Bellerophon, qui s’y colle ?

Combien faudra-t-il de temps pour que toutes les tragédies en musique de Lully soient enregistrées ?

Rappelons-nous, c’était en 1975. Pour la première fois, on enregistrait une tragédie en musique de Jean-Baptiste Lully. Jean-Claude Malgoire signait là, pour CBS, son premier enregistrement d’Alceste, qui, s’il est aujourd’hui bien oublié, fut alors salué par la critique et obtint le Grand prix du meilleur enregistrement français de l’Académie nationale du disque lyrique.

Se souvient-on aussi que la Grande Écurie et la Chambre du Roy furent aussi les premiers à enregistrer une oeuvre lyrique de Rameau, Les Indes galantes, en 1975, puis à enregistrer un opéra de Haendel, Rinaldo, en 1977 ?

Il fallut attendre huit ans pour qu’une tragédie lyrique de Lully inspirât à nouveau un chef. Ce fut Philippe Herreweghe avec son premier enregistrement d’Armide, dont il raconta ainsi la genèse : Radio France désirait produire une tragédie lyrique de Lully en version de concert. Il se trouvait que le Président de la Chapelle royale, Philippe Beaussant, avait réalisé une partition d’Armide… La musique ancienne, particulièrement en France, était plutôt marginale… es chanteurs baroques n’étaient pas habitués à se produire dans de grands espaces…. Et de conclure : Aussi le résultat fut-il décevant. Sans parler du disque qui suivit qui est sans doute mon plus mauvais. À tel point que les mauvaises langues racontent qu’Herreweghe racheta lui-même le maximum de disques… Et, de fait, cet enregistrement n’a jamais été aisé à trouver.

Puis vint le miracled’ Atys, en 1987. Est-il utile d’insister sur cet évènement considérable : voix, mouvements et drame fusionnaient dans une réalisation absolument parfaite. Les Arts Florissants signaient là un enregistrement étourdissant de beauté sensuelle et d’émotion vraie, qui reste sans doute encore le plus accompli de tous les enregistrements de tragédie de Lully.

Le miracle Atys créa une immense attente. Allait-on s’engager dans une redécouverte des autres opéras du Surintendant ? Las ! il fallut attendre cinq ans pour que l’espoir renaisse avec un enregistrement issu d’une série de représentations d’Alceste, avec Jean-Claude Malgoire à nouveau à la baguette. Mais ni les représentations – pourtant mises en scène par Martinoty -, ni l’enregistrement – en concert – ne suscitèrent l’enthousiasme.

Curieusement, la même année, Philippe Herreweghe doubla aussi son premier enregistrement d’Armide. Le second fut bien accueilli, surtout grâce à la prestation de Guillemette Laurens, qui avait déjà enflammé Atys.

En 1994, c’est Marc Minkowski qui signa un Phaéton, au terme d’une série de représentations marquées par de vifs désaccords entre le chef et la metteur en scène et chorégraphe Karine Saporta, dont rendit compte un documentaire de Vincent Roget.

Fini pour les années quatre-vingt-dix ! En 2000, ving-cinq ans après le premier Alceste, le bilan était maigre : quatre tragédies. Heureusement, les choses allaient s’accélérer, avec l’arrivée de nouveaux venus.

Ce fut d’abord Christophe Rousset avec un Persée, enregistré en 2001, puis un Roland, en 2004, tous deux bien accueillis par la critique, puis Hugo Reyne, avec une Isis, en 2005, et une Proserpine, en 2006, qui ne suscitèrent qu’un accueil poli.

La première tragédie en musique de Lully, Cadmus et Hermione, dut attendre 2008 pour être mise en scène et enregistrée, sur un somptueux DVD. Vincent Dumestre au pupitre et Benjamin Lazar avaient retrouvé, sous une autre forme, la magie d’Atys. Une réussite que tant de maisons d’opéra se déshonorent de ne pas avoir invitée.

Faisons les comptes : elles sont presque toutes là. Toutes, sauf une, Bellerophon.

Bellerophon, cette tragédie en musique dont on ne sait qui est exactement l’auteur du livret ! On l’attribue à Thomas Corneille – Philippe Quinault était en pleine disgrâce – , mais son neveu Fontenelle, bien plus tard, raconta que son oncle n’avait écrit que le canevas, et qu’il était lui-même l’auteur de la versification. Sans compter que Boileau y aurait aussi contribué par ses conseils. Tout cela n’empêchant pas qu’un exemplaire du livret imprimé en 1687 porte la mention manuscrite Philippe Quinault

Bellerophon, dont les personnages portent des noms impossibles : Bellerophon, Sténoboée, Philonoé, Jobate, Amisodar…

Allez, qui s’y colle ?

Jean-Claude Brenac – juin 2009