Et si l’opéra était né en France, au XVIe siècle ?

Et si l’opéra était né en France, au XVIe siècle ?

Nul ne songerait à dénier aux fameuses Camerata du comte Bardi, puis de Jacopo Corsi la paternité des recherches qui menèrent, à l’orée du seicento, à la création d’un genre nouveau, que le génie montéverdien s’empressa de transcender d’une façon tellement magistrale que l’Orfeo (*), représentée en 1607, passe souvent – et à tort – pour le premier opéra.

Mais les cénacles florentins n’étaient pas les seuls à vouloir se dépêtrer de l’oppressant écheveau polyphonique, et à rechercher dans les modèles des anciens Grecs une forme de spectacle dramatique où la musique tendrait à rendre plus expressif un texte redevenu intelligible.

Dès le 15 octobre 1581, au Petit Bourbon, à Paris, « Le Balet comique de la Royne » consacrait déjà brillamment l’union de la poésie, de la musique et de la danse sur le modèle du drame antique.

L’initiative en revenait à Catherine de Médicis peut-être désireuse de consoler le roi Henri III du mariage de son mignon, le duc Anne de Joyeuse, avec Marguerite de Lorraine-Vaudémont, soeur de la reine Louise. La reine-mère avait eu la main heureuse en confiant l’organisation du spectacle à un violoniste et maître de ballet italien, Baldassarino de Belgiojoso, francisé sous le nom de Baltazar de Beaujoilleux. Cet homme talentueux disait, en toute simplicité : « Je puis dire avoir contenté en un corps bien proportionné l’oeil, l’oreille et l’entendement ». Dommage que certains directeurs de théâtre d’aujourd’hui ne fassent pas leur cette lumineuse profession de foi !

De fait, bien des ingrédients qui font un opéra étaient déjà réunis et les tâches bien réparties : une action dramatique – les heurs et malheurs de la magicienne Circé – , un texte d’Agrippa d’Aubigné, versifié par La Chesnaye, une musique vocale écrite par Lambert de Beaulieu, une musique instrumentale par Jacques Salmon, des décors et costumes créés par le peintre du roi Jacques Patin, avec des effets de machine – Mercure descendant sur un nuage, Jupiter sur un aigle (**). Ouverture, récits, airs, choeurs, danses : tout était là pour faire un vrai ballet de cour à la française.

« Le Ballet comique de la Reine » – pas « comique » au sens moderne, bien sûr, mais au sens de « mêlé de comédie » – symbolise souvent la naissance du ballet. Il pourrait bien aussi symboliser la naissance de l’opéra, près de vingt ans avant le « vrai » premier opéra.

Et il le mérite, il suffit, pour s’en convaincre, d’écouter l’enregistrement réalisé par K617 (***), à l’occasion de la première recréation scénique au festival d’Ambronay, par Gabriel Garrido et l’Ensemble Elyma, en octobre 1997.

(*) profitons en pour lire « Le Chant d’Orphée », dernier ouvrage de Philippe Beaussant, paru en mars denier chez Fayard.

(**) espérons que les machines fonctionnaient mieux que celles de l’Opéra Comique pour la représentation du « Retour d’Ulysse » du 15 mars…

Jean-Claude Brenac – Mai 2002