Il est des métiers dans lesquels se spécialiser est plutôt considéré comme un acte positif.
Pas celui de chanteur. Il n’est que d’écouter un jeune baryton français dans un récent entretien avec Altamusica : « Je refuse la spécialisation. Je veux chanter Puccini, Debussy, Mozart, Manoury, Wagner… ». Il aurait pu ajouter Rameau, puisqu’on l’a entendu il n’y a pas longtemps, incarnant le Jupiter de « Platée ».
Il n’est pas le seul. Nombreux sont les chanteurs qui souscriraient à cette volonté d’éclectisme à tout crin. La peur de s’enfermer dans un répertoire semble être devenue la hantise des chanteurs – pour ne pas parler des chefs.
Il est vrai que le public – et aussi les critiques – ont vite fait de poser des étiquettes : tel est considéré comme un spécialiste de Rossini, tel autre de Mozart, tel autre du baroque italien, etc. Cela s’explique : lorsqu’un chanteur nous a donné tellement de satisfactions dans un répertoire, on souhaite le réentendre dans ce même répertoire, et on se sent presque trahi lorsqu’on le voit s’évader vers d’autres horizons…
On comprend qu’il soit redoutable pour un chanteur de se voir ainsi catalogué, et on ne peut contester que le répertoire puisse – voire doive – évoluer au fil du temps – ne serait-ce que parce que la voix elle-même évolue.
A l’inverse, à voir certains chanteurs papillonner, on se demande si l’éclectisme ne devient pas une fin en soi, et s’il n’est pas porteur de danger. Est-il vraiment possible de de passer de Puccini un jour, à Debussy le lendemain, et encore à Mozart, Manoury ou Wagner ?
Pour être bon, peut-être, mais pour être très bon ? Ne faut-il pas un travail de recherche, d’appropriation, d’approfondissement du style propre à chaque époque, à chaque compositeur, à chaque oeuvre ? Ce travail peut-il s’effectuer autrement que par des années de pratique, de maturation ? Et la symbiose qui en résulte n’est-elle pas aussi gratifiante que la prétention à « pouvoir tout chanter » ?
A privilégier la diversité, on risque tout simplement de tomber dans l’uniformité ! Un comble !
Jean-Claude Brenac – Décembre 2003