La rencontre improbable de deux stars du XVIIIe siècle

Question : quoi de commun entre la Camargo et Mandrin ? entre une célèbre danseuse de l’Opéra et le capitaine général des contrebandiers de France ?

Réponse : le livret d’un opéra-comique, La Camargo, mis en musique par Charles Lecocq, et représenté en 1878, au Théâtre de la Renaissance.

Charles Lecocq n’est pas seulement le compositeur de La Fille de Mme Angot. Après avoir gagné le premier prix – ex-aequo avec Georges Bizet ! – d’un concours d’opérette en 1856, il se consacra à l’opéra-comique jusqu’en 1914. Durant ce plus que demi-siècle, cette homme qu’une infirmité obligea dès l’enfance, et toute sa vie durant, à porter des béquilles, composa la bagatelle d’une cinquantaine d’opérettes, opéras-bouffes et opéras-comiques, aux titres parfois pittoresques : Le Baiser à la porte, Le Carnaval d’un merle blanc, Sauvons la caisse

En 1878, Lecocq sortait d’une période marquée par le succès de La Fille de Mme Angot, dont il avait exploité le filon avec Le Fils de Mme Angot (1873), et La Résurrection de la mère Angot (1874). C’est alors qu’il commença à travailler avec deux librettistes, Eugène Leterrier et Albert Vanloo, collaboration qui connut le succès avec Giroflé-Girofla, en 1874, suivi, l’année suivante, de La Petite Mariée.

Eugène Leterrier avait alors un peu plus de quarante ans. Après avoir travaillé à l’Hôtel de Ville de Paris, il s’était tourné vers le théâtre. Quant à Albert Vanloo, il était né à Bruxelles en 1846. Tous deux travaillèrent pour Lecocq, mais aussi pour Emmanuel Chabrier (L’Étoile, en 1877). Vanloo, plus tard, devait aussi travailler pour André Messager (Les P’tites Michu, en 1897, et surtout Véronique, en 1898).

Le livret de La Camargo fait donc se rencontrer deux célébrités du milieu du XVIIIe siècle. Marie-Anne de Cupis de Camargo était née à Bruxelles en avril 1710. Elle commença à danser à Paris en 1726, quitta la scène en 1734, pour y revenir en 1741 et prendre sa retraite définitive en 1751. Noverre disait d’elle qu’elle n’était ni jolie, ni grande, ni bien faite ; mais que sa danse étoit vive, légère et pleine de gaîté et de brillant.

Louis Mandrin, pour sa part, était né en Dauphiné en février 1725. Condamné à mort pour rixe, et marqué par l’exécution de son frère, il devint contrebandier entre la Suisse, la Savoie et la France, et s’attaqua aux collecteurs de la Ferme générale. Il finit par être arrêté, et mourut à trente ans en 1755, roué vif, à Valence.

Le premier acte de La Camargo fait pénétrer dans le foyer de la danse de l’Opéra, où vont défiler toute une série de personnages hauts en couleur. Il y a là les danseuses, jalouses du succès de la Camargo ; les « abonnés » toujours prêts à apporter cadeaux et bonbons, et friandises délicates à leurs petites chattes, sachant bien que celles-ci ne seront pas ingrates ; la Camargo, la reine de l’Opéra, qui règne sur le Tout-Paris, tout en feignant de s’étonner de son succès alors qu’il en est tant, politiques, gens de finance, qui sautent mieux que la Camargo ! Il y a aussi Pontcalé, soupirant officiel de la Camargo, à qui il se vante d’avoir offert un collier de cent mille francs, et qui annonce la présence de l’affreux Mandrin dans un château au Mesnil-le Roi, propriété d’une femme créole. Il y a Dona Juana, qui se dit princesse de Rio Negro, veuve à treize ans, et qui vient se plaindre à Pontcalé d’avoir subi une visite équivoque de Mandrin, et dont on se doute qu’elle pourrait bien être la fameuse créole. Il y a encore une famille de drapiers à qui Pontcalé a prêté sa loge, dont une jeune fille, Colombe, Péruchot, son père, et Saturnin, son cousin, qui est aussi son fiancé, mais qui est tombé amoureux fou de la Camargo. Il y a enfin le mystérieux chevalier Valjoly, le nouveau favori de la Camargo, à qui des comparses aux noms pittoresques – Fil-en-Quatre, l’Écureuil, Rossignol, Tournavis et le Philosophe – apportent un bijou destiné à la Camargo, et dont on comprend rapidement qu’il n’est autre que Mandrin. Dona Juana reconnaît Mandrin, qui la séduit en feignant de chercher une femme qui le ramènerait dans le bonne voie. La Camargo annonce qu’on lui a volé le collier offert par Pontcalé. Ce dernier décide de fouiller tout le monde, et Mandrin ne se sort d’affaire qu’en confiant le collier volé à Dona Juana. Ouf !

Le deuxième acte se passe dans le château où Mandrin s’est installé avec ses brigands. Il a décidé de faire arrêter la chaise de poste de la Camargo qui se rend à Lyon. Arrivent Juana qui a pris au sérieux le désir de Mandrin de s’amender, et des prisonniers des brigands, qui ne sont autres que Péruchot, Colombe et Saturnin. Puis on amène la Camargo, à qui Mandrin – qu’elle prend toujours pour le chevalier de Valjoly – annonce qu’il l’a enlevée pour donner une fête en son honneur, et qu’il a « retrouvé » son collier. Les péripéties s’amoncellent : Saturnin, qui s’est évadé reconnaît la Camargo ; Pontcalé, renseigné par un paysan, s’introduit chez Mandrin par un passage secret, tombe sur Valjoly, et lui révèle qu’il dispose d’hommes armés à l’extérieur. A la demande de Mandrin, la Camargo danse une petite Pastorale. C’est Saturnin qui révèle enfin à la Camargo et à Pontcalé que Valjoly n’est autre que Mandrin. La Camargo, à qui Mandrin a donné rendez-vous, feint d’être sous son charme et réussit à lui faire ouvrir le passage secret par lequel Sataurnin réussit à s’évader. Mandrin réussit à désarmer Pontcalé, mais Saturnin revient avec des soldats. Mais, sur un malentendu, c’est Pontcalé qui est arrêté par la maréchaussée…

Le troisième acte transporte le spectateur « Au Tambour Royal », cabaret de Ramponneau, où les brigands de Mandrin sont attablés. La Camargo, accompagnée de Saturnin, Pontcalé, Juana, et de danseuses, vient y manger une soupe au choux. Pontcalé raconte comment le roi a bien ri de son histoire, et comment il a recuté un exempt nommé Philidor pour retrouver Mandrin. Le nommé Philidor survient justement pour annoncer que Mandrin a filé à Bruxelles. Tous décident de se retrouver au bal de la Courtille. On comprend vite que Philidor n’est autre Mandrin. Colombe et son père arrivent à leur tour chez Ramponeau, à la recherche de Saturnin. Colombe, cachée, entend Mandrin qui a à nouveau décidé de faire enlever la Camargo. Elle retrouve Saturnin, lassé de faire le porte-paquets de la Camargo. Colombe révèle à la Camargo les projets de Mandrin. La Camargo lui demande de se faire passer pour elle, et prévient Pontcalé. La Camargo se déguise en chanteuse des rues, sous le nom de Javotte, et Juana en vendeuse de macarons, sous le nom de Margotte. Elles abordent les brigands pour les faire parler, reconnaissent Mandrin en Philidor, et se dévoilent. Les brigands reviennent avec une chaise à porteurs. Pontcalé qui attendait en coulisse, les arrêtent, croyant délivrer la Camargo qui n’est autre que Colombe. Grâce à la Camargo, qui ne veut pas faire les affaires de la police, Mandrin, toujours habillé en exempt, peut s’enfuir. Et tout se termine par un refrain chanté par la Camargo,

Eh youp ! eh youp ! eh youp, Javotte,
Fais sauter la marmotte…
Et si vous n’avez rien compris à cette histoire, dîtes-vous cela n’a aucune importance !

Jean-Claude Brenac – Septembre 2010