En faire ou en parler ?

« On fait de la musique, on n’en parle pas ! »

C’est à Gioacchino Rossini qu’est attribuée cette réplique dans « La comédie de Terracina », curieux roman (*) qui fait se rencontrer, en décembre 1816, aux frontières du royaume de Naples, le jeune maestro déjà célèbre – à vingt-quatre ans ! – et un certain Henri Beyle – qui ne s’appellait pas encore Stendhal – passionné d’opéra et de peinture italienne.

L’auteur laisse entendre qu’en prononçant cette parole péremptoire, Rossini, qui était alors en compagnie d’une jeune et jolie comtesse, pensait peut-être à tout autre chose qu’à la musique…

Peu importe, pris tel quel, cet aphorisme est encore plein de résonances pour l’amateur de musique d’aujourd’hui. A quoi bon, en effet, parler de musique, alors qu’il est tellement mieux d’en faire, ou, à défaut, de l’écouter ?

Et d’abord, comment parler de musique ? Comment évoquer avec des mots un son, une mélodie, un accord , un timbre ? S’imagine-t-on décrire un morceau de musique ? A fortiori, comment retracer les émotions engendrées par la musique ?

On peut certes dire : « j’aime… » ou « je n’aime pas… ». Mais quant à dire pourquoi, comment, et le pourquoi du comment…

Que n’a-t-on entendu sur une France Musique trop bavarde ? On y parlait – trop ? – de musique, et on en oubliait de l’écouter. Et puis, comme toujours, la réaction a eu lieu, avec Radio Classique. De la musique, rien que de la musique. Sans paroles et, de surcroît, en rondelles. Mieux ? pas sûr !

Aujourd’hui, certains, inquiets de voir « traiter la musique classique comme s’il s’agissait de pièce de musée », prônent « de nouvelles relations avec le public, une approche pédagogique », se concrétisant par exemple par des « DVD comportant des données sur le contexte géopolitique de l’époque, des informations musicologiques, des interviews » (*). Intentions louables, certes, mais comme on sait, l’enfer en est pavé…

Le fait est que, si la radio parle de moins en moins, l’écrit parle de plus en plus. On peut légitimement s’étonner – mais pour s’en réjouir – que, dans un contexte où la part de marché de la musique classique se réduit, nous dit-on, comme peau de chagrin, tant de revues musicales francophones de musique classique parviennent à vivre. Trois mensuels et un bimestriel généralistes, un trimestriel consacré à la musique ancienne, un mensuel et, depuis peu, un bimestriel, spécialisés dans l’opéra. Une bonne occasion pour souhaiter la bienvenue à « OpéraMag », dont le numéro 1 est daté de mai/juin. Dommage qu’on y manie un peu trop la brosse à reluire – l’article sur Montserrat Caballé qui tourne au panégyrique ! – mais attendons.

Et Internet ? La fréquentation des forums consacrés à la musique classique n’engendre pas que des satisfactions, c’est le moins que l’on puisse dire. Entre les forums moribonds ou à l’encéphalogramme plat, ceux où on a l’impression de déranger un petit cercle d’initiés, ceux où, au contraire, ça part dans tous les sens, ceux où on parle de tout sauf de musique, ceux où on passe son temps à s’invectiver, cette nouvelle forme d’expression semble avoir bien du mal à trouver sa place.

Alors, en faire ou en parler ?

En faire, en écouter, en parler, en un mot l’aimer.

Jean-Claude Brenac – Juin 2003

(*) Frédéric Vitoux – La Comédie de Terracina – Editions du Seuil – 1994

(**) François-René Duchable dans « Contacts », le magazine de la Fnac