L’opera seria n’a pas que des amis.
Les arias, encore, ça va. Quoique le « da capo » ait encore ses ennemis irréductibles. Aria di furia, ario di furore, di lamento, di gelosia, di vendetta, di agilita, di portamento,…les occasions de déployer son érudition et de briller en société ne manquent pas.
Mais les récitatifs ! A-t-on jamais vu les qualifier autrement qu’ennuyeux, interminables, incompréhensibles ? On imagine bien le dialogue suivant :
– Chef, l’opéra est trop long. Qu’est-ce qu’on fait ?
– Facile ! taillez dans les récitatifs ! De toute façon, personne ne s’en apercevra.
On a même vu une revue musicale – c’était au temps de l’avènement du CD – rappeler à ses lecteurs qu’on pouvait désormais écouter un opéra sans les récitatifs par une simple programmation.
En parodiant la publicité, on pourrait dire : « le récitatif, encore un sujet pas facile à traiter ! » Essayons quand même.
D’abord, on voudra bien reconnaître qu’un opéra sans récitatifs, ce n’est plus un opéra. C’est une suite d’airs d’opéra. La nuance est de taille. Alors qu’un opéra sans airs reste un opéra.
Pas étonnant. L’opéra – on le sait – est né par le récitatif. Raconter – c’est à dire réciter – en musique, c’est bien ce que recherchaient nos chers poètes et musiciens de la Camerata Bardi. Mais raconter voulait aussi dire « représenter », exprimer les sentiments. Pendant la première moitié du XVIIe siècle, le récitatif est un fantastique moyen d’expression, porté à sa perfection par Claudio Monteverdi. L’opéra français, un peu plus tard, est totalement aussi centré sur la déclamation du texte. Il ne s’appelle pas tragédie lyrique par hasard.
Et puis se développe cette fameuse séparation de plus en plus nette entre l’aria, voué à l’expression des sentiments, et le récitatif, à qui est confié le déroulement de l’histoire. Mais il ne faudrait pas en conclure que la musicalité est toute entière monopolisée par l’aria. Il faudra du temps avant que, sous l’influence des napolitains, le récitatif devienne vraiment « secco », texte débité à l’accéléré, peu mélodique, ponctué d’accords stéréotypés plaqués au clavecin.
Avant d’en arriver là, le récitatif reste un réservoir – trop souvent méprisé – à la fois de ressort dramatique – encore faut-il suivre le livret – mais aussi de musicalité. Citons Pierre Saby (*) : « les principaux caractères du récitatif sont la liberté rythmique et agogique de la déclamation, la malléabilité expressive des inflexions, obéissant aux inflexions du poème, l’absence de répétition de texte ou de schéma formel préétabli ».
Certains chefs baroques ne s’y trompent pas, et ce n’est pas un hasard si le les sonorités du continuo sont l’objet de tout leur soin. Quand ils ne mettent pas eux-mêmes la main à la pâte, en tenant qui le clavecin, qui l’orgue positif.
Les beautés du récitatif sont sans doute moins immédiates que celles des arias. Mais les beautés cachées ne sont-elles pas les plus savoureuses ?
Jean-Claude Brenac – Septembre 2002
(*) Vocabulaire de l’opéra – article « récitatif »