Le quarté magique du Palais Garnier

Passé le porche du Palais Garnier, dès le vestibule, quatre monstres sacrés accueillent l’amateur d’art lyrique, juchés sur leur haut piédestal.

Devinette : qui s’attend-on à trouver en pareil lieu, sachant que le plus bel opéra du monde a été achevé en 1875 ?

Verdi, Rossini, Bellini, Donizetti, Meyerbeer, Halévy, Berlioz ?

Vous n’y êtes pas du tout !

Au siècle du bel canto romantique et du « grand opéra », quatre ans après Aïda, ce sont les vieilles barbes du XVIIe et du XVIIIe siècles que l’on a installés à la place d’honneur dans le temple de l’art lyrique.

A gauche, Rameau, plongé dans son Traité de l’Harmonie, Monsieur de Lully, le Florentin à la pose avantageuse, à droite le Chevalier Glück, et Haendel, le cher Saxon, un peu serré dans ses vêtements…

Et l’on se prend à se demander : qu’ont-ils en commun, à part un prénom double et, paraît-il, mauvais caractère ?

D’abord d’illustrer le proverbe : « Nul n’est prophète… ». Lulli le Florentin, Glück l’Autrichien, Haendel le Saxon ont quitté leur pays natal, Rameau, le Bourguignon, sa province natale, pour imposer leur génie, les uns à Paris, les autres à Londres.

Et aussi d’avoir attendu la maturité pour libérer leur pleine puissance créatrice au service de l’opéra. Lully a 41 ans – pas si jeune, à cette époque – lorsque la tragédie lyrique naît avec « Cadmus et Hermione », Glück 48 ans lorsqu’il révolutionne l’opéra italien avec « Orfeo ed Euridice », Rameau a 50 ans lorsqu’il réinvente la tragédie avec « Hippolyte et Aricie ». Seul Haendel a eu le génie lyrique précoce.

Et puis, on se plaît à penser que, plus de 125 ans après, il n’y a rien à changer à ce quarté magique. Trois, au moins, sont entrés « au répertoire ». Ce n’est pas Rameau qui viendra nous contredire, lui dont la touchante Platée a tenu les spectateurs de Garnier sous l’enchantement de ses « quoi quoi », ni Haendel, dont au printemps dernier, le lamento d’Ariodante, version ralentie, faisait retenir son souffle à ces mêmes spectateurs de Garnier.

Seul Lully a encore bien du mal. On croyait que l’Atys d’anthologie de 1987 avait durablement subjugué et réconcilié le public français avec la tragédie lyrique du Grand Siècle. Las ! l’état de grâce n’a pas duré, et tout est à refaire. Heureusement, les ouvriers – et des meilleurs – sont là pour reprendre le travail. En ce moment, les dieux lui sont favorables : la méduse de Christophe Rousset étend ses filaments dans les bacs des disquaires, et « Persée », le « trésor exhumé d’un royal compositeur » comme dit si joliment « Tocade », réalise une belle percée : 59e vente chez Amazon. Bon début, mais peut mieux faire.

Ce 27 février au soir, c’était « Cadmus et Hermione », la première tragédie lyrique, qui – grâce à Christophe Rousset, encore lui – remplissait nos chaînes hifi d’une musique proprement « inouïe ». Gageons que bien des magnétophones en ont ronronné de plaisir.

William Christie – « Atys » c’était déjà lui ! – n’est pas en reste, dont les « Divertissements de Versailles » donneront un temps vie à ces noms qui font rêver : Armide, Alceste, Atys, Isis, Roland. Et le bon Bill nous revient également sur Mezzo avec « Thésée », une autre tragédie lyrique.

Avec de tels héros – et de tels hérauts – Baptiste, c’est le moment de saisir ta chance. Car bien que tu aies des côtés franchement antipathiques, on n’arrive pas à te détester !

PS. Plus confidentiel, mais tout aussi important, le démarrage d’une édition complète des oeuvres du Florentin. 39 volumes, excusez du peu. Un détail : l’éditeur est allemand.

Jean-Claude Brenac – Mars 2002