On le sait – et on le lui reproche assez ! – , l’opéra seria est une succession d’arias et de récitatifs. Arias le plus souvent sous la forme col da capo, c’est à dire en trois parties, la troisième constituant une reprise de la première partie, assortie d’ornements destinés à faire valoir la virtuosité et l’art de l’improvisation du chanteur.
Un opéra seria pouvant comporter plus d’une trentaine d’airs, il importait d’en assurer la diversité. D’où une foule de dénominations – quasiment toutes italiennes, dans laquelle il est parfois difficile de se retrouver.
Petite revue de détail pour aider à s’y retrouver, et briller dans les salons baroques…
Il faut d’abord s’intéresser au style de chant. Celui-ci peut être soit cantabile, soit fiorito (« fleuri »), soit encore déclamatoire.
. le chant cantabile (ou spianato, littéralement « aplani ») est peu orné, caractérisé par la recherche du legato (« lié »). Il exprime la douceur, la tristesse, mais aussi le pathétique. Il permettait aux castrats de faire admirer la longueur de leur souffle au cours de messa di voce (son « filé ») (*) qui marquaient le début de certains airs ;
. le chant « fleuri », au contraire, est riche en ornements. Selon la voix, l’aria peut être : di agilita, parsemée de roulades, arpèges et trilles,; di maniera, prisée par les voix peu puissantes mais agiles, riches en appogiatures, trilles, staccato ; di bravura, pour les voix puissantes, mais virtuoses, donnant des airs vaillants ou passionnés ; ou encore di portamento, mettant en relief l’étendue de la voix et la dynamique des nuances ;
. le chant « déclamatoire », enfin, donne des arias dans lesquelles la voix se rapproche de la langue parlée : aria parlante, aria declamata, où se manifestent des sentiments puissants ou passionnés (au point que le chanteur en oublie de chanter…).
Le mode d’expression constitue une seconde distinction qui permet de distinguer l’aria di paragone (ou di comparazione), qui illustre une situation en la comparant à des images tirées de la nature, l’aria d’imitazione, dans laquelle la voix et les instruments cherchent à imiter les bruits de la nature, et l’air di passione, entièrement dominé par l’exaltation de la passion, sans recours à des métaphores ou des imitations.
. parmi les arias di paragone, l’aria di tempesta met en parallèle la violence des passions et celles des éléments naturels, ayant recours à des vocalises furibondes, des sauts de registre. A l’inverse, l’aria « bucolique » fait référence à la douceur de la nature – zéphyrs, oiseaux, onde fraîche, vie champêtre – en privilégiant le legato et la beauté du timbre ;
. l’aria d’imitazione prend souvent pour modèle le chant des oiseaux (le rossignol), la chasse (aria di caccia) ;
. l’aria di passione couvre toute la gamme des sentiments : aria di speranza (« d’espérance »), aria di gelosia (« de jalousie »), aria de vendetta (« de vengeance »), le plus souvent dans un style agitato, aria di furia (‘de démence’), aria di lamento, qui traduit la solitude et l’abandon, aria d’ombre (« de fantôme »), moment de recueillement où ressurgit le souvenir d’un être disparu.
L’intensité du sentiment manifesté par le personnage permet de distinguer l’aria di carattere, l’aria di mezzo carattere (lorsque le sentiment est moins fort), l’aria di sentimento, l’aria di strepito (littéralement « de fracas »), l’aria di furore, qui traduit non seulement la colère ou la folie, mais toute passion portée à son paroxysme.
La situation dramatique est aussi à l’origine de types d’airs récurrents : aria de catena, où le héros enchaîné se lamente sur sa situation désespérée (air qui prélude généralement à un retournement de situation conduisant à la fameuse lieto fine…), aria di tomba (« de tombeau »), aria del sonno (« de sommeil »), etc.
Le procédé musical utilisé par le compositeur permet aussi de distinguer : aria concertato (dans lequel la voix concerte avec un instrument soliste), aria con eco (« avec un écho »), aria senza accompagnamento (« sans accompagnement »). Quant à la structure de l’air, si l’aria da capo est la clef de voûte de l’opéra seria, d’autres formes apparaîssent parfoi, notamment l’aria in rondo (« en rondeau »), avec strophe et refrain.
Reste quelques types d’airs inclassables : l’aria di baule, ce fameux air « de malle » que les castrats emmenaient dans leurs bagages, exigeant de le chanter pour se mettre en valeur, quel que soit l’opéra, l’aria di sortita, qui comme son nom ne l’indique pas, est plutôt pour le chanteur un air d’entrée, mais à la fin duquel il quitte la scène pour mieux se faire applaudir.
On a gardé pour la fin (ou pour la faim…), l’aria di sorbetto, air destiné à un personnage secondaire, qui permettait au public de s’absenter sans dommage pour déguster quelques douceurs…
Jean-Claude Brenac – Novembre 2005
(*) messa di voce : son soutenu sans reprise de souffle, d’abord pianissimo, puis avec une intensité croissante jusqu’au forte, puis décroissante jusqu’au pianissimo. Farinelli pouvait tenir des sons filés pendant une minute, et poursuivre sans reprendre son souffle.