En feuilletant le Journal de M. Papillon de la Ferté

En 1756, Denis Papillon de la Ferté succède à M. de Curis comme Intendant et Contrôleur de l’Argenterie, Menus-Plaisirs et Affaires de la Chambre du Roi. Rendu méfiant par l’expérience malheureuse de son prédécesseur, qui, dit-il, ne m’avait cédé sa charge que par dégoûts que les Premiers Gentihommes de la Chambre lui avaient fait éprouver, il décide de tenir un Journal, où il note ses opérations, les ordres qu’il reçoit et jusqu’à les contrariétés qu’il éprouve dans sa charge. Charge lourde, car Papillon de la Ferté se retrouve seul Intendant à partir de 1762.

L’administration qu’il a en charge touche de plus près au Roi et à la famille royale. L’Intendant est soumis aux Premiers Gentilhommes de la Chambre, qui se relaient une année sur quatre : le duc d’Aumont, le plus ancien, le duc de Fleury, le maréchal de Richelieu, le duc de Duras, le duc de Fronsac, fils du maréchal de Richelieu, et le duc de Villequier, fils du duc d’Aumont. En tant qu’Intendant des Menus Plaisirs, il est particulièrement en charge des représentations données au château de Fontainebleau, en présence de la famille royale, pièces, divertissements, et opéras auxquels on s’attachera plus particulièrement.

En cette année 1762, le Premier Gentilhomme de la Chambre est le duc d’Aumont (1), dont Marmontel disait qu’il était sot, vain et colérique. Le 27 juillet 1762, on suggère à Papillon de donner Psyché à Fontainebleau, extrait des « Fêtes de Paphos » de Mondonville. Il imagine de le faire chanter par Sophie Arnould, quoiqu’elle ait demandé à prendre sa retraite, mais qui n’avait jamais chanté devant la famille royale. Le 21 octobre, la représentation est un succès complet, et Louis XV complimente Papillon. Mais plus que le gosier de Sophie Arnould, ce sont les décorations et les habillements qui sont jugés admirables, et les ballets qui n’ont rien laissé désirer. Lors d’une seconde représentation, Psyché plaît à nouveau beaucoup, surtout par la décoration du palais de Vénus, dont le trône, le dais, les colonnnes intérieurers et extérieures, ainsi que tout l’ordre de l’architecture étaient couvertes de pierreries de différentes couleurs. Le spectacle est tellement prisé que le Roi autorise les Princes, les Évêques et toute la Ville à venir jouir du spectacle. Excellents débuts pour Papillon, qui est couvert de louanges, même par le Contrôleur général – celui qui tient les cordons de la bourse – et se voit gratifié de 4 000 livres par le duc d’Aumont.

En 1763, année durant laquelle le premier Gentilhomme est le duc de Duras (2), trois opéras sont prévus à Fontainebleau. Les économies sont à l’ordre du jour, et Papillon se félicite que l’on réutilise des vieux habits sur lesquels on se bornera à remettre à neuf les galons d’or et d’argent. Le 8 août Dardanus est représenté, avec Jelyotte qui y paraît le même qu’à vingt ans (il en avait pourtant cinquante !) Tout le monde est satisfait, mais le roi demande que, lors de la seconde représentation, l’habit de Jelyotte soit encore plus magnifique. Ce qui sera fait, avec force pierreries et broderies. Papillon fait le compte : Dardanus a exigé 207 habits, 87 paires de souliers et de bas, sans compter les rubans, les plumes… Après Dardanus, on représente Scanderberg, de Francoeur et Rebel, qui avait été créé en 1735 avec un décor de Servandoni – une mosquée – qui avait fait sensation. En ce 22 octobre, alors que la représentation remporte un franc succès, c’est encore la fameuse mosquée qui attire les regards. Bachaumont note : La décoration de la mosquée surpasse tout ce qu’on peut dire : les colonnes sont garnies de diamants, et font un effet des plus surprenants. On prétend que c’est en petit l’imitation de celle de Ste Sophie. Papillon, également, juge que le succès est imputable à la magnificence des habits et des décorations. Quant à la musique ? on lui en dit beaucoup de mal. Avec humour, il ajoute : Heureusement ce n’est pas moi qui en suis l’auteur, quoique je voulusse bien être en état d’en faire une pareille. Le troisième opéra représenté à Fontainebleau est Castor et Pollux, qui donne à Papillon l’occasion de faire preuve de ses qualités de chef pompier : pendant la représentation, le feu prend dans un plafond. Il est éteint rapidement, grâce aux éponges fixées au bout de perches préparées à l’avance. Nouveau succès que Papillon attribue surtout… aux habits et aux décorations. Papillon est félicité par le roi, la reine, et l’incontournable Mme de Pompadour.

1764 est l’année du duc de Fleury (3). Mais c’est Mme de Pompadour qui, dès le 12 février, compose le programme, dont deux oeuvres lyriques : Pygmalion, de Rameau, et Titon et l’Aurore, de Mondonville (*). Pygmalion ne sera pas joué, mais Titon et l’Aurore est donné le 21 octobre, et ce sont encore les habits et les décorations qui attirent le plus l’attention, et principalement du char de l’Aurore, qui traversait les airs, et dont les roues mouvantes étaient garnies de diamants. Le trône de l’Amour, dans la gloire, était aussi tout en pierreries, recouvert par un baldaquin enrichi de même, avec des rideaux relevés et soutenus par des Amours. La cour de l’Amour était composée de différentes divinités groupées sur des nuages, le tout avec de petits Amours répandus dans les différentes parties de la décoration. Cette machine descendit du cintre avec justesse et précision.

En 1765, le premier Gentilhomme de la Chambre est le maréchal de Richelieu (4), personnage fantasque, avec qui les relations ne sont jamais faciles. Le maréchal compose un programme copieux : Thétis et Pelée, de Colasse, sur un livret de Fontenelle, remis en musique par La Borde, premier valet de chambre du roi, Thésée, de Lully, remis en musique par Mondonville, et Almazie, de La Borde, remis en musique par le duc de la Vallière, ainsi que Silvie, ballet de Berton et Trial, sur un livret de Laujon. A quoi s’ajoute un opéra comique de Favart et Duni, la Fée Urgèle. Papillon a beau le mettre en garde sur les dépenses (rien que 200 habits de l’époque de Dagobert pour la Fée Urgèle…), le maréchal de Richelieu maintient son programme. Thétis et Pelée est donné le 10 octobre. Papillon note pudiquement qu’on a parlé diversement de la musique, et apprenant que le roi n’a pas été enthousiasmé par les décorations et les habits, plaide que dans cet opéra, à l’exception du palais de Thétis, tout n’est que rochers, déserts et mers… On joue aussi le Triomphe de Flore, de Dauvergne, Zénis et Almasie, du duc de la Vallière, qui suscite l’admiration par la beauté des habits et des décorations. Vient enfin Thésée, revu par Mondonville (6), dont Papillon note qu’il s’en faut de beaucoup qu’il ait plu à tout le monde, malgré la magnificence des habits et des décorations, sur lesquelles M. le maréchal (de Richelieu) avait ordonné qu’on épargnât rien. La décoration, toute de pierreries, était la plus belle qu’on eût jamais vue. Tout le monde a été étonné de l’exécution des machines, car malgré la petitesse du théâtre et son extrême incommodité, on a fait trois changements de décorations des plus considérables en moins de quatre minutes. Mais l’ambiance n’y est pas en cette fin d’année 1765 marquée par la maladie et la mort du Dauphin, Louis, fils de Louis XV.

Papillon de la Ferté continuera longtemps à organiser les divertissements royaux. A partir de 1780, il cumulera sa charge d’Intendant avec celle de Directeur de l’Opéra. La Révolution lui sera fatale. Pourtant, il lui avait donné des gages : il prête le serment civique, il est volontaire dans la garde nationale, devient même commandant de la garde nationale de l’île St Denis en 1790, et offre un don patriotique de 39 000 livres. Mais il reste suspect. Un jour, sa maison à St Denis est perquisitionnée. Son épouse ne le supporte pas et meurt peu après. Quoique se sachant menacé, il refuse de s’enfuir. Il est arrêté puis incarcéré à la prison du Luxembourg. Il n’en sortira que pour être jugé et exécuté, comme ennemi du peuple, le 7 juillet 1794, sur la place du Trône.

Jean-Claude Brenac – Janvier 2008

(1) Louis Marie Victor Augustin, cinquième duc d’Aumont (1709 – 1782), Premier Gentilhomme de la Chambre en 1723. Ami de Louis XV, il fut un grand amateur d’art. Il s’occupait de la comptabilité, de l’examen des états, de la surveillance des magasins, et de la nomination à tous les emplois de bureau.

(2) Emmanuel-Félicité de Durfort, maréchal-duc de Duras, est Premier Gentilhomme en 1757. Modèle du parfait homme de cour, il est spécialiste de l’organisation des fêtes.

(3) André-Hercule de Rosset, duc de Fleury, en fonction depuis 1741, dirige la musique du roi et les pompes funèbres. Il laisse Papillon de la Ferté établir le programme des spectacles.

(4) Louis-François-Armand Vignerot du Plessis, maréchal-duc de Richelieu, entre en fonction en 1744. Brouillon, taquin, dépensier, il s’attribue l’administration des théâtres.

(5) le même jour, la marquise demande à Papillon de remettre 50 louis à un enfant qui a joué du clavecin devant elle, un certain Mozart, alors âgé de 7 ans.

(6) Deux ans plus tard, l’oeuvre sera jouée à l’Académie royale, et connaîtra un piteux échec.