La réforme arcadienne qui donne naissance, au début du XVIIIe siècle, à l’opera seria a-t-elle ouvert un âge d’or pour l’opéra, ou a-t-elle signé son irrémédiable déclin ?
Si l’on en juge d’après le nombre d’opéras composés, tout au long du XVIIIe et jusqu’au début du XIXe siècle, sur les livrets d’Apostolo Zeno et Pietro Metastase, principaux artisans de cette réforme, ce fut un incroyable succès. On estime en effet à plus d’un millier (!) le nombre d’opéras composés sur la quarantaine de livrets écrits par Metastase.
On a peine à imaginer l’irrésistible engouement suscité ainsi par la tragédie « Didone Abbandonata », écrite par Metastase en 1724 d’après Virgile : le Dictionnaire des Opéras (*) ne recense pas moins de 36 opéras composés sur ce livret. Mais on pourrait citer aussi celui de Alessandro nell’Indie (36 opéras), Demofoonte (33 opéras), Olimpiade (33), Ezio (26), etc.
Et pourtant, la réforme arcadienne porte en elle les germes de la maladie qui va conduire l’opera seria au déclin. Parmi les règles auxquelles obéit l’opera métastasien, le bannissement du mélange des genres est sans doute le plus lourd de conséquences. Fini le foisonnement typique du seicento baroque, qui faisait succéder sans transition le comique au tragique, la satire au grandiloquent, le bouffon aux nobles sentiments. Finies les intrigues plébéiennes, qui doublaient dans un contrepoint savoureux les affects des princes ou des chefs de guerre. Finies les majestueuses descentes en « machines » des divinités venant influer sur le cours de la vie des pauvres humains. Finies les scènes un peu lestes, voire carrément licencieuses…
En un mot, l’opera seria devient trop sérieux, et ne répond plus aux attentes du bon peuple, pour qui les états d’âme des princes ne constituent quand même pas la préoccupation essentielle.
Faut-il s’étonner si apparaît alors un genre bouffon – l’intermezzo – dont le succès dépassera durablement celui de l’opera seria. Fallait-il que l’opera seria soit frustrant pour qu’on en vienne à l’entrelarder d’intermèdes comiques ! Et pour que les intermèdes en viennent parfois à faire oublier l’opéra principal : tout le monde connaît la Serva padrona, mais qui connaît Il Prigioner superbo, opéra de Pergolèse dans lequel elle s’intercalait ?
Cela étant, que ces historiettes archi-convenues de servante délurée cherchant à se faire épouser par le « vieux barbon » de service aient pu faire les délices du public italien, notamment napolitain, on peut le comprendre. En revanche, quand on écoute la Serva padrona, on a peine à imaginer que cette suite de récitatifs « secco » débités à toute allure et d’airs ni meilleurs ni moins bons que bien d’autres aient pu déclencher le psychodrame passé à la postérité sous le nom de « Querelle des Bouffons ». Et encore plus de peine à constater que durant bien des années pas encore si lointaines, la Serva padrona aura résumé à elle seule l’opéra baroque…Epoque où on ne trouvait même pas un enregistrement intégral d’un opéra de Haendel ou de Vivaldi.
Trop sérieux l’opéra seria ? peut-être. Est-ce une raison pour qu’il reste le parent pauvre de la scène et de la discographie ? Qui nous fera découvrir les opéras de Caldara, Vinci, Leo, Porpora, Hasse, Graun ?
(*) Clément et Larousse – Tchou
Jean-Claude Brenac – Janvier 2003