Ce cher monsieur Titon du Tillet !

Bien sympathique, mais surtout incontournable, ce monsieur Évrard Titon du Tillet.

Impossible de s’intéresser aux musiciens français du Grand Siècle sans faire appel aux biographies réunies dans « Le Parnasse françois », émaillées d’anecdotes imagées.

Sans lui, qui nous ferait revivre Lully prenant plaisir à arrêter son carrosse sur le Pont-neuf pour entendre chanter les airs de ses opéras, avec des paroles quelque peu différentes de l’original ? Colasse ruinant sa santé dans la recherche de la pierre Philosophale ? Michel Richard de La Lande brisant son violon de dépit de n’avoir pas été retenu par Lully pour jouer à l’Opéra ? Marin Marais venant écouter son maître Sainte Colombe en cachette sous le cabinet en planches que ce dernier avait fait construire dans les branches d’un mûrier ? Nicolas Bernier se faisant souffleter et réprimander par le duc d’Orléans ? Jean-Joseph Mouret perdant la raison et devant être interné chez les Pères de la Charité de Charenton ?

D’origine écossaise, comme sosn nom ne l’indique pas, mais né à Paris en janvier 1677, il était le fils d’un conseiller au Parlement de Paris. Il commença des études de droit, mais son père l’obligea à embrasser la carrière des armes. A vingt ans, il était capitaine de dragons, lorsque la paix le mit sur le pavé. Il acheta pour 31 000 livres la charge de maître d’hôtel de la duchesse de Bourgogne, la Dauphine, alors âgée de treize ans, future mère de Louis XV. Hélas, en 1712, la Dauphine – et le Dauphin – moururent de la rougeole, et notre pauvre Titon du Tillet se retrouva une seconde fois au chômage.

Il se consacra alors à un projet grandiose qu’il mûrissait depuis quelques années : créer un jardin pour accueillir un monument – « Le Parnasse françois » – à la gloire des poètes et des musiciens français qui avaient exercé leur art sous le règne de Louis XIV.

Pendant près de dix ans, il fit travailler à ses frais le sculpteur Louis Garnier pour la mise au point d’une maquette de ce monument. Un groupe en bronze fut ainsi achevé en 1718.

Il commanda également au peintre Nicolas de Poilly un dessin qu’il fit reproduire, en estampe, et qu’il alla présenter au jeune roi Louis XV, en 1723. On ne sait quel accueil lui réserva ce dernier. Ce qui est sûr, c’est que le Trésor public receula devant la dépense, estimée à pas moins de deux millions !

Devenu commissaire des guerres provincial, et pressentant qu’il ne pourrait concrétiser son projet (trop) grandiose, Titon du Tillet publia, en 1727, la « Description du Parnasse françois, exécuté en bronze », suivie d’une « Liste alphabétique des Poètes et des Musiciens rassemblés sur ce monument ». En 1732, il fit paraître une seconde édition qu’il augmenta de notices – o combien précieuses – sur la vie des poètes et des musiciens, puis deux suppléments, l’un en 1743, l’autre en 1755.

On dit de lui qu’il était célibataire obstiné, mais toujours entouré de nombreux visiteurs qu’attiraient son humeur passionnée, sa chaleur et sa conversation bourrée d’anecdotes. Au printemps 1749, il se retira dans un bel hôtel, entouré d’un grand parc, rue de Montreuil, aux portes de Paris.

En décembre 1762, il fit très froid. Âgé de quatre-vingt-cinq ans, il s’enrhuma et en mourut, le 26 décembre.

On rêve que Paris pourrait aujourd’hui abriter – à la place de la Tour Montparnasse, par exemple ? – l’immense monument imaginé par ce génial mégalomaniaque : la montagne du Parnasse couverte de lauriers, de myrtes, de palmiers et de troncs de chêne entourés de lierre. Au sommet, Apollon, sous les traits de Louis XIV, aurait brandi une lyre. Au-dessous de lui, les trois Grâces auraient eu les traits de Mesdames de La Suze – dont le poète de Linières disait qu’elle joignait l’esprit à la beauté – , Des Houlières, poétesse de Cour, et de Scudéry, auteur de romans-fleuves, unies par des guirlandes de fleurs. Sur une terrasse inférieure, qui aurait fait le tour de la montagne, les neuf Muses auraient eu les traits de Corneille, Molière, Racan, Segrais, La Fontaine, Chapelle, Racine, Boileau, et Lully qui aurait tenu dans ses mains le médaillon de Quinault (sic). Dans tout le restant de la montagne, des artistes moins célèbres auraient été représentés par des médaillons, les uns portés par des génies, les autres suspendus à des branches de lauriers ou à des branches de palmiers.

Allons, merci quand même, monsieur Titon du Tillet !

Jean-Claude Brenac – Octobre 2004 (*)

(*) d’après la préface de Marie-Françoise Quignard pour l’ouvrage « Vie des musiciens et autres Joueurs d’Instruments du règne de Louis-le-Grand » – Editions Le Promeneur – novembre 1991