Vous aimez les tempi majestueux, qui laissent aux mélodies le temps de se déployer – et aux interprètes le temps de respirer ? Vous vous épuisez à suivre le rythme survolté des enregistrements dits modernes ?
Pauvre de vous ! vous êtes complètement ringard. La mode est l’accélération, aux tempi endiablés. On a tellement peur de s’ennuyer ! Aujourd’hui, tout ce qui ne va pas vite ennuie.
Vous écoutez des enregistrements d’œuvre baroque sur instrument moderne ?
Vous avez intérêt à raser les murs. Personne n’ose plus jouer du Bach sur instruments modernes de peur d’être pendu haut et court par la critique. Il faut des instruments bien acides, bien grinçants. Ecoutez les nouveaux ensembles italiens, ça c’est du baroque !
Vous regardez avec circonspection fleurir les versions minimalistes sous couvert de recherche d’authenticité ? Vous vous demandez si ce n’est pas plutôt sous couvert d’économie, et vous vous dites que ces Anglais, quand même, qui se réunissent à plusieurs milliers pour chanter le Messie de Haendel, ça a quand même de l’allure ?
Rien compris, vous n’avez rien compris. Finis les gros ensembles, les régiments de violoncelles, les chœurs pléthoriques ! Un par partie, c’est bien suffisant. Ce qui compte aujourd’hui, c’est le côté intimiste, épuré.
Vous préférez la version Leppard du Dardanus de Rameau, à celle de Minkowski ?
Sacrilège ! Les ayatollahs ont décidé que tout ce qui s’est fait en baroque avant Harnoncourt, Christie et Minkowski est bon pour la poubelle. Et que ceux qui viennent piocher dans ladite poubelle dans l’espoir malsain de tomber sur des enregistrements de Leppard, Paillard, Pritchard, Tate, Koch, Goehr, Ewerhardt, Leitner, sont catalogués, comme le fait Diapason de décembre (page 18) soit comme amateur de « kitsch » – passe encore ! – , soit comme « masochistes », vous savez, ces malades qui achètent des choses immondes pour le plaisir de se faire du mal.
Il faut croire qu’il y a encore quelques masos, car le « Dardanus ramiste de Leppard », tout témoin « d’un des plus retentissants ratages de l’Opéra de Paris » qu’il est , est toujours là et bien là, et il fait la nique dans les bacs à la « version du siècle » de Minkowski.
Curieux, quand même, on nous rebat les oreilles à longueur de revues musicales sur les enregistrements « historiques » de Beethoven, Mahler, Brahms, Verdi, etc., qu’il faut « absolument » posséder, alors qu’en matière de baroque, on voudrait nous faire croire que tout a commencé dans les années quatre-vingt.
Faut-il en avoir du courage, pour avouer publiquement prendre du plaisir à écouter L’Orfeo par Helmut Koch, le Retour d’Ulysse par Jeffrey Tate, et le Couronnement de Poppée par Walter Goehr, voire même – la honte ! – par Karajan.
Masochistes, mes frères, résistons !
Jean-Claude Brenac – Décembre 2001