Le 2 août 1752, on représente, sur la scène de l’Académie royale, une oeuvre entièrement en italien, avec des chanteurs italiens. Ce n’était pas la première fois. Déjà en 1729, la scène du Palais Royal avait accueilli Antonio Maria Ristorini et Rose Ungarelli dans deux intermèdes, Baiocco e Serpilla, et Dom Micco e Lesbina. Cette fois-ci, La Serva padrona donne le départ de la fameuse Querelle des Bouffons, qui se terminera, deux ans plus tard, par le départ des Italiens, chassés de Paris par un édit royal.
Il faut remonter quelques années en arrière pour comprendre comment la troupe d’Eustachio Bambini en vint à se retrouver au centre de ce nouvel avatar de la bataille culturelle qui opposait depuis plus d’un siècle les défenseurs de la musique française et les partisans de la musique italienne, et qui se matérialisa par un affrontement entre « le coin du Roi » et « le coin de la Reine ».
Les informations sur Eustachio Bambini sont rares. On sait qu’il était né en 1697 à Pesaro, et qu’il y mourut également, en 1770.
Son nom apparaît à l’occasion de la représentation à Prague de La Pravità Castigata, opéra écrit sur le thème du libertin puni par le ciel, proche du mythe de Don Juan. Antonio Denzo en serait le librettiste, et Bambini le compositeur, l’opéra intégrant également des airs de Caldara. L’ouvrage aurait été donné à Prague en 1730, peut-être par la troupe formée par les frères Pietro et Angelo Mingotti, puis repris à Brno en 1734.
En 1748, Eustachio Bambini est à la tête d’une troupe de chanteurs qui représente une commedia per musica à Vérone, puis à Turin, sous le titre de L’Impresario, adaptation de l’Orazio de Pietro Auletta, sur un livret d’Antonio Palomba. Elle comprend Giuseppe Giardini, Caterina Basso Negri, Francesco Guerrieri, Costanza Rossignoli, Francesco Baglioni, Ippolita Mondini et Anna Tonelli. A Crémone, une autre troupe, composée de chanteurs bolognais, celle de Pietro Pertici, fait de même.
En 1749, la troupe de Bambini est à Munich, où elle interprète toujours L’Impresario. Plusieurs chanteurs venus de la troupe de Pertici l’ont rejointe : Giovanna Rossi, Teresa Alberis, Giuseppe Cosimi et Pietro Manelli. En 1750, la troupe est à Strasbourg, où elle interprète des opere serie de compositeurs vénitiens, et aussi une reprise de La Pravità Castigata.
En 1752, la Ville de Paris est en charge de l’Académie royale, depuis que le privilège lui a été transféré, le 26 août 1749. Louis Basile de Bernage, en tant que prévôt des marchands, en est le directeur. Il engage trois chanteurs de la troupe de Bambini pour jouer trois intermèdes, avec un effectif réduit, pendant les mois d’août et septembre 1752. Et c’est ainsi que sur la scène de l’Opéra, le 2 août 1752, trois chanteurs de la troupe de Bambini, en la personne de Anna Tonelli, Pietro Manelli et Giuseppe Cosimi, interprètent La Serva Padrona ou La Servante maîtresse, de Giovanni Battista Pergolesi. Cette oeuvrette, qui va mettre le Tout-Paris en émoi, avait créée à Naples, en 1733, pour entrecouper les trois actes de l’opera seria Le Prigioner superbo du même Pergolèse. Elle n’était pas même une nouveauté à Paris, ayant été interprétée, en 1746, par les Comédiens Italiens, dans l’indifférence générale.
Trois semaines après La Serva Padrona, le 22 août 1752, Il Giocatore ou Le Joueur est mis à l’affiche. C’est cet intermezzo de Giuseppe Orlandini, créé à Vérone en 1715 sous le nom de Serpilla et Baiocco, qui avait été interprété à Paris en 1729, par Antonio Maria Ristorini et Rose Ungarelli. Le mois suivant, le 19 septembre 1752, le troisième intermède est Il Maestro di Musica, dérivé de L’Orazio de Pietro Auletta, agrémenté d’airs de Pergolèse, et aminci – onze airs au lieu d’une trentaine ! – pour être interprété par trois chanteurs.
Le succès est tel que le contrat est prolongé en octobre et novembre. Mais Bambini avait par ailleurs conclu un traité avec Rousselet, directeur de la Comédie à Rouen, pour jouer du 1er novembre 1752 au mercredi des Cendres 1753. En novembre, Bernage attaque le contrat, considérant qu’il contrevient au privilège de l’Académie royale de Musique. Le 26 décembre, le Conseil d’État lui donne raison : le contrat avec Rousselet est annulé, et la troupe de Bambini se trouve engagée à Paris jusqu’à novembre 1753.
C’est alors que le reste de la troupe, resté à Strasbourg, rejoint Paris, ce qui va permettre de jouer des oeuvres de plus grande ampleur. Il y en aura neuf :
. le 30 novembre 1752, La Finta Cameriera ou La Fausse suivante, de Gaetano Latilla est représentée à la suite des Amours de Tempé, d’Antoine Dauvergne ;
. le 19 décembre 1752, La Donna superba ou La Femme orgueilleuse, de Rinaldo da Capua, réduction du dramma giocoso La Commedia in commedia, créé à Rome en 1738 ;
. le 23 mars 1753, La Scaltra governatrice ou La Gouvernante rusée, de GioacchinoCocchi, créée à Naples en 1747;
. le 19 juin 1753, Il Cinese rimpatriato ou Le Chinois de retour, de Giuseppe Selletti, et, à la suite, La Zingara ou La Bohémienne, de Rinaldo da Capua ;
. le 23 septembre 1753 : Gli Artigiani arrichiti ou Les Artisans de qualité, de Gaetano Latilla, suivi de Il Paratajo ou La Pipée, de Niccolo Jommelli ;
. le 9 novembre 1753 : Bertoldo in Corte ou Bertholde à la cour, de Vicenzo Legrenzio Ciampi, créé à Plaisance en 1747.
Le contrat avec la Ville de Paris venait à échéance en novembre. Il est prolongé juqu’à Pâques 1754, mais, le climat a été tellement avivé par la Lettre sur la musique française de Jean-Jacques Rousseau, que Louis XV , désireux de calmer les esprits, décide d’en finir. Le contrat est rompu, et la troupe de Bambini priée de quitter la France. Elle aura juste le temps de monter, sur intervention de la duchesse d’Orléans, le 12 février 1754, I Viaggiatori ou Les Voyageurs, de Leonardo Leo.
Le Mercure de France annonce le départ des Italiens qui depuis environ dix-huit mois occupoient tantôt une, tantôt deux, & quelque-fois trois fois la semaine, le théatre de l’Opéra, y joueront pour la derniere fois, le Jeudi 7 mars. Ils laissent la place libre pour l’Opéra Comique, qui va désormais dominer la vie musicale parisienne.
Jean-Claude Brenac – juin/juillet 2008