« Comme quoi l’évêque Gruër fut chassé pour avoir fait gambader dans la sacristie plusieurs nones nues en présence des grands vicaires. »
Ainsi fut résumé, dans la satirique « Histoire de l’Église du Diable », un de ces scandales qui firent les délices du Tout-Paris de 1731.
Qui était donc cet « évêque » aux moeurs si dépravées ? Il n’était autre que le directeur de l’Opéra, Maximilien-Claude Gruër, qui avait obtenu le privilège de l’Opéra, à compter du 1er avril 1730, pour une durée de trente-deux années, pas moins ! L’état de greffier de l’Amirauté de Guyenne le prédisposait-il à diriger cette pétaudière qu’était l’Académie royale de musique ? Pas sûr ! Son principal talent était peut-être d’avoir la confiance du prince de Carignan, personnage sulfureux mais influent, qui avait réussi à obtenir du Roi une organisation de l’Opéra dans laquelle il assumait lui-même, au titre d’Inspecteur général, la direction de fait, Gruër assumant seul le risque financier, et Campra la direction artistique. Hélas, Gruër n’allait jouir de son privilège que durant à peine plus d’un an.
La « sacristie » ? c’était l’appartement de fonction dont disposait Gruër, dans ce qu’on appelait le « magasin », bâtiment construit en 1712, rue St Nicaise, pour abriter les ateliers, les entrepôts de costumes et décors et les salles de répétition de l’Opéra.
Quant aux « vicaires », c’était les invités de Gruër à déjeûner. Il avait là notamment André Campra, alors âgé de 71 ans, Mogniac, un associé de Gruër, et Joseph Nicolas Pancrace Royer – 26 ans – qui s’était fait connaître par sa tragédie en musique « Pyrrhus » et, en dépit d’un faible succès – sept représentations – était devenu chef d’orchestre de l’Opéra.
Il y avait aussi les fameuses « nones », au nombre de cinq, deux chanteuses, les demoiselles Pélissier et Petitpas, et trois danseuses, les demoiselles Duval du Tillet et la demoiselle Camargo.
Mlle Pélissier était âgée de vingt-quatre ans. Elle avait débuté en 1726, dans « Pyrame et Thisbé » de Rebel et Francoeur, et avait immédiatement conquis le public « autant par la beauté de sa voix et l’expression de son jeu que par l’élégance de sa personne et la distinction de ses traits ». On ne lui reconnaissait en revanche ni beauté ni esprit. Et si elle était « la première pour le jeu du théâtre », elle l’était aussi « pour la coquetterie ».
Les demoiselles Duval du Tillet étaient deux soeurs, filles galantes de renom, affublées de sobriquets – la Constitution (ou la Bulle) et le Bref – rappelant que l’aînée était la fille de Cornelio Bentivoglio, nonce du Pape, grand promoteur de la Constitution du clergé.
Enfin, Marie-Anne Cupis de Camargo était une danseuse déjà renommée. Alors âgée de vingt et un ans, elle était entrée à l’Opéra en 1726.
On raconte qu’il faisait chaud en ce 4 juin 1731, et que ces demoiselles, ayant vaillamment honoré le repas, chanté et dansé, voulurent se rafraîchir avec du linge frais. Gruër n’avait que des chemises d’homme qu’elles se plurent à enfiler à la place de leurs vêtements. On ne sait qui eut l’idée d’interpréter une nouvelle version de la scène du Jugement de Pâris. Campra fut toutefois jugé le plus apte à jouer le rôle du prince-berger pour décider laquelle des cinq déesses cachait sous sa chemise les plus beaux attraits. Il s’y employa, dit-on, avec minutie, tant par la vue que par le toucher. Et ce n’est qu’après de mûres délibérations, palpations et comparaisons que la majorité désigna la gagnante : la Camargo.
Hélas, la joyeuse compagnie n’avait pas pris garde que les fenêtres grandes ouvertes permettaient à tout un chacun de profiter du spectacle. Le scandale fut grand, et si les rimailleurs s’en donnèrent à coeur joie, le Roi s’en montra irrité. Campra s’en tira avec des excuses publiques, mais le couperet tomba sur Gruër, dont le privilège fut révoqué quelques mois plus tard. Pour les belles « nones », l’indulgence fut de mise, car comme disait un rimailleur, si
Jean-Claude Brenac – Janvier 2007