Il aimoit extrêmement la musique.
Jean Héroard (1), fidèle médecin du futur Louis XIII (2), ne manque pas une occasion de l’affirmer : le Dauphin aime la musique.
On le croit volontiers. Comment un roi capable d’écrire la musique d’un ballet, le fameux Ballet de la Merlaison, aurait-il pu ne pas aimer la musique ?
Dès son jeune âge, on lui affecte un luthiste, Hindret (ou Indret), et un violoniste, Boileau, que l’on retrouvera au fil des anecdotes contées par Héroard dans son Journal.
A peine âgé de trois ans, le Dauphin a son luth, et ne craint pas d’en jouer devant la reine-mère Marie de Médicis : le 4 novembre 1604, jeudi, à Fontainebleau. — Il demande son luth, le porte à dix heures chez la Reine pour lui faire voir comme il en joue.
Joue-t-il vraiment ? Héroard lui-même semble en douter, si l’on en croit son annotation pour le 4 juin 1606 : il appelle Hindret, son joueur de luth, Boileau, son violon, et un soldat qui jouoit de la mandore, et lui, prenant un luth, dit : « Faisons la musique » ; il les fait ranger tous autour de lui, au chevet de son lit ; il pincoit son luth comme s’il eut joué avec intelligence.
Quelques mois plus tard, on voit le Dauphin s’impatienter contre Indret qui met trop de temps à s’accorder : Indret, son joueur de luth, étoit en la ruelle du lit de sa nourrice où il fut longtemps à accorder son luth ; l’impatience le prend : « Indret, il y a trois jours que vous accordez votre luth ! jouez ! » dit-il impérieusement, car il attendoit la musique, qu’il aimoit fort. Il faut reconnaître qu’accorder un luth est une opération très délicate : ne dit-on pas que les luthistes passent la moitié de leur vie à s’accorder…
Le 23 février 1608, Héroard ne peut cacher son admiration pour le Dauphin, capable de jouer du tambourin sans l’avoir appris : A sept heures il va en sa chambre, en la chambre de Madame, joue du tabourin de basque fort bien, en concert avec Hindret, son joueur de luth, et Boileau son violon ; il avoit appris de lui-même. Doué, le petit !
A partir de 1610, on voit apparaître auprès de lui Henri Le Bailly, chanteur réputé – l’Orphée du siecle, dit Mersenne – , dont le rôle semble surtout d’aider le jeune roi à s’endormir (3). Ainsi le fidèle Héroard note-t-il dans son Journal, à la date du 23 août 1610 : mis au lit, il fait chanter et jouer du luth le Bailly pour s’endormir. Louis XIII, qui va sur ses neuf ans, est-il encore sur le coup de l’assassinat de son père bien-aimé, le 14 mai précédent ? Pas vraiment, car on retrouvera ce type d’annotation répété plus tard, ainsi le 25 septembre 1611 : Mis au lit, il s’endort à la musique de Bailly, chantant et jouant de la lyre avec le joueur de luth de la reine d’Angleterre. Et encore le 18 octobre : il s’endort à la musique du luth et de la voix de Bailly.
En avril 1612, le roi s’essaye à nouveau au luth : se fait jouer du luth par le Baillif, joue lui-même dessus. Quelques mois après, les choses deviennent plus sérieuses : 1er septembre 1612 : Il commence à apprendre du luth avec Ballard. Il s’agit de Robert Ballard, luthiste de la reine-mère Marie de Médicis, auteur de deux Livres de tablature de luth en 1611 et 1614, imprimés par son frère Pierre Ballard.
On ne sait si Louis XIII poursuivit dans cette voie. Mais, en août 1614 – il a maintenant treize ans, et sera roi dans quelques semaines – Bailly est encore requis pour l’endormir : le 28 : Mis au lit, il s’endort au luth et à la voix du sieur Bailly.
Ainsi, la cause est entendue, le Dauphin aimait la musique. Mais ce qui comptait alors, pour un prince, c’était surtout de savoir danser. Alors, le Dauphin aimait-il autant la danse que la musique ?
Ce qui est certain, c’est que la danse et le ballet sont omniprésents dans la vie du Dauphin :
Il assiste à son premier ballet – difficile de dire lequel – le 7 mars 1604, à l’âge de deux ans et demi.
Si l’on en croit Héroard, le Dauphin danse son premier ballet à l’âge de cinq ans, le 16 février 1606, ce qui va à l’encontre de ceux qui affirment qu’il apparut la première fois dans un ballet dans le Ballet des Falots, en 1608. Le 16, jeudi, à Saint-Germain. Mené au jardin ; le Roi revenant de la chasse, met pied à terre, va à lui. Ramené au château, il se fait habiller en masque, va chez le Roi danser un ballet, ne veut point se démasquer, ne voulant être reconnu. De quel ballet s’agit-il ? On ne connaît aucun ballet dansé le 16 février 1606. Peu importe, mais on voit déjà apparaître un des traits de caractère du futur roi : sa timidité.
Le 23 novembre 1606, Héroard note : Il s’amuse à voir faire un habillement à la matelote, chausses et jupe pour conduire le ballet que faisoient M. le Chevalier et Mlle de Vendôme; vêtu de chausses à la matelote et d’une jupe de gaze, il est extrêmement content, se fait mettre son épée au côté en bandoulière, à huit heures est mené chez le Roi. Il s’agit probablement du Ballet de Mademoiselle de Vendôme (4), même si ce dernier passe pour avoir été dansé le 9 novembre.
En 1607, le 29 novembre, le Dauphin assiste à Noisy-le-Roi, chez le cardinal de Gondi, au Ballet des Lanterniers, fait par des soldats de la compagnie. Ce ballet semble avoir fait une forte impression sur le Dauphin, puisqu’on le verra s’amuser à recorder, c’est à dire répéter – ce ballet à diverses reprises : Il va en l’antichambre de la Reine y recorder son ballet des Lanterniers, le danse fort bien ; il n’y avoit que trois jours qu’il l’apprenoit. A nouveau, le 15 décembre : Ramené dans sa chambre, il recorde son ballet ; et encore le 17 décembre : M. le cardinal de Joyeuse, revenant de Gaillon à Paris, le vient voir. Il recorde son ballet des Lanterniers, y va fort bien, guidé seulement par l’oreille, car il ne savoit point faire des pas ; à nouveau le 17 janvier 1608 : Il envoie querir la grande horloge, où étoit le cours de la lune, la fait monter, y prend plaisir. Il joue son ballet des Lanternes, et le fait danser à Gramont et à Louise, fille de sa nourrice, fait venir son violon et son joueur de luth, chante et fait la musique avec eux ; et encore le 19 février 1608, à Saint-Germain : Habillé par-dessus sa robe d’un pourpoint de toile blanche et d’un haut-dechausses de même, et masqué, il recorde son ballet des Lanterniers.
Il est difficile d’imaginer que le jeune Dauphin n’aimait pas les ballets, témoin son insistance à assister à un ballet donné par le duc de Vendôme. Ainsi, le 23 janvier 1608 : L’on parloit que M. de Vendôme feroit dimanche prochain un ballet devant le Roi à Paris. — Ho ! Mamanga, j’y veux aller, j’irai bien ! Je lui dis : « Mais, Monsieur, il fait un extrême froid ! » — C’est tout un ; je prendrai mon masque de mascarade (qui étoit noir), je n’aurai point de roupie.
Quelques jours après, il assiste à un nouveau ballet : Il voit danser le ballet des sorciers et diables, dansé par des soldats de M. de Mansan, de l’invention de Jean-Baptiste, piémontois. Soldat de la compagnie de M. de Mansan, qui avait composé aussi celui des Fallots ou des Lanternes.
Le Ballet des Falots serait donc le premier ballet « officiel » où apparut le Dauphin. Héroard nous en a laissé une description détaillée : Le 21 février 1608 – A six heures soupé ; il va en la chambre de Mme de Montglat pour s’habiller pour danser son ballet, ne veut que personne le sache ni le voie, de peur d’être reconnu, et d’autant qu’il étoit habillé en fille, comme étoient aussi tous ceux qui le dansoient avec lui et masqués. C’étoient Mgr le Dauphin et Mlle de Vendôme, Mme et Mlle de Vitry ; M. le Chevalier et M. de Verneuil ; Marguerite, nièce de Mme Valon, et Mlle de Verneuil; Nicole, fille de la nourrice de Madame, et Louise, fille de celle de Mgr le Dauphin. Le ballet, c’étoit celui des Falots, pource qu’ils avoient chacun un demi-cercle revêtu de laurier, et au-dessus un petit falot où il y avoit de la bougie allumée ; ils faisoient trois figures : un H, un O, un L, puis passoient sous les cercles et dansoient à la fin une courante. Ils partent à huit heures en la grande chambre du Roi, où, en sa présence, ils l’ont dansé fort bien, ne l’ayant point auparavant recordé masqués ni habillés. Le Roi en pleura de joie parlant à deux jésuites, l’un espagnol, l’autre italien. Toute la cour l’admira ; ils l’avoient appris en quatre jours. A neuf heures un quart devêtu, mis au lit, il voit le Piémontois, soldat en la compagnie de M. de Mansan, qui avoit inventé le ballet et dit, le montrant du doigt : Velà celui qui a inventé le ballet ; comme voulant rendre l’honneur à celui auquel il étoit du. On voit que le Dauphin – habillé en fille, on comprend pourquoi il ne voulait pas ôter son masque ! – tint honorablement sa place – les éloges de Héroard ne dépassent pas le minimum. Mais il n’avait que sept ans !
Les ballets se succèdent, et le Dauphin y assiste, ainsi le Ballet de la Reine, les 31 janvier et 15 février 1609 ; le 3 mars, au Louvre, le Ballet du Chevalier de Vendôme ; le 2 avril, à St Germain, le Ballet de Madame ; le 8 juillet, à Fontainebleau, le Ballet des Preneurs d’amour, avec des faucons, des furets, et par des pêcheurs, de l’invention du sieur de Bonières ; et encore le 18 janvier 1610, au Louvre, le Ballet de M. de Vendôme, le fameux Ballet d’Alcine (5).
En février de la même année, le Dauphin se met à nouveau à recorder son ballet. Il s’agit bien en effet de son ballet, connu sous le nom de Ballet de M. le Dauphin, dont Malherbe disait : Le ballet de M. le Dauphin s’attend au premier jour ; il sera de deux mille écus de dépense. Il le recorde le 18, le 22, le 27, le 28, chez M. Zamet (6), près de la Bastille. Le soir même, à l’Arsenal, il danse son ballet fort bien devant Leurs Majestés. Héroard précise : C’est le premier qu’il a dansé devant en Cour. Décidément, il est de plus en plus difficile de savoir quel fut le premier ballet dans lequel dansa le Dauphin…
Rien, dans les annotations de Héroard, ne permet jusque là de déceler une quelconque réticence du Dauphin vis à vis de la danse, qu’il s’agisse pour lui d’assister à un ballet ou de danser lui-même.
Ce n’est que le 5 janvier 1611 – le jeune prince est âgé de dix ans – que Héroard nous annonce : il n’aimoit pas la danse de son naturel, et si il faisoit bien ; il le fait pour faire les révérences à M. de Souvré (7), qui le forçoit à les bien apprendre.
Il n’en reste pas moins qu’il continue à assister aux ballets donnés à la cour : le 1er mars 1612, un ballet donné par Madame de Puisieux (8), où il y avoit neuf demoiselles qui representoient les trois parties du monde ; le 6 du même mois, il voit danser un ballet à Madame Christine ; le 12, il voit danser, chez la marquise de Guiercheville (9), le ballet des courte-boule par M. le baron de Palluau ; à nouveau, en janvier 1614, avec la Reine, il voit danser un balet chez la marquise de Guiercheville, par quelques domestiques du Roi, dixit Malherbe.
Le 23 janvier 1614, il va avec la Reine pour assister à un ballet. Malherbe raconte la suite : Nous vîmes jeudi au soir le ballet attendu si longtemps, duquel la vue ne répondit pas à la dépense qui en avoit été faite, que l’on estime à plus de dix mille écus… Je ne vous en dirai autre chose, sinon que ce fut un désordre le plus grand du monde, de quoi toutefois lés balletants ont occasion de remercier Dieu, car toute l’invention n’en valant guère l’argent, la faute du mal est rejetée sur le peu de place qu’il y avoit pour le danser. M. de Plainville, capitaine des gardes, ne voulant désobliger personne, laissa entrer tout ce qui se présenta, et se trouva l’enceinte des barrières si pleine, qu’un seul homme. eut eu de la peine à y passer. La Reine à son arrivée, voyant celle multitude, se mit en la plus grande colère où je la vis jamais, et s’en retourna, résolue qu’il ne seroil point dansé : là-dessus on fit retirer et coucher le Roi. Toutefois pour ce qu’à quelques-uns il fut dit à l’oreille qua celle retraite n’éloit que pour faire sortir le monde, et que s’il se trouvoit place, on le danseroit ; peu de gens prirent l’alarme, et fallut qu’à la fin les archers dissent tout haut que tout le monde sorte et que le Roi étoit au lit. Cela ayant fait faire quelque place, mais bien éloignée de ce qu’il eut fallu pour tant de danseurs et de machines, la Reine revint, et le Roi aussi, qui étoit déjà couché, et alors le ballet fut donné tellement quellement, et non comme il est décrit dans le discours qui s’en est imprimé. Une belle pagaïe !
Au total que conclure ? Certainement pas que le jeune Louis XIII n’aimait pas la danse en tant que spectacle. Mais que sa timidité, sa nature réservée, voire un peu complexée ne le prédisposaient pas à s’afficher sans retenue sur une scène devant toute la Cour, comme devait le faire, avec tant d’éclat, son fils Louis le Quatorzième.
Jean-Claude Brenac – janvier 2010
(1) Jean Héroard (1551 – 1628), médecin de Charles IX, Henri III, puis de Henri IV et du Dauphin, futur Louis XIII, à la santé duquel il s’était entièrement dédié, moins curieux de richesse que de gloire et d’une incomparable affection et fidélité. Son Journal est composé de six volumes autographes, dans lesquels il relate les faits et gestes du Dauphin, de 1601 à 1628. Il était seigneur de Vaugrigneuse, dans l’Essonne.
(4) Catherine-Henriette, second des trois enfants qu’Henri IV eut avec sa favorite Gabrielle d’Estrées. Elle avait alors dix ans.
(5) voir description détaillée du Ballet d’Alcine
(6) Sébastien Zamet, né à Lucques vers 1549, mort à Paris en 1614, naturalisé en 1581, sous Catherine de Médicis, financier de la cour de France. C’est chez lui que mourut Gabrielle d’Estrées.
(7) Gilles de Courtanvaux (1540-1626), marquis de Souvré, précepteur du Dauphin, maréchal de France, en 1614.
(8) Tallemant des Réaux disait d’elle : Elle [Mme de Puisieux] endetta le couvent des Dix-Vertus d’une somme considérable, et cela pour des friponneries.
(9) Antoinette de Pons-Ribérac, souveraine du Canada, comtesse de La Roche-Guyon, marquise de Guiercheville (vers 1560 – 1632), dame d’honneur de Marie de Médicis.