Pour ou contre le prologue ?

Parfois bien long à démarrer, l’opéra baroque, qu’il s’agisse des opéras italiens du XVIIe siècle ou de la tragédie lyrique française jusqu’à Rameau.

Avant d’entrer dans le vif du sujet, il faut en effet compter avec le fameux Prologue.

Un exemple parmi d’autres : « Titon et l’Aurore », opéra de Mondonville, qui connut un grand succès en 1753. Sur deux heures que dure l’enregistrement Erato, le prologue occupe plus d’une demi-heure ! Le pire est qu’il ne s’y passe rien – pour autant qu’il se passe quoi que ce soit dans la pastorale elle-même.

Il ne faut pas en vouloir au spectateur moderne d’avoir un peu de mal à accrocher à cet épisode lyrique plus ou moins – et parfois même pas du tout – relié à l’action principale.

Que trouve-t-on en effet dans le prologue ?

Un premier passage obligé : la célébration de la gloire et de la puissance du prince. Commencer un spectacle par des louanges adressées au souverain local n’est plus tellement de mode. En France, la tradition, très liée au personnage ainsi qu’à la gloire politique et militaire de Louis XIV – « le plus puissant des rois » – s’en perd dans les années 1740. Le ton en est terriblement emphatique et conventionnel. Pourtant, comme le rappelle Philippe Beaussant (*), nous voyons de la flagornerie ou de l’obséquiosité là où il n’y avait alors que déférence et reconnaissance. Les temps ont changé, les artistes ne dépendent plus du bon vouloir du prince, mais rendons grâce à tous ces princes sans lesquels tant de trésors artistiques n’existeraient tout simplement pas.

Tout aussi éloigné de notre forme de pensée est le recours, dans le prologue, notamment des opéras italiens, aux allégories. Cette façon de personnifier les idées – l’Espérance, la Vertu, la Fragilité humaine, la Fortune, l’Amour, etc. – nous paraît, comme le dit encore Philippe Beaussant, « puérile et artificielle ». Souvent ces personnages ne sont là que pour éveiller l’intérêt en faisant allusion au sujet de l’oeuvre, voire à son dénouement. Ainsi le prologue de La Calisto annonce qu’une « nouvelle constellation a enrichi le firmament ». L’important est dans le pourquoi, dans le comment. Le procédé est toujours en vigueur, et certains films ne sont pas bâtis autrement, qui commencent par présenter le dénouement, avant d’entreprendre le récit et d’en démonter les ressorts.

Il faut de plus reconnaître que l’intervention des personnages allégoriques est singulièrement efficace, par la caractérisation des personnages, et permet certains dialogues savoureux. Ainsi le prologue du « Couronnement de Poppée », qui voit s’affronter la Fortune et la Vertu, avant d’être renvoyées dos à dos par l’Amour.

Quoi d’autre encore dans le Prologue ? Des danses, bien sûr, s’agissant de la tragédie lyrique. En France, à l’époque baroque, la danse est partout, et les exemples ne manquent pas où les ballets firent bien plus le succès des spectacles que l’opéra lui-même. Pier Francesco Cavalli en fit l’amère expérience avec les intermèdes de Lully lors de la représentation de Xerse. Le ballet, on aime ou on n’aime pas. Mais il faut bien reconnaître qu’il ne contribue pas à la fluidité de l’action.

Alors, le Prologue, pièce rapportée inutile, ou partie intégrante de l’oeuvre ?

A chacun son opinion. Mais imagine-t-on l’Orfeo sans « Io la Musica son, ch’ai dolci accenti, so far tranquillo ogni turbato core… » Impossible !

Alors vive le Prologue !

Jean-Claude Brenac – Octobre 2002

(*) Le Chant d’Orphée