Après Orpheus de Telemann, Croesus de Keiser.
On n’adressera jamais assez de louanges à René Jacobs pour la plongée auquel il nous convie dans l’univers si riche et si mal connu de l’opéra baroque allemand.
Faut-il pour autant minimiser, voire mépriser les tentatives menées par des pionniers courageux ?
Faut-il rappeler que cet enregistrement de Croesus n’est pas le premier ? Et traiter René Clemencic, comme le fait Diapason, de « chef malheureux d’une partition mutilée » paraît bien injuste. On peut encore trouver – pour combien de temps ? – l’enregistrement réalisé en 1990, sur le vif – on ne parlait pas encore de « live » – au Théâtre des Champs Elysées.
Faut-il rappeler aussi que Croesus n’est pas le premier opéra de Keiser porté au disque. Thomas Albert a enregistré, en 1989, un Masaniello Furioso qui, sur un plan strictement musical, supporte la comparaison avec le Croesus porté aux nues par la critique.
De la même façon, vient de sortir une Purpura de la Rosa de Torrejon y Velasco, que le marketing a vite baptisé le « premier opéra baroque du Nouveau Monde ». Gabriel Garrido, de l’avis général, y fait des merveilles. Est-ce que cela diminue le mérite de René Clémencic – encore lui ! – qui a enregistré cet opéra en 1990, en concert, au Théâtre des Champs Elysées, également ? « Partition mutilée », « arrangement désastreux », n’est-ce pas un peu excessif pour un enregistrement tout à fait audible ?
En matière d’opéra baroque, toute représentation est une véritable création. Aussi la notion de « version de référence », censée renvoyer toutes les autres à la poubelle de l’histoire discographique, n’a-t-elle aucun sens.
Les critiques voudraient-ils gâcher notre plaisir ?
A-t-on le droit de préférer le Dardanus de Raymond Leppard à celui de Marc Minkowski ? Est-ce un sacrilège d’aimer le Couronnement de Poppée de John Pritchard, version de 1964, rééditée récemment par EMI Classics, gratifiée de 2 petits Diapasons , synonymes de bon à jeter ?
Si vous m’en croyez, ce ne sont pas les nouveaux disques qu’il faut acheter, mais les anciens, promis à la disparition par les grands prêtres qui décident pour nous de ce qui est bon ou mauvais.
Au diable, les grands-prêtres, au diable les « versions de référence » !
Novembre 2000