Les romans qui transportent le lecteur dans le monde de l’opéra du milieu du XVIIe siècle ne sont pas nombreux.
Alors, quand on en trouve un – de neuf cents pages en édition de poche ! (*) – écrit par la grande romancière que fut la Dame de Nohant, il ne faut pas résister au plaisir de la découverte.
L’amoureux de l’opéra plongera d’abord dans la Venise du baroque finissant, pour assister aux débuts fracassants de Consuelo, jeune élève surdouée du maestro Nicola Porpora.
Elle n’est pas belle, cette petite bohémienne au teint de pruneau, venue de nulle part, mais elle met tous les hommes à ses pieds dès que s’élève son chant.
Ambitieuse, elle l’est, mais pas de l’ambition dérisoire des vains succès de scène. La musique est son ambition, la Musique, la vraie…celle que défend ce vieux grognon de Porpora dont elle est un peu la fille adoptive.
Chanter et rester pure sont bien difficilement conciliables dans cette Venise corruptrice, et notre héroïne devra faire face aux avances d’un patricien qui se verrait bien dans le rôle de « protecteur », aux intrigues des « collègues » éperdues de jalousie, et même à la trahison du fiancé, lui aussi élève de Porpora, mais adepte des succès trop faciles.
Consuelo devra quitter la fascinante clarté vénitienne, pour les brumes de la Bohême mystérieuse où l’attend le ténébreux comte Albert de Rudolstadt. Il l’entraînera dans une initiation mystique à un monde meilleur où la seule richesse serait celle de l’Art. Dans une atmosphère pesante, confinant au huis-clos, le lecteur amateur d’opéra subira, lui aussi, l’épreuve des théories fumeuses et des longueurs indigestes…
Heureusement Consuelo saura s’échapper du Château des Géants pour aller retrouver son bon vieux maître dans la Vienne impériale. Elle y arrivera flanquée d’un jeune homme bien élevé, rencontré en chemin, un certain…Josef Haydn. Au hasard des démarches effectuées par le vieux Porpora pour s’imposer à Vienne, le lecteur verra défiler des figures évocatrices : Caffariello (**), le castrat infatué, Bononcini, le vieux rival déchu de Haendel, Métastase, le librettiste impérial.
On s’en voudrait de dévoiler la fin du roman, même si elle est à la portée de tout lecteur perspicace, bien avant la dernière page.
Bien entendu, la bonne compréhension d’un tel ouvrage nécessite un certain décodage. George Sand n’en faisait pas mystère : à travers Consuelo, il faut voir Pauline Viardot, née Garcia, qu’un père intraitable avait sommé de prendre la place de la Malibran, sœur aînée morte prématurément. C’est à elle qu’est dédié le roman, elle, l’amie en qui George Sand confessait revivre » sa jeunesse, sa gloire et son avenir « . Venise n’est pas non plus un hasard, lieu de sa passion heureuse avec Chopin. Quant à la Bohême, c’est la patrie de l’insurrection contre le despotisme personnifié par Rome et le Saint-Empire. Et Vienne, c’est précisément le repaire de cette tyrannie impériale où un jeune musicien – Joseph Haydn – symbolise le renouveau de l’art.
« Le roman n’est pas bien conduit. Il va souvent un peu à l’aventure, il manque de proportion. C’est l’opinion de mes amis, et je la crois fondée ». Il est inhabituel d’entendre un auteur reprendre à son compte des critiques aussi acerbes contre sa propre œuvre. Cette simplicité est tout à l’honneur de celle qui ne mérite pas d’être passée à la postérité pour ses amitiés romantiques, ses pantalons et ses cigares, plus que pour ses incontestables talents littéraires.
Et ceux que les neuf cents pages de ce roman n’auront pas rassasiés peuvent se rassurer : « Consuelo » a une suite, tout aussi volumineuse : « La Comtesse de Rudolstadt ».
Bonne lecture !
Jean-Claude Brenac – Avril 2003
(*) Consuelo – George Sand – Phébus libretto – septembre 2000
(**) plutôt appelé aujourd’hui Cafarelli