Qu’auraient été les débuts de l’opéra romain sans les Barberini ?
Août 1623 : Maffeo Barberini (1), cardinal depuis 1606, devient pape à cinquante-cinq ans, sous le nom d’Urbain VIII. C’est le début d’un premier âge d’or pour cette famille venue s’installer à Rome au milieu du XVIe siècle. Le nouveau pape a en effet trois neveux dont la carrière va devenir météorique :
. Francesco dit l’Aîné (2) est nommé cardinal à 26 ans, trois jours (!) après l’accession de son oncle au pontificat, bibliothécaire du Vatican, puis vice-chancelier, accessoirement gouverneur de Tivoli, évêque de Sabina, Ponto et Ostie ;
. Antonio dit le Jeune (4), est cardinal en 1627, légat du pape en Avignon en 1633, camerlingue en 1638, enfin commandeur en chef des troupes pontificales. Nommé Grand Aumônier de France, il sera Pair de France.
De 1628 à 1635, Urbain VIII se fait construire, sur des plans de Carlo Maderna et Francesco Borromini, puis de Gianlorenzo Bernini (le fameux Bernin), un palais dont une aile abrite un vaste théâtre qui va devenir le coeur de l’art lyrique à Rome.
Chaque carnaval est l’occasion de créer ou de reprendre une oeuvre scénique, dans des genres variés : opéra sacré, drame musical, opéra pastoral, comédie, dont l’auteur du livret est le plus souvent le cardinal Giulio Rospigliosi. Les chanteurs sont issus de la chapelle pontificale, et les rôles féminins interprétés par des castrats, tels Marc’Antonio Pasqualini ou Loreto Vittori :
. en 1633, « Erminia sul Giordano », de Michelangelo Rossi, sur un livret inspiré de la « Gerusalemme liberata » du Tasse ; dédié à Anna Colonna Barberini, épouse de Taddeo, ce drame musical est représenté dans une somptueuse mise en scène d’Andrea Camassei et avec des machines de Francesco Guitti ;
. en 1635, un drame sacré, la « Vita di Santa Teodora » (ou Santi Didimo e Teodora), repris en 1636 ;
. en 1637, « Chi soffre, speri », de Virgilio Mazzocchi et Marco Marazolli, qui sera repris en 1639; considéré comme un des premiers opéras à caractère bouffe, il emploie des personnages de la commedia dell’arte et des figures de la vie italienne contemporaine;
. en 1639, la « Galatea », opéra pastoral dédié à Antonio Barberini par le castrat Loreto Vittori, dont ce sera la seule oeuvre pour la scène;
. en 1641, l' »Innocenza difesa » de Domenico Mazzocchi, auteur de ce que l’on peut considérer comme le premier opéra romain, la « Catena d’Adone » (1626) ;
. en 1642, « Il Palazzo incantato d’Atlante », de Luigi Rossi. La représentation fait intervenir dix-huit chanteurs – dont les castrats Marc’Antonio Pasqualini et Loreto Vittori – pour tenir les vingt-quatre rôles, et dure sept heures. Le public admire la mise en scène d’Andrea Sacchi, assisté du peintre Gagliardi, les costumes, les machines théâtrales d’Appolonio Guidoni, les ballets et jeux de lumière.
Urbain VIII meurt en 1644. Une autre ère, moins éclatante, commence pour les Barberini car le nouveau pape, Giovanni Battista Pamphili, devenu Innocent X, ne les aime guère. Il accuse même Antonio et Francesco de malversations. Les Barberini se rappellent opportunément qu’ils ont à Paris un ami fidèle à Paris, en la personne du cardinal Mazarin. Celui-ci est d’autant plus empressé de les accueillir qu’il souhaite introduire l’opéra italien à Paris, et compte sur les Barberini pour jouer le rôle d’agent auprès des artistes. Antonio Barberini arrive ainsi à Paris en septembre 1645, suivi, l’année suivante, par les frères Francesco et Taddeo que l’on verra venir rendre hommage à Anne d’Autriche et à ses fils – le jeune Louis XIV et son frère, Monsieur – en février 1646.
L’amour de la musique ne les a pas quittés, et, dès le 2 mars 1647, a lieu au Palais Royal la somptueuse représentation de l’Orfeo de Luigi Rossi, avec les machineries de Jacopo Torelli, la chorégraphie de Giovanni Battista Baldi, et une distribution réunissant notamment les castrats Atto Melani et Marc Antonio Pasqualini, et la soprano Anna Francesca Costa, dite la « Checca ».
La Fronde interrompt les représentations, et les Barberini reprennent le chemin de Rome où la situation s’est éclaircie pour eux, et où ils retrouvent bientôt leur ancienne splendeur, consacrée par les noces du fils de Taddeo, Maffeo, prince de Palestrina, avec Olimpia Giustiniani, nièce du pape. Le théâtre Barberini rouvre ses portes le 15 juin 1653, avec « Dal mal il bene », commedia per musica en trois actes, sur un livret de l’inévitable Giulio Rospigliosi, alors nonce apostolique en Espagne, dont la musique avait été partagée entre Antonio Maria Abbatini (actes I et III) et Marco Marazzoli (acte II).
Les créations se succèdent à nouveau à l’époque du carnaval, interrompues en 1655 par le décès du pape Innocent X :
. en 1654, « L’Armi e gli amori », mélodrame de Marco Marazzoli, qui sera repris en 1656 ;
. en 1656, « La Vita umana overo Il Trionfo della Pieta », opéra sacré de Marco Marrazoli, dédié à la reine Christine de Suède et représenté en sa présence.
Pourtant, l’opéra romain façonné par les Barberini vit ses dernières années : Stefano Landi, Luigi Rossi, Virgilio Mazzocchi sont morts, Marco Marazzoli s’est détaché des Barberini au profit de la reine Christine de Suède et du nouveau pape Alexandre VII, et Domenico Mazzocchi n’écrit plus que de la musique religieuse. Les »neveux Barberini » ne sont plus que deux depuis la mort de Taddeo à Paris dès 1645. En contrepartie de leurs droits retrouvés, Francesco et Antonio ont été priés de « s’acheter » une conduite » et de consacrer plus de temps à l’exercice de leurs – nombreuses – charges.
L’opéra, en ce milieu des années 1650, c’est à Venise qu’il faut aller le chercher, où un théâtre public a été ouvert dès 1637, et où Pier Francesco Cavalli règne en maître. A Rome, il faudra attendre 1671 pour qu’un théâtre public – le Teatro Tordinona – ouvre ses portes.
(1) Maffeo Barberini (1568, Florence – 1644, Rome)
(2) Francesco Barberini dit l’Aîné (1597, Florence- 1679, Rome)
(3) Taddeo Barberini (1603, Rome – 1647, Paris)
(4) Antonio Barberini, dit le Jeune (1607, Rome – 1671, Nemi)
(5) Giovanni Battista Pamphili (1574-1655)