Dans Le Bourgeois Gentilhomme, façon Dumestre-Lazar, on s’enchante de la prononciation dite à l’ancienne. On entend notamment sonner – et même rouler – le r final des infinitifs en er, après un e bien ouvert. Aller devient allère.
On s’interroge aussitôt : prononçait-on vraiment ainsi du temps de Molière ? et Molière lui-même, prononçait-il ainsi ?
Il se trouve que l’on peut répondre à ces deux questions.
La réponse à la première question est : oui et non. Réponse normande, dira-t-on, mais tout à fait adaptée à la situation, dans la mesure où cette façon de prononcer était appelée à l’époque : prononciation normande.
La tradition selon laquelle les infinitifs en er étaient prononcés ère en Normandie avait été avalisée dès le XVIe siècle, notamment pas les poètes de la Pléiade, qui acceptaient la rime normande : aimer pouvait rimer avec mer (*).
Parler de la prononciation au XVIIe siècle conduit inévitablement à Vaugelas. Dès 1647, Claude Favre, baron de Pérouges, seigneur de Vaugelas (*), avait abordé la question dans son principal ouvrage Remarques sur la langue françoise, condamnant le vice du pays – la Normandie en l’occurrence – que constituait la façon de prononcer aller comme allère. Il ajoutait qu’il convenait de prononcer l’infinitif aller comme s’il n’avait point d’r à la fin, tout de même que l’on prononce le participe allé sans aucune différence, et que cette prononciation n’avait pas lieu d’être différente selon qu’il s’agissait de personnes parlant en public ou dans le langage ordinaire.
Il faut croire que les recommandations de Vaugelas avaient été suivies d’effet, puisque quarante ans plus tard, en 1687, Jean Hindret, un grammairien publiait un Art de bien prononcer et de bien parler la langue françoise, dans lequel il indiquait que M. de Vaugelas avait fait une ample remarque sur cer « r » finales et sur la prononciation des « e » qui le précèdent, ajoutant qu’il ne doutait pas qu’elle n’ait beaucoup contribué à en réformer les abus.
Autant dire qu’en 1670, année du Bourgeois gentilhomme, la prononciation à la normande, combattue depuis plus de vingt ans, avait dû amplement régresser, sinon disparaître.
Mais Molière, lui, qu’en pensait-il ?
Nous le savons, grâce à ce même Jean Hindret. Dans ce même ouvrage, en effet, il fait valoir les soins que Molière a pris de faire valoir (la bonne prononciation) en la faisant observer à ses acteurs et en les désaccoutumant peu à peu de la mauvaise habitude qu’ils avaient contracte de jeunesse dans la prononciation de ces syllabes finales. Il ajoute que Molière a si bien corrigé ce défaut de prononciation qu’il n’est plus un homme de théâtre qui ne s’en soit entièrement défait et qui ne prononce régulièrement les syllabes des infinitifs terminés en er. Et même les comédiens de province, qui prononçaient très mal cette syllabe finale, se sont corrigés.
Ainsi la cause est entendue. Les spectateurs du Bourgeois gentilhomme n’ont sûrement pas entendu prononcer les infinifs comme on les prononce dans le DVD.
Ce qui n’enlève rien bien entendu à la qualité de ce dernier.
Jean-Claude Brenac – Décembre 2008
(d’après Molière de tous les jours – Échos, potins et anecdotes – Pierre Bonvallet – 1995 – Imago)
(*) curieusement, la rime normande s’est perpétuée en poésie, en se transformant. Baudelaire fait ainsi rimer, dans les Fleurs du mal, aimer et mer. Mais, au XIXe siècle, les Normands ne prononçaient plus aimer comme aimair. En revanche, ils prononçaient mer comme mé…
(**) Claude Favre, baron de Pérouges, seigneur de Vaugelas, né en 1585 à Meximieux, en Bresse, alors dépendante des États de Savoie, mort à Paris en 1650