
Cessez, escrivains flatteurs, d’emplir vos cayers menreurs
Grand Ballet -Texte litteral du Balet
Le grand corps de musique ayant quelque temps chanté, la scene se changea de nouveau, et tant au fond qu’aux costés devint toute nuée, du bas de laquelle sortit un grand chariot enrichy de sculptures et moulures de singulier artifice. Le dedans estoit recouvert de drap d’or brodé par les amortissemens, enrichy de campanes et bouqueterie. Aux deux extrémités estoient deux lances, dont chacune portoit une sallade et un escu où la Gorgonne estoit mouslée, le tout doré d’or moulu. Le chariot estant trainé par deux Amours, dont l’un representoit l’amour chaste, n’estoit point bandé, et tenoit un arc et une fleche dorée, avec les mains libres; et l’autre representant l’amour voluptueux, estoit bandé, les mains liées au dos comme captif, et tout le corps couvert de flammes my-esteintes. Sur le chariot estoit Madame, soubs le nom et figure de Minerve, accompagnée des Princesses, Dames et Damoiselles de sa suite. Le chariot ainsi conduit, s’advança jusques an dedans de la dite scene, où il s’arresta au son d’une musique vestuë en Amazones. A mesure que le chariot s’anvançeoit, descendoient du ciel deux grosses nuées des deux costés du dit chariot, dans lesquelles estoient la Victoire et la Renommée, qui descendans de l’air apportoient des couronnes à Minerve.
Le Parnasse royal du Balet de Très-haute, très-puissante et sérénissime princesse, Madame Elizabet der France, soeur aisnée du Roy
Prosopée de la France sur la figure de la Nuict au Bal des Ardents
Stances
Quand du vent animé la poitrine grondante
Sur les flambeaux ou Balet des Ardents
Ode
Astres dorés dont la paupière…
Sur les parallèles de madame soeur du Roy, avec Minerve
Stances
Ouy bien, elle est vraiment nostre grande Princesse
Le Mercure françois donna une description détaillée du ballet : Leurs Majestés voulurent que Madame, avant que de sortir de France pour être conduite en Espagne, donnât quelque signalé contentement aux François, et quelque obligation particulière en la vue de cette Princesse : et sur ce prirent résolution de lui faire danser un Ballet, dont la somptuosité accompagnant les inventions non seulement surpassait ce qui s’était fait par le passé en semblables effets, mais ôtât encore à l’avenir l’espérance de rien faire de même. Le sujet de ce Ballet fut un Triomphe qu’elle faisait vêtue en Minerve, pour avoir captivé un Prince d’Espagne à qui elle était promise. Il fut dansé en la Grande Salle de Bourbon selon l’ordre qui suit, le dix-neuvième jour de mars. [….]
Au même instant que le Roy fut assis et eût commandé de commencer le ballet, cette nuée s’ouvrit bas par le milieu ; et de l’ouverture sortie une autre nuée assez petite en sortant de ladite ouverture, mais à mesure qu’elle s’avançait, elle s’agrandissait en hauteur et largeur, sans qu’on aperçût qui causait ce mouvement dans la salle : et qui plus est, si artificieusement composée, qu’étant la plus proche de la vue qu’il se pouvait, on ne saurait discerner de quelle matière elle était faite, et si c’était un vrai nuage ou non qui flottait. Ce qui rendit cette machine plus rare, fut le Bailly, excellent musicien, représentant la Nuit, vêtu d’une lame d’argent et noir, avec quantité d’étoiles d’or semées sur son habit, ayant des ailes noires au dos, et une coiffure faite en nuage ; lequel après avoir chanté devant leurs Majestés des vers adressés à la Reine, où il se fit admirer, il se perdit insensiblement dans le lieu dont il était sorti ; et lors la première nuée étant disparue, la scène apparut en rochers, recouverts d’arbrisseaux, animaux rampants, fleurs et ruisseaux coulant des croupes en bas, les heurts éclatant d’or et d’argent. Ces rochers avaient chacun quatre toises de hauteur au moins, et l’artifice y était tel, que les yeux les plus reconnaissants y étaient trompés.
Pour descendre de ladite scène dans la salle y avait deux descentes desdits rochers renforcées par dessous de trois grottes, desquelles sortaient la plupart des entrées, et dont les bords étaient recouverts de semblables choses que lez rochers ci-dessus. Dedans chacun desdits rochers et grottes y avait quantité de feux non vus des spectateurs, qui faisaient voir les heurts et saillies desdits rochers si claires qu’on doutait s’ils étaient vus de jour ou de nuit.
D’entre lesdits rochers sortirent neuf petits enfants représentant les Ardents ou vapeurs nocturnes qui se voient quelques fois dans les champs au milieu de la nuit ; chacun desdits enfants portait quatre feux dessus la tête, deux gros flambeaux aux mains qui brûlaient dès la poignée : de sorte que ledit feu était bien deux pieds de haut, sans qu’il jetât quelque étincelle, et sans qu’il incommodât aucunement ceux qui le portaient : leur habit était de satin rouge, recouvert de flamme d’or, et de quantité de clinquant d’or à l’amortissement des lambrequins. Les pots où étaient lesdits feux étaient dorés, et tandis qu’ils dansaient, il semblait que ce ne fût pas des enfants, mais des feux seulement qui changeassent de diverses places.
On trouve également une description plus ou moins romancée dans le Chasseur d’hommes d’Emilio Gonzales, paru en 1867.
« Quelques jours après, une fête magnique attirait au Louvre toute la cour. Douze cents flambeaux de cire blanche, portés par des consoles et des bras d’argent, illuminaient la grande salle et faisaient scintiller d’un éclat magique les moulures d’or qui ornaient le pla fond et les murs. Des tapis de Turquie aux riches couleurs cachaient le parquet; à l’une des extrémités, sous un superbe dais de velours violet, étoile de fleurs de lis et encadré de crépines d’or, s’élevait une estrade surmontée de trois fauteuils. En face, une toile peinte en nuage masquait le théâtre destiné à la représentation du ballet. Aux portes, des gardes du corps s’appuyaient sur leurs pertuisanes. Au pied de l’estrade ou du trône royal veillaient deux gardes de la manche, tirés de la compagnie écossaise, avec leur gracieux hoqueton blanc et argent.
Les assistants se levèrent, et toute conversation cessa lorsque, les deux battants d’une porte latérale s’étant ouverts. Louis XIII parut, étincelant d’or et de pierreries, donnant la main à sa jeune femme, Anne d’Autriche, dont la beauté enfantine contrastait avec la lourde robe de velours violet, brodée et parsemée de fleurs de lis d’or, et la prodigalité de joyaux précieux donton l’avait accablée. A côté d’eux s’avançait la reine mère, d’un air prude et sérieux ; elle avait tempéré la rigueur de son costume de veuve par l’éclat des diamants qui tremblaient autour de son cou et à ses oreilles ; les manches ouvertes de sa robe en laissaient voir d’autres en brocart d’argent, et son collet monté était de la plus magnifique dentelle.
Derrière ces trois augustes personnages marchait l’élite de cette cour brillante, à l’exception des princes et des seigneurs rebelles. Leurs Majestés montèrent les degrés du trône; après avoir salué l’assemblée, le roi s’assit dans le fauteuil du milieu, et Anne d’Autriche à sa droite; mais Marie de Médicis, contrainte de se reléguer à gauche, semblait, dans son port majestueux, essayer d’annihiler ce jeune couple, qu’elle eût désiré voiler à tous les yeux.
Cependant la présence du roi ayant donné le signal de la fête, on vit soudainement le nuage qui cachait le théâtre se diviser, s’avancer, et de son sein sortir la Nuit, avec de longues ailes noires et une robe de deuil criblée d’étoiles. Une douce musique accompagna les vers que la déesse chanta en l’honneur des deux reines, et qui excitèrent de vifs applaudissements. La nuée vint l’envelopper de nouveau, puis se dissipa elle-même peu à peu. On aperçut alors la scène, représentant une campagne digne du roman de monsieur d’Urfé, Les rochers, les cascades, les palmiers, les fruits et les fleurs de tous les pays y faisaient merveille, et des oiseaux sautillaient sur les branches des arbres. Les rochers se prolongeaient sur le devant du théâtre et s’avançaient jusque dans la salle ; au-dessous étaient ménagées des grottes profondes. Les danseurs pouvaient ainsi descendre sous le parquet et se dérober ainsi aux spectateurs.
[…] Ces sibylles descendirent dans la salle, où elles dansèrent un ballet; puis elles s’enfuirent en lançant en l’air des rouleaux de papiers remplis de vers adressés à leurs Majestés.
L’Aurore aux doigts de rose, penchée sur un nuage doré, traversa ensuite la scène en jetant des fleurs; le Soleil, sur un char flamboyant, la suivait entouré des Heures, dieu et déesses chantant en choeur les louanges des astres de la France.
C’était le lever du jour. La scène représentait une campagne de l’Afrique. Un berger en fit le tour, conduisant ses brebis au pâturage, et récitant des stances de Malherbe commençant ainsi :
Houlette de Louis, houlette de Marie,
Dont le royal appui met notre bergerie,
Hors du pouvoir des loups,
Vous placer dans les deux, en la même contrée
Des balances d’Astrée,
Est-ce un prix de vertu qui soit digne de vous ?
[…] Une jeune Africaine s’avançait sur la scène; sa taille svelte, sa démarche gracieuse, l’habileté musicale qu’annonçaient ses préludes sur le luth, excitèrent la curiosité des spectateurs. Chacun demandait à son voisin le nom de cette nymphe bocagère, mais nul ne pouvait répondre. Quant à François, ses yeux restaient ardemment fixés sur elle; son âme tout entière tressaillait sur son visage.
Christine chanta alors d’une voix un peu émue, et dont le timbre sonore, argentin et velouté, souleva bientôt une admiration passionnée, les couplets suivants qui avaient été composés par Malherbe : ils s’adressaient à la jeune reine, qu’on reconnut alors pour la divinité allégoriquement désignée sous le nom de Minerve.
Cette Anne si belle
Qu’on vante si fort
Pourquoi ne vient-elle?
Vraiment elle a tort.
Son Louis soupire
Après ses appas ;
Que vout-elle dire
De ne venir pas?
S’il ne la possède
Il s’en va mourir;
Donnons-y remède,
Allons la quérir.
La première entrée était de neuf petits enfants représentant les Ardents ou vapeurs nocturnes qui se voient quelquefois dans les champs, au milieu de la nuit; Le Bret ainé l’avait faite et montée. Les entrées étaient quatre, sans compter le grand Ballet où dansaient Madame et les Dames de la Cour. Guedron avait composé les récits, sauf celui de la Nuit à la Reine, dû au sieur Le Bailly, qui le chanta. Ballard conduisait la musique des luths, et Franchic, ingénieur ordinaire du Roi et surintendant des fon taines, avait eu la direction de toutes les machines. Le sieur Durand, contrôleur provincial des guerres, qui avait fourni le sujet, s’était chargé de tout ce qui regardait les personnes et les danses servant au ballet ; mais comme le peu de temps ne lui avait pas suffi pour composer tous les vers, Sa Majesté avait envoyé querir le sieur Malherbe pour le faire communiquer avei: ledit Durand, prendre de lui l’ordre du ballet et travailler ensemble aux vers qu’il y faudrait réciter. Néanmoins Malherbe ne composa que le récit du Berger : Houlette de Louis, houlette de Marie, et un air : Cette Anne si belle Qu’on vante si fort.
Le berger n’était autre qu’un sieur Marais, homme d’armes de la compagnie de M. Le Grand, lequel, comme ramenant ses troupeaux en l’étable au coucher du soleil, sortit des bois en chantant et alla jusque devant Leurs Majestés, toujours récitant les vers faits par le sieur Malherbe. Le sieur Bordier, enfin, avait composé les vers pour les Sibylles, et ceux-là n’étaient ni chantés ni récités, mais jetés en l’air dans des rouleaux qui les contenaient. Le Triomphe de Minerve fut le dernier grand ballet dansé avant le mariage du Roi, lequel fut célébré cette même année, selon le récit que nous en avons fait, à Bordeaux, en novembre. (Le Roi chez la Reine – Armand Baschet – 1866)