Les premiers biographes de Haendel

Est-ce dû à sa forte personnalité ? Haendel semble avoir été le premier musicien à « inspirer » les biographes.

En 1760, un an après sa mort, parut chez R. and J. Dodsley, éditeur londonien situé à Pal Mall, une publication anonyme intitulée : « Memoirs of the life of the late G.-F. Haendel », augmentée d’un « Catalogue of his works », et d’« Observations upon them ».

Memoirs of the life of the late G.-F. Haendel  - Mainwaring
C’était la premier véritable ouvrage sur la vie et l’œuvre d’un compositeur, et l’auteur en était le Révérend John Mainwaring. Ce dernier (1724-1807) avait étudié au St. John’s College de Cambridge, et été ordonné en 1748. Il eut plusieurs collaborateurs pour cette première biographie de Haendel : la plupart des informations factuelles provenaient de John Christopher Smith, dernier copiste de Haendel ; le catalogue des oeuvres était de la main de James Harris ; et les « Observations » furent rédigées pour l’essentiel par Robert Price, que Mainwaring qualifia de « Gentleman , who is a perfect master of the subject ».

John Christopher Smith, né à Ansbach en 1712, était le fils de Johann Christoph Schmidt (anglicisé en John Christopher Smith), que Haendel avait connu à l’Université de Halle, et qui le suivit à Londres en 1716 pour devenir son secrétaire. John Christopher s’attacha à son tour à Haendel lorsque ce dernier devint aveugle. Il mourut à Londres en 1795, laissant une importante collection de manuscrits et partitions.

John Christopher Smith
La biographie de Mainwaring fut traduite en allemand par Johann Mattheson sous le titre « Georg-Friedrich Händels Lebensbeschreibung », et parut à Hambourg en 1761. Johann Mattheson prenait ainsi une revanche posthume, car il n’avait jamais pu obtenir de Haendel qu’il lui envoie des éléments de sa biographie.

L’ouvrage de Mattheson fut lui-même traduit en français et parut en 1768-69 dans les « Variétés Littéraires, recueil de pièces tant originales que traduites, concernant la philosophie, la littérature et les arts » de François Arnaud, en collaboration avec Jean-Baptiste-Antoine Suard.

L’abbé François Arnaud (1721 – 1784), publia avec son ami Jean-Baptiste-Antoine Suard le « Journal étranger », et dirigea avec lui « La Gazette de France » de 1762 à 1771. Introduit dans les salons de Mme Necker et de Mlle Lespinasse, bibliothécaire du comte de Provence, futur Louis XVIII, il entra à l’Académie des inscriptions et belles-lettres en 1762, puis l’Académie française en 1771. Sur le plan musical, il prit vigoureusement le parti de Glück et fut surnommé « le grand pontife des gluckistes ». Jean-Baptiste-Antoine Suard (1732 – 1817) fut élu à l’Académie française en 1772, mais son élection fut cassée par le roi, ce qui ne l’empêcha pas d’être réélu en 1774.

François Arnaud
En 1798, William Coxe fit paraître, de façon anonyme, chez l’éditeur londonien W. Bulmer and Company, les « Anecdotes of George Frederick Handel and John Christopher Smith ». William Coxe (1748 – 1828) était un historien qui écrivit de nombreux relations de voyage, Mémoires et ouvrages historiques. Il était devenu le beau-fils de John Christopher Smith par le remariage de sa mère avec ce dernier.

William Coxe
Mais c’est au milieu du XIXe siècle que Haendel allait exercer sa fascination sur deux hommes bien différents, un Français et un Allemand, qui déboucha sur deux publications essentielles en 1857 et 1858.

Né en Alsace en 1804, Victor Schoelcher est surtout connu pour sa lutte contre l’esclavage : il fut à l’origine de décret du 27 avril 1848 abolissant définitivement l’esclavage en France. C’est par un hasard de la politique qu’il en vint à se passionner pour Haendel. Proscrit en 1851 après le coup d’État du futur Napoléon III, il s’exila à Londres où il entendit des oratorios du Saxon, et se lança dans une recherche de toute la documentation qu’il pouvait trouver. Ainsi, en 1856, il acquit la collection des partitions d’opéras et oratorios léguées par Haendel à son élève et secrétaire Johann Christopher Smith.Ce travail déboucha sur un ouvrage en anglais, « Life of Handel », publié en 1857 chez Trübner, traduction par James Lowe de son manuscrit en français.

Life of Handel - Victor Schoelcher
Revenu en France après la chute du Second Empire, Schoelcher fit don à la bibliothèque du Conservatoire de Paris de ce qui est aujourd’hui le « Fonds Schoelcher » : 3000 documents autour de Haendel et des compositeurs anglais contemporains : éditions princeps ou originales, copies manuscrites, arrangements et œuvres pastiches contemporaines, livrets, programmes et coupures de presse. On a peine à le croire, mais l’ouvrage ne parut jamais en français, si ce n’est de façon parcellaire dans « La France musicale » d’août 1860 à novembre 1862, sous le titre « Haendel et son temps ». Schoelcher fut élu sénateur inamovible en 1875 et mourut en 1893.

Victor Schoelcher
Un an avant la publication de l’ouvrage de Schoelcher, s’était créée à Lepizig la Deutsche Händel-Gesellschaft, à l’initiative de Friedrich Chrysander et Gottfried Gervinus, dans le but de publier une édition critique de l’ensemble des oeuvres de Haendel.

Friedrich Chrysander
Friedrich Chrysander était né en 1826 dans le Mecklembourg, et fut d’abord enseignant avant de se passionner pour Haendel. Son associé Gottfried Gervinus l’abandonna quatre ans après la création de la Deutsche Händel-Gesellschaft, et c’est seul que, en 1858, Chrysander publia chez Breitkopf und Härtel le premier tome de sa biographie de Haendel, sous le titre « G.-F. Händel ». L’année suivante, il commença l’édition des cents volumes de l’édition critique qui devait se poursuivre jusqu’en 1894. Un second tome de la biographie parut en 1860, puis la première partie du troisième en 1867. Mais Chrysander, qui ne mourut qu’en 1901, laissa la biographie inachevée, arrêtée à l’année 1740.

Händel - Chrysander
Quant à la première biographie de Haendel publiée en français, elle n’est pas, contrairement à ce que l’on pense généralement, celle de Romain Rolland, qui date de 1910, et fut plusieurs fois rééditée, mais celle de Ernest David, parue en 1884, sous le titre « G.-F. Händel, Sa vie, ses travaux et son temps ». Ernest David était un musicographe, né à Nancy en 1824, auteur notamment d’un ouvrage sur Bach. Sa biographie de Haendel ne mérite pas l’oubli mystérieux dans lequel elle est tombée.

G.-F. Handel - Ernest David

Jean-Claude Brenac – Octobre 2007